Pièce montée

Courant Mars, alors que Lucia et Olympe mettent les bouchées doubles pour finir leur collection avant la fin du mois, Zoé reçoit un appel téléphonique qu’elle n’attendait plus.

 

  • Mademoiselle Muid ? C’est Eléonore Brabadec.
  • Bonjour Madame.
  • Vous pouvez m’appeler Eléonore. Je peux vous appeler Zoé ?
  • Bien entendu.

 

A ces mots, Zoé comprend qu’Eléonore a changé d’état d’esprit vis à vis de sa mère. Il lui a fallu le temps de la réflexion pour réagir dans le bon sens. Zoé soupçonne  ce qui va suivre, mais elle ne peut pas deviner ce qui a pu déclencher ce revirement de situation.

 

  • Zoé, je voudrais venir à Paris d’ici quelques jours, pour donner une sépulture décente à ma mère. Pensez-vous que vous puissiez m’assister pour cet événement ?
  • Bien sûr, je suis si heureuse pour Soledad. Que souhaitez-vous que je fasse ?
  • Je vais simplement prendre une chambre d’hôtel et nous organiserons tout sur place, qu’en pensez-vous ? Pourriez-vous vous libérer pour venir avec moi pour les démarches ?
  • Oui, ne vous inquiétez pas.
  • Si j’arrive demain, est-ce que c’est possible pour vous ?

 

Pourquoi cette urgence ? se demande Zoé, Elle doit avoir une bonne raison pour vouloir aller vite. Peu importe, l’essentiel est que ça soit fait. Soledad aura enfin gagné le cœur de sa fille et sa dignité ! Louis sera aussi heureux, en souvenir de cette femme exceptionnelle.

 

  • Pas de problème Eléonore, dites-moi votre heure d’arrivée et j’irai vous chercher à la gare du Nord.

 

En disant ces mots, Zoé a un pincement au cœur car c’est là qu’elle a vu Zebediah pour la dernière fois, lorsqu’il est reparti pour Londres. Un court instant son esprit s’évade et elle se revoit sur le quai glacial avec Zebediah, mais la réalité reprend vite ses droits.

 

  • Il faut croire que certains endroits sont stratégiques, pense-t-elle tandis qu’elle note l’heure d’arrivée d’Eléonore qui vient de commander son billet de train sur internet.
  • Voilà, je vais aussi réserver l’hôtel. Nous sommes d’accord pour demain matin ?
  • Absolument.
  • Alors à très bientôt Zoé.
  • A demain, et faites bon voyage.

 

Zoé pose son téléphone et regard Lucia qui est en pleine période de doute, vautrée sur le sofa rouge et complètement amorphe. Cela ne lui ressemble pas du tout, mais après avoir donné toute son énergie pour concevoir la collection, elle se sent totalement vidée, incapable d’avoir une idée créatrice. Elle trouve que tous ses modèles sont insignifiants, sans âme, sans signature, et globalement pour elle, la collection est un galimatias sans intérêt. Même la fameuse robe poivron jaune ne trouve pas grâce à ses yeux.

 

  • Ho perso la fede, non ci credo più. Tutto è banale, niente mi fa piacere di più, tutto è da rifare. Sono disperata.[1]
  • Arrête Lucia, c’est beaucoup trop tard pour douter. Tout n’est peut être pas génial, mais dans l’ensemble et compte tenu du peu de temps dont vous disposiez, franchement vous avez fait des merveilles.
  • Non, ça ne me plait pas, mais je ne sais pas dire pourquoi, ni ce que je pourrais faire pour arranger les choses, c’est trop tard.
  • Tu as trop travaillé dessus, c’est pour ça, tu n’arrives plus à prendre du recul.
  • Je n’ai même pas envie d’aller à l’inauguration. Rien qu’à l’idée de revoir toutes ces tenues, j’en ai la nausée.
  • Il faut que tu viennes car le Faitout Magique va préparer le buffet, on ne peut faire tout ça sans toi.
  • Ne me parle pas de nourriture, j’en ai des hauts le cœur, je sens que je vais vomir.
  • Viens avec moi prendre l’air, on va promener Peter.
  • Tu as raison, mi farà bene uscire.

 

Les deux filles partent se balader avec Peter. Il fait beau, un temps de printemps qui démarre. Elles décident de marcher jusqu’aux jardins ouvriers, pour passer dire un petit bonjour à Gustave et Honoré. En chemin, Zoé raconte à Lucia l’appel téléphonique d’Eléonore et son arrivée le lendemain.

 

  • E una brava donna finalmente, constate Lucia, lei fa le cose bene. Ma perché ha cambiato idea? [2]
  • Je ne sais pas, elle me le dira demain.

 

Peter est heureux de gambader dans la rue, il s’arrête à tous les poteaux téléphoniques et lampadaires qu’il rencontre pour marquer son territoire, il renifle partout avec bonheur toutes les odeurs nouvelles. Zoé prévient par téléphone Gustave et Honoré de leur arrivée. En chemin, elles croisent Hassan et Mbamoussa qui reviennent des jardins ouvriers et qui pédalent de concert, les sacoches et le porte-bagage remplis de fruits et légumes. Ils s’arrêtent net à la vue des deux filles.

 

  • Hey !
  • Salut, vous rapportez des provisions ?
  • Oui, on fait notre ronde habituelle. Eugénie attend des pommes et des poires pour faire quelques tartes Tatin commandées par Madame Pommier. C’est pour l’anniversaire de l’un de ses enfants;
  • Nous, on promène le chien.
  • On y va, à toute à l’heure, dit Hassan en repartant avec un sourire complice, la livraison est attendue en urgence !
  • Salut, ajoute Mbamoussa qui suit Hassan comme son ombre.

 

Elles sont accueillies comme des princesses par Gustave et Honoré qui leur offrent une tasse de thé et du gâteau aux noix. Les deux frères leur font faire le tour du propriétaire et  montrent avec fierté les plantations qui commencent à sortir.

 

Agathe, qui passait par là, est venue prendre le thé et a posé plein de questions. En relevant ses sous-entendus qui manquent de finesse, Zoé comprend qu’Agathe doutait fortement de la réussite du Faitout Magique et qu’elle a encore du mal à accepter qu’elle se trompait.

 

Au retour, elles ramènent des bouquets de jonquilles et de narcisses et Lucia se sent rassérénée. Les fleurs lui donnent même une nouvelle idée pour finir une tenue qui, à son sens, manquait de punch.

 

  • C’est le petit plus jaune et orange qui va faire toute la différence.

 

La soirée est calme, Lucia est repartie travailler avec Olympe à l’atelier, Zoé reste seule à l’appartement avec les animaux et en profite pour se reposer, écouter de la musique et lire dans son lit, un plaisir rare.

 

*

 

A la gare du Nord le lendemain matin, Zoé voit venir à elle une Eléonore bien différente de celle qu’elle avait rencontrée à Bruxelles. Vêtue d’une simple robe lâche sous un manteau sobre et chaussée de ballerines plates, Eléonore paraît plus authentique.

 

  • Bonjour Zoé, désolée de vous avoir contactée si soudainement, mais je voudrais offrir un enterrement décent à ma mère.
  • Je suis certaine que si elle peut nous voir, elle doit être émue et heureuse.
  • Vous devez vous demander ce qui m’a fait changer d’avis.
  • Cela ne me regarde pas, vous êtes libre de faire ce qu’il vous plait.
  • Pouvons-nous prendre un café avant d’entamer les démarches ? j’ai failli m’endormir à cause de la chaleur dans le train, et j’ai besoin de me réveiller un peu.
  • Absolument.
  • Zoé, je sais que la vie n’est pas facile pour vous, merci pour tout ce que vous avez fait pour elle au moment de sa mort. Je vais tout vous expliquer, mais d’abord, avez-vous toujours le book que ma mère vous avait confié ?
  • Bien entendu, je l’ai apporté, il est dans mon sac. Je ne savais pas si vous vouliez le voir, alors je n’en ai pas parlé.
  • Donnez le moi s’il vous plaît.

 

Zoé et Eléonore prennent place autour d’une petite table ronde et commandent deux expressos dans une petite brasserie à l’intérieur de la gare. Zoé donne le book à Eléonore et elles le feuillettent ensemble.

 

  • Vous l’avez vue danser ? demande Eléonore
  • Non, je ne l’ai connue que très récemment et très peu, je sais qu’elle ne dansait plus depuis longtemps.
  • Elle était vraiment belle. Regardez cette photo … Elle est si gracieuse dans sa pose et elle a un sourire si radieux … Vous ne trouvez pas que je lui ressemble un peu ?…
  • J’espère ne pas vous vexer en disant cela, mais vous lui ressemblez beaucoup, vous ne pouvez pas nier votre filiation.
  • Merci, je suis fière de ressembler à ma mère.
  • Mais que s’est-il passé depuis notre dernière entrevue, vous ne vouliez pas entendre parler d’elle et désormais vous revendiquez votre ressemblance avec elle ? questionne Zoé qui attend toujours l’explication promise.
  • Je suis enceinte. Vous savez que je ne pouvais pas avoir d’enfant, je vous l’avais dit quand nous nous sommes vues. Pendant des années, mon mari et moi avons subi des tas d’examens médicaux, rencontré des professeurs et des spécialistes de la stérilité, j’ai fait des séjours dans des cliniques privées très chères, et rien n’y faisait, aucune FIV n’a abouti. Cela va vous paraître complètement insensé, mais je me suis retrouvée enceinte juste après votre visite, comme si de savoir que ma mère ne m’avait pas oubliée m’avait enfin permis d’enfanter. Il s’est produit un miracle à ce moment là. C’est incroyable, j’y pense sans arrêt, je vais avoir un bébé naturellement, c’est comme un cadeau de la providence, Mon gynécologue dit que parfois le blocage peut disparaître suite à un événement exceptionnel, une grande peine ou un grand bonheur. Je pense qu’avoir appris l’existence de ma mère a été le facteur déclenchant, de surcroît parce qu’elle m’a légué ce book qui lui tenait à cœur et qui semble être aujourd’hui le bien le plus précieux que je possède. Oui, c’est une   grande peine qui m’a procuré le plus grand bonheur !
  • C’est bien possible,  répond Zoé, qui sait que de tels prodiges peuvent se produire et qui est très émue d’entendre cette histoire.
  • Bien sûr il a fallu un petit peu de temps avant que je prenne conscience de ma grossesse, je n’y pensais absolument pas. Imaginez ma surprise après avoir espéré vainement pendant tant d’années … tout à coup, le miracle se produit ! Après j’ai fait le lien avec votre visite, les dates sont complètement concordantes. 
  • Soledad serait touchée d’entendre votre récit, son sacrifice n’aura pas été vain.
  • Je suis quasiment certaine que ce sera une fille, poursuit Eléonore qui semble avoir besoin de s’épancher. Je l’appellerai Odette. C’est mon prénom de naissance, celui que ma mère m’avait donné. Je veux lui rendre hommage par ce choix.
  • Vous avez raison de ne pas l’appeler Soledad, c’est un prénom difficile à porter à cause de sa signification, même s’il est très beau ! Votre mère m’a dit qu’elle vous avait appelée Odette car elle trouvait que c’était un prénom joyeux. Je crois que c’est très précisément le mot qu’elle a employé.
  • Tout cela est un bien grand gâchis. Si seulement elle n’avait pas tout sacrifié à la danse …
  • Je crois qu’elle l’a aussitôt amèrement regretté, et toute sa vie elle a été rongée par la culpabilité de vous avoir abandonnée. La danse ne lui a pas apporté le bonheur qu’elle attendait, et elle vous a perdue, sa vie n’avait plus de sens et elle n’avait de goût à rien. Ca a été le drame de sa vie.
  • Je vais essayer au moins de lui donner une sépulture décente. Vous êtes d’accord pour venir avec moi ?

 

Eléonore et Zoé passent la journée à faire les différentes démarches pour organiser l’exhumation du corps et la cérémonie des obsèques. Soledad sera inhumée dans le caveau familial des parents d’adoption d’Eléonore, tous les deux décédés. L’enterrement aura lieu dans une semaine, le temps pour les Pompes Funèbres de tout préparer. Eléonore décide de rentrer à Bruxelles dès le lendemain matin, et reviendra à Paris pour la sépulture.

 

Totalement fourbues mais satisfaites d’avoir atteint leur objectif, Eléonore et Zoé se retrouvent en fin d’après-midi dans un salon de thé pour se désaltérer avec une boisson bien chaude. Eléonore propose à Zoé d’aller ensuite dîner ensemble au restaurant. Pour ne pas se séparer brutalement après une journée aussi dense et aussi chargée d’émotion, Zoé accepte.

 

Elles passent une soirée agréable à échanger sur leurs vies. Zoé raconte les péripéties de la création du Faitout Magique, (pardon ! de Popina), et Eléonore apprend l’existence de Louis. Eléonore n’a pas grand chose à relater, elle a toujours mené une existence privilégiée, bénéficiant de tout ce dont on peut rêver : belle maison, parents adorables, vacances de rêves, garde-robe somptueuse, mari charmant, aucun point noir, aucun nuage autre que l’origine de sa naissance et jusqu’à récemment son infertilité. Zoé se demande s’il est réellement possible de vivre une vie aussi monotone et fastidieuse quand on possède tout ce qu’on désire, et de n’avoir jamais envie d’aucune fantaisie.

 

  • Zoé, vous menez une vie palpitante, tous les jours il se passe quelque chose ! vous ne vous ennuyez jamais ?
  • Jamais, je n’ai pas le temps !
  • Je vous envie, je me sens si seule et si inutile parfois …
  • Bientôt vous aurez votre bébé, vous ne vous ennuierez plus ! Et vous lui serez indispensable !
  • Ne vous moquez pas de moi ! Même si ma vie a l’air d’avoir été lisse, je n’en ai pas moins souffert de beaucoup de solitude et du sentiment d’abandon. Mais je vais arrêter de parler tout le temps de moi ! Est-ce que vous allez ouvrir le périmètre de votre offre à la couture ?
  • Oui, nous donnerons des cours soit chez les personnes, soit nous fournirons des prestations : ourlets, retouches, réparations lorsque nos clients nous apporteront les pièces.
  • Vous savez tout faire !
  • Ne croyez pas ça, pour cette branche couture nous n’avons que très peu de membres côté professeurs. Mais nous avons bon espoir d’embaucher de nouvelles ressources.
  • J’aimerais rencontrer votre ami Louis, il pourrait lui aussi me parler de ma mère. Pourriez-vous organiser une rencontre avec lui le jour des obsèques ?
  • Louis sera honoré de votre proposition ! Il sera là pour l’enterrement bien sûr, vous pourrez le voir.
  • C’est parfait ! Je repartirai dès demain matin et on se reverra dans une semaine.

 

De retour à l’appartement après avoir raccompagné Eléonore à son hôtel, Zoé reste songeuse, allongée dans son lit, se remémorant tous les événements de la journée, Manon et Peter sagement enroulés sur eux-mêmes au pied du lit, en totale fusion.

 

Son téléphone vibre, c’est le moment d’échanger avec Zebediah sur tout et sur rien, de partager le bonheur d’être ensemble, même à distance. Zoé n’a pas les moyens d’aller le voir à Londres, elle préfère se réserver pour leur voyage à Athènes. Zebediah a déjà fait des recherches pour réserver l’avion et le petit appartement où ils logeront, presqu’au pied de l’Acropole, sans pour l’instant avoir rien confirmé. ‘Rien que d’y penser, j’en suis toute émue’, dit Zoé, ‘nous y serons très bientôt’ répond Zebediah, et ils poursuivent inlassablement leurs dialogue jusqu’au petit matin.

 

*

 

Eléonore revient une semaine plus tard pour la sépulture. Louis accompagne Zoé à la gare du Nord où ils vont l’accueillir. La cérémonie est très solennelle et ils éprouvent tous une grande émotion. Eléonore ne remarque pas à faible distance quelques silhouettes discrètes qui suivent le corbillard et viendront se recueillir sur la tombe lorsque tout le monde sera parti. Zoé reconnaît Eusèbe et quelques uns des habitants du canal.

 

Eléonore a fait recouvrir la tombe de bouquets de fleurs blanches, c’est un monument funéraire ancien et pompeux, qui doit dater du siècle précédent et appartient à la famille d’adoption d’Eléonore depuis des décennies. Le nom de Soledad y sera gravé. 

 

Après la cérémonie, tous se sentent soulagés d’avoir enfin rendu un hommage digne à Soledad. Le temps est beau et frais, les grands arbres du cimetière sont couverts de bourgeons et de petites feuilles vertes. Il flotte un air printanier qui réjouit le cœur malgré les circonstances, un petit vent doux agite les branches.

 

Eléonore propose à Zoé et Louis d’aller prendre un thé avant qu’elle ne reparte pour Bruxelles en fin de journée. Lorsqu’ils se retrouvent autour d’une table, ils parlent longuement et Louis est intarissable lorsqu’il s’agit d’évoquer Soledad. Avant qu’ils ne se séparent, Eléonore leur indique qu’en mémoire de sa mère et de ce qu’ils ont fait pour elle, elle souhaite verser une rente au Faitout Magique.

 

  • Ce sera ma manière de rendre hommage à ma mère, et je sais que l’argent sera bienvenu et bien utilisé. Dès que mon bébé sera né, je vous enverrai des photos ! Et si vous passez par Bruxelles, téléphonez-moi ! dit Eléonore.

 

Sur le chemin du retour, Louis et Zoé sont encore stupéfaits par le montant de la rente qu’Eléonore veut verser à Popina. Ils ne s’attendaient pas à un tel geste.

 

  • C’est le financement dont nous avions besoin, et il nous tombe presque du ciel. Si Soledad avait pu prévoir ça ! c’est incroyable, n’arrête pas de répéter Louis.
  • J’ai l’impression que le Faitout Magique est né sous une bonne étoile. Mais bien sûr je déplore que Soledad ne soit pas avec nous pour en profiter.
  • Désormais nous sommes vraiment lancés sur une pente ascendante, dit Louis.
  • En attendant, pour ne pas retomber et nous faire très mal, rétorque Zoé, nous devons commencer la préparation du buffet de Lucia et Olympe ! Et il y a pas mal de travail !
  • Zoé, tu sais toujours me remettre dans le droit chemin quand je m’égare !
  • Hey ! c’est à ça que servent les associés !
  • Ah Zoé ! il est loin désormais le temps où je me morfondais sur mon banc dans la cour.
  • De quoi veux-tu parler Louis ? d’un temps dont j’ai tout oublié ? d’une personne qui n’existe plus ? Nous venons peut être de l’enterrer définitivement au cimetière avec Soledad.
  • Tu as raison Zoé, c’est une jolie image ! je suis un homme tout neuf ! Et pour fêter ma renaissance, je voulais te dire que j’ai eu une idée !
  • Non ? dit Zoé avec malice
  • J’ai bien envie de monter un service autour du vin dans Popina, tu vois par exemple une association avec quelques producteurs que je connais, et puis donner des conseils en vin pour des repas par exemple.
  • Ah, mais c’est très intéressant, dis m’en plus … les voix de Zoé et Louis s’amenuisent au fur et à mesure qu’ils s’éloignent dans la rue, tellement absorbés dans leur conversation à bâtons rompus que le reste du monde ne les concerne plus.

 

*

 

La fin du mois de mars arrive rapidement, le printemps s’installe avec détermination sur Paris. Les températures sont douces, le ciel a une teinte bleu pâle qui fait ressortir les petites feuilles vertes qui éclatent sur les branches noires des grands arbres. Dans les rues, les bacs à fleurs sont remplis de jonquilles et de narcisses qui affichent leurs couleurs vives. C’est la grande joie de Peter qui joue à les attraper dans sa gueule à chaque promenade et aboie frénétiquement quand il voit les corolles s’agiter dans le vent frais.

 

Mrs Chipp-Martingale a annoncé son intention d’arriver à Paris le vingt neuf mars pour contrôler la collection avant l’inauguration du trente mars. Tout doit donc être prêt pour ce jour-là.

 

L’équipe du Faitout Magique se mobilise autour de l’événement et entre en ébullition. Zoé dessine un carton d’invitation qu’elle envoie aux clients de la boutique de Paolo par courrier ou par mail. Elle étend la convocation à une liste que lui a adressée Mrs Chipp-Martingale et y ajoute Violette et Cezary, Auguste convie quelques amis également dont deux jeunes-femmes qui vont défiler avec les tenues de la collection de couture.

 

Pendant ce temps, tous les cuisiniers préparent leurs spécialités pour le buffet : des minis nems pour Bao et Hu, des kimbaps qui ressemblent à des makis pour la coréenne Cho, des samoussas et des petits beignets d’oignons et de légumes pour Ashwatthama. Rose et Sarah amoncellent des carottes crues coupées en longueur pour tremper dans du tzatziki, confectionnent des dolmadákias et de microscopiques blinis tartinés de tarama, des boulettes de pois chiches, des minuscules pains pita à plonger dans de l’houmous, des petites bruschettas et des assiettes de lamelles de jambon fumé en chiffonnade, des rondelles de pain tartinées de foie gras, de fromage de chèvre frais parsemé de poussière de kalamata et d’une goutte d’huile d’olive ou de tapenade, ainsi que des bols de légumes à picorer, et  même un assortiment de délices sucrés, au chocolat, au café, à l’amande, au citron, à la fleur d’oranger, aux fruits, de toutes les formes et toutes les couleurs. Marceline apporte sa note exotique également avec des merveilles à base de mangues et d’ananas.

 

Olympe assure les finitions de tous les modèles et son angoisse monte de jour en jour et d’heure en heure. Lucia, qui n’a plus à intervenir sur la collection, se concentre sur les décors avec passion, concevant ce qu’elle sait si bien faire au théâtre avec deux ou trois pièces qu’elle a rapportées. Elle met un paravent par ici, un porte-manteau qu’elle drape d’un tissu doré par là, accroche des miroirs baroques et des toiles modernes aux murs. Les chaises sont disposées en quinconce, pour permettre à tous les spectateurs d’avoir une vue dégagée. Sur un guéridon avec un pied en forme de pilier sculpté, elle froisse un morceau de satin doublé d’un voile et pose une lampe de forme rebondie, surmontée d’un abat jour jaune clair. Au milieu d’une console en bois sombre sculpté, elle installe un vase de fleurs blanches qui retombent gracieusement. Théophraste, le grand-père bricoleur, la suit comme son ombre, vérifie après elle que toutes les installations sont robustes et consolide dès qu’il peut les montages hasardeux.

 

Olympe a fait confectionner des petites bourses en daim de toutes les couleurs. Elles seront offertes aux visiteurs et contiennent chacune une petite bouteille de parfum citronné, enveloppée dans un papier de soie. Il y a également un petit mot calligraphié sur une feuille roulée pour remercier le client en espérant lui avoir fait passer un moment enchanteur. L’intention est de séduire l’acheteur et de le convaincre qu’il est absolument nécessaire qu’il choisisse un ou même plusieurs modèles de la collection.

 

Le vingt neuf mars, dès son arrivée, Mrs Chipp-Martingale examine chaque modèle, critique les coupes, les matières, les formes, les couleurs. Pendant ce temps, Louis, Hassan et Auguste préparent les tables où sera proposé le buffet pour les invités. Les assiettes et bols de présentation sont agencés de manière harmonieuse pour l’œil, mais resteront vides jusqu’au lendemain. Zoé vérifie que tout est prêt pour l’inauguration avant d’écouter les nombreux reproches ou les rares compliments de Mrs Chipp-Martingale.

 

Tôt le lendemain matin, les préparatifs commencent. A midi, le buffet est prêt, tous les plats, bols, assiettes, saladiers sont remplis des spécialités fraîches ou préparées à l’avance. Zoé prend des photos avec son téléphone. Un des amis d’Auguste va filmer le mini défilé.

 

Dès quatorze heures trente, les invités arrivent et se réunissent dans l’entrée avant de gagner l’atelier et de prendre place sur les sièges. Même Giambattista est venu pour l’occasion admirer les créations de Lucia. Mrs Chipp-Martingale fait le discours d’introduction, et Olympe présente chaque modèle. Ceux-ci sont  portés alternativement par les deux amies d’Auguste qui font du mannequinat de temps en temps et qui savent à peu près comment défiler. La robe poivron jaune a un immense succès. Zoé regarde discrètement Lucia qui semble toujours aussi insatisfaite de sa création. La tenue Jonquilles et Narcisses, objet d’une ultime transformation, plaît également au public, mais Lucia fait encore la grimace.

 

A l’issue de la revue, les visiteurs se déplacent vers le buffet et commencent à grignoter les douceurs si appétissantes. Surpris par la qualité et la diversité des différents petits fours présentés, les convives se régalent et parlent plus de nourriture et de goûts culinaires que de mode et de défilés. Ce n’était pas l’objectif, mais c’est un bon point pour Popina.

 

Les invités peuvent choisir du champagne, des jus de fruits frais ou même du thé ou du café pour accompagner leur dégustation. Louis a contacté un petit producteur de champagne qu’il connaissait et qui a livré lui-même les bouteilles. Zoé et Hassan, qui portent le tablier conçu pour le Faitout Magique par Olympe, passent au milieu des convives avec des assiettes ou des plats, et versent le champagne léger et délicieux dans les coupes de cristal prêtées par plusieurs grands-mères. Les invités s’exclament que le buffet est authentique et que le champagne est meilleur dans de vraies coupes.

 

Enfin Olympe et Lucia circulent parmi les clients et s’enquièrent des futurs achats et réservations de modèles de la collection. Leur passage permet de remettre le business au centre des préoccupations des invités, plus prompts à se faire plaisir dans ce contexte généreux et accueillant. A la fin de l’inauguration, le carnet de commandes est bien rempli, pratiquement deux fois plus que prévu, c’est un succès.

 

Mrs Chipp-Martingale réalise un peu tard qu’elle ne pourra pas utiliser la marque à son avantage comme elle en avait l’intention, puisqu’elle est déposée. Elle est mécontente de ne pas pouvoir faire comme elle l’entendait, et surtout de ne pas toucher autant d’argent qu’elle l’espérait. Avant d’avoir à expliquer sa colère, faisant la moue et pestant contre elle même et sa négligence, elle ramasse ses affaires et quitte l’atelier d’un air hautain. Il est probable qu’elle retourne à Londres immédiatement, en pensant qu’elle n’a plus rien à faire à Paris. Bon débarras, pensent la plupart des membres du Faitout Magique en la voyant partir. Paolo la suit d’un pas chaloupé, lui l’éternel loser.

 

Inconscients du drame qui se jouait devant leurs yeux, les invités, très satisfaits du défilé et du buffet, repartent avec leurs petites bourses, le sentiment de s’être fait gâter, et l’assurance d’être livrés de leur commande dans deux jours. Ils ont tous noté l’adresse internet de Popina, qu’ils ont appréciée pour son originalité et sa qualité.

 

Violette est venue seule car Saïd a dû rester pour s’occuper du restaurant et des enfants, et Cezary est accompagné par Marie-Christine qui commente absolument tout ce qu’elle voit d’un ton avisé. Louis s’est éclipsé discrètement dès la fin du défilé, peu à l’aise dans ce genre de réunion, trop mondaine à son goût.

 

Après le départ des acheteurs, tandis que ses amis discutent ensemble, Zoé se met à ranger le buffet, vider les plats, récupérer ce qui est récupérable, nettoyer les saletés. Elle est en train de remplir un sac de déchets recyclables quand elle sent que deux bras l’entourent et lorsqu’elle se retourne, c’est Zebediah qui est là.

 

Aussitôt, toute fatigue oubliée, elle laisse tomber son sac et se réfugie contre lui. Lucia, Olympe et Auguste déchargent Zoé du rangement. Violette et Cezary regardent leur amie telle qu’ils ne l’ont encore jamais vue, n’osant pas l’approcher tant qu’elle est dans les bras de Zebediah.

 

Zoé fait goûter les quelques petits fours qui restent à Zebediah avec un café, et lui montre les modèles de la collection suspendus sur des cintres. Zebediah est admiratif de la qualité de l’événement. Il explique qu’il a pris le premier train pour Paris dès que sa mission s’est terminée et qu’il s’est rendu directement à l’atelier. Sa valise est posée dans l’entrée.

 

Après les émotions, les langues se délient. Tous les amis qui sont restés entourent Zoé et Zebediah. Auguste et Olympe racontent toutes les péripéties de la collection à Zebediah et louent Lucia pour sa créativité. Giambattista approuve évidemment mais il explique qu’il est content que tout ça soit terminé car cette expérience a beaucoup trop sollicité et stressé Lucia. Zoé se réjouit de la synergie qu’elle voit se construire entre Popina et Olymcia.

 

Tout à leur conversation, ils n’ont pas remarqué dans le coin le plus reculé de l’atelier trois jeunes femmes qui s’avancent vers le groupe. Les amis plus proches s’écartent légèrement pour les laisser passer et se diriger vers le centre de l’assemblée. L’une des jeunes-femmes,  vêtue d’un jean et d’une veste en velours courte écarlate, est suivie par un photographe qui n’a pas arrêté de flasher depuis qu’il n’y a plus personne dans la salle.

 

  • Bonjour à tous, nous sommes journalistes, dit-elle. Je me présente, Antonella Giallo, je travaille pour un magazine féminin très glamour et j’avoue que je suis emballée par tout ce que j’ai vu aujourd’hui. Je n’avais pas observé une telle originalité depuis longtemps, et même peut-être jamais. Votre collection, vos décors, votre invitation, tout semble authentique, nouveau, frais et malgré tout sophistiqué, un véritable bain de jouvence. Un renouvellement par rapport à tout ce que je vois tous les jours et qui me parait la plupart du temps fade, sans imagination et ostentatoire. Là, je suis scotchée ! Bravo à vous !
  • Oui, absolument renchérit la deuxième jeune-femme, permettez-moi de me présenter également : Philomène Grèbe, je suis chroniqueuse dans une radio, je suis moi aussi très agréablement surprise par votre démonstration, je vais donc parler de votre manifestation dans mon émission, et ce dès aujourd’hui. Je pense remanier mon papier en rentrant, vous voyez c’est du temps réel !
  • Racontez-nous votre histoire, poursuit la troisième jeune-femme, en tailleur pied de poule et bottes de cheval. Je suis moi-même Mia Coulinge, blogueuse. Nous avons besoin de nourrir notre discours, dites-nous tout. Vous savez, je recherche sans cesse les nouvelles tendances, c’est mon objectif quotidien, et je trouve chez vous aujourd’hui le germe de la modernité.

 

Aussitôt, Auguste comprend la portée de ce qui vient d’être dit et devine que la présence des trois journalistes et du photographe est une porte ouverte vers la notoriété. Spontanément, il s’improvise porte parole de la bande et introduit tous les protagonistes. En premier lieu, il présente Olympe et Lucia, les créatrices, ainsi que Zoé qui a coordonné le buffet. Rapidement les noms de Popina et du Faitout Magique sont cités, et soudain, parmi toutes les personnes présentes, chacun y va de son anecdote et de son récit.

 

Les jeunes journalistes ne savent plus où donner de la tête, mais comprennent qu’il y matière à un article ou une chronique qui sortira de l’ordinaire. L’enthousiasme et l’excitation de l’assemblée les stimulent davantage et confirment leurs premières impressions. Elles tiennent là une tendance décalée qui pourrait aller loin.

 

Auguste et Olympe rosissent de bonheur à la pensée de cette consécration et cette idée motive leur argumentaire, Il est impossible de les arrêter tant ils ont de choses à dire. Lucia et Zoé ne sont pas dupes d’une gloire qui sera peut être éphémère et de l’effet de mode, et ne s’emballent pas. Malgré tout, cette publicité gratuite sera bonne pour le Faitout Magique !

 

Le photographe entraîne Lucia pour l’assister pour faire de belles photos, les deux mannequins ayant quitté l’atelier depuis longtemps.

 

  • La robe fétiche est la robe poivron jaune, elle est née d’une idée saugrenue, dit Lucia en arrangeant le cintre sous la lumière comme le photographe le lui indique. Et voici les chaussures qui vont avec.
  • Elle est sublime, dit le photographe et Lucia apprécie le compliment.

 

Zoé lève la tête alors qu’elle s’appuyait contre Zebediah. Elle voit soudain apparaître à la porte d’entrée de l’atelier Alphonse, comme un rayon de soleil, bronzé et merveilleusement blond et bouclé. Il tient un bouquet de fleurs à la main. Elle regarde Olympe qui a elle aussi vu Alphonse. Celui-ci s’avance dans la salle vers le petit groupe, le sourire aux lèvres.

 

  • Hello, me voici de retour ! C’est Violette qui m’a donné l’heure et le lieu du défilé, dit-il tout de suite pour expliquer son entrée impromptue, en mettant forcément Violette mal à l’aise.

 

Violette, sous l’affront, rougit vivement jusqu’aux oreilles. Elle a simplement évité de dire à Olympe qu’Alphonse était de retour et omis de révéler à Alphonse que sa place était prise par Auguste. Mais Alphonse, avec sa sensibilité à fleur de peau, n’a pas eu besoin d’explication pour comprendre. Immédiatement il se retourne vers Zoé et réalise que là aussi il arrive trop tard. Alors il s’approche avec son bouquet qu’il offre à Violette.

 

  • Félicitations pour le bébé dit-il en trouvant le prétexte qu’il lui fallait pour ne pas perdre la face, tout en faisant une révérence à la future maman. Salut à tous !
  • Merci pour ce beau bouquet, répond Violette en saisissant les fleurs et en les serrant contre elle. Mais il permet aussi de célébrer une autre occasion ! Saïd n’est pas là aujourd’hui mais il est de tout cœur avec nous, alors voilà, je vous annonce que nous allons nous marier en mai ! Et bien évidemment vous êtes tous invités !
  • Waouh !
  • Génial !
  • C’est le couronnement de la journée !
  • Vous faites ça au restaurant ?
  • Qui va tout préparer ?
  • J’ai trop hâte !

 

C’est l’effervescence générale, tous se réjouissent de la bonne nouvelle et de la fête en perspective, des questions et réponses farfelues résonnent de tous côté. Les journalistes sont stupéfaites par cette ambiance incontrôlable et ce brouhaha, allant de surprise en surprise, et tournent la tête dans tous les sens pour ne rien perdre du scénario qui est en train de se jouer.

 

  • Et, reprend Violette, avec un sourire épanoui comme nul ne lui a jamais vu, j’ai une requête pour Lucia et Olympe !
  • Ahhhhhhhhhhhhhh ! toute l’assemblée se tourne vers les deux hôtesses, ayant déjà compris quelle serait la demande.
  • Oui ? répondent timidement Lucia et Olympe qui ont bien évidemment compris aussi.
  • C’est vous que j’ai choisi pour faire ma robe de mariée ! et je veux qu’elle soit la plus incroyable et la plus époustouflante des robes de mariées ! 
  • Yeahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh ! Cezary laisse éclater sa joie en dansant autour de Violette !
  • D’accord, répondent Lucia et Olympe qui acceptent ce nouveau challenge à réaliser ensemble sans discuter.
  • Moi, ce sont les chaussures que je vois totalement extravagantes, en satin, avec un talon bobine pour danser le charleston, murmure Lucia rêveuse
  • Tu crois que je pourrai danser le charleston en étant enceinte ? demande Violette surprise 
  • Évidemment, répond Olympe, oui on va te faire une robe et des chaussures qui vont déchirer ! Saïd n’a plus qu’à se débrouiller pour trouver un costume lui aussi !
  • Moi je serais lui, dit Lucia, je la jouerais très sobre, tout en noir et très strict par exemple, comme ça Violette serait encore plus magnifiée !
  • Oh, vous êtes géniales, c’est parfait tout ça ! s’écrie Violette enthousiasmée ! 

 

C’est un nouveau défi à relever dans un timing très court, le mariage a lieu dans à peine un mois. Mais après leur expérience éprouvante de la collection, les filles sont prêtes à affronter n’importe quel pari ! Giambattista quant à lui fait la grimace car il imagine que Lucia va de nouveau être d’humeur électrique alors qu’il pensait pouvoir la retrouver plus calme et reposée.

 

  • On nous l’a bien changée, murmure Alphonse en aparté à Zoé et Cezary, Violette si classique va porter pour son mariage une robe complètement déjantée !
  • C’est le bonheur qui change tout, répond Zoé, admirant Violette qui a finalement si bien réussi sa nouvelle vie.

 

Pendant ce temps, Antonella la journaliste n’a rien perdu de la conversation et son instinct, toujours à l’affût d’un sujet nouveau et original pour son magazine, est en alerte. Elle se tourne vers Lucia et Olympe et leur demande :

 

  • Croyez-vous qu’il serait possible que je fasse un article sur la conception et la confection de cette robe de mariée ? avec photos et interviews bien entendu ! Je vois comme titre de l’article : ‘Olymcia, histoire d’une robe de mariée sur mesure’. Je vous suivrai pendant toute la durée de fabrication !
  • Et moi j’aimerais faire une vidéo pour mon blog, dit Mia. Une robe de mariée faite par des copines, ce n’est pas courant.
  • Je pourrais soit faire un seul long article à la fin qui raconte toute l’histoire, interrompt Antonella, soit imaginer une sorte de feuilleton, avec description des progrès de tous les jours, et qui s’étalerait sur un mois.
  • Pourquoi pas ? intervient Auguste qui se comporte comme un agent. Nous vous laissons le choix de la forme. Vous voudriez faire les photos ou la vidéo ici ?
  • Pas entièrement, peut être à l’extérieur également, répond Antonella, pour des essayages par exemple. Il faut préparer en parallèle l Ici, c’est intéressant car il y a de la place et il faudrait laisser le décor, il est top !
  • Ce serait une belle prolongation de votre article sur le défilé de la collection d’Olymcia de ce matin, dit Auguste. Un nouveau zoom sur Olymcia, mais cette fois on lève le rideau, on voit l’envers du décor, et il fait bien plus rêver que l’endroit !  Eh bien, c’est d’accord, nous sommes en phase pour la réalisation de cet ou ces articles. Il ne nous reste plus qu’à l’organiser, n’est-ce pas ? Lucia et Olympe vont devoir démarrer très vite, il y a peu de temps ! Je me charge de toute la logistique avec vous Antonella, les filles doivent avoir tout leur temps pour réaliser la robe.
  • Mais c’est magnifique ! et en plus vous nous aidez ! dit Antonella avec un grand sourire.
  • C’est comme ça au Faitout Magique, tout le monde participe et s’entraide !
  • Alors c’est d’accord, conclut Antonella, on discutera ensemble de la contribution financière.
  • Absolument, répond Auguste dont les yeux brillent comme deux diamants, il a enfin atteint son objectif.

 

Violette est en pleine confusion, elle a déclenché sans le vouloir une sorte de tempête médiatique avec son idée. Elle est déçue que Saïd ne soit pas là pour voir l’excitation soulevée par son annonce. Et surprise aussi de constater que tout le monde joue le jeu, mais que personne ne lui a demandé son accord pour la réalisation de l’article, ce sera tout de même SA robe de mariée ! Elle songeait à quémander un peu d’aide pour le repas de mariage au Faitout Magique, mais réalise qu’il y trop d’agitation pour le moment, et qu’elle pourra en parler calmement à Zoé plus tard, rien ne presse.

 

Alphonse fait le tour du groupe en saluant chacun à sa manière désinvolte. Les trois journalistes regardent cet hurluberlu qui est si beau et qui attire encore plus le regard qu’Auguste, car il est totalement naturel. Alphonse fait le fanfaron, mais il vient de subir un choc lui aussi, toutes ses conquêtes l’ont abandonné, il se retrouve seul désormais.

 

  • Je ne suis que de passage à Paris, dit-il à qui veut l’entendre. Ma prochaine destination c’est l’Antarctique, sur les traces du Capitaine Nemo.
  • Tu vas y aller dans un sous marin ? demande Violette, intriguée, encore toute auréolée de joie.
  • Ca se pourrait, je ne l’ai pas encore décidé ! lui répond Alphonse avec un clin d’œil.
  • Et je croyais que tu n’aimais pas le froid ? renchérit Cezary
  • Eh bien on peut changer d’avis, tu sais il n’y a que les imbéciles …. Finalement le plus grand exotisme, ce sont peut être les glaces, les vents polaires et les icebergs !…
  • Ca ne fait pas rêver ton histoire, dit Violette, seras-tu là en mai ?
  • Bien évidemment, je ne raterais ton mariage sous aucun prétexte.
  • Mais ce n’est pas facile comme voyage à organiser pour aller au Pôle Sud, il faut du temps. Et comment on saura ce que tu fais, où tu es ?
  • Je vous raconterai, je mettrai des photos sur mon blog.
  • Cette histoire, tu ne viens pas juste de l’inventer ? insiste Cezary
  • Pas du tout. Je t’assure que le capitaine Nemo est allé en Antarctique.
  • Et vous, qui êtes vous ? demande Alphonse aux journalistes tandis que le photographe le mitraille sous toutes les coutures.
  • Nous sommes journalistes ou blogueuses, répond Mia. Je t’ai entendu parler d’un blog pour ton voyage … je suis intéressée, peux-tu m’en dire plus ?
  • Mais bien sûr, dit Alphonse, tu es blogueuse aussi ? j’ai préparé et filmé plein de vidéos pendant mon voyage en Australie ....
  • Mais quel était ton but ? insiste Mia.
  • Suivre les traces des enfants du Capitaine Grant, tu connais l’histoire ?

 

Mia se demande visiblement si Alphonse plaisante ou bien s’il est sérieux, mais devant son air goguenard, elle finit par penser qu’il se moque d’elle. Alors Alphonse sort son téléphone et lui montre quelques petits films qu’il a tournés en Australie. Une vive conversation s’engage entre eux, tandis qu’Auguste discute avec Antonella et Philomène. 

 

Zebediah n’a plus besoin de lutter contre Alphonse ni contre Auguste, il sait que Zoé n’en a jamais été amoureuse.

 

  • Zoé, chuchote-t-il au milieu du brouhaha occasionné par tous les participants, j’ai les billets pour Athènes, nous partons le treize avril, le jour de ton anniversaire !

 

Zoé le regarde les yeux brillants de bonheur.

 

  • C’est merveilleux ! c’est le plus beau des cadeaux ! Cela fait tant d’années que j’en ai envie ! je n’arrive pas à croire que je vais voir l’Acropole et toutes les merveilles d’Athènes pour de vrai !

 

Alphonse, qui a fini d’échanger avec Mia, regarde Zoé et Zebediah tour à tour avec de grands yeux étonnés, et beaucoup d’amertume : encore une occasion qu’il n’a pas su saisir.

 

  • Pourquoi ne m’as-tu jamais dit que tu voulais aller en Grèce, tu sais que mes parents ont une villa là-bas, on aurait pu y aller ensemble l’été dernier !
  • Tu as une villa en Grèce ? s’enquiert avec intérêt Mia qui se dit que décidément Alphonse est un garçon plein de ressources et qui gagne à être connu.
  • Trop tard, Alphonse, dit Zoé avec un sourire désolé, j’y vais avec Zeb ! et j’y serai dans moins de deux semaines !

 

Lucia qui s’était approchée a entendu aussi et s’insurge aussitôt.

 

  • Tu me déçois, amica, découvrir Athènes avant Rome, non hai fatto la scelta giusta, è Roma che deve essere scoperto urgentemente ! [3]
  • Sono completamente d'accordo con te[4], intervient Antonella
  • Nous irons à Rome une autre fois, Athènes c’est mon rêve depuis toujours ! répond Zoé
  • No, non capisco ! E in più capisci l'italiano mentre non parli una parola di greco ![5]
  • Non ti preoccupare, ce la faremo molto bene ![6] dit Zoé en riant

 

Malgré sa colère enjouée, Lucia se réjouit pour Zoé et la regarde s’éloigner vers le fond de l’atelier avec son téléphone. Zebediah lui aussi observe la petite silhouette qui s’écarte discrètement. Zoé compose le numéro et attend le bip.

 

  • Allô ?
  • Allô Mamina, c’est Zoé !
  • Ah ma chérie, je suis si heureuse de t’avoir au bout du fil ! Alors comment s’est passé le défilé ? et ton buffet ?
  • Tout était magnifique, il y a même trois journalistes et un photographe qui ont adoré et qui vont faire des articles et des reportages sur nous tous. Tu te rends compte !
  • Et oui, c’est enfin le succès ! Bravo à toi et à toute l’équipe.
  • Et Mamina, tu ne devineras jamais où je pars en vacances dans deux semaines ?
  • Pourquoi ma chérie ? en Grèce bien sûr !
  • Comment le sais-tu ? c’est encore Ninon et Hassan qui ont vendu la mèche ?
  • Mais non ce sont mes petites antennes, tu sais, celles qui n’ont pas besoin d’internet ni de quoi que ce soit pour que je sache tout ce qui se passe pour ma petite chérie.

 

A l’autre bout de la salle, Lucia et Zebediah rient de bon cœur en voyant la mine déconfite de Zoé qui revient lentement vers eux.

 

  • Elle savait déjà tout, impossible de cacher quoi que ce soit à nos petites grands-mères..
  • Nous savons tous bien pourquoi, dit Lucia.
  • Et oui, ce sont des magiciennes !

 

Tandis que certains finissent de ranger l’atelier, Zoé et Zebediah s’apprêtent à partir. Violette, Cezary et Alphonse les regardent, mi envieux mi amusés.

 

  • Notre petite Zoé a atteint son objectif finalement, notre site a pris vie.
  • On a fait tous du chemin depuis un an.
  • Si Madame LaBelle nous voyait, qu’en penserait-elle ?
  • Et Atsuko ?
  • Je suis sûre qu’elle aurait adoré le Faitout Magique.
  • On l’adore tous !

 

[1] J’ai perdu la foi, je n’y crois plus. Tout est banal, rien ne me fait plus plaisir, tout est à refaire, je suis désespérée.

[2] C’est une femme bonne finalement. Elle fait les choses bien. Mais pourquoi a-t-elle changé d’idée ?  

[3] Tu n’as pas fait le bon choix, c’est Rome qui doit être découvert de toute urgence !

[4] Je suis tout à fait d’accord avec toi

[5] Non, je ne comprends pas, et en plus tu comprends l’italien alors que tu ne parles pas un mot de grec !

[6] Ne t’inquiète pas, ça le fera très bien !

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