« À tous les passagers et passagères du vol V478, l'embarquement est imminent. Nous vous invitons à vous diriger vers le portail correspondant, muni de votre billet et de votre pièce d'identité. »
- Ça va, tu n'as rien oublié ?
- Non, t'inquiète.
- Et ta valise ?
- Je l'ai confiée à l'équipage, ils la mettront dans ma cabine. Tu m'as accompagnée la déposer, tu te rappelles ?
Ma mère laisse échapper un soupir en secouant la tête.
- C'est vrai, pardon. Je suis juste un peu stressée. Te laisser partir toute seule, si loin...
- Je ne vais pas mourir, tu sais.
- Oui, oui...
Mes sourcils se froncent.
- Toi, tu as encore lu des études sur les risques d'accidents.
Son visage prend une expression outrée :
- J'ai bien le droit de m'informer sur les risques d'un tel voyage !
- Quels risques ? C'est au moins cent fois plus sûr que l'avion !
- Si tu le dis. Il n'empêche que je n'ai pas trop confiance en leurs nouvelles machines.
- Les gens tenaient le même discours quand on a inventé la voiture. Tu t'y feras.
Un sourire se dessine sur ses lèvres.
- Quoi ? demandé-je.
- Rien. Je suis juste fière de toi.
- Oh, ne recommence pas !
« Dernier rappel pour les passagers et passagères du vol V478, nous vous prions de... »
- Bon, il faut vraiment que j'y aille.
- Tu me tiens au courant ?
- Oui oui, promis.
- Bon voyage !
Je m'éloigne vers le comptoir pour faire valider mon billet. Après un trajet encombré de bagages, mon sac à dos me semble léger comme une plume. En me retournant une dernière fois, ma mère agite le bras dans ma direction. Je l'imite avant de m'engouffrer dans le tunnel d'embarquement.
Deux hôtesses extra-atmosphériques m'aident à enfiler ma combinaison, puis mon casque. L'une d'elles me tend une carte magnétique :
- Voici la clé de votre chambre, vous pouvez y laisser votre sac. Ensuite, vous devez regagner votre siège dans la salle centrale. Simple procédure pour le décollage.
Je poursuis ma traversée jusqu'aux portes d'entrée du vaisseau. Tout le monde est déjà installé dans le hall. La majorité sont des étudiants qui, comme moi, ont choisi une mobilité spatiale pour leur troisième année de recherche. Parmi la foule se trouvent néanmoins quelques familles, assez fortunées pour s'offrir une petite croisière dans l'Univers.
J'arpente les couloirs jusqu'à ma cabine, où ma valise est déjà rangée dans un compartiment anti-apesenteur. Une fois assurée que mon sac est bien fixé, je rejoins les autres. Le destin m'installe à côté d'une doctorante de mon université. Nous nous saluons d'un hochement de tête. Pour éviter un silence gênant, je lance :
- Faridah, c'est ça ?
La concernée confirme.
- Enchantée, répliqué-je. Je m'appelle Jade.
- Ah, c'est toi qui travaille sur l'anthropologie des planètes antérieures ?
Sa question me surprend. J'ignorais que mon sujet de thèse était aussi célèbre.
- Exactement ! Et toi, tu étudies... ?
- Les relations interplanétaires. Classique, mais il y a tellement de choses à dire !
Après une récitation pré-enregistrée des règles de sécurité, nous attachons nos ceintures. Le décollage tord mon ventre, fait siffler mes oreilles.
- Ça doit être fascinant de voir à quoi nos galaxies ressemblaient avant, poursuit Faridah.
Je hoche la tête, à moitié concentrée. Mes yeux sont rivés sur les grandes vitres, à travers lesquelles des pans d'étoiles éclaboussent le néant de lumière.
Une fois le vaisseau stabilisé, le hall se vide progressivement. Nous restons ici pour boire un verre. Manquer une vue pareille pour s'enfermer dans une chambre minuscule me dépasse.
En me retournant sur mon siège, je distingue notre planète s'éloigner à une vitesse folle, jusqu'à ne devenir qu'un point dans l'infini obscur.
- C'est la première fois que tu pars ?
Je sursaute.
- Quoi ? Ah, oui.
Elle esquisse un sourire.
- Ça fait toujours un drôle d'effet. Attends de voir notre destination !
L'impatience fourmille dans tout mon corps. J'ai hâte, et en même temps si peur...
- J'ai lu que c'était très dangereux de s'y rendre, c'est vrai ?
Ma voisine fait la moue.
- La plupart des rumeurs exagèrent. En fait, c'est plutôt les conditions qui ne nous permettent pas de rester longtemps.
- Et quels sont les symptômes, docteur ? plaisanté-je.
- Voyons... Atmosphère quasi inexistante, températures irrespirables, sécheresse et rayons toxiques. Même avec nos protections, nous restons exposés aux risques. Ça explique notre temps imparti.
Je déglutis. Heureusement que ma mère n'est pas tombée sur ce genre d'infos. Faridah se penche vers moi :
- Pardon, je ne veux pas gâcher ta première escapade. Tout va bien se passer, nous sommes bien encadrées.
Je secoue la tête.
- Ne t'en fais pas. Je préfère être préparée.
- Ça tombe bien, on ne va pas tarder à entrer dans son orbite.
Au même moment, les passagers reviennent se presser contre les hublots. Piquée par la curiosité, je m'approche à mon tour.
Même à une telle distance, je n'arrive pas à me rendre compte des proportions gigantesques de la planète en face de moi. Remarque, en étant sur la mienne, je n'en ai pas conscience non plus. J'imagine qu'aucune échelle n'est assez parfaite pour se figurer l'immensité.
Comme me l'a décrit Faridah, sa couche de protection est pratiquement désintégrée. Sous les traînées vaporeuses, je distingue sa surface brune aux cratères rougeâtres.
- C'est du feu ? demande une enfant à mes côtés.
- De la lave, corrige sa mère.
Je colle mon nez à la paroi. L'image est si différente des vieux documentaires que j'ai consulté pour mes recherches ! Le nœud dans mon ventre resserre son étreinte. En tendant l'oreille, je croirais presque entendre les plaintes de l'astre enflammé. Même si, bien sûr, je sais que les êtres de l'espace hurlent en silence.
À force de contempler cette planète inconnue, entourée de touristes insouciants, les larmes me montent aux yeux. Comment cette chose a pu autrefois être notre maison ?
« Voyageuses et voyageurs, nous arrivons sur Terre dans quelques minutes. Veillez à attendre l'atterrissage complet et à être entièrement protégés avant de sortir.
J'adore la chute, elle fait mal, mais ne surprend pas, non pas parce que l'écriture est prévisible, mais plutôt, parce que l'humanité ne risque pas surprendre quant à ce qu'elle fait de pire XD
"Même si, bien sûr, je sais que les êtres de l'espace hurlent en silence." J'adore !
je suis contente que tu relèves cette réplique parce que je l'aime beaucoup !
J'ai beaucoup apprécié cette lecture simple et efficace. Les dialogues sont très fluides. J'aurais peut-être apprécié avoir un peu plus de descriptions. Je trouve ça bien que tu ais écrit au présent.
amateur de nouvelles de SF depuis un bail, j'ai néanmoins, à l'inverse de mes comparses, été "cueilli" par cette chute ^^, l'efficacité tenant naturellement à ce qu'on se concentre sur d'autres aspects du voyage...
En tout cas la compacité du récit aide à ne pas trop faire attendre, la longueur est juste nickel.
C'est ce genre de nouvelles courtes, avec des chutes astucieuses qui m'avaient entre autres fait apprécier la SF, je retrouve ici le même procédé avec gourmandise (celle qui nous fait relire le texte en diagonale juste après pour comprendre le tour :D)
En bref, bravo ;)
J'ai beaucoup aimé ce texte, c'est court et efficace. J'ai deviné la fin un peu avant de la lire, mais l'effet reste percutant.
J'aime bien le style assez minimaliste, j'ai l'impression que tu décris uniquement ce qui est nécessaire.
Par contre, la "simple procédure pour le décollage" ne m'a pas totalement convaincu pour justifier la présence de tous les passagers au même endroit.