— Pourquoi venez-vous me voir, vous dites ?
— J'ai oublié mon nom, madame la psy...
— Que votre nom ?
— Non, mais oublier son nom, c'est fâcheux...
— En effet.
— Vous pouvez m'aider ?
— C'est ce que nous allons voir. Pensez-vous avoir vraiment perdu votre nom ou est-ce possible que vous l'ayez juste sur le bout de la langue ?
— Je n'ai rien sur le bout de la langue, je peux vous l'assurer.
— Dommage, cela nous aurait été utile.
— Vous pensez que je ne le retrouverais jamais ?
— Quoi donc ?
— Bah, mon nom...
— Oh ! Vous savez ce qu'on dit dans le pire des cas : un de perdu, dix de retrouvés !
— C'est valable pour les noms ?
— Bien sûr !
— Je l'ignorais.
— D'où votre présence dans mon cabinet. Je suis là pour vous éclairer, n'est-ce pas ?
— Tout à fait, madame.
— Je vais vous extirper de l'obscurité et vous ramener dans la lumière, la lumière du savoir.
— J'ignorais que le savoir était lumineux, madame.
— Le savoir en a ébloui plus d'un, vous savez !
— C'est pour ça que les gens deviennent aveugles ?
— Entre autres, mais on s'éloigne du sujet qui nous préoccupe.
— Lequel ?
— Bah, votre nom...
— Ah oui ! C'est vrai ! Des fois, j'oublie que j'ai oublié...
— Diriez-vous que vous êtes amnésique ?
— Je pense que oui.
— Vous pensez ou vous êtes sûre ?
— Je pense que je suis sûre.
— D'accord. Voulez-vous vous prêter à une petite expérience ?
— Euh... ça dépend. C'est dangereux ?
— Vous ne risquez rien. Et puis, je vous rappelle que vous n'avez rien à perdre.
— C'est vrai. Alors, d'accord !
— Je vais vous montrer plusieurs images et vous allez me dire ce que vous voyez. Plutôt simple, non ?
— Normalement, ça devrait aller...
— C'est parti ! Voici la première image. Que voyez-vous ?
— Des tâches noires sur une page blanche ?
— Mais encore ?
— Une page blanche sur des tâches noires ?
— Rien de plus ?
— Madame, je suis sensée voir quoi dans ces images au juste ?
— Si je vous le dis, ça ne vous aidera pas à retrouver votre nom.
— Ah...
— Vous voyez vraiment rien ?
— Rien de précis, en tout cas.
— Auriez-vous par hasard des problèmes de vue ?
— Pas à ma connaissance, madame.
— Alors concentrez-vous.
— Oui, madame...
— Je reprends : que voyez-vous ?
— Une girafe à lunettes avec une hache à la main.
— Une girafe avec des mains ?
— Ça m'étonne aussi mais c'est ce que je vois...
— D'accord. Je note...
— C'est grave, docteur ?
— Rien n'est grave. Continuons... Que voyez-vous sur cette image ?
— Une horde de chauves-souris cannibales.
— Diriez-vous que vous êtes obsédée par le cannibalisme ?
— Oh non ! Pas vraiment, madame.
— Pas vraiment ou pas du tout.
— Pas du tout, madame.
— C'est noté. Et ici, que voyez-vous ?
— Une cabane sur un arc-en-ciel.
— Que c'est beau !
— Vous trouvez ?
— Oui ! Mais je suis très émotive, je ne suis peut-être pas objective.
— C'est pas un peu embêtant pour une psy ?
— Moins embêtant que ce que l'on peut croire.
— Tant mieux !
— Mmmmh...
— Notre expérience a-t-elle été concluante ?
— D'après mes premières analyses, je peux vous dire qu'on est sur la bonne voie. J'ai eu un aperçu du fin fond de votre esprit et c'est très encourageant.
— Vraiment ?
— Vraiment ! Et maintenant, je vais vous poser une simple question ? Juste par curiosité, quel est le premier nom qui vous vient à l'esprit ?
— Le premier ?
— Oui, celui avant le deuxième.
— Quelle question difficile !
— Pensez prénom ! Et pensez vite !
— Euh... Jane !
— Jane ?
— Oui, Jane...
— Intéressant...
— Vous croyez que ça peut être mon vrai prénom ?
— C'est une piste sérieuse à creuser.
— Quelle bonne nouvelle !
— On peut dire ça.
— Dites, vous croyez que je suis influençable ?
— Pourquoi me demandez-vous ça ?
— Un homme prétend être mon mari et un autre m'a appelé Jane tout à l'heure dans votre salle d'attente...
— Pour le prénom Jane, la coïncidence est vraiment troublante...
— Vous croyez ?
— Pas vous ? Pourtant, tout est clair.
— J'ai des doutes, madame.
— Vous êtes une sceptique, à ce que je vois.
— Visiblement...
— Le prénom Jane, vous l'acceptez ou pas ?
— C'est aussi simple que ça ?
— De mon point de vue, oui.
— Je vais y réfléchir, madame...
— Et réfléchissez bien, Jane ! La lumière est à portée de main. Tout dépend de vous. Vous n'avez que quatre mots à dire : «Je m'appelle Jane !». C'est aussi simple que ça. Et soyez rassurée : il n'y a pas de pièges...