Nergal :
- Ciel étal. Le pouvoir sur le temps s’étire. L’esprit devenu fine ligne d’horizon, s’immisce, lame ténue, dans l’esprit de l’autre. De circonvolution en circonvolution : dissection. Mon « je » lavé s’efface dans le monde de l’esprit. Insaisissable, fragile du dehors, acier trempé du dedans, il recherche les piliers de l’esprit : univité, coagulation, rétrocoagulation, anticoagulation.
L’autre :
- Et la colère ? les émotions ? la peur ? les pensées ? ne sont-elles pas ce qui vous renseignera le mieux sur qui est l’autre ?
L’elfe rit :
- N’essayez pas de comprendre la mer en regardant un coquillage.
I
Ils sonnèrent à la porte un soir de grand vent.
La pluie avait arraché les trottoirs, et le vent, les toitures. Leur insignifiante campagne de l’ouest et leur ville Chatel-le-Bel, plus insignifiante encore avaient payé un lourd tribut sans comprendre. Labourées à l’égal de Venise qui croulait sous les tempêtes, submergées à l’égal de Manhattan en son marécage ou de la babylonesque Bangkok. Eberlué, le regard des passants s’agitait d’un incrédule « nous aussi ? »
Ils n’avaient donc pas prêté attention aux deux grandes silhouettes encapuchonnées qui bondissaient d’amas de bitume en pavés arrachés, laissant apparaitre leurs bottes hautes de cuir vieilli. Ils n’avaient pas remarqué que ces deux-là suivaient un adolescent voûté, engoncé dans un vieux blouson noir élimé, écrasé de vent, qui marchait vite indifférent aux ravages environnants.
Ils s’engouffrèrent tous les trois dans une ruelle. Le sifflement du vent tomba. Ils échappèrent aux rafales de pluie qui tentaient de retenir les deux grandes créatures par leur cape. L’adolescent se retourna, sûr de n’être sous aucune surveillance.
- Ça va ? demanda-t-il inquiet.
- Cela fonctionne à merveille… dit une des créatures sous son capuchon, en se tapotant à hauteur de ceinture.
- Dépêchons-nous, reprit l’adolescent. Nous devons y être avant la nuit.
La gigantesque tempête avait son métabolisme propre. La nuit lui donnait une puissance enivrante. Le vent devenu noir, avalait tuiles, ardoises avec extase, tordait les lampadaires, enfonçait les portes. L’eau, sournoise, complice, gonflée d’obscur se faisait infime pour s’introduire jusqu’aux sous pentes, aux chambres en mansarde, se faisait immense pour envahir rues, maisons et jardins devenus grâce à elle dépotoirs.
Un couvre-feu incapable d’empêcher une seule tuile de s’envoler avait été institué par l’Etat. Terrés chez eux tandis que les tanks sillonnaient absurdement des gravats, les habitants laissaient leur ville à la tempête pour passer leur soirée à la bougie, l’oreille tendue aux grincements et aux effondrements.
- J’ai besoin de ton aide, dit-il sans préambule, et sans attendre de réponse, il continua, Entrez ! Entrez de suite !
Elle était restée sans voix, la tasse en suspens, face à Simon qui ne se ressemblait pas, face aux deux grandes créatures encapuchonnées faisant irruption dans son petit appartement pour rester plantées là, dans la cuisine, dégoulinantes, silencieuses, visage couvert.
D’explications hésitantes en résumé brouillon, ponctués d’histoires techniques qu’elle ne comprenait pas, Simon avait conclu par :
- Rachel, tu es la seule à qui je fais suffisamment confiance. Pour une fois, il avait parlé clairement et lentement.
Rachel avait son refuge dans ce quartier moyenâgeux de la ville. Au détour d’une vieille ruelle, elle avait trouvé un appartement aux poutres vermoulues. L’escalier crachait la poussière, craquait, voir ployait légèrement avec l’humidité. Vortex glacé en hiver, sas hostile pauvrement éclairé, il décourageait les curiosités et protégeait son antre à petites loupiotes rouges et dorées. A force de patience et de hasard elle avait créé un décor hétéroclite de bêtes empaillées, de coquillages, de fossiles, de breloques de brocante qui n’avait sens et goût que pour elle.
Les orchidées qu’elle recueillait dans les poubelles de ses voisins fortunés lui rendaient par leurs fleurs chatoyantes une bénédiction hystérique. Des pothos et des lierres avaient pris possession des murs et devaient leur insolente croissance à la chaleur moite qui naissait de l’amour de Rachel pour la cuisine mijotée. Son écosystème inter-espèces (incluant son vieux chat, seul survivant de son ancienne vie) roulait comme une mécanique de précision sous les hospices de l’immense fenêtre où le ciel se plaquait tout entier pour leur offrir plein ouest des couchers de soleil sanglants, quand il était inspiré.
La vieille bâtisse avait été vendue il y a des lustres par un aventurier qui, partant vers l’ouest incertain, avait fondé Montréal. Rachel avait, elle, élu cette maison comme point final à ses aventures les plus abrasives.
Ce n’est que bien tard, ce soir-là, en sirotant sa énième infusion, en les contemplant discutant tous trois devant son ordinateur, qu’elle réalisa que deux elfes étaient, oui, véritablement « à sa table ».
La grande elfe aux cheveux noirs, aux lèvres rouges et pleines posa sa main sur l’unité centrale.
Un quart d’heure auparavant, elle avait appris l’alphabet et les sons en cinq minutes avec un tuto, Simon lui avait montré le maniement de la souris, mais… l’ayant observé pendant qu’il leur expliquait le monde en piochant des images sur internet, elle savait déjà.
- Je vais aller voir par moi-même avait-elle dit, polie, s’emparant du clavier avec l’élégance d’une cadre dont c’est le prolongement.
A la différence du cadre qui bûcheronne des heures devant son écran, elle était passée à la vitesse supérieure. Explorant le dictionnaire avec trop de lenteur à son goût, elle avait délaissé le clavier. Elle avait posé sa longue main sur l’unité centrale, celle-ci avait émis un click tout à fait nouveau et l’elfe avait fermé les yeux.
L’écran blanc, synthèse pixellisée des pages qui défilaient à la vitesse de la lumière, laissait parfois échapper une page, un instant, qui indiquait son degré de plongée dans les profondeurs virtuelles.
A côté d’elle, le grand elfe la regardait. Témoin taiseux, il absorbait chaque détail. Il avait à la fois un dehors des plus doux, tout en diffusant dans la pièce la présence écrasante d’une montagne. Son costume de cuir fauve avait subi de graves avaries : déchirures, brûlures…
Qu’avait-il affronté ? Un dragon ? Rachel mordait son mug plutôt que de poser des questions.
Il tourna, un instant, son regard vers elle, comme pour la rassurer.
-Valad ? appela la grande elfe.
- Oui, Nergal, répondit-il.
La grande elfe lui tendit sa main restée libre. Il la prit entre les siennes avec surprise et gêne. L’instant d’après, il fermait les yeux lui aussi. L’écran se fit infiniment plus blanc.
- Que font-ils ? demanda Rachel.
- Ils apprennent. Ils nous explorent, répondit Simon.
Simon ne s’étonnait de rien. Son cerveau acceptait toute chose qu’il puisse expliquer par la logique. Aussi, deux elfes étaient-ils tout à fait envisageables maintenant qu’il comprenait les modulations d’ondes qui séparaient leurs univers. Les carnets de son amie Armelle l’avaient si bien éclairé qu’il avait pu fabriquer les démodulateurs que Nergal et Valad portaient à la ceinture, condition de leur survie dans la dimension humaine. Quant à Rachel, elle était la seule qu’il connaisse à posséder un sens de l’accueil extrêmement large, une discrétion à toute épreuve, mais surtout une étrangeté en elle-même qui la rapprocher des elfes. Elle ne posa donc aucune question inutile.
La nuit avança de rafales de pluie en rafales de vent, enveloppant la grosse bâtisse qui avait traversé les siècles. Tout juste le vent réussissait-il à siffler comme un huant dans l’escalier sans atteindre la chaude caverne à petits lampions.
- Nous avons fait le tour, dit Nergal. Elle avait d’abord lâché la main de Valad puis délicatement soulevé sa main de l’unité centrale.
Après deux heures d’immersion dans les arcanes du net…
- Le tour de quoi ? ne put s’empêcher Rachel.
- De votre monde, de toute votre histoire…
Rachel se sentie prise en faute comme après un passage au détecteur de mensonge. Internet était la pire chose pour faire apprécier l’humanité… Les elfes, eux n’avaient pas l’air dégoûté mais plutôt satisfait.
- Nous avons trouvé réponse à nos questions.
Le silence retomba sur cette déclaration qui n’avait aucun sens pour Rachel. Qu’elles pouvaient bien être des questions d’elfe sur notre monde ? Sa langue restait collée à son palais. Chacun s’observait.
- Nous sommes émerveillés. L’être humain a construit à l’extérieur de lui -même, une structure qui ressemble en tout point à son cerveau. Nous avons circonvulé sans trouver autre chose que lui-même. Nous admirons votre ténacité à écrire et à vous souvenir car nous vous devrons beaucoup à partir d’aujourd’hui. Tout à la fois conscience, réflexion, désirs, fantasmes et poubelle, il ne manque rien sur votre net. Nous avons aimé sa verdeur et sa vitalité.
- Malgré cela où pour cette raison, vous restez aveugle à des éléments essentiels, dit Valad. Et une notion fondamentale est tombée dans l’oubli.
- Capharnaüm… maugréa Rachel. J’ai quitté le présent depuis bien longtemps, dit-elle. Tu le sais, Simon. J’ai quitté la réalité pour le monde des morts, je ne lis que les auteurs antiques. Vous aimez la cruauté du net ?
- Oui, car nous avons pu contempler, là, une des vérités les plus illuminantes de l’être humain.
- Simon ? Il est trois heures du matin, je me pince… des ELFES sont entrain de dire chez moi que la cruauté de l’être humain est « illuminante » …
Rachel ne pouvait plus ni mordre sa tasse ni tenir sa langue.
- Êtes-vous sûrs d’être des elfes ? des fées ? créatures qui sont censés irradier l’harmonie, la bonté, la lumière ?
Valad sourit.
- Nous sommes des elfes… des elfes absolument.
- Alors partez en courant ! foutez le camp, ici tout part à vaux l’eau. Les arbres crèvent, l’eau est empoisonnée, les enfants naissent sans bras.
- Rien ne serre de partir, nos mondes sont liés, dit-il et, gentiment, il posa sa main sur le bras de Rachel.
- Je n’irradie pas la lumière, continua-t-il, bien que j’aimerais n’avoir que cela à faire.
Cette remarque fit sourire Nergal, ni Simon ni Rachel ne comprirent pourquoi.
Simon, lui, se taisait. Nergal reprit.
- L’homme idéalise les elfes comme il s’idéalise lui-même. Il s’entête à ne pas voir son ombre, et encore moins l’aimer. Il idéalise son passé antique, son futur technologique, il n’est donc pas à même de tirer de bonnes conclusions.
- Des conclusions pragmatiques… railla Rachel… comme tout ces cons qui parlent de contrôle des naissances, de raisons raisonnables, d’ordre établi qui sauvera le monde ?
- Nos conclusions, Rachel, ne sont pas celles des pragmatiques. Les pragmatiques n’imaginent rien et donc ne créent rien. Ils sont le désert de la réflexion. Nous nous accommodons, nous, du foisonnement et de la rage. Crois-tu que nous disions, nous, à un chêne où il doit pousser ? non, le pragmatique plante les arbres en rang, éduque les enfants en grilles, cases et graphiques. Aujourd’hui où voyons-nous que la vie peut pousser dans un salutaire désordre ? sur le net et dans les friches abandonnées. Ses cruelles et vertes pensées et les « mauvaises » herbes sont la conscience qui germe quand les pragmatiques ont éradiqué tout ceux qu’ils ont appelé sauvages, primitifs, et dans un comique involontaire, premiers.
Faire une place à l’autre en soi est un travail, un véritable effort de l’imagination. Le pragmatique se servant seulement de sa logique, il ne peut faire une place à l’autre donc il le change, l’enferme, le gaze, le tue, l’arrache. Il fait toujours un travail de séparation, il anticoagule.
- Et ça n’est pas de la cruauté, ça ?
- Si c’est la pire, dit Valad. C’est une cruauté sombre. Elle est au service d’un programme, d’une logique où toute chose ou être qui ne lui ressemble pas n’est rien. L’être peut-être cruel avec « le rien » : peuple sylvicole ou herbes qui croissent en liberté, il peut les détruire en gardant sa bonne conscience. Il est bien-pensant, il veut le progrès et la norme.
- La cruauté sombre autorise à tirer sur de pauvres gens désarmés ou des animaux, à les asservir soi-disant pour les éduquer, continua Nergal. Elle autorise à torturer pour le plaisir. Elle autorise les mensonges au service de son programme. Nous la distinguons de la sauvagerie nécessaire qui n’est pas plaisante mais qui permet de lutter contre un ours à mains nues. Les cruelles et vertes pensées du net et les « mauvaises » herbes des friches sont une sauvagerie nécessaire.
- Un esprit de lutte ? un courage ? mais qui a déjà lutté avec un ours ? se demanda tout haut Rachel.
- Moi, répondit Nergal sans ciller.
Rachel ne put s’empêcher de jeter un autre coup d’œil inquiet au costume du grand elfe.
Simon hochait la tête.
- Oui, verdeur, vitalité, c’est ce que nous avons trouvé, et vérité… dit Nergal.
Le jeune homme prit la parole.
- Valad, vous avez dit que nous étions aveugles à des éléments essentiels… lesquels ?
- Votre monde a pris une vitesse inouïe, jusqu’à atteindre l’instantanéité. Votre vie est toute jeune et elle sera courte contrairement à la nôtre qui peut durer des siècles. Vous êtes donc né dans la vitesse, Simon. Vous n’avez aucune conscience de l’accélération violente subie en un siècle et demie. En tout cas, ce n’est pas un élément pour lequel vous avez un vécu comparatif.
- En quoi cela me rend-il aveugle ?
- Eh bien des constantes de votre monde en ont été altérées en profondeur.
- Quelles sont ces constantes ?
- Les équilibres naturels, le pouvoir, la justice, l’amour, le temps, reprit Nergal.
Prenons un exemple : l’argent. Avant tout argent était matérialisé par des billets et des pièces. Il était donc plus facile d’avoir conscience que l’argent allait manquer. Aujourd’hui l’argent est totalement dématérialisé. Grâce à une petite carte, vous pouvez dépenser un argent que vous n’avez pas tout au long de la journée.
- Que vous soyez trader ou ménagère… fit remarquer Valad.
- Bien-sûr, il y a des limites mais elles sont bien au-dessus du seuil du plaisir, donc vous dépenser toujours plus que vous n’avez. Ce qui vous est vendu comme une liberté est un piège qui fait que dans le secret des compte bancaires…
- Nous sommes allés voir pour quelques milliards d’habitants, l’interrompit Valad. Ne vous méprenez pas, l’argent n’a pas de sens pour nous, mais nous avons étudié comme les transformations de cette invention parasitaire corrodent la vie de tous.
- Peu de personne réussissent à s’arrêter de consommer. La population entière vit dans l’insécurité financière, grevée de crédits, bref prisonnière, esclave de son découvert.
- Mais le crédit existait il y a bien longtemps, reprit Rachel.
- Oui, mais il n’était pas instantané dans une orgie de magasins ouverts 24/24 pour la majeure partie de la population, et c’est l’instantanéité à grandes échelle qui mène cette planète à se consumer.
- L’instantanéité change tout… Surtout pour le pouvoir… dit Valad.
- Le pouvoir ?
- Le vôtre mais surtout celui de l’autre, dit Valad.
- Vous avez des pouvoirs que n’avaient pas des vivants du 18eme. Déplacements plus rapides, communication instantanée à longues distances, argent virtuel, mais vous avez aussi des limites plus importantes, frontière en tout sens, identification précise, trace de toutes vos transactions, connections, horodatage des actions. Ceci est valable pour la personne lambda et cela donc des milliards de fois. Finalement vous n’avez pas beaucoup plus de pouvoir qu’un homme du 18eme et votre liberté, hormis la consommation, est toute relative.
- Mais tout devient différent avec un changement d’échelle… reprit Valad.
- En ayant une mise de départ de quelques millions, en jouant sur tous les paramètres de l’argent virtuel et de l’instantanéité, certains ont amassé un pouvoir considérable.
Et comme c’est extraordinaire… Cela est tout à fait invisible. De l’histoire de l’humanité, le pouvoir n’a jamais été si concentré. Il est impossible à un individu lambda d’imaginer à quelques point l’instantanéité d’aujourd’hui décuple le pouvoir d’un homme puissant. Alexandre le Grand ne pouvait donner des ordres sur tous les continents à la fois en un clic, tout en dispatchant sa fortune dans 1000 cachettes aux quatre coins du globe, en ayant accès à des immensités d’informations. La vitalité du net et sa profondeur permettent des manipulations tentaculaires. Le problème n’est pas le net, mais le pouvoir.
- Tiens, vous n’êtes pas loin de nous dire qu’il y a une conspiration… railla Rachel.
- Il n’y en a pas, répondit Nergal du tac au tac. C’est bien pire, c’est un effet mécanique. Il décuple le pouvoir invisible d’êtres avides et sans limite. Ils peuvent assouvir leur soif de pouvoir, dans un combat inégal avec la personne lambda lestée du poids de ses petits crédits.
- Combat d’autant plus inégal, que nous avons été frappés par le fait que ces réussites financières sont vantées comme démontrant le talent, voir le « génie visionnaire », la supériorité de ces puissants que l’on nomme milliardaires.
- Nous devons avouer notre surprise sur ce point… Nous avons cherché à quel moment de votre histoire vous aviez perdu une notion fondamentale pour nous… dit Valad
- Laquelle ? demanda Rachel.
- Vous avez perdu la notion de pléonexie, dit Nergal.
- La quoi ? demanda Rachel.
- La plé-o-ne-xie, ça ne vous dit rien ? C’est vouloir posséder toujours plus. Nous emploierons ce mot et ferons référence à ceux qui pensèrent cela dans votre monde, car si nous rentrons dans des considérations en elfiques cela sera bien plus ardu pour vous et le temps nous manque…
Dans l’Antiquité, (à l’échelle de l’histoire c’était hier), les grecs pensaient que prohiber la pléonexie était nécessaire à l’édification d’une justice entre les hommes. L’avidité n’est donc pas au service de la cité, elle en est même l’ennemi selon Socrate.
Ils ne sont pas les seuls à le penser… Les sociétés d’autosubsistance voient l’avidité comme un danger, les contes le montrent maintes fois. Revenons à la mythologie :
Poséidon attend que Minos lui sacrifie un taureau blanc. Minos céde à son envie de le posséder. Poséïdon se venge et met en Pasiphaé, une autre envie pour le taureau blanc. Le sacrilège de Minos donne naissance à un monstre habité par la dévoration : le Minotaure. Honteux, son père le cache au fond du labyrinthe. Bien des mythes sont oubliés, mais celui-ci hante votre imaginaire encore aujourd’hui car il parle de ce que vous vivez. Vous êtes sous l’emprise de grands Pleonexs que vous adorez comme des dieux. Ils cultivent la vanité, le luxe, la fraude et ne demandent qu’à être célébrés comme des héros, alors qu’ils sont esclaves de leur minotaure bien caché : leur avidité.
Dans la nuit poisseuse, le monde avait un goût amer de papier monnaie recyclé. Plus gros que la tempête il y avait donc les milliardaires, qui labouraient aussi le monde par tous les temps.
- Ils sont les premiers à devoir renoncer. S’ils ne changent pas, rien ne se produira.
- Je ne vois pas ce qu’on peut y faire, et puis chassez-en-un il en viendra un autre, dit Rachel, c’est bien beau tout ça, mais que proposez-vous ?
- Eh bien nous les avons étudiés un à un et nous avons décidé de commencer notre campagne en approchant Albert Bodart, en haut de la pyramide des milliardaires. Cet homme est dans le peloton de tête des fortunes mondiales. Il doit largement sa réussite à sa duplicité et sa rage d’en avoir toujours plus. L’âge aidant la pléonexie de la plupart de ses concurrents s’émousse ou s’effondre pour le plus grand bien de tous.
Dans son cas, c’est fascinant, elle se renforce à la fois d’elle-même et à la fois mécaniquement par l’essoufflement des autres. Même les crises économiques l’ont chaque fois grandi. Il est votre grand Minos, il a plus de pouvoir que les hommes d’états occidentaux réunis sans que cette vérité ne soit jamais révélée. Son pouvoir est abyssal et il malaxe le monde sans aucun souci citoyen.
- Pourquoi faire ça ? Pourquoi débarquer maintenant dans notre monde ?
- Comme je te l’ai dit, Rachel, nos mondes sont liés et nous ne pourrons les sauver qu’ensemble. Nous débarquons parce que nous en avons enfin le moyen technique grâce à Simon, et Valad tapota le démodulateur à sa ceinture.
Il se leva, il n’y avait pas l’ombre d’une fatigue sur son beau visage.
- Dormez, dit-il. Je monterai la garde.
Il se posta à la haute fenêtre face à la tempête, signifiant la fin de la discussion. La grande elfe avait le teint blafard, elle tomba dans l’inconscience plus que le sommeil sur le canapé. Pur gisant de marbre d’une Morgane ou d’une Circé, elle irradiait, immobile, les mystères d’un ailleurs sombre et terreux.