Il me regarde avec cet air qu’ont tous les poulets : creux. En coin. Et l’œil vide, presque mauvais, de celui qui aimerait m’en foutre une. C’est vrai que celui-là, il est plus volumineux que les autres. La crète gominée, le cou gras, la poitrine gonflée et jusqu’aux pattes arquées, tout chez lui transpire le bestiau mal biseauté. Il a même un tatouage dont il est certainement très fier – l’un de ces tatouages stupides qui permettent de l’identifier entre mille. Il le sait pas, mais il est pas moins crétin que ses camarades autour de lui.
Il me regarde toujours. On dirait qu’il crève d’envie de me casser la gueule.
J’aurais pas du boire.
Le regarder de haut. Il faut que je me maintienne droit, fier, et que je le regarde de haut. C’est pas ce poulet-ci qui va me faire flancher. D’autant qu’il a beau être gros, il n’en est pas moins petit. Trop petit pour me faire peur, trop gros pour passer à travers les barreaux. Au fond, je suis en sécurité.
J’aurais pas du boire autant.
A bien y penser, sa tronche me dit quelque chose. Elle est très banale, une tronche de poulet comme les autres, mais… Ca devait être la semaine dernière. Oui, la semaine dernière. Dans le bar de Fred, derrière la ferme. Oh merde, oui… c’est pas la première fois qu’on se croise ! Je me souviens de lui ! Ils ont débarqué chez Fred à six, six poulets musclés, avec leur regard mauvais et leur odeur de fiente… Et le tatoué faisait partie de leur bande ! On comprenait pas, avec les copains. D’habitude, on arrive à rester entre nous sans être dérangés. Pour briser la glace et aussi me moquer un peu d’eux, moi j’ai dit : hey, les petites bêtes, venez boire un coup avec nous ! Au nom de la fraternité qui nous lie tous, les poulets et les hommes.
Ils l’ont mal pris. Alors on s’est volé dans les plumes, ça piaulait de partout… Jamais vu un carnage pareil. Fred était pas content. T’imagines : la prochaine fois, ils sont encore plus nombreux ? Une armée de poulets. Je le préviendrai, Fred, qu’ils nous préparent une armée de poulets, par ici. La guerre est proche, sortons les broches.
J’aurais vraiment pas du boire.
Putain de cellule de dégrisement.