Partie une : Lettres - Enfance (2)

Notes de l’auteur : Bonne lecture à tous !

À huit ans, Emily décida de dire à tout le monde qu'elle était une lionne : je jouais le jeu en avouant être lion. Dès lors nous n'acceptâmes, le matin jusqu'au soir, de ne manger que de la viande. Nos parents, particulièrement compréhensifs, acceptèrent de nous donner de la viande durant deux semaines, à condition que nous nous changions ensuite en cochon : « ils sont propres et mangent de tout ». Nous avons été de terribles lions, puis terriblement malades et enfin, nous sommes restés persuadés que les hommes se rapprochaient plus des porcs que des lions.

À dix ans, elle commença à disséminer les affaires de tous dans la maison. Par jeu, je décidais de ne pas la voir faire, de me mettre à chercher, comme tout le monde. La preuve flagrante de son intelligence naquit alors : elle ne déplaçait que les plus petites choses, sans les rendre inaccessibles. Personne ne put la soupçonner puisque l'homme étant trop étourdi, les choses qu'il ne retrouve pas lui paraissent être monnaie courante.

À onze ans, Emily avoua à nos parents qu'elle était triste : son grand-frère ne jouait plus avec elle, restait dans sa chambre à « bosser ». A dire vrai, j'étais déjà au lycée et par copie, je mimais le comportement de mes camarades ; de certains seulement. Je jouais une crise d'adolescence inconnue devenant de ce fait plus adulte que de raison à un âge où tous les enfants découvrent les plaisirs du collège. De treize à quinze, ma métamorphose intrigua tant Emily et Fanny, âgées respectivement de treize et neuf ans, qu'elles commencèrent à m'envier. Je quittais le lycée à seize ans, ayant connu les joies de l'amour, du corps d'une femme et la jalousie d'une autre.

Puisque, à treize ans, Emily trouva un autre jeu, presque semblable à de la déraison : elle décida de détruire ma relation avec une fille d'un an mon aînée. Elle m'avoua donc son amour pour moi, son désir de vivre à mes côtés : tout. Ne restait de cela qu'une angoisse nouvelle et l'impression soudaine que je n'avais plus le choix : être aimé ou être haï. En conscience, je décidais de choisir la haine, ne pouvant accepter une telle folie.

L'amour, néanmoins, est un sentiment trompeur et Emily se laissa dès lors happer. Elle acceptait, disait-elle, d'attendre. J'étais alors persuadé que ce sentiment lui passerait, qu'on finirait même par en rire. Cependant, il est des rires qui meurent dès que naît la pensée ; celui-ci fut l'un d'eux. Emily ne put attendre et me voir côtoyer et présenter Mélanie, à dix-sept ans, fut un cauchemar.

 

Elle était encore jeune et entrait au lycée, nous eûmes alors la plus affreuse et terrible dispute de notre vie. Nous ne reprochions à l'autre que l'amour sincère qu'il nous portait et en conscience, nous nous amusions à critiquer ce qu'il y avait de mieux en l'autre. Pourtant, nous le savions, nous étions en train de briser notre fraternité.

 

Elle m'embrasse alors.

Je la repousse.

 

Mon regard la glaça d'effroi : elle ne s'attendait pas à ma réaction et moi-même, je restais interdit face à elle. Sa jeunesse me terrifiait. Elle avait un tel désir dans les yeux tandis que je n'avais que de la tendresse. Tout ceci m'effrayait, je savais ne pas être à ma place. Je n'avais rien à faire ici, devant elle, son odeur sur mes lèvres et la chaleur, encore tremblante, de ses mains sur mes joues.

Elle pleurait.

J'avais peur qu'elle nous détruise, tous les deux, sans concession, décidant volontairement de nous condamner.

 

Elle le fit bien plus tard.

 

Elle révéla à ma famille, dans cette maudite lettre, un amour que j'aurais avoué à Mélanie. Néanmoins, je ne me souvenais pas avoir un jour dit à ma femme que j'éprouvais de l'amour pour une de mes sœurs. D'où lui était venue cette idée, cette certitude ? Je pensais sincèrement qu'elle avait inventé tout cela pour me détruire, pour me rendre effroyable aux yeux des gens qui m'aimaient. Pourtant, peu m'importait alors. Seul son aveu me déchirait le cœur. Et les regards de ma mère et de Fanny plus encore.

Elle me condamna à une vie de solitude.

Et elle se suicida.

Cette chambre devait être son tombeau : la dernière lettre de mon père s'y trouvait.

 

Je n'ai jamais eu envie de revenir en enfance. Emily, elle, voulait revivre cette danse et ces folies. Elle vivait avec tant d'espoir et du jour au lendemain, elle décida qu'une vie de désespoir l'attendait. Ce qui l'amena à cet acte insensé.

Dans cette lettre, il ne restait qu'une bribe de l'enfance, quelques mots, éblouissants d'amour et d'angoisse, qui terminaient une lettre qui puait la conscience du monde et des hommes. Cette lettre dévoilait son amour par moment. Des instants très simples et courts, pleins d'espoir. Je le sentais, ces papiers pliés étaient hantés par un spectre ancien : celui de cette enfant souriante que j'avais perdue de vu et qu'elle rêvait de redevenir.

 

Ma sœur avait raison sur bien des points et son savoir était exceptionnel. Je ne lui faisais pas totalement confiance, néanmoins car il y avait de la haine dans cette lettre. Toutefois, je le sais, c'était l'amour qui primait : elle me mit en garde contre une prochaine destruction. Ce fut une prédiction : Mélanie, que je pensais aimer, que je pensais aimante, finit par m'anéantir.

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