— Pense à ton médaillon blanc, rappela Madame Leroy à son fils.
— Il est sous ma chemise ! répondit-il.
— Et la patte de lapin.
— Dans ma poche !
— Et la pièce dans ta chaussure gauche.
— Elle y est !
— Tu te souviens des mantras ?
— Plus que de mon cours d’histoire !
— Tu te souviens vraiment des mantras ?
— Oui parfaitement !
— Comme d’habitude, ne va pas au-delà des ruines. Et ne traverse pas la rivière. Et ne va pas plus loin que le croisement où il y a la grande croix.
— Ne t’inquiète pas !
— Reste toujours avec les chiens.
— Aucun problème !
— Tiens-toi coi un instant.
Emile cessa de gigoter et se tint debout devant sa mère au milieu de la cuisine. Elle psalmodia quelques incantations en latin, qu’il ne comprenait jamais. L’air rêveur, il faisait son possible pour rester immobile, sinon elle recommençait tout.
— C’est bon tu peux y aller.
— Chouette ! A tout à l’heure Maman ! s’écria-t-il en sortant comme une trombe du moulin. Peter ! Clochette ! On va dans la forêt !
Les chiens s’élancèrent derrière lui et tous trois partirent dans la direction opposée de la ville. Le chemin serpentait entre les champs pendant environ quinze minutes avant d’arrivée à l’entrée de la forêt. Le chemin devenait étroit, et des branches ou des ronces barraient régulièrement le passage.
Ils retrouvèrent enfin la rivière, qui faisait ici une virgule autour d’un grand rocher pointu. Il y avait pas mal de remous dans les environs, et ses parents lui avaient expliqué qu’il y avait eu beaucoup de noyades dans le coin. Emile aimait bien venir ici, parce qu’il pouvait souvent jouer avec d’autres enfants. Ils étaient différents bien sûr, mais ils s’amusaient bien.
— Coucou les amis ! C’est moi ! lança-t-il en direction de trois petites masses dans la rivière, sous un arbre.
Emile allait vers eux, se déchaussa, enleva ses chaussettes et mis les pieds dans l’eau après avoir précautionneusement aligné ses chaussures au bord de la rive. Il s’approchait des autres enfants en souriant.
— Vous m’attendez depuis longtemps ? leur demanda-t-il.
La créature la plus proche de lui cracha un long filet d’eau en sa direction, pendant que les autres faisaient ce qui ressemblait à des rires, secouant leur épaules et serrant leur bras autour de leur torse.
— Ah ah ! C’est bon je suis là maintenant ! On joue à quoi ?
Les enfants lançèrent des cailloux pendant une petite heure, essayant d’aller le plus loin possible, ou le plus haut possible, ou le plus en cloche possible, pendant que les chiens montaient la garde sur le rivage.
Soudain, un craquement d’arbre sinistre se fit entendre. Emile tourna la tête dans la direction du bruit, de l’autre côté de la rivière, mais ne vit rien au premier abord. Les chiens se mirent à grogner. Puis, il distingua une ombre qui s’approchait de la rive. Elle avait initialement taille humaine, mais grandissait à vue d’oeil. Les autres enfants se regardèrent, plongèrent et disparurent dans l’eau en même temps. Emile était tétanisé. La chose poussa un hurlement sauvage non humain, et continuait à se rapprocher. En un clin d’oeil, il était devenu aussi grand que les arbres et les poussait de son passage avec ses mains décharnées et démesurées. Les chiens aboyaient, mais Emile n’arrivait pas à bouger. Clochette finit par sauter dans l’eau, nager jusqu'à Emile, lui attraper la main et tirer. Il réussi enfin à se mouvoir et, détachant avec difficulté son regard de la créature, fit volte-face et retourna sur le rivage. Il attrapa ses chaussures et s’élança, pieds nus, à travers les arbres. La chose, dépassant maintenant les arbres, poussa un autre cri à réveiller les morts.
Emile et les chiens coururent sans se retourner jusqu’au moulin, mais la chose avait déjà fait demi-tour depuis longtemps.
Les chiens grognaient encore. Madame Leroy tenait son fils sur les genoux, et lui chantait une berceuse pour le calmer. Monsieur Leroy pansait les pieds de son fils, qui étaient aussi écorchés que ses genoux.
Merci pour ta lecture !