Il y avait quelque chose de très étrange et très agréable à marcher sous la neige, tête nue, bras nu, et visage nu. Cette dernière piquait la peau, froide et tiède en même temps, là où le vent la chahutait au contact de l'épiderme. Ce n'était pas vraiment une tempête, pas vraiment une chute douce non plus, c'était plutôt un entre-deux suffisamment pénible pour chasser les gens du dehors, convaincre les peureux de se calfeutrer, et les téméraires de sortir explorer le paysage en train de se métamorphoser.
Silencieuse et froissée, la neige s'appliquait à effacer les reliefs du paysage, à égaliser le vallonnement de la pleine, les bosselures des tentes, les ornières de la routes... mais aussi les broderies complexes de sa robe, les ornements reconnaissables de ses cheveux, la couleur si particulière de sa peau. Fantôme parmi les ombres, fantôme parmi les gens. Ça aussi c'était agréable. Et étrange. Personne ne lui prêtait attention, personne ne s'arrêtait pour dévisager son visage, tenter de toucher sa peau, ou encore essayer d'empêcher son avancée vers l'extérieur du cercle d'habitation. Comme si la neige avait aussi effacé son existence...
Tant mieux.
Répondant à l'appel qui guidait son esprit, ses pieds nus foulèrent le tapis glacé sans s'en émouvoir, ni se marbrer d'engelures, contrairement à ses craintes. Peut-être cela viendrait-il plus tard... après tout, ses connaissances sur l'extérieur étaient au mieux parcellaire, et au pire, gangrenée par toutes les croyances et superposition dont on avait nourrit son cerveau depuis sa naissance. N'aurait été sa tendance à observer le monde et à en chercher les contradiction, nul doute que sa destinée aurait été la même que celle de ses frères et sœurs : rester dedans, servir, obéir, souffrir, mourir le sourire aux lèvres, le tout dans l'ignorance bienheureuse du peuple que son sang était censé servir. A l'intérieur de la tente nurserie, on leur avait toujours dit que la neige était mauvaise. Dangereuse. Qu'elle charmait pour mieux engourdir et tuer.
Et pourtant...
Jamais de toute son existence, la sensation d'être en vie n'avait été aussi puissante au sein de son être.
Sensation qui explosa au creux de ses côtes lorsque les hauts bois de la palissade se dessinèrent dans le brouillard de neige. Même sans l'avoir jamais vue, ses yeux l'identifièrent aussitôt, se basant sur les descriptions effrayantes faites par les nourrices. Des morceaux de bois, noués ensemble, dont les bouts pointus semblaient griffer le ciel, malgré les petits chapeaux ronds dont étaient en train de les coiffer les flocons.
Solidaire de sa fuite, la neige alla jusqu'à cacher le bruit ténu de ses doigts courant sur le bois, à la recherche d'une porte, d'une ouverture, de n'importe quoi donnait sur l'extérieur. Quand enfin sa main se déroba, faute de palissade sur laquelle s'appuyer, ce fut la joie qui gonfla dans sa poitrine. L'extérieur était là. Gris. Sombre. Attirant. Enivrant. Immense.
Enfin...
Il lui suffit d'un pas de plus pour être libre...