Pizza et dessert

Par Dédé

— Adrien, je n'ai pas osé te demander jusqu'à présent mais comment tu trouves la psy ?

— Tu veux qu'on commande le dessert ?

— Comment tu trouves la psy ?

— Comment ça ? Physiquement, tu veux dire ?

— Non... D'un point de vue professionnel. Tu crois qu'elle est douée dans ce qu'elle fait ?

— C'est une bonne question.

— Bonne question qui a une bonne réponse ?

— Eh bien, je dirais qu'elle essaie de faire au mieux. Difficile d'en dire autant des autres charlatans que j'ai déjà consultés...

— Tu as beaucoup consulté, Adrien ?

— Mes parents m'ont même emmené voir un pizzaïolo qui se prenait pour un fin psychologue, persuadé qu'il pouvait faire disparaître ma dilemmite aigüe, c'est pour te dire...

— Faire disparaître ta dilemmite avec quoi ? Une pizza quatre fromages ?

— Si seulement... Il a convaincu mes parents que travailler dans sa pizzeria gratuitement était la solution parfaite à mon problème.

— Je ne vois pas en quoi ça a pu t'aider...

— Mais ça ne m'a pas aidé, justement ! Mes parents étaient les seuls à ne pas le comprendre et je n'étais qu'un ado à l'époque, alors mon avis... On s'en fichait bien !

— Je vois... Pauvre de toi...

— Enfin, je me plains beaucoup mais tu as quand même perdu la mémoire... A côté, ce que j'ai vécu, ce n'est pas grand chose.

— Je crois qu'un pizzaïolo se faisant passer pour un psy dans le but de me faire travailler gratuitement, ça m'aurait traumatisée aussi.

— Vraiment ?

— A vrai dire, et je ne pensais jamais dire ça un jour, je préfère mon amnésie à ton pizzaïolo...

— Vraiment ?

— Tu veux qu'on commande le dessert ?

— Je ne sais pas...

— Tu vas me trouver folle mais des fois, je me dis que c'est bien de ne pas savoir...

— Ah oui ?

— Toi, par exemple, tu n'aimerais pas avoir la possibilité d'oublier ce psy à pizzas ?

— Je n'y ai jamais réfléchi... Quel dilemme !

— Oups, pardon... Je suis désolée, Adrien... Je ne voudrais surtout pas que tu fasses une crise de panique lors de notre premier rendez-v... euh... je ne voudrais surtout pas que tu fasses une crise de panique !

— Oublions les dilemmes, si tu veux bien.

— Je le veux !

— En parlant de vœux, tu as des nouvelles de ce curieux prétendu mari ?

— Pas depuis qu'il a voulu m'intimider avant que j'aille chez le psy... D'ailleurs, je lui ai bien dit que je ne voulais plus jamais le revoir. J'imagine que le message a été bien reçu.

— J'espère pour toi, mais...

— Mais ?

— Tu n'es pas un peu curieuse de savoir s'il dit vrai ?

— A quel sujet ?

— A propos de ton mariage, de toi...

— J'en sais rien et je m'en fiche. J'ai récemment décidé que l'important, c'est ce qui se passe aujourd'hui, demain et tous les jours qui suivront... Ce qui s'est passé hier et tous les jours qui ont précédé ne comptent plus. La preuve, je ne m'en souviens pas ! Si c'était vraiment important, je n'aurais jamais pu l'oublier, non ?

— Mmmmh... ça se tient, en effet.

— Tu veux qu'on commande le dessert, Adrien ?

— Il faudrait peut-être qu'on y pense si on ne veut pas passer la nuit dans ce restaurant.

— Peut-être bien...

— Tu abandonnes donc la recherche de ton nom, si je comprends bien ?

— A l'heure actuelle, j'ai décidé que je m'appelais Jane. Ça me suffit.

— Oh ! Jane... C'est le prénom que je t'avais donné, non ?

— Oui ! Et quand la psy m'a demandé de dire le premier nom qui me passait par la tête, je me suis dit que Jane, ça sonnait pas si mal... Je ne pense pas que ce soit mon vrai nom mais qui a dit qu'un nom se devait d'être vrai, après tout ?

— Je ne devrais peut-être pas... mais... je... je suis flatté que tu aies gardé le prénom, Jane...

— Comme quoi, tu es l'une de mes premières bonnes rencontres depuis mon amnésie. M'inspirer mon prénom, jamais personne n'avait fait quelque chose d'aussi important pour moi...

— Tu sais, si aujourd'hui, je ne regrette pas de consulter ma psy, c'est seulement parce que je sais que c'est grâce à cette salle d'attente que j'ai pu faire ta connaissance...

— Heureusement qu'aujourd'hui, on s'est vus en dehors de la salle d'attente. Entre toi et moi, Adrien, qu'est-ce que je n'en peux plus de cette tapisserie immonde ! J'ai envie de l'enlever et de la remplacer moi-même...

— Je ne sais pas si tu as remarqué mais la tapisserie de ce restaurant n'est guère mieux.

— Des signes chinois en feu avec des bébés ninjas enragés...

— De nos jours, les gens ont des goûts plus que douteux en matière de tapisserie.

— Au moins, celle-là ne me donne pas envie de m'arracher les yeux, c'est déjà ça.

— Je ne devrais pas t'avouer ça, Jane, mais ces bébés ninjas me font un peu peur.

— Vraiment ?

— Je crains d'en cauchemarder cette nuit...

— Oh ! Non ! Il ne faut pas cauchemarder de ces choses-là.

— Tu fais partie de ceux qui croient qu'un bébé est mignon quoiqu'il arrive ?

— A vrai dire, je ne m'en souviens plus...

— Ah oui ! J'avais oublié que tu avais tout oublié...

— C'est pas grave.

— C'est que... On dirait pas que tu es amnésique, surtout depuis que tu as décidé de te réinventer par toi-même.

— Une bonne résolution pour bien commencer l'année !

— Mais...euh...Jane... on est en juillet !

— Oh ! Évidemment, c'est ce que je voulais dire... On commande le dessert ?

— Tu avais oublié quel jour on était, hein ?

— Ce genre de choses m'arrive de temps en temps mais ça revient.

— Tant que ça revient...

— Tu t'inquiètes pour moi, Adrien ?

— Bah...euh... c'est qu'on ne sait pas ce qui a causé ton amnésie, si c'est grave... Enfin... tu ne me l'as jamais dit en tout cas... Et oui, j'ai donc un peu peur pour toi...

— C'est mignon.

— Oh non, c'est... euh non rien...

— Quoi ? Tu allais dire quoi ?

— Rien... Vraiment.

— Adrien, dis-moi ! D'autant que je me souvienne, je n'ai jamais mordu personne. Tu n'as aucune raison de rougir de la sorte.

— Disons que... euh... c'est toi que je trouve mignonne, voilà...

— Oh ! Quel joli compliment tu me fais là !

— Je vois que c'est à ton tour de rougir.

— Je ne savais pas que je pouvais rougir. C'est ce qu'il y a de bien avec l'amnésie : on en apprend tous les jours un peu plus sur soi-même.

— On commande le dessert ?

— Je ne sais pas si j'ai faim... Il se fait tard, non ?

— J'ai l'impression que les bébés ninjas de la tapisserie me fixent du regard. J'essaie d'en faire abstraction mais c'est mission impossible.

— Tu veux qu'on s'en aille ?

— Sans prendre de dessert ?

— Pourquoi pas, soyons fous !

— Tu mets une grosse responsabilité sur mes épaules, tu sais...

— Oh... Pardon, encore une fois... Décidément, je ne fais pas exprès d'oublier ta dilemmite...

— C'est un peu comme moi avec ton amnésie !

— Tout à fait.

— Je sais que je ne devrais pas te dire ça mais...

— Mais quoi ? Adrien, tu peux tout me dire, tu sais.

— Tu es sûre ?

— Certaine !

— Je... Je... J'ai... Euh... J'ai un peu envie de t'embrasser...

— Ah bon ?

— Oui... Oh ! Désolé... Je n'aurais jamais dû dire ça...

— Un peu ? Tu en as un peu envie seulement ?

— Oui... Un peu, pour l'instant.

— On va attendre que tu en aies beaucoup envie alors

— Et si on commandait enfin le dessert ?

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