Il n’y a que les bons vins qui ne tournent pas au vinaigre.
Moi qui ne suis ni un bon ni un mauvais vin, je tourne pour l’instant en rond, simplement. Le vinaigre, c’est pour plus tard. Quand j’aurais remplacé ma mère.
A voir le reflet que me renvoie cette chose grise, ronde, qui trône sur la commode de ma chambre, je me dis que c’est pour bientôt. Une paire d’années, peut-être. Je penche la tête, mon visage se déforme. Mes pommettes glissent, mon menton tombe. Je relève le nez, mes rides me sautent à la figure et ma peau se craquèle. Des sillons relient mes traits, profonds, si profonds que l’on pourrait y construire des rivières de vinaigre. Pour tout paysage, des sédiments de sable et de poussière créent un maquillage que je n’ai pas demandé.
De ma jeunesse, il ne reste que ce grain de beauté au coin des lèvres. Le même que ma mère. Où qu’elle soit, je suis sûre que l’on pourrait tracer une ligne entre ces deux points qui nous relient. On creuserait un trou dans chaque grain, on y insèrerait un rivet, et la superposition serait parfaite.
Je lui ressemble beaucoup trop.
Ce reflet gris m’effraie. A force de ne montrer que les apparences, il oublie ce qui se joue sous les sillons. Il ne raconte pas, par exemple, le glissement du bâton de rouge sur les lèvres de ma mère. Pas plus qu’il ne décrit le violet que le vin lui donnait aux joues. Non, ce reflet ne s’intéresse qu’à lui-même : le gris. Le vieilli, le pourrissant. L’affaissement des chairs, le dessèchement des peaux. La rigidité du corps tout entier, qui grince et grince encore jusqu’à en suer, et la disparition du visage, qui fond en une poussière sale. L’avènement des mouches, enfin, et des vers, qui prennent pour royaume ce qui m’a pourtant été si cher.
Je ne veux pas devenir comme ma mère. Je ne veux pas, jamais, finir dans cette urne.