Crème brûlée à la vanille

Deux jours plus tard, comme elle s’y attendait, Zoé reçoit un coup de téléphone d’Olympe, complètement hystérique.

 

  • Zoé ! je crois que je vais m’évanouir. Alphonse est parti en Australie ! Tu te rends compte ! Il m’a a-ban-donnée !
  • Je sais, il est comme ça. Il faut que tu te consoles vite car tu as un défi à relever ! Souviens-toi de la menace de Mrs Chipp-Martingale, si tu ne veux pas la voir arriver comme une furie à l’atelier, mets-toi au travail rapidement. Ca t’aidera à oublier Alphonse.
  • Mais tu le savais toi qu’il partait ? pourquoi tu ne m’as rien dit ?
  • J’avais juré le secret.
  • Merci pour la solidarité entre amies. J’aurais pu essayer de le retenir.
  • C’est justement ça qu’il ne voulait pas.
  • Non, mais qui ferait ça à sa petite amie ?
  • Plein de gens Olympe, tu le sais bien. Et Alphonse ne t’a jamais rien promis. Il vaut mieux que votre histoire s’arrête maintenant et vite, avant de te faire trop mal.
  • Parce que tu crois que ça ne fait pas déjà TRÈS mal ? Je suis trop malheureuse, ils m’abandonnent tous les uns après les autres, je n’en peux plus de tous ces mecs. Ils sont tous plus répugnants et lâches les uns que les autres.
  • Pense à Mrs Chipp-Martingale, insiste Zoé, qui pour une fois peut se permettre de secouer Olympe sans se faire secouer elle-même.

 

 Au bout d’un moment, Olympe finit par se calmer et entendre raison.

 

  • D’accord, je vais à l’atelier, mais là tu sais je suis totalement désespérée. Je n’ai plus la motivation, je n’ai plus la force, je ne vais rien réussir à faire.
  • Tes modèles sont prêts à être réalisés ? Lucia t’a laissé les patrons ?
  • Oui.
  • Alors arrête de te plaindre, tu sais ce qu’il te reste à faire, tu as peu de temps.
  • Je crois que moi aussi je vais l’oublier Alphonse, s’il revient un jour, il ne me trouvera plus.
  • Voilà, c’est une sage décision. Et maintenant au travail Olympe, le succès t’attend au bout du chemin.
  • Si j’ai de la notoriété, il va revenir pour profiter de moi, là je vais l’intéresser.
  • Tu te trompes Olympe, ce n’est pas du tout le style d’Alphonse. Simplement, ne pense plus à lui, change-toi les idées, laisse le tomber dans le puits aux oubliettes.
  • Mais tu sais je n’aurai pas de notoriété, je ne sais que réaliser quand j’ai un modèle. Ca je sais bien le faire, mais dès qu’il faut concevoir, il n’y a plus personne, c’est Lucia qui a du talent et de la créativité.
  • Je sais, mais Lucia se moque du succès, alors à toi de gérer la réussite de votre collection. Et puis Lucia toute seule ne réussirait pas non plus, c’est votre coopération à toutes les deux qui fait merveille.
  • Merci Zoé, tu dis des paroles qui me font du bien.
  • Garde le moral et travaille, tu t’en remettras.
  • Ce sera dur tout de même, insiste Olympe
  • Courage Olympe, seule toi peux t’en sortir.

 

Zoé raccroche et se prépare à la réunion entre Louis et Auguste qui est prévue en fin de matinée. Elle aura lieu dans leur appartement, de manière informelle. Louis va monter en avance pour une petite révision de leur argumentaire avant l’entretien proprement dit. Auguste devrait arriver une heure après.

 

Quelques minutes plus tard, Louis frappe à la porte. Zoé lui offre un café et se décide à poser la question qui la tourmente depuis un moment.

 

  • Louis, Antoinette m’a dit que ton fils voulait te rencontrer. Je n’ai jamais osé te demander si tu l’as vu.
  • Antoinette a été si convaincante que je me suis laissé persuader. Oui, je l’ai rencontré, ainsi que sa sœur. Après ce qui s’était passé, la première entrevue n’était pas franchement amicale. On a prévu de se revoir une prochaine fois, et de se demander si on a envie de poursuivre. Tu vois, ce n’est ni gagné, ni perdu. Mais j’avoue que pour l’instant, ça ne m’a rien apporté de satisfaisant. Je crois que ma vie est ailleurs maintenant.
  • Mais ton fils doit avoir besoin de toi s’il a envie de te voir, non ?
  • Peut-être.
  • Et ta femme ?
  • Je pense que pour elle je n’existe plus, elle m’a fait totalement disparaître de sa vie. D’ailleurs elle a demandé et obtenu le divorce. Depuis, je ne l’ai jamais revue, elle a juste touché les chèques à date fixe et c’est tout. Tu vois, je ne lui dois plus rien.
  • C’est d’autant plus courageux de la part de ton fils de t’avoir contacté.
  • Oui, en quelque sorte.

 

Zoé comprend que cet aspect de la vie de Louis est toujours très douloureux, qu’il n’a pas encore la force d’en parler, et elle n’insiste pas. Il faudra du temps de part et d’autres pour soigner les blessures.

 

  • On se met au travail ? poursuit Louis qui s’assoit sur le sofa rouge et boit son café. Quelles sont tes premières impressions sur Auguste ?
  • Eh bien, il a un œil extérieur, il voit ce que les autres ne voient pas, il apporte de nouvelles méthodes, mais est-ce que ça va nous plaire ?

 

Zoé et Louis passent en revue leur questionnaire et les arguments qu’ils attendent. Auguste arrive peu après et s’installe lui aussi sur le sofa rouge. Il se tient un peu raide, il sait qu’il va passer à la moulinette des questions de Louis et Zoé, et curieusement, il craint leur jugement. Peut-être pour la première fois de sa vie, l’enjeu a une réelle importance pour Auguste, ce n’est pas un jeu, il a réellement envie d’entrer dans le premier cercle.

 

L’entrevue se déroule bien, Louis semble satisfait de la posture et des réparties d’Auguste, il fait un signe d’approbation discret à Zoé, et propose au jeune homme de leur fournir un plan d’action détaillé de ce qu’il envisage de faire.

 

  • On débutera par la recherche d’un financement sur une plate-forme collaborative, commence Auguste, on a besoin de moyens maintenant pour prendre de l’envergure.

 

Auguste présente ensuite ses suggestions pour améliorer la gestion du Faitout Magique. Plus il développe son discours, plus il prend confiance en lui et sent qu’il captive son auditoire. Face aux deux créateurs du Faitout Magique, il se rend compte que ce n’est pas une entreprise comme une autre, Zoé et Louis ont mis leur chair et leur sang dans ce projet, le Faitout Magique est presque un être vivant qu’on sent vibrer et respirer au milieu d’eux. La passion finit par animer Auguste et son ton devient emphatique, son débit torrentiel, il est emporté par sa conviction. Il aborde enfin le dernier sujet, l’urgence de rechercher un outil plus adapté pour gérer le planning, car Antoinette ne réussit plus à maintenir la prise de rendez-vous sur l’outil actuel.

 

  • C’est presque le plus important, conclut Auguste. Et avec l’optimisation du site, vous pourrez recruter davantage de cuisiniers et de livreurs et commencer à verser de petites commissions, à défaut de salaires. C’est indispensable si vous voulez maintenir votre offre. Voilà, je crois que je vous ai tout dit, on peut discuter maintenant.
  • Très bien Auguste, répond Louis, merci pour cet exposé. Tu nous amènes beaucoup d’idées, il faut qu’on y réfléchisse avec Zoé.
  • Tu comprends, renchérit Zoé, certaines idées sont très impactantes et très engageantes, nous ne devons pas nous lancer à la légère.
  • C’est bien, vous raisonnez comme de vrais chefs d’entreprise !
  • Et oui, il y a des personnes avec nous, nous ne devons pas faire n’importe quoi, nous devons les respecter, répond Louis.

 

La conversation se poursuit, mais ils finissent par être à court d’arguments de part et d’autre. Zoé et Louis ont besoin de se concerter avant de d’apporter des réponses à Auguste. Ils lui donnent le feu vert pour mettre en place quelques suggestions sans conséquence, pour amorcer l’amélioration, et bien sûr, plébiscitent l’installation du logiciel de gestion du planning, qui pour tous est la priorité.

 

Après la réunion, Auguste aimerait rester avec Zoé mais il comprend qu’il doit se mettre au travail immédiatement. Il a confirmé qu’il fera cette prestation bénévolement pour le Faitout Magique, tout en sachant que s’il y a des bénéfices, tout le monde y gagnera, y compris lui-même. Il envisage déjà son rôle d’associé rémunéré aux profits dans un avenir pas si lointain.

 

Bien loin d’imaginer les plans machiavéliques qui se forgent dans l’esprit d’Auguste, Zoé est heureuse qu’il s’en aille car c’est ce soir que Zebediah rentre de Londres et elle doit se préparer pour aller le chercher à la descente du train.

 

L’après midi passe rapidement, Zoé fait quelques recherches sur Internet sur les financements collaboratifs et les logiciels de planification de rendez-vous, pour pouvoir débattre efficacement avec Auguste quand il viendra avec son plan d’action. Elle emmène aussi Peter faire sa promenade. Le mois de Février arrive et les premières promesses de printemps sont visibles : des petites pousses vertes de perce-neiges et crocus apparaissent dans les squares et dans les bacs à fleurs.

 

En chemin vers la gare du Nord, elle reçoit un appel de Ninon qui aimerait venir passer quelques jours à nouveau à Paris pour les vacances de Février. Zoé sourit intérieurement car elle devine que Ninon a envie de revoir Hassan, et de prendre ses marques pour préparer ses études pour la prochaine rentrée. Elle croise également Stan et François qui patrouillent sur le trottoir en civil.

 

  • Salut Zoé, la forme ?
  • Hey ! comment allez-vous ? finis les raids en voiture ?
  • C’est une enquête sérieuse, mademoiselle ! répond Stan en prenant un air faussement vexé.
  • Des nouvelles ? vos recherches progressent ?
  • Concernant tes vandales ? ça avance très bien, on remonte la filière. Tu sais, c’est souvent un travail ingrat de fourmis, et pendant longtemps, il faut être patient. Mais après, ça paie.
  • Vous voulez dire que vous récoltez un maximum d’indices avant de passer à l’action ?
  • Et pas que ça ! il faut que nous fassions des recoupements, vérifions les sources, comparions des tas et des tas de listes, papiers, messages, photos, vidéos, etc. ! on a une masse d’informations à traiter, tu n’imagines même pas ! 
  • Mais si, je comprends très bien ! Je vois que vous n’avez pas laissé tomber l’affaire !
  • Mais non, pas du tout. Au fait, on voulait te parler un peu de Mbamoussa.
  • Pourquoi ? il a fait quelque chose de mal ?
  • Non, justement, je crois qu’il s’en est sorti à temps, il était sur une pente savonneuse et ses fréquentations n’étaient pas des plus astucieuses, pour te parler franchement.
  • Oh là là, vous me faites peur. Mais que dirait Marceline ? s’écrie Zoé bouleversée.
  • Désormais il a coupé les ponts avec ses anciennes connaissances, heureusement pour lui. On le surveille pour qu’il ne retourne pas avec eux, et surtout qu’il ne soit pas sollicité. Sa grand-mère a dû sentir le vent de la grosse bêtise qui se préparait quand elle est intervenue.
  • Comment vous savez qu’elle est intervenue ?
  • Elle est allée dire sa façon de penser aux copains de son petit fils. Elle aurait pu se faire tabasser. On n’était pas très loin, heureusement, prêts à intervenir si ça avait dégénéré et que certains se soient un peu échauffés.
  • Heureusement que vous étiez là pour veiller à sa sécurité !
  • A sa décharge, on peut dire que Marceline se fait respecter, tous les jeunes présents n’ont pas moufté. Ah ça tu peux dire qu’elle leur en a balancé.
  • C’est une femme très courageuse, elle n’hésite jamais quand il s’agit de sa famille. Mais vous ne sous-entendez pas que Mbamoussa faisait partie de la bande des vandales, ou même qu’il les connaissait ? Marceline en serait bouleversée !
  • Ne t’inquiète pas pour Marceline, elle est bien au courant de tout ce qui se passe. Si elle a fait appel à toi, c’est qu’elle a compris que ça pourrait aider Mbamoussa à se sortir du pétrin où il s’était fourré.
  • Vous croyez ?
  • Enfin, un petit gars qui semble avoir pris la bonne route, J’espère qu’il va y rester, conclut Stan.
  • On va tout faire pour, affirme Zoé, je sais qu’il veut reprendre l’école maintenant.
  • Bien vu Zoé ! Allez, bonne promenade, nous on continue notre ronde, on a délivré notre message.
  • Salut à vous, à bientôt.

 

Zoé frissonne rétrospectivement en pensant à Mbamoussa et à Marceline. Elle comprend que la vieille dame a osé la tentative de la dernière chance pour sauver son petit fils de la délinquance. Et grâce à la mobilisation du Faitout Magique, Mbamoussa a réussi à s’en sortir sans dommages, et même à se trouver un objectif pour le futur.

 

  • Ouf, se dit Zoé, ce n’était pas une demande à la légère. Je ne l’avais pas compris comme ça, mais quelle chance que j’ai réagi dans le bon sens. Qui sait ce qui aurait pu arriver si j’avais laissé tomber la requête de Marceline ? Parfois on ne réalise pas les responsabilités qu’on peut avoir sur un événement … ou bien à côté de quoi on est passé sans le savoir. Enfin cette histoire se termine bien, on va oublier cet épisode pénible pour Mbamoussa, c’est un garçon si sympa ! Qui l’eût cru ?

 

De retour vers la rue N., en passant au feu rouge devant le métro, elle aperçoit un jeune garçon africain qui fait la manche comme faisait Hassan il n’y a pas si longtemps. Comme Hassan, il a un grand carton qu’il soulève au passage des voitures, avec son nom écrit au feutre.

 

  • Ah non ! dit Zoé, mais ce n’est pas possible … cet endroit est maudit !

 

Après l’échange avec Stan et François, et connaissant grâce à Hassan la précarité des mineurs qui vivent dans la rue, elle s’approche de lui en appelant simultanément Marceline au téléphone. Elle lui explique la situation et lui demande si elle peut venir d’urgence avec Mbamoussa et héberger temporairement le jeune migrant chez elle, en attendant de lui trouver un logement. Avec son grand cœur, Marceline abandonne immédiatement l’activité qu’elle était en train de faire et arrive quelques minutes plus tard accompagnée par Mbamoussa. 

 

Marceline aborde le jeune migrant avec Zoé et Mbamoussa. Elle lui explique qu’il peut venir chez elle manger et dormir, et qu’elle va lui donner des habits plus chauds. Peter, toujours en laisse s’approche du garçon et le regarde de ses yeux ronds en penchant la tête de côté.

 

  • Je demanderai à Louis de faire le nécessaire pour la préfecture demain. C’est la même histoire que celle d’Hassan, dit Zoé.
  • Zoé, ne vous inquiétez pas, je me charge de lui à la maison, un enfant de plus, je ne le verrai même pas ! Au fait, il s’appelle Badou.
  • Merci Marceline, c’est seulement pour quelques jours, on va trouver une solution, mais on ne peut pas le laisser dans la rue, à la merci du froid et des prédateurs, il fallait réagir tout de suite. Je suis désolée d’avoir été si brutale, mais j’avais été trop lente à réagir pour Hassan, pas question de recommencer.
  • Mais vous avez eu raison Zoé, dit Marceline, si vous n’aviez rien fait, c’est là que vous auriez été brutale. Pauvre Badou, la galère est finie pour lui, il va retrouver un foyer et une famille.
  • Vous êtes tellement généreuse Marceline, vous êtes exemplaire. Et dites, c’est bien la première fois que je ne vous entends pas rire ni chanter, c’est ce que ça doit être très sérieux pour vous aussi.
  • Bien sûr ! on ne s’engage pas avec un enfant à la légère. Je le ferai par respect pour sa mère, même si je ne la connaissais pas. Il m’a laissé entendre qu’il n’a plus de famille. Je le fais aussi pour vous Zoé, je vous suis éternellement reconnaissante, vous savez pourquoi.
  • Oui je sais Marceline.
  • Viens Badou, dit Mbamoussa.
  • Regardez Zoé, il est déjà adopté ! dit Marceline avec un soupir de soulagement.

 

Le jeune garçon, maigre comme un clou et tremblant de froid suit Marceline et Mbamoussa. Zoé rentre chez elle et appelle aussitôt Louis pour lui raconter la nouvelle et lui demander s’il peut aller dès le lendemain faire les déclarations et démarches pour Badou à la Préfecture.

 

  • Où allons-nous le loger ? on ne peut pas demander à Marceline de le garder, elle a déjà ses enfants et ses petits enfants tout le temps chez elle, demande Zoé.
  • Je ne sais pas Zoé, pour l’instant on va gérer l’urgence. C’est un mineur ?
  • Oui.
  • C’est d’accord Zoé, bien sûr, je m’en occupe dès demain matin. Je préviens Marceline.
  • Merci pour lui Louis.

 

De retour chez elle, après la décharge d’adrénaline qui a suivi la découverte de Badou, Zoé sent son moral descendre à grande vitesse.

 

  • Quoi qu’on fasse, c’est comme un puits sans fond. Heureusement que j’ai vu Badou et qu’on a pu le sauver rapidement. J’en suis toute retournée. Maintenant je dois me préparer pour aller chercher Zebediah, mais je n’ai pas la tête à ça. Tous ces bouleversements, tous les jours il y a quelque chose, et ce ne sont jamais des petites choses. A chaque fois il faut s’engager à fond, il y a des êtres humains en jeu, c’est dur à vivre, rien n’est stable, nulle part, jamais. Quand on croit avoir réglé quelque chose, un nouvel incident se produit et on doit tout mobiliser pour le résoudre, c’est un cycle infernal qui ne s’arrête pas. Que va-t-il se passer demain, tout à l’heure même ? est-ce que je vais bien réagir ?

 

Zoé n’a finalement pas le cœur de se changer avant de partir et enfile simplement son manteau pour aller à la gare.

 

Pendant le trajet en métro, assise sur sa banquette et inconsciente de la masse de voyageurs autour d’elle, elle se perd dans ses divagations. Plus la rame se rapproche de la destination, plus elle se sent étreinte par un sentiment étrange. Abandonnant le tourbillon de pensées qui l’envahissaient, Stan et François, Mbamoussa, Marceline, Badou, Auguste et ses transformations du Faitout Magique, elle réussit à se concentrer sur l’instant présent. Elle éprouve une sensation de bien être à l’idée de revoir Zebediah, et même une vague de chaleur incontrôlable la parcourt des pieds à la tête.

 

Dans sa tête, en même temps que les affiches défilent, elle revoit les scènes avec lui, les balades à Paris, la bouilloire, le restaurant chez Saïd et Violette, les rencontres impromptues dans les escaliers, dans la cour de l’immeuble. Elle visualise soudain son visage qui se matérialise, son corps svelte et musclé, les costumes qu’elle déteste et les chemises bleues qu’elle adore, les cheveux coupés courts qui parfois sont ébouriffés dans tous les sens quand il y passe sa main, elle parvient même à sentir son parfum subtil, si subtil qu’on pourrait ne pas le sentir si on ne s’approchait pas tout près de lui, de sa joue, de sa nuque. Elle réalise combien il lui a manqué, sans pouvoir tout à fait mettre un mot sur cette sensation, mais c’est délicieux. Sans s’en rendre compte, elle se met à sourire, ses lèvres s’écartent imperceptiblement et son souffle ralentit. Elle sent qu’elle n’a plus qu’une envie, plonger son visage à elle dans son cou à lui et se laisser partir dans ses bras tout contre lui, sentir la chaleur de son corps et la douceur, la douceur d’être avec lui.

 

Lorsque le métro s’arrête à la gare du Nord, elle se ressaisit mais elle ne veut pas oublier la sensation délicieuse, elle remonte les escaliers vers les quais des trains comme un bateau perdu. Mais la foule qui la croise et la bouscule et la fait rebondir comme une balle de droite à gauche, la ramène brutalement à la réalité.

 

  • Que m’est-il arrivé pendant le voyage ? mais qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce Mamina et Lucia auraient raison depuis le début ? Zebediah …. et pourquoi lui ? après tant de temps, je n’y avais jamais pensé, et maintenant je ressens ce frisson de bonheur qui me paraît être la seule chose que j’attendais ...

 

Arrivée sur le quai bondé, elle vérifie les horaires au tableau d’affichage. Le train en provenance de Londres est à l’heure, il entre enfin en gare tout doucement et vient s’échouer en bout de quai.

 

Zoé laisse défiler la foule qui sort du train, chacun semblant savoir parfaitement où il va.

 

Après quelques minutes qui lui paraissent durer des heures, elle aperçoit Zebediah de loin qui traîne sa valise à roulettes et qui a les traits tirés et des cernes bleus. Il est si touchant qu’à ce moment-là brusquement, comme si un voile filtrant se déchirait, elle semble le voir pour la première fois tel qu’il est réellement. Elle reçoit un grand choc en réalisant qu’il est en toute certitude la personne qu’elle attendait dans sa vie depuis si longtemps, et cette vision vient conforter le sentiment naissant qu’elle éprouve depuis tout à l’heure. Elle est sidérée de comprendre enfin le trouble grandissant qu’elle ressentait pour lui.

 

Ils s’approchent l’un de l’autre sans parler, Zebediah s’arrête et abandonne sa valise, il a remarqué un éclat dans les yeux de Zoé qui ne ressemble à rien de qu’il y a déjà vu. Un éclat plein de promesses qui le transcende. Tous les deux se regardent quelques instants, Zebediah est complètement paralysé, puis Zoé, éperdue, vient spontanément contre lui, et il l’accueille dans ses bras. 

 

  • Oh Zebediah, dit Zoé, un flot de paroles se bouscule dans tête et elle parle avec désordre et précipitation. Il m’a fallu tant de temps pour ouvrir les yeux, j’étais en plein déni de mes sentiments, enfin j’ai compris, c’était toi depuis le début, et je n’avais rien vu, je me masquais la vérité tous les jours, je ne voyais rien. Je suis tellement désolée, pardonne-moi. Est-ce que tu peux me pardonner ?
  • Ne dis rien Zoé, laisse-moi réaliser que c’est bien toi dans mes bras, répond Zebediah lui aussi bouleversé par le choc de leur rencontre et la révélation de Zoé. 

 

Ils se serrent l’un contre l’autre au milieu de la marée humaine qui s’écoule autour d’eux, comme s’ils étaient un rocher qui résiste à l’assaut des vagues de l’océan. Le flux des voyageurs finit par s’amenuiser puis le quai se vide des derniers passagers et ils restent enfin seuls dans le vacarme de la gare, isolés au milieu du béton et de l’acier,

 

Alors ils se réussissent à se séparer et se regardent avec timidité, encore stupéfaits par ce qui vient de leur arriver. Zebediah prend le visage de Zoé entre ses mains et caresse ses joues et ses cheveux avant de l’embrasser.

 

  • Oh Zoé, j’ai attendu ce moment si longtemps, je ne suis pas encore certain que je le vis réellement, est-ce que je suis en train de rêver debout ?
  • Mais non tu ne rêves pas, c’est bien moi et c’est bien toi !
  • Je ne m’y attendais pas du tout en descendant du train …, même si je n’avais qu’une envie c’était de te voir, je suis complètement bouleversé.
  • Moi non plus, je ne sais pas ce qui m’est arrivé, j’ai eu comme une révélation il y a quelques minutes, quelque chose qui est monté en moi comme une vague déferlante, un aboutissement après une longue attente, j’ai compris tout à coup combien tu m’as manqué tout ce temps ... Mais comment ai-je pu être aveugle pendant si longtemps ...
  • Tu avais la tête ailleurs. Et de tous les endroits du monde, je n’aurais jamais soupçonné qu’on se rencontrerait dans cette gare, c’est si impersonnel ...
  • Ne cherche pas à m’excuser, je suis totalement coupable. En venant te chercher, je n’imaginais pas ce qui allait se passer … j’étais loin de me douter ...
  • J’avoue que je désespérais que ce jour arrive, je n’y croyais plus. C’est même pour ça que j’ai accepté cette mission à Londres. Je ne supportais plus d’être transparent pour toi.
  • Mais pourquoi tu dis ça ?
  • Tu semblais si indifférente !
  • Oui, sans doute je l’étais, je te voyais sans te voir, je me moquais même de tout ça, tout le monde m’en parlait mais je n’écoutais pas …je ne voulais pas entendre ...
  • Tu veux dire que j’étais invisible ?
  • Tu étais si discret, jamais tu ne t’es mis en avant. Si tu n’étais pas parti si longtemps pour Londres, est-ce que j’aurais compris que je t’attendais depuis toujours ?
  • Incroyable comme le choix désespéré de mon départ se révèle décisif, s’étonne Zebediah
  • Et je comprends enfin que ce ne sont pas le beau et le brillant qui comptent réellement, c’est bien autre chose, qu’on ne maîtrise pas, qui ne se laisse voir que par le cœur et non pas par les yeux, poursuit Zoé avec conviction.
  • ‘On ne voit bien qu’avec le cœur’ confirme Zebediah, c’est une histoire connue !
  • Tout à coup quand, je t’ai vu, ça m’est apparu comme une évidence. Ca m’est arrivé aujourd’hui, c’est fou car je ne me doutais de rien jusqu’à ce moment précis… Pourtant de drôles de sentiments me traversaient pendant le trajet vers la gare, je pensais que c’était la joie de te revoir, ah oui ! c’était tellement plus fort ...
  • Et moi je me demandais dans le train si tu serais avec moi comme tu l’as toujours été, sympa mais sans plus ...
  • Nous avons perdu tellement de temps ….
  • Tous ces mois, tous ces jours et toutes ces heures, nous aurions pu les passer ensemble … nous ne les rattraperons jamais.
  • Inutile d’en perdre davantage ! Viens, quittons la gare, et partons conquérir Paris ! J’ai le cœur en fête, je ne veux pas rester sans bouger sur ce quai désert ! s’écrie Zebediah qui commence à délirer
  • Tu as raison, nous avons des ailes maintenant, profitons-en !

 

Zoé et Zebediah ramassent la valise et remontent en courant le quai jusqu’à son extrémité, puis décident d’aller prendre un thé à l’extérieur de la gare, pour prolonger le moment de leur rencontre, retarder leur retour à la réalité, et rester seuls tous les deux le plus longtemps possible, avant de rentrer chez eux. 

 

Ils s’éloignent de la gare et marchent sans but dans les rues et les boulevards, emplis du bonheur de se parler, oublieux du temps et de l’espace autour d’eux, de la nuit tombée, des phares qui les aveuglent et de la pluie fine qui petit à petit recouvre leurs cheveux.

 

Quand ils émergent de leur sidération, ils entrent dans un petit café et se réchauffent autour d’une tasse de thé, puis vont dîner dans un petit restaurant familial qu’ils croisent sur leur chemin. C’est une sorte de cantine, où on leur sert une soupe et du petit salé aux lentilles. Ils mangent le même repas sans même voir ce qu’il y a dans leur assiette, complètement absorbés l’un par l’autre et isolés dans leur bulle.

 

Zoé n’entend pas son téléphone vibrer toute la soirée, elle n’entend plus rien que la voix de Zebediah et elle réalise combien il lui a manqué depuis si longtemps. Zebediah ne se préoccupe pas davantage des appels qui pourraient lui parvenir, il dévore Zoé des yeux, et vérifie sans cesse qu’il est bien éveillé pour être certain qu’il n’est pas en train de rêver.

 

Dans un moment de lucidité, Zebediah sort un petit paquet de sa valise qu’il donne à Zoé. Lorsqu’elle l’ouvre, Zoé découvre les deux breloques en or qu’il a ramenées de Londres. Zebediah l’aide à accrocher le petit chien et le cœur à côté du chat, sur le bracelet que Zoé porte jour et nuit. Elle regarde son poignet avec bonheur et tend la main pour regarder l’effet produit, avant de se laisser aller contre Zebediah pour l’embrasser à nouveau et le remercier pour ce cadeau inattendu.

 

Lorsqu’ils se décident à émerger dans le monde réel, il est bien tard et la nuit est avancée. Zoé remarque enfin de nombreux sms et appels téléphoniques sur son portable. Comme elle ne veut pas interrompre la magie de l’instant, elle envoie un sms à Lucia pour lui expliquer qu’une chose merveilleuse s’est produite et qu’elle ne rentrera pas ce soir.

 

Ils finissent par arriver rue N. et grimpent l’escalier désert jusqu’au sixième étage, serrés l’un contre l’autre. Quand Zebediah ouvre la porte et pénètre chez lui, il ne voit pas les transformations apportées par Zoé, les couleurs qui ont changé, la petite plante que Zoé a rapportée, il attire Zoé vers lui et referme la porte doucement.

 

La minuterie s’éteint et l’escalier retombe dans le noir et le silence.

 

Derrière le rideau de sa cuisine, Eugénie qui ne pouvait pas dormir a vu le jeune couple traverser la cour et rentrer. Il ne lui a pas fallu longtemps pour comprendre de qui il s’agissait et un sourire complice a illuminé son visage en même temps qu’elle a poussé un soupir de soulagement.

 

Très tôt dès le lendemain matin, tout l’immeuble et tous les amis du Faitout Magique apprennent que Zoé est enfin amoureuse de Zebediah, ce dont personne ne doutait plus depuis des mois.

 

*

 

Evidemment le weekend ne se déroule pas du tout comme il était prévu. Zoé et Zebediah restent invisibles toute la journée du lendemain, mais tout le monde est au courant de ce qui est en train de se passer. Toutes les petites grands-mères chuchotent, et Eugénie maintient son dîner du samedi soir, sans Zoé et sans Zebediah, pour pouvoir parler de l’événement.

 

La conversation va bon train sur le seul sujet qui intéresse la petite communauté.

 

Dans l’après-midi, Auguste qui venait pour faire une surprise à Zoé, se voit barrer le chemin par un petit groupe qui monte la garde en bas de l’immeuble.

 

Evidemment, Auguste ressent l’affront comme une pique qu’on enfonce dans le cœur, car malgré son ambition et sa superficialité, il est réellement épris de Zoé. Il comprend néanmoins vite qu’il n’avait aucune chance, la petite armée de protection lui expliquant que la relation entre Zoé et Zebediah était une affaire depuis longtemps entendue, et attendue. Et cette idiote de Zoé n’avait jusque là rien compris à son destin, malgré les nombreuses allusions que ses chères grands-mères ne cessaient de faire. Enfin la lumière était faite et ce qui devait être se produisait, ce n’était que l’ordre normal des choses.

 

Auguste, dépité par cette franchise qui ne va pas dans son sens, a finalement été invité au dîner par Eugénie pour se faire consoler. La malicieuse Eugénie est absolument ravie que ce ‘freluquet’ se soit fait coiffer au poteau par le gentil Zebediah, elle trouve qu’Auguste est beaucoup trop prétentieux. Bien évidemment, Léontine est tout à fait d’accord avec Eugénie, ainsi que Sarah, Rose, Louis et Hassan et tous les amis du Faitout Magique.

 

Lucia est passée en coup de vent pendant l’après-midi en allant promener Peter, pour échanger avec Eugénie et se réjouir avec elle de ce qui arrive à Zoé et Zebediah.

 

Enfin, dimanche en fin de matinée, les amoureux sortent de leur cachette et apparaissent au grand jour, aussitôt entourés par leurs amis.

 

Ils font d’abord un arrêt chez Lucia et Zoé, où Peter et Manon retrouvent Zoé avec bonheur, puis une escale chez Eugénie qui offre l’apéritif à tous les membres du Faitout Magique qui se trouvent soudain réunis chez elle, comme par enchantement.

 

Comme Zebediah doit repartir le soir même pour Londres, Zoé et Zebediah sortent rapidement pour aller se balader tous les deux, mais promettent de revenir pour le thé avant le départ de Zebediah.

 

En fin de soirée, Zoé raccompagne Zebediah à la gare du Nord, tous les deux sont chavirés de devoir se quitter si vite. Enfin Zebediah ose avouer à Zoé ce qu’il a en tête depuis des jours.

 

  • Zoé, j’ai quelque chose à te dire, j’ai eu une grosse prime grâce à ce projet à Londres, je voudrais t’emmener à Athènes, je sais que tu en rêves, et on ira dîner au pied de l’Acropole et manger de la moussaka et du dakos et du portokalopita.
  • J’adorerai y aller avec toi ! mais pas question que tu paies, chacun paie sa part, je gagne ma vie maintenant.
  • C’est une grosse prime, je serais heureux de t’offrir ce voyage.
  • Tu m’as déjà fait un super cadeau avec ce bracelet et les deux nouvelles breloques, le petit chien et le cœur. Non, c’est dit, je paierai ma part. Mais oui, je serai trop heureuse qu’on aille en Grèce tous les deux.
  • Alors c’est d’accord, dis-moi tes dates, et j’organise tout.
  • C’est plutôt toi qui a des contraintes de dates avec ton travail.
  • La mission se terminera fin mars, on pourrait partir en avril.
  • Quelle bonne idée, j’ai trop hâte ! Avril c’est parfait. Quand reviendras-tu ?
  • Difficile avant fin mars, mais toi, tu peux venir à Londres …
  • Peut-être, je vais essayer …

 

Zoé ne peut accompagner Zebediah que jusqu’aux portiques de sécurité, la séparation est déchirante, ils n’arrivent pas à se quitter. Elle regarde longtemps le couloir où Zebediah a disparu avant de s’en retourner. Elle est encore sonnée par tout ce qui s’est passé pendant les dernières quarante huit heures, se demandant si elle a vraiment vécu ces moments incroyables, ou bien si elle va brusquement se réveiller et réaliser que ce n’était qu’un fantasme de son imagination.

 

Elle rentre lentement rue N. où elle sait qu’elle va retrouver la chaleur et l’amitié de ses amis, qui vont l’entourer et l’aider à surmonter le départ de Zebediah. Elle sait aussi qu’elle doit de toute urgence appeler Mamina qui attend cette nouvelle depuis des mois. Mais elle aimerait encore rester un peu seule avec ses souvenirs, goûter au bonheur de se remémorer les instants passés avec Zebediah, revivre ce qui n’est déjà plus, ressentir l’intensité de leur relation rien que pour elle. Alors elle traîne un peu dans les rues de Paris. A nouveau il fait nuit, elle n’a pas envie de rentrer déjà. Elle pense à Zebediah seul dans son train qui file à grande vitesse vers le tunnel sous la mer, vers les fumées de Londres, loin, beaucoup trop loin d’elle.

 

Maintenant qu’elle a un peu de temps pour réfléchir, elle ne comprend plus pourquoi elle n’avait rien vu, pourquoi elle a attendu si longtemps avant de comprendre, elle voudrait que le temps s’arrête et qu’elle puisse plonger dans l’introspection, ne penser qu’à elle et à lui.

 

  • Ce doit être ça l’amour, ça balaie tout, ça change absolument tout. Je ne suis plus dans la même dimension, je ne vois plus les choses comme avant, comment un tel bouleversement a-t-il pu se produire en moi en deux jours ? 

 

Zoé a besoin de solitude pour se retrouver avec elle-même. Mais elle réalise qu’elle ne peut pas continuer à être aussi égoïste, les autres comptent sur elle. Alors elle prend son téléphone, et y trouve évidemment un sms de Zebediah qui la fait sourire, mais elle le met de côté pour appeler sa grand-mère.

 

  • Allô Mamina !
  • Allô ma chérie, alors cette fois je crois que ça y est, tu as succombé ?
  • Quoi ? mais tu sais déjà tout ?
  • J’ai mes antennes ici, Ninon et Hassan se parlent via les réseaux sociaux. Tu sais que ces deux là, ma foi …
  • Mamina, tu es pire qu’une entremetteuse, maintenant que tu n’as plus à te préoccuper pour moi, c’est Ninon qui va être ta prochaine victime !
  • Je ne me trompe jamais sur ces histoires là, n’oublie pas que mon héroïne favorite est Emma !
  • Elle n’a pas toujours réussi !
  • Mais si ! à la fin tout rentre dans l’ordre, et toi tu as enfin compris ! c’est que tu étais têtue ! Comment va-t-il donc ce gentil jeune-homme qui a enfin conquis ton cœur ?
  • Mamina, tu es incorrigible ! il m’a offert un bracelet en or avec des breloques.
  • C’est tout ?
  • Et il m’a proposé que nous allions à Athènes manger de la moussaka au pied de l’Acropole, tu sais que c’est mon vieux rêve depuis longtemps.
  • Il a des bonnes idées ce garçon, et puis il est plein de délicatesse avec toi. Je crois décidément que je vais bien l’aimer.
  • Mamina !
  • Ma chérie, je suis rassurée, tout va bien pour toi. Je te laisse, je suis en train de regarder un film merveilleux, une comédie romantique anglaise comme je les aime tant ! pleine d’humour et de rebondissements.
  • Bonne soirée Mamina, amuse-toi bien. Je t’embrasse.
  • Moi aussi ma chérie, appelle-moi vite pour me donner des nouvelles.

 

Quand Zoé arrive à l’appartement, elle retrouve Peter et Manon qui la regardent, déconcertés par le changement qu’ils ressentent en elle. Lucia est là et l’accueille bras ouverts.

 

  • Amica mia ! che avventura tanta meravigliosa ! sono così felice per te ! vieni qua, che ti tengo tra le mie braccia[1]
  • C’est tellement incroyable ce qui m’est arrivé ! il me faut du temps pour réaliser.

 

Lucia serre Zoé dans ses bras.

 

  • Et toi, Lucia, as-tu connu une chose pareille ?
  • Tu sais, Giambattista et moi on se connait depuis l’enfance, on vient de la même vallée en Italie. Il n’y a que lui pour moi et moi pour lui depuis toujours. Et on a toujours su que ce serait comme çà. Un jour on se mariera, c’est écrit. Tu vois, elle est simple mon histoire ….
  • Au fond, la mienne est simple aussi.
  • Allora, je te propose qu’on aille au cinéma voir un film formidable.
  • Oui ?
  • Sabrina ! C’est l’histoire d’une fille qui a mis longtemps avant de comprendre qui elle aimait réellement ! Ca te dit quelque chose ? dit Lucia avec un sourire malicieux
  • Ne te moque pas, je suis en pleine tourment, je n’ai pas besoin d’avoir plus d’émotions.
  • Allora ? tu veux aller voir ce film génial ?
  • Quelle bonne idée, c’est tout à fait ce qu’il me fallait !
  • Andiamo ! La séance va bientôt commencer.
  • Et Peter ?
  • Non ti preoccupare, je l’ai sorti autant de fois qu’il a fallu pendant le weekend, va tutto bene per lui[2]
  • Grazie !
  • Prego signorina !

 

Zoé et Lucia attrapent leurs manteaux et leurs sacs et dévalent en riant l’escalier jusque dans la rue. Parfois, les choses ne sont pas aussi cruelles que l’on croit.

 

Zebediah, revenu quant à lui dans sa chambre sinistre à Londres, n’a pas la même chance, il a rouvert son ordinateur pour préparer la réunion du lendemain. Les choses sont cependant différentes maintenant, son cœur est empli du bonheur de savoir qu’enfin Zoé est à lui et les mots lui viennent tous seuls, pour la première fois depuis des mois.

 

*

 

Le mois de Février passe rapidement.

 

Auguste a trouvé le logiciel pour gérer la planification de rendez-vous et l’a installé sur le site du Faitout Magique, avec l’aide d’Antoinette. Pour elle, c’est désormais beaucoup plus facile de gérer le planning. Avec l’approbation du premier cercle, Auguste a également modifié le nom du site, qui est devenu Popina. Le Faitout Magique est resté la phrase accroche, mais pour les membres de la première heure, Popina sera toujours le Faitout Magique. Ce n’est pas de la résistance au changement, c’est juste une question de culture. Eugénie et Léontine ont fini par accepter après de nombreuses négociations que Popina soit plus mis en avant que le Faitout Magique.

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Auguste est fier de ses premières transformations, il sent qu’il a mis un pied dans l’affaire, et contrairement à ce qu’il pensait, il s’est laissé gagner par l’esprit collaboratif de l’équipe de Popina. Au lieu de penser en termes de réussite personnelle, il réalise qu’il a envie que chacun prenne sa place et que le succès soit celui du groupe. Bien sûr il songe encore à s’enrichir, mais d’autres pensées plus personnelles et sentimentales préoccupent désormais son esprit.

 

Après avoir assisté à plusieurs séances de défilés et d’essayages de la collection d’Olympe et Lucia, il a recommencé à s’intéresser à Olympe, elle-même toujours désespérée par l’abandon d’Alphonse.

 

La collection a bien avancé, Olympe et Lucia ont prototypé presque une vingtaine de modèles, la moitié d’entre eux sont déjà lancés en fabrication. Un premier exemplaire de la robe poivron jaune a été envoyé à Mrs Chipp-Martingale, comme elle l’avait demandé. Olympe a reçu en retour une photo de sa sponsor vêtue de la robe fétiche, mais portée avec des escarpins noirs et un invraisemblable chapeau anthracite à plumes d’autruches violettes.

 

  • Mais quel mauvais goût a cette femme ! elle ne sait pas s’habiller, bien qu’elle en ait les moyens. Mais regarde-moi cet assemblage de couleurs plus criardes les unes que les autres ! dit Olympe, dégoûtée, en voyant le collier de grosses perles rondes et plates de toutes les couleurs de l’arc en ciel que Mrs Chipp-Martingale ose afficher autour de son cou. Sans parler de la masse de bracelets de toutes formes et toutes matières qu’elle accumule autour de ses poignets, ni de la collection d’énormes bagues moches qu’elle porte en permanence aux doigts.

 

Mais le plus révoltant pour Olympe, c’est le retour de Paolo, le créateur en manque d’inspiration. Quand Paolo a vu l’avancement et la qualité de la collection d’Olympe et Lucia, il a aussitôt imaginé un scénario peu recommandable pour s’approprier la paternité de la collection. Il est allé directement à Londres pour se plaindre et se faire consoler par la sponsor. Mrs Chipp-Martingale s’est naturellement rapidement laissée convaincre par le bel italien qui a su trouver les mots auxquels elle est sensible. 

 

En deux jours, Olympe a failli se retrouver sans collection, sans travail et sans moyens. Heureusement, Auguste est intervenu auprès de Mrs Chipp-Martingale pour lui expliquer la vérité au sujet de Paolo, et surtout pour lui indiquer qu’il existait des preuves du travail d’Olympe, qu’il saurait mettre en avant le cas échéant devant un avocat. La sponsor sait bien au fond d’elle de quoi Paolo est capable et coupable. Mais elle finit toujours par céder à ses arguments, parce qu’il est un homme, italien de surcroît, qu’il adore la flatter et surtout qu’elle adore être flattée. 

 

Sous l’amicale pression d’Auguste, Mrs Chipp-Martingale a accepté qu’Olympe termine la collection et qu’elle la signe, mais par la suite, c’est Paolo qui la reprendra à son compte et la vendra dans sa boutique-atelier. Olympe touchera une prime sur chacun des modèles vendus, mais se retrouvera sans emploi une fois la collection terminée.

 

  • Je savais que ça se terminerait mal avec Paolo et Mrs Chipp-Martingale, dit Olympe à Auguste. Ils ne sont intéressés que par l’argent. La beauté d’une robe ou d’une paire de chaussures ne les atteint pas, ils y sont totalement hermétiques. Enfin, je dis ça, mais Paolo est créateur, il doit tout de même être sensible à l’esthétisme, et pourtant j’en doute…
  • Je crois qu’après ta collection, quand tu n’auras plus de travail, tu pourras créer une branche couture au sein de Popina, répond Auguste. Avec notre nouveau nom, c’est beaucoup plus facile d’ajouter une activité différente de la cuisine. On pourrait même coupler Consutum à Popjna, Consutum ça veut dire ouvrage de couture. Tu vois, Popina et Consutum ! c’est classe non ? Auguste est ravi de sa trouvaille !
  • Tu crois que Zoé et Louis qui me détestent voudront m’associer à leur cher Faitout Maléfique ? je ne crois pas, non.
  • Mais bien sûr que si ! Zoé ne rêve que de faire des synergies avec tout le monde ! dès qu’elle peut elle mélange, elle mixe, elle crée. Tu devras te montrer collaborative avec elle cependant. Et tu sais elle ne te déteste pas du tout, elle ne te supporte pas, c’est tout et c’est très différent.
  • Tu penses que j’arriverai à me réconcilier avec Zoé, avec mon mauvais caractère ?
  • Si tu fais des efforts, elle craquera c’est sûr. Tu t’es déjà beaucoup améliorée je trouve.
  • Vraiment ?
  • Tu as compris que tu avais un caractère abominable !
  • Hey ! toi tu n’as pas le droit de dire ça, regarde toi Monsieur l’ambitieux, tu crois que tu vaux mieux que moi ? je peux t’assurer que non.

 

Tout en se parlant aussi franchement, Olympe et Auguste se sont rapprochés subrepticement, et les choses étant ce qu’elles sont, ils ont soudain éprouvé un besoin impérieux de se jeter dans les bras l’un de l’autre, Auguste a attrapé Olympe et Olympe s’est jetée à son cou.

 

  • Cette fois, tu as intérêt à me garder, dit Olympe en menaçant Auguste avec ses poings.
  • Mais bien sûr, répond Auguste en éclatant de rire. Là je suis bien tranquille, je ne vais pas te perdre de sitôt,
  • Je ne crois pas non, confirme Olympe, bien décidée à reconquérir son ancien petit ami définitivement après son échec avec Alphonse et à se tenir à faible distance pour surveiller ses faits et gestes.

 

Olympe et Auguste, tous deux peu scrupuleux, se sont finalement bien rencontrés. Un soir, Zoé les a surpris enlacés dans l’atelier en apportant des patrons de Lucia à Olympe. Et comme ils se sont vite séparés de leur étreinte d’un air coupable, elle a aussitôt compris qu’ils s’étaient consolés tous deux de leurs échecs amoureux.

 

  • Mais s’aiment-ils vraiment ? Peu importe, ce sont des gens qui s’aiment tant eux-mêmes qu’ils n’ont pas besoin d’aimer quelqu’un d’autre, ni que quelqu’un d’autre les aime. Ils iront bien ensemble, maintenant qu’Auguste ne méprise plus Olympe. Ce ne sont pas des gens qui éprouvent de l’empathie pour les autres.

 

Tous les soirs, Zoé et Zebediah échangent des centaines de sms. Ce soir-là, Zoé raconte à Zebediah ce qu’elle a vu dans l’atelier de couture. ‘Ils ont trouvé chaussure à leur pied’ répond Zebediah, ‘qui pourrait les en blâmer ? Et pour une styliste c’est la moindre des choses !’ ‘Hey, répond Zoé, est-ce que l’humour britannique déteint sur toi ?’

 

Alphonse commence lui aussi à envoyer des sms et des photos de son périple en Australie à tous ses amis. Il précise qu’il continue l’aventure commencée en Patagonie, le tour du monde sur le 37ème parallèle sud, sur les traces des enfants du capitaine Grant. Il lui manquera l’étape en  Nouvelle Zélande pour boucler le voyage, il y fera une escale plus tard.

 

Ninon est venue passer une semaine à Paris. Lumineuse comme Zoé, elle a enchanté les amis de sa sœur et retrouvé Hassan avec qui elle a passé le plus clair de son temps. Ensemble ils ont visité Paris de long en large et profité des balbutiements du printemps dans la capitale pour s’émerveiller de la moindre petite découverte faite ensemble.

 

Zoé a enfin organisé la visioconférence entre Mamina, Eugénie et Léontine. Les petites grands-mères ont été ravies de se connaître enfin et communiquent désormais par téléphone presque tous les jours, à l’insu de Zoé et de Ninon. Recettes de cuisine, histoires amusantes et comptes rendus des activités de Zoé, Ninon et Hassan constituent leurs sujets de conversations favoris.

 

Dans les jardins ouvriers, Agathe est venue discuter longuement avec Gustave et Honoré. Elle veut se convaincre que le Faitout Magique n’est pas un échec, contrairement à ce qu’elle a toujours pensé. Après un échange difficile où elle a eu besoin de toute l’argumentation de ses amis pour la faire changer d’avis, Agathe a décidé de participer elle-aussi à l’approvisionnement en fournissant ses fameux bocaux de cornichons et des œufs frais.

 

Cezary avait monté un club de joueurs de jeux vidéos, et il passait toutes ses nuits avec ses amis internautes à conquérir des mondes, détruire des monstres et faire d’interminables parties de football. Heureusement, avant qu’il ne devienne un no life, Marie Christine a mis fin à l’addiction et renvoyé tous les geeks chez eux. Alors pour Cezary désormais, la vie c’est métro, boulot, dodo. Parfois, Zoé et Cezary font de petites escapades chez Saïd et Violette pour une soirée en souvenir du bon vieux temps chez WorkInsert. C’est l’occasion de se revoir et de passer un moment ensemble, mais pas ils ne sentent pas au complet sans Alphonse.

 

Violette s’arrondit. Saïd préfère qu’elle ne serve pas en salle pour ne pas mettre en danger sa grossesse, aussi s’ennuie-t-elle à nouveau sans rien faire. Elle reste des heures assise derrière le comptoir à peaufiner le site du restaurant et à chercher des prénoms pour son futur bébé. Elle échange aussi beaucoup de messages avec Alphonse qui décrit abondamment ses aventures et les illustre de milliers de photos. Cette fois son expédition semble se dérouler normalement, pas d’accident de car en vue. Violette coincée derrière son ordinateur toute la journée, voyage avec lui par procuration et se surprend à rêver elle aussi de grands espaces et de forêts vierges, tandis qu’elle caresse d’une main distraite son ventre rebondi où le bébé remue.

 

Antoinette et Zoé passent du temps ensemble sur le site internet qui concentre toute la quintessence de Popina, ses membres, ses clients, ses recettes, ses secrets. Elles devisent longuement tous les jours sur tous les sujets qui leur passent par la tête, tout en vérifiant la bonne planification des rendez-vous. Mbamoussa passe de temps en temps pour prendre connaissance des dernières nouveautés. Antoinette a avoué à Zoé que les relations s’arrangent entre Louis et son fils. Celui-ci a besoin d’une figure paternelle et il voudrait passer davantage de temps avec Louis qui a retrouvé sa stature de leader. Même sa fille qui semble avoir été la plus méprisante cherche aussi désormais le contact.

 

  • Louis, c’est comme un colosse qui serait tombé et qui se serait relevé à la force de ses poignets, dit Zoé légèrement rêveuse quand elle retrace dans sa tête tout le chemin qu’elle et Louis ont suivi pour bâtir le Faitout Magique, et tout ce que cette simple idée au départ a drainé, tous ces gens qui se connaissent désormais, qui travaillent ensemble, qui sont solidaires quel que soit l’événement qui se produit, une véritable famille qui s’est trouvée et rassemblée par hasard et par nécessité.
  • Même s’il semble invincible aujourd’hui, si on gratte un peu la carapace dure, on trouve un cœur sensible et qui a souffert, poursuit Antoinette.
  • Grâce à toi Antoinette, je crois, il s’est merveilleusement sorti de sa solitude.
  • Mais non Zoé, c’est toi qui l’a aidé au départ, et si tu ne l’avais pas enrôlé dans ton initiative, on ne serait pas là aujourd’hui.
  • Peut-être, mais toi tu as assuré la suite ! Incroyable tout ça quand on regarde les choses a posteriori, c’est vrai, c’était impossible à imaginer. Comme quoi avec un peu de bonne volonté, on arrive à faire des choses bien.
  • Oui, mais là tu oublies le talent de Louis.
  • Non, je ne l’oublie pas. Surtout je n’oublie pas que tous nos amis ont du talent et qu’ils savent le mettre au service du Faitout Magique, c’est ça le secret !
  • Mais oui ! Au fait, je change de sujet mais j’avais oublié de te le dire. Louis est devenu le représentant légal de Badou, puisqu’il est mineur. Il va pouvoir aller à l’école maintenant que les premières démarches ont été réalisées. Marceline veut absolument qu’il reste chez elle, elle dit qu’il a besoin d’une grande famille autour de lui pour réparer les blessures de tout ce qu’il a subi. Et apparemment lui et Mbamoussa sont devenus une paire d’amis, presque des frères.
  • Tu te rends compte, ce bout de garçon qui faisait la manche sur le trottoir il y a encore si peu de temps, demain va aller à l’école, c’est trop bien. Oui, je serai éternellement reconnaissante à Louis pour tout ce qu’il a fait pour Hassan et Badou.
  • Eh bien vous faites une sacrée paire tous les deux ! Bien trop modestes pour tout ce que vous faites.
  • Arrête de te moquer Antoinette, on n’est pas mieux que les autres !
  • Je ne dirais pas tout à fait ça.
  • Tiens, au fait, moi aussi j’ai une nouvelle à t’annoncer. Olympe et Lucia veulent faire un buffet pour le lancement de la collection de couture. Leur griffe, ce sera Olymcia, une sorte de mix entre leurs deux prénoms. Finalement Lucia a accepté que son nom apparaisse, Olympe a beaucoup insisté. Donc elles vont faire appel au Faitout Magique, pardon à Popina, pour cet événement. tu te rends compte, on va faire traiteur maintenant !
  • Sans compter qu’Olympe veut qu’on ouvre une branche couture juste après chez Popina.   
  • Auguste a déposé le nom de la marque Olymcia, ainsi Paolo et Mrs Chipp-Martingale ne pourront pas le réutiliser sans faire appel à Olympe. Tout ça me fait un peu peur, dit Zoé, j’ai l’impression qu’on commence à partir dans tous les sens.
  • Ne t’inquiète pas, tu as des as aux commandes entre Louis et Auguste, et s’il faut Zebediah donnera bien un coup de main.
  • Et nous les filles, on compte pour du beurre ?

 

Antoinette éclate de rire et Zoé la suit. Toutes les deux s’esclaffent encore quand Louis arrive et les surprend en pleine hilarité.

 

  • Hey ! les filles, racontez-moi tout ! qu’est-ce qui vous amuse autant ?
  • Des bêtises de filles, Louis, tu ne pourrais pas comprendre !
  • Ah bon, tant pis, j’aurais bien aimé rire moi aussi ! 
  • C’est sans importance, on se moquait encore d’Olympe qui veut faire un buffet pour lancer sa collection, alors que ses créations seront aussitôt reprises et vendues par ce traître de Paolo.
  • C’est ça qui vous faisait tant rire, dit Louis d’un air dubitatif, je n’y crois pas une seconde. Et vous savez qu’Olympe et Lucia toucheront une partie des bénéfices sur leur collection grâce aux démarches d’Auguste. Alors ce n’est pas si drôle ...
  • Et pourtant si ! C’est pour ça qu’on t’a dit que c’est un truc de filles.
  • Je vois. Bon, si on se mettait au travail ?
  • D’accord.

 

Fini de rire. Aussitôt calmées, Zoé et Antoinette se replongent dans leurs tâches quotidiennes tandis que Louis s’attaque au suivi de la comptabilité d’un air bougon.

 

  • Oh, Louis, arrête de bouder, dit Antoinette, je vais faire du thé pour te rendre ta bonne humeur.

 

Un quart d’heure après, le trio se retrouve autour d’une tasse du breuvage brûlant. Toute animosité envolée, ils imaginent la scène autour du buffet de la collection d’Olymcia, et Louis se tord de rire tout autant qu’Antoinette et Zoé.

 

[1] Mon amie ! Quelle aventure merveilleuse, je suis si heureuse pour toi ! Viens là, que je te prenne dans mes bras !

[2] Tout va bien pour lui.

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