Après une bonne nuit de sommeil, Emile repris ses esprits et put repartir à l’aventure. Aujourd’hui, il avait prévu de voir son copain Victor et d’aller voir les préparatifs de la Saint-Jean, qui approchait à grands pas.
Un petit déjeuner copieux et une série de recommandations de ne pas s’éloigner des chiens plus tard, l’enfant était parti sur les routes avec Peter et Clochette. Il gambadait joyeusement, des pansements sur les genoux, en direction de la ville. Le matin était encore brumeux, et promettait une belle journée ensoleillée. Emile se rendait chez Victor Vermeille, et ils allaient, comme convenu, passer la journée ensemble. Avec les chiens bien sûr. Toujours quand il n’y avait pas d’adultes avec eux. Ils prenaient cette tâche très à coeur, et veillaient sans relâche sur les enfants.
Arrivé devant le portail d’une grande maison ancienne dans le quartier chic de la ville, Emile sonna à la porte. Le son de la cloche résonnait encore quand Victor sortit en trombe de la bâtisse et se rua en claudiquant vers son ami.
— Je ne suis pas encore prêt ! s’écria-t-il en ouvrant le portail.
— Qu’est-ce que tu t’es fait à la jambe encore ? Tu boite comme le vieux Henri ! le taquina Emile.
— Les escaliers, maugréa Victor en invitant son ami à le suivre dans la maison.
Emile aimait beaucoup la maison de Victor, qui était immense et pleine de recoins et objets amusants pour jouer, mais beaucoup moins ses occupants. Les parents de son ami étaient toujours attablés dans la salle à manger, ainsi que sa grande soeur et un de ses nombreux frères. Ils jetèrent tous un regard peu amène à Emile quand il entra, comme à l’accoutumée. La vieille domestique péruvienne, debout derrière les maîtres de maison, renifla en le voyant. Avec Victor, il l’appelaient la sorcière et lui inventaient toutes sortes de pratiques peu catholiques. Victor se rassit quelques instants à table pour finir ses tartines, et proposa du jus de fruit à Emile, qui accepta avec plaisir. Des oranges pressées le matin même, c’était toujours un délice.
Le père de Victor était un homme sec, les cheveux bruns grisonnants, de haute stature, qui avait toujours l’air d’être dégouté par les gens qui l’entouraient. Il plissait continuellement le nez, comme s’il était constamment entouré d’une odeur désagréable. Il échangeait des messes basses avec sa femme, une femme aussi sèche, très maigre, dont les cheveux blonds passés étaient tirés dans un chignon sévère. Ils jetèrent un regard plein de mépris envers leurs enfants et Emile, et partirent de concert se retirer à l’étage. Le frère le plus âgé termina son petit-déjeuner à la hâte et partit pour l’usine après une claque derrière la tête de Victor. Sa soeur, elle, continua de manger lentement en fixant Emile de ses yeux verts, avec un regard indéchiffrable. Elle le mettait toujours mal à l’aise. Dès que Victor eut fini de manger, il le suivit dehors avec soulagement.
En discutant joyeusement, il se dirigaient vers vers le champ des Maillard, prêté à la municipalité le temps des fêtes d’été. Le champ était immense, et une grande pyramide de bois de dix mètres de haut se voyait depuis le bout du chemin. Le bûcher principal était encadré de deux autres plus petits, mais qui promettaient de belles flambées aussi.
— Ce sera énoooorme ! s’écria Victor tout sourire.
— Gigantesque ! répondit son ami.
— Colossal !
— Phénoménal !
— Sensationnel !
— Ahurissant !
— Prodigieux !
— Immense !
— Monstrueux !
— Phénoménal !
— Tu l’as déjà dit tu as perdu !
Ils éclatèrent d’un fou rire à se plier en deux. Les larmes aux yeux, ils continuèrent à s’avancer vers le champ. Le stand d’André était également déjà dressé, et des ribambelles de fanions de couleurs rouge et jaune étaient accrochées un peu partout.
En plus d’eux, quelques badauds étaient également en train de déambuler dans le champ. Après avoir fait trois fois le tour du bûcher le plus grand, il décidèrent d’aller jouer à cache-cache dans le bois d’à-côté,
Il était convenu qu’ils iraient manger chez Emile. Aux douze coups de midi, ils se mirent à courir, accompagnés des chiens, en direction du moulin. Ils traversèrent la ville, passèrent devant le café et dirent bonjour aux petites mamies sur la terrasse, et s’arrêtèrent pour souffler une fois les petits chemins de campagne atteints.
Les chiens se mirent à grogner, et les fourrés s’agitèrent. Soudain, un petit bonhomme de cinquante centimètres de haut, bonnet rouge pointu sur la tête et ceinture autour de sa taille rondelette sortit des buissons. Clochette était prête à lui sauter dessus mais Emile l’arrêta :
— Non Clochette ! C’est le nain de jardin, on le connaît !
— Ton monstre allait m’attaquer ? grogna la créature. De mieux en mieux ! Tu crois que c’est facile d’être un nain de jardin ?
Il pointait un doigt accusateur vers Emile.
— Le nain de jardin ! Tu m’en avais parlé mais je ne te croyais pas ! s’écria Victor en s’approchant et en se mettant à sa hauteur.
— Tu ne me croyais pas ? Faux frère va.
— Ça va, je vous gêne pas ? râla le petit homme.
— Quoi de neuf Monsieur le nain de jardin ? s’exclama Emile. Robert vous voit toujours ?
— Oui. C’est étonnant parce que d’habitude seuls les enfants et les animaux me remarquent, mais cet énergumène me voit à chaque fois. Alors je continue à le suivre, c’est très distrayant. Il pense que je fais partie d’un vaste complot.
— C’est dingue ! murmura Victor en examinant la créature.
— Bon foutez moi la paix ! Je vais aller faire peur à Robert tenez. Ça lui fera les pieds. Et tiens tes molosses petit.
— Au revoir Monsieur le nain de jardin ! Ne vous inquiétez pas pour mes chiens, ils m’écoutent !
Les enfants firent au revoir de la main, puis allèrent chercher un déjeuner bien mérité.