Quatre mois plus tard
Sur le lit où Baptiste est allongé, Sofia s’assied sur son bassin. Elle lui caresse le visage et il embrasse sa main d’un sourire niais.
Les yeux de Sofia le détaillent avec intensité. Elle se mordille les lèvres et se frotte contre le caleçon de Baptiste.
À peine pose-t-il sa main sur la hanche de Sofia que celle-ci se penche au-dessus de lui et l’embrasse.
Elle l’embrasse sans le laisser partir.
Elle l’embrasse comme si jamais plus elle ne l’embrasserait.
À chaque fois qu’il scelle ses lèvres d’un sourire et interrompt leur baiser, elle recommence plus intensément encore.
Entre ses jambes, elle sent que son petit manège commence à faire son effet. Elle y répond d’un mouvement de bassin.
Il commence à s’y perdre aussi. Cette fois, c’est lui qui l’embrasse avec fougue. Il enserre sa tête d’une main, et l’accompagne délicatement sur le lit pour qu’elle s’y allonge.
Il embrasse sa clavicule, baise son cou, se fraie un chemin jusque ses seins.
Et elle, le souffle coupé, attend.
Elle prend une longue inspiration quand il descend et embrasse son nombril. Frémit lorsqu’il continue sur le côté de ses hanches. Ecarte ses jambes pour mieux lui montrer le chemin. Plus vite.
Mais Baptiste prend son temps. Il remonte jusqu’à son visage qu’il embrasse de nouveau.
Sofia s’impatiente. Les mains sur les fesses de Baptiste, elle l’attire à elle pour qu’ils ne fassent qu’un.
Lui a un mouvement de recul. Il la scrute, l’interroge, puis revient lentement.
Sofia intensifie sa poigne.
Plus fort, plus vite, l’intime-t-elle.
Mais Baptiste ne l’écoute pas.
Il tient en équilibre sur ses bras, refuse de laisser la moindre once peser sur le corps de Sofia. Il l’observe, transi, pendant ses va-et-vient monotones.
Sofia parcourt son torse de ses mains, elle lui mordille le lobe de l’oreille, mais rien ne vient perturber ce rythme digne d’un métronome.
— Dis-moi que je suis à toi, souffle-t-elle.
Baptiste lui assène un coup plus fort. Elle gémit. Puis il reprend sa cadence.
Elle s’arrête de bouger quelques instants.
Le repousse.
— Allonge-toi, assène-t-elle d’une voix sèche.
Il s’exécute et elle ne lui laisse pas plus de répit. Sur lui, elle va, vient, se baisse pour l’embrasser, puis repart avec frénésie.
Le voilà, le rythme qu’elle attendait.
Endiablé. Sensuel. Intense.
Se hâter pour ensuite reprendre son temps. Faire durer le plaisir, varier les instances.
Lui caresse ses seins, susurre des mots inaudibles en la toisant d’un regard lubrique. Ses yeux sont presque fermés.
Il s’abandonne, enfin.
Un instant.
Elle en profite. Redouble d’intensité. Gémit plus fort encore. Monte et descend d’une cadence qui vaut bien quelques minutes dans une salle de gym.
Elle prend son pied, mais ce ne sera pas assez. Elle le sait.
Elle a besoin de lui.
— Baise-moi, lui ordonne-t-elle de plus haut.
Un éclair de frayeur parcourt les pupilles de Baptiste.
Il plante ses griffes dans les cuisses de Sofia, avant de desserrer sa prise et malaxer sa peau.
— Je ne veux pas…
— Je ne suis pas en porcelaine, merde ! le coupe-t-elle.
Baptiste donne quelques à-coups timides.
Sofia le toise d’un regard sévère.
Il lui sourit d’un air désolé.
Et elle approche ses doigts de son entrejambe.
Il faut bien faire ce qu’il y a à faire.
Et puis merde.
Sofia rompt brusquement le rapport, se laisse tomber sur le lit.
Elle fixe le plafond quelques instants. Frémit tandis que le froid envahit ses membres, et finit par s’enrouler sous la couette.
Elle ne prête pas à un regard à Baptiste. Elle lui en veut.
Il n’a pas été capable de lui donner ce qu’elle attendait. Pire, cette baise vient de rejoindre le classement des parties de jambes en l’air les plus laborieuses de leur relation.
Ou de tous les rapports de sa vie ?
Non, ce serait injuste. Ce serait occulter les premières fois avec Jérémy, celui à qui elle a offert sa virginité et qui croyait apparemment que faire l’amour commence et finit par le pénis.
Elle n’ira pas jusque-là.
Et pourtant, la colère a chassé la moindre once de désir qui abondait dans ses veines. Elle ne veut même plus finir toute seule. Elle ne veut plus rien du tout.
Voilà, ce que Baptiste vient de lui faire.
— J’ai peur de trop vous brusquer, finit-il par dire timidement.
Sofia se tourne pour mieux lui faire face.
— Tu sais très bien que ça ne changera rien.
— Je sais mais… J’ai du mal à m’y faire.
— À cinq semaines, c’est encore la taille d’un petit pois. Et je ne le stocke même pas au même endroit !
— Mais quand même, ça me semble… Inapproprié. Je sais ce que tu vas me dire, que c’est bon pour nous, que la gynéco t’a dit que c’était aussi bon pour lui. Elle ? Mais j’ai l’impression de souiller ce petit paradis de vie en faisant quelque chose d’obscène à quelques centimètres à peine.
— Mon corps n’est pas un temple non plus.
— Il est sacré.
— Il n’a pas changé ! Enfin si, mais c’est toujours moi.
Baptiste se masse les paupières.
Sofia se mord les lèvres. Elle voudrait dire beaucoup, mais elle se retient.
Attendre un enfant, c’est un grand bouleversement. Elle le sait : elle le vit. Elle en a entendu parler toute sa vie.
Elle a cru que ce seraient des grands moments qui définiraient sa grossesse. Les odeurs inconfortables. Les nausées. L’attente devant un tube en plastique qui afficherait le fameux signe. L’annonce à Baptiste. Ses larmes. Ses câlins. Ses mots d’amour. La première échographie. Mais non, elle en est persuadée. Les plus grands bouleversements viennent d’ailleurs. Ils viennent de sa liste de courses qui n’a plus lieu d’être la même que celle de ces dernières années. Ils viennent de ce mensonge par omission dont elle se rend coupable chaque fois qu’elle voit Ana, qu’elle téléphone à ses parents. Ils viennent de Baptiste, qui repasse à présent les affaires de Sofia lorsqu’il s’occupe de ses chemises, l’attend à la sortie de la douche pour l’emmitoufler dans une serviette aussitôt, comme si elle allait attraper la crève en quelques secondes ou chuter en enjambant la baignoire de leur petite salle de bain. De Baptiste qui n’ose plus la toucher depuis qu’ils ont appris, il y a deux semaines, qu’ils attendaient un enfant. De Baptiste qui, ce soir, alors qu’elle l’a quémandé plus abruptement, refuse de lui donner ce qu’elle veut.
Un moment où elle est à elle, et à elle seule.
— Je comprends que ce soit un changement pour toi aussi, reprend-elle. J’espère juste que tu arriveras à faire davantage la part des choses dans les mois à venir…
— Je ne vais pas passer neuf mois seul avec ma main alors que j’ai la femme de ma vie à mes côtés.
— Tu sais, il y a bien des couples qui s’en passent.
— Peut-être qu’ils ne s’aiment pas comme nous on s’aime.
Et il ponctue sa phrase d’un baiser qu’il dépose sur la joue de Sofia.
Elle ferme les yeux. Inspire.
— Laisse-moi m’y habituer.
— Je sais. Je suis juste frustrée.
— Je comprends.
Il place sa main sur son bassin, qu’il caresse tendrement. Puis la glisse plus haut. Plate. Immobile.
— Je pense qu’il est un peu tôt pour sentir quoi que ce soit…
— On se voit dans onze à quatorze semaines semaines, chuchote-t-il au ventre, qu’il tapote de ses doigts.
— C’est encore ton forum de mamans ? raille-t-elle.
Baptiste souffle un rire timide.
— Tu devrais leur demander pour le cul, continue Sofia. Tu verras bien ce que ton armée de mamans aura à en redire !
— Elles se plaignent plus de l’inverse. Mais tu as raison, je devrais commencer à participer sur ce forum. C’est étrange d’y passer autant de temps mais de ne jamais rien y dire.
Sofia hausse les sourcils.
— Mais même si j’y arrive, poursuit Baptiste, je ne sais pas si je parviendrai à me l’enlever de la tête.
Cette fois, elle souffle.
— Eh bien, ces mois à venir s’annoncent arides.
— Ça ne veut pas dire qu’on ne fera rien.
— Si c’est pour me faire l’amour comme ce soir, merci, je me débrouillerai mieux seule.
Baptiste rabat la couette et s’exfiltre du lit. Sans dire un mot, il s’éloigne de la chambre.
Sofia préfère se dire qu’il est parti à la salle d’eau.
Mais Baptiste ne revient pas. Elle attend son retour, les yeux rivés sur le début du couloir dont il a laissé la lumière allumée.
Elle ne veut pas se lever.
Elle ne veut pas aller le chercher.