Ronan, assis en tailleur, s'était enroulé dans un plaid avec sa petite soeur Essie nichée dans le creux de ses bras. Elle bavait joyeusement sur le côté pilou tout en y frottant sa joue. Ses petits doigts potelés le malaxaient comme pour s'assurer de sa douceur à chaque instant.
Il avait arrêté d'attendre ses tantes qui auraient dû la garder. Elles n'avaient jamais pointé le bout de leurs nez. Le rôle de babysitteur lui était donc dévolu. Comme s'il n'avait que ça à faire.
Le petit monstre s'épuisait enfin dans la chaleur de ses bras. Elle dodelinait, ses yeux se fermaient, mais non. Sa tête de bois refusait de céder au sommeil. Elle se redressait aux aguets dès que son grand frère baissait la voix. À court de sujets, Ronan souffla en levant les yeux vers les immuables lumières nocturnes. Il lui raconta les histoires derrière les étoiles et leurs constellations, mélangeant celles de Rome et celles de leurs ancêtres égyptiens. Elles étaient parfois violentes, pleines de sang et de guerres. Essie ne comprenait pas ces mots, tant qu'elle sentait sa voix vibrer dans son dos, c’était tout ce qui importait.
— C'est le corps de Nout que tu vois, elle soutient la voûte céleste au-dessus de la terre avec son corps, récita Ronan.
Elle répétait après lui, ponctuant ses phrases de « Ono » aléatoire. Elle savait parfaitement dire le « a » de papa, mais elle se bornait à écorcher son prénom. Entre babillage et mot solitaire, elle désigna l'étoile rouge non loin de la Lune, d’un point pointant hors de la chaleur du plaid :
— Ono, ouge Ono ?
— Mars, lui dit Ronan. Elle porte le nom du dieu de la guerre romain. Ou Horemakhet, la rouge, comme Seth, comme le désert. Personne n'osera nous faire de mal, car ils en ont tous peur.
Ronan ne savait plus ce qu'il racontait. Il était épuisé. Comment une si petite fille pouvait venir à bout de son énergie ? Au moins, elle n'avait pas réclamé sa mère. Il resserra le plaid autour de lui, recouvrant ses bras peinturlurés de gribouillages bleus, verts et rouges. Ils avaient peint ensemble dans la soirée. Sa petite main arrivée au bout de la feuille ne s'était pas arrêtée, elle avait poursuivi sur le bras qui l'aidait à tenir sa feuille. Par vengeance, il avait attrapé sa petite tête et tracé une étoile rapide sur le front. Les bords effacés par sa lutte lui avaient teint le front de rouge. Le geste lui avait valu coups de pied et coups de poing ainsi qu'assez des larmes de crocodile pour provoquer la crue du Nil. Ronan avait consenti à signer la paix en abandonnant un bras, puis l'autre.
— Et là sous la ceinture d'Orion, c'est Sirius. Dans le grand chien. Pour nous elle est aussi Sothis et la lointaine, Isis. Elles étaient là avant toi, tu devrais les retenir, petite étoile des Vaugren. Un jour tu seras aussi brillante qu'elles. Ronan baissa la voix jusqu'à un murmure sans pour autant s'arrêter.
La tête de bois pesait contre son bras. Il n'osa néanmoins pas bouger plus qu'un léger coup de nez pour soulever ses grosses boucles brunes. Essie ne broncha pas.
Le soir d'octobre était encore tiède. Il resta là, sans pouvoir rien faire d'autre que canaliser sa frustration, et se perdre dans la contemplation du ciel. Il n'y avait rien qui ne puisse attendre le lendemain.