— Rappelez-vous : personne d'autres que nous ne doit savoir ce que nous avons découvert, murmura Aurora Illys, la directrice du centre de recherches Génésis.
Le commandant Scyprus hocha la tête.
— Shayn est consigné dans ses quartiers. Il n’y a que moi qui peut y entrer. Quand on me posera des questions, je dirais qu’il est malade.
— Très bien.
L'homme au crâne rasé soupira et regarda autour de lui. Sa compagne et lui descendaient les escaliers depuis son bureau, pour atteindre l’atrium. Dans cet espace circulaire, à neuvième niveau de la station, se trouvaient le Portail. L'artefact de métal sculpté formait une arche au fond de la pièce. Une lumière bleutée circulaient dans les circonvolutions gravées sur son pourtour et l'atmosphère en son centre donnait l'impression d'onduler alors que le portail s’activait.
— Je n'en reviens pas de ce qu'il a fait, reprit le chef de la sécurité.
— Qu'il nous ait menti ? Je comprends que vous le preniez mal. D'un autre côté si ce qu'il a dit est vrai, peut-on l'en blâmer ?
— Vous n'allez pas le défendre ?
— Il a été plus que serviable dans notre enquête. Il nous a donné accès à tous ses logs de communication cachée et à tous ses dossiers.
— Ne soyez pas naïve, rétorqua le chef de la sécurité. il a pu cacher bien des choses. C’est un traitre, mais il est loin d’être stupide.
— C'est vrai. Mais je ne suis pas naïve au contraire de ce que vous pensez. Je sais que ce qu'il a dit pourrait être vrai. Epsilon Sigma n'est pas une corporation qui recule devant le vol ou l'espionnage.
— Alors qu'allez-vous faire ?
— Je vais me renseigner d’abord. Et après j’aviserai.
Une fois arrivée au bas des escaliers, Aurora fit face au commandant. Elle remonta ses lunettes sur son nez et posa son regard brun acéré sur lui.
— Quant à vous, commandant, ne jetez pas aux orties cinq ans de camaraderie pour une action que vous auriez vous-même accompli si la situation avait été inversée.
Trevor grimaça, mais hocha la tête. Aurora sourit.
— Portail activé, annonça dans le haut-parleur le technicien de service dans la salle de contrôle.
— A dans une semaine, commandant. Tâchez de ne pas faire de dégâts en mon absence.
— Aucune promesse, répondit Trevor avec un clin d'oeil.
Aurora lâcha un petit rire, puis se détourna et alla jusqu'au couloir de subespace stabilisé qui attendait dans un scintillement lumineux et y disparut. Trevor remonta les escaliers, en ressassant les dernières paroles de la directrice.
Le souffle le heurta de plein fouet et il s'affala sur le palier qu'il venait d'atteindre, le souffle coupé. Une fumée âcre et lourde montait autour de lui. Un sifflement envahit ses oreilles et il cligna des yeux pour stopper les éclairs de lumière qui brouillait sa vision.
Les sirènes stridentes, les hurlements et les cris traversaient son champ de conscience cotonneux, mêlés à des bruits de chute et à des craquements métalliques inquiétants.
Il se redressa sur les coudes et porta le regard vers l’atrium : là où s'était entrelacé une arche fine et délicate ne subsistait plus que deux piliers en partie fondus. La passerelle qui le surplombait était fracassée et pendait lamentablement de chaque côté. Des morceaux du sol avaient été soulevés et celui de la passerelle qui contournait la salle, un étage plus haut, s'était affaissé par endroit. Les volets de protections étaient en train de recouvrir la verrière renforcée que le souffle de l’explosion avait craquelée.
Il sentit une main se poser sur son dos. Il leva les yeux et aperçut le visage de Talla qui l'observait d'un air inquiet. Il s'accrocha à son épaule et elle l'aida à se lever.
— ça va ? questionna-t-elle, de sa voix grave.
Trevor toussa.
— ça va, parvint-il à répondre entre deux quintes de toux. Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Le portail a explosé.
— C'est impossible.
La jeune femme haussa un sourcil. Son visage barbouillé de cendres et de poussière faisait ressortir ses tartouillages bleutés et soulignaient qu'elle avait été au beau milieu du chaos.
Le chaos, c'était le mot, réalisa Trevor en observant autour de lui. Des blessés assis sur le sol, regardaient dans le vide d'un air choqué. Des hommes et des femmes, aux uniformes déchirés, s'efforçaient de soulever des morceaux de composite sous lesquels étaient coincés leurs collègues. D'autres marchaient dans la fumée épaisse sans but et sans conscience. D'autres encore étaient recroquevillés sur le sol et pleuraient ou criaient.
Trevor grimpa les escaliers et rejoignit la salle de contrôle, miraculeusement préservée du plus gros des dégâts. Neal s'agitait derrière la console principale. Quelques égratignures ornaient son visage, mais il était alerte.
Lorsqu'il aperçut Trevor, une expression de soulagement traversa son visage. Le cœur du commandant battit plus vite à cette vue.
— Commandant, que le Cosmologue soit loué.
— Votre rapport, docteur.
— Le portail est totalement détruit, comme vous le savez. Nous ne savons pas pourquoi. Nous essayons de déterminer les dégâts, la réseau est instable. On a des blessés un peu partout et certains sont prisonniers des décombres.
— Les communications fonctionnent ?
— Oui, mais elles sont intermittentes. Isidore y travaille.
Trevor jeta un coup d'oeil au technicien à la barbe blonde qui s'échinait à réparer les circuits endommagés du système de communication, au fond de la salle.
Il activa sa radio.
— A toutes les forces de sécurité, appela-t-il.
Les réponses lui vinrent les unes après les autres. Il ne savait pas exactement qui répondait présent, mais il n'avait pas le temps de s'en préoccuper pour l'instant.
— Organisez les secours, avec tous les hommes disponibles et en état. Talla coordonnera les opérations.
Puis, il bascula sur le canal de l'infirmerie.
— Docteur Scyllae, vous avez entendu ?
— Nous sommes en route, répondit-elle aussitôt.
— Talla, fit-il.
La chasseresse hocha la tête et quitta la salle de contrôle.
— Si les dégâts sont cantonnés ici, on a eu de la chance, fit Trevor.
Neal secoua la tête.
— ça m’étonnerait. Le conduit énergétique qui alimente la porte descend jusqu’au niveau 1 ; il y a de gros risques que des dysfonctionnements en cascade aient pu faire de gros dégâts tout le long.
Soudain, les lumières clignotèrent et une alarme rugit. Une alerte s’afficha en grand au milieu de l'écran holographique principal, qui fluctuait grandement. Neal bondit et d'un geste adroit, désactiva la sonnerie stridente et observa le message d'erreur.
— Merde ! lâcha-t-il.
— Quoi ? fit Trevor en le rejoignant.
— Le générateur principal dysfonctionne. L'explosion a provoqué de gros dégâts sur les conduits énergétiques. Une boucle de rétroaction est en train de renvoyer de l’énergie dans les piles à combustibles. Elles risquent la surcharge.
Soudain, l'une des consoles près d'eux se mit à étinceler d'une lueur blanche, alors qu'une éclair rampait à sa surface. Une femme fut touchée et elle s'effondra dans un gémissement. L'un de ses collègues se précipita vers elle et activa sa radio pour demander un soigneur.
— Il faut le réparer.
— On a besoin de Shayn pour ça.
— Je suis certain que vous en savez autant que lui ...
Neal secoua la tête.
— C'est lui qui a créé l'interface qui permet à notre technologie d’interagir avec celle des Fondateurs, il connait mieux le système que tout le monde et il saura trouver des solutions plus rapidement. On a besoin de lui.
Trevor grogna.
— Il va adorer ça.