Cyan détestait les miroirs.
D'aussi loin que portaient ses souvenirs, ces derniers n'avaient jamais été que des petites choses malpolies, qui se moquaient de son apparence, déformaient son reflet, ou se rejouaient sans cesse ses pathétiques tentatives de coiffure ou de maquillage. Les affreuses petites pestes adoraient ricaner dans son dos, leur surface ne redevenant lisse et neutre qu'au passage de sa mère et de ses aînées.
Rose disait que c'était sa faute, qu'il fallait être plus ferme dans sa façon de s'adresser aux miroirs, de les dompter à force de volonté et de se montrer implacable. Cobalt avait ajouté son grain de sel en ajoutant que la confiance en soi et l'absence de timidité était primordiale dans l'usage de la magie des miroirs.
A dessein, bien sûr : comme si Cyan ne se sentait pas déjà assez mal de ne pas arriver à discipliner même le plus petit des miroir de poche...
Mais qu'attendre d'autre de ses adelphes ? Toustes, iels maîtrisaient l'art de leur famille à la perfection. Pas plus tard que la veille, Ambre avait réussi à conjurer une glace de la taille de leur façade, avant de la façonner en alvéoles d'une finesse incroyables, avant de la partitionner en panneaux hexagonaux, qui seraient ensuite envoyés à un client lointain, qui souhaitait expédier ce miroir dans l'espace. Pour quoi faire, Cyan l'ignorait, et à vrai dire, s'en moquait. Ce qui lui importait, c'était qu'Ambre était de 5 ans son cadet. Même Lilas, la petite dernière, du haut de ses treize cycles, possédait une maîtrise des miroirs supérieure à la sienne.
C'était désespérant.
Et révoltant
Ou du moins, ça l'avait été.
La révolte avait finit par s'en aller, tout comme l'espoir et le goût de l'effort. A présent, Cyan assistait aux classes d'une oreille distraite, s'ingéniant à ignorer les commentaires moqueurs des miroirs tapissant les murs et son bureau, ainsi que le regard désapprobateur de la tante qui leur donnait les leçons. Même leur mère semblait avoir jeté l'éponge sur son cas. Pour preuve : elle n'avait pas requis sa présence pour le Festival.
Bien sûr, toustes les autres y seraient ; Rose, Cobalt, Ambre, Lilas, Sienne, Tante Violette, Oncle Payne, Mère... même tancle Amaranthe, que la famille appréciait autant que Cyan aimait les miroirs. Ce qui, en des temps pas si anciens, aurait déclenché un sentiment d'injustice si violent que les miroirs les plus proches de sa personne se seraient fendus, le temps de son passage, avant de se ressouder avec forces de cris indignés.
Mais plus maintenant.
Non.
Cyan les avait juste regardé s'en aller, le cœur vide et l'esprit convenant vaguement que sa famille avait fière allure, dans ses costumes d’apparat aux milliers d'éclats de verre. Puis sa solitude avait guidé ses pieds jusqu'à la grande salle, celle à partir de laquelle toutes les pièces et couloirs de la maison étaient accessible. Là, les murs, le sol, le plafond, n'étaient qu'un seul et même immense miroir. Une glace qui avait vu naître, grandir et mourir nombre des siens, dont la sagesse était plurimilénaire, et l'éveil rare. A vrai dire, Cyan ne l'avait vu éveillé que deux fois : lors de la naissance d'Ambre, puis pour celle de Lilas. Même aujourd'hui, alors que la fête battait son plein, renouant le pacte entre sa famille et la magie des reflets, l'antique glace n'était pas sortie de son sommeil.
Comme s'il ne craignait rien.
Comme s'il n'était pas constitué de verre.
Comme si Cyan n'avait définitivement pas d'importance.
La masse de fortune, fabriquée avec du plomb volé à la fonderie, de la corde aux cuisines et deux manches à ballais de la buanderie, s'abattit sans hésitation, dans un bruit de fin du monde.