...Pour celle que vous aimez?

Jeffrey filait plus vite que le vent, de toits en toits. Il ne se préoccupait plus de discrétion et se moquait bien d'être vu. Il n'était jamais allé si vite. Après être repassé chez lui à la vitesse de l'éclair afin de prendre des cartouches supplémentaires, il compta ses réserves: cinq injecteurs  étaient prêts. 

Pas le temps d'en faire d'autres, j'espère que ça va aller, Léa...

A mesure qu'il épiait de minutes en minutes chaque quartier, chaque maison, chaque rue de Lakeland, il désespérait de trouver une quelconque trace de sa chère disparue. 

Derek...

Alors que l'envie d'aller fouiller la demeure du maire le rongeait de plus en plus, il aperçut en contrebas une voiture de police rentrant au commissariat. Voilà qui allait pouvoir éclairer sa lanterne. 

Il atterrit devant la voiture avec une fluidité qui n'avait rien de comparable avec sa force malencontreuse de ses débuts. Le véhicule n'aurait pas le temps de s'arrêter, mais il n'en avait cure. Il se jeta en avant, et bloqua la voiture de ses deux mains. Celle-ci décolla de ses roues arrières avant de retomber dans un vacarme métallique assourdissant. Sans attendre, Jeffrey se précipita sur les policiers sonnés, ouvrit la porte, agrippa le conducteur, le déposséda de son arme de service et le sortit avec fracas de la voiture. 

Son collègue tenta ensuite de le braquer de son arme de poing, mais n'eut pour toute riposte un coup de pied millimétré dans le menton.

Il s'en remettra.

Il saisit le malheureux conducteur par le col et le souleva de terre.

— Léa Vermont, vous savez quelque chose là-dessus? C'est la fille de ton boss si tu situes un peu, donc j'estime que tu ne peux pas ne pas être au courant, fit-il d'une voix sinistre.

N'entendant pas de réponse, il hissa le policier au dessus du sol à bouts de bras.

— Je te préviens, je passe un très mauvais début de soirée, ma patience est donc extrémement limitée...

— On... rentrait au poste... nouvelles instructions, parvint à articuler le flic.

— Suite à quoi?

— Message des ravisseurs... pour toi!

Il relâcha légèrement sa prise et approcha la bouche du policier de son oreille.

— Je suis tout ouï.

— Si tu laisses mourir cette fille, ce sera au même endroit que la dernière.

                                                                                   ***

Jeffrey arriva devant le gigantesque hangar désaffecté du vieux port en l'espace de quelques minutes. Les restes du ruban jaune caractéristique délimitant une scène de crime avait été foulés du pied et gisaient à terre, mais à part cela, il n'y avait pas eu vraiment de changements depuis la dernière fois que le héros vengeur y était intervenu. Même le fourgon percé d'impacts de balles demeurait encore en place, personne n'ayant pris la peine de l'enlever. 

Jeffrey ne perçut aucun mouvement ni n'entendit aucun bruit alors qu'il s'avançait lentement en direction du bâtiment.  Il entrouvrit légèrement la porte et, ne voyant personne, pénétra à l'intérieur du hangar. La pénombre régnante empêchait de voir très loin, mais Jeffrey savait pertinemment qu'il n'était pas seul. Comme pour lui donner raison, de multiples lumières éclairèrent alors l'immense pièce, et dévoilèrent une bande de malfrats. La plupart avaient en main diverses armes à feu, ceux qui en étaient dépourvus s'étaient rabattus sur un armement plus contondant. 

— On t'attendait! lança l'un d'eux. 

Jeffrey resta interdit de prime abord. Son regard, camouflé par sa capuche noire, décrivait un lent demi-cercle alors qu'il analysait chacun des hommes qui l'entourait. Son attention fut également attirée par l'estrade de fortune qui avait été érigée avec des caisses au fond de la pièce. 

Ils ne sont qu'une quinzaine, tue-les, tues-les tous!

Alors que le jeune homme prenait une profonde inspiration et serrait les poings pour se préparer à entrer dans une mêlée vengeresse, une grande voix retentit de l'autre côté de la salle tandis qu'un homme montait progressivement sur les hauteurs de cette scène improvisée. 

— Voilà donc notre invité spécial! invectiva-t-il, hilare.

D'un âge moyen, brun, Jeffrey ne se souvenait pas de l'avoir vu un jour. Il fronça les sourcils alors que cet individu se livrait à une gestuelle parodique sous les rires du groupe ainsi rassemblé. 

— Je commençais à me demander, reprit-il, si notre petite invitation t'était parvenue! A moins que les flics aient fait de la rétention d'informations, ce qui voudrait dire que tu as eu connaissance de notre petit spectacle de manière pas très héroïque!

Des onomatopées de fausse surprise s'élevèrent tout autour de Jeffrey.

— Voyez-vous ça, le protecteur de Lakeland n'est pas si blanc finalement! continua-t-il avec un sourire malsain.

Ca ne m'amuse plus.

— Où est-elle? finit par hurler le jeune homme.

— Oh! Droit au but, voyez-vous ça! Mais voyons mon ami, c'est toi la star ici! Laisse-nous braquer le projecteur sur toi, bien que ce soit difficile si tu persistes à te cacher même en pleine lumière...

Des rires et interjections fusèrent de toutes parts.

N'en pouvant plus, Jeffrey retira brusquement sa capuche.

— Je ne me cache pas! cria-t-il, pour la dernière fois, où est-elle?!

— Mais c'est qu'il se fâche! Il va tous nous massacrer, attention les gars! parodia l'homme.

Ça commence à me démanger oui.

— Néanmoins, il marque un point. Amenez-moi donc l'autre invitée!

Un autre malfrat monta alors sur l'estrade en faisant avancer une forme recourbée aux long cheveux noirs.

Léa!

La jeune femme sanglotante, à la peau blanche souillée uniquement par les larmes qui coulaient le long de ses joues, écarquilla les yeux de surprise alors qu'elle reconnut Jeffrey, planté au milieu d'une meute haletante. Le meneur la prit immédiatement par le bras, la plaça devant elle et sortit un pistolet de sa poche pour lui braquer sur la tempe.

— Cette scène ne te rappelle rien? questionna l'homme.

Il avait soudainement retrouvé tout son sérieux et cette question posée lourdement ne laissa pas planer le doute très longtemps quand aux intentions du malfaiteur. 

— Si, se contenta de répondre Jeffrey. 

— Tu ne m'as même pas laissé son cadavre à enterrer! Tu n'as même pas écouté ses cris de pitié! Tu l'as tué, Slart!

Comment connaît-il mon nom?

Jeffrey se projeta ce soir-là. Il se revoyait n'avoir pas été assez rapide pour sauver cet enfant. Il se revoyait fondre sur cet homme, lui retirer sa cagoule et lui briser le visage. Il se remémorait casser les membres de tous ses sbires. Il se souvenait avoir soulevé l'homme, lui murmurer quelques propos abjects qu'il ne pouvait plus entendre, et balancer son corps le plus loin possible au milieu du lac Michigan afin que plus jamais on le revit.

Mais jamais il n'en avait éprouvé le moindre regret.

— Il ne tuera quand à lui plus jamais. C'était un meurtrier, argumenta Jeffrey.

— C'était mon frère avant tout! rugit le chef de gang, si c'est là qu'est ton sens de la justice, tu ne vaux pas mieux que nous! Et en parlant de justice...

L'homme rangea son pistolet et sortit à la place un cran d'arrêt luisant, qu'il appliqua sur la joue blanche de Léa Vermont. Celle-ci se débattit et cria, mais la prise du criminel était trop forte. Il appliqua alors une entaille sur le visage de la captive, le rouge de celle-ci venant immédiatement contraster avec son teint.

Jeffrey fit mine de se ruer en avant mais fut immédiatement rappelé à l'ordre par un coup de barre de fer à l'arrière du genou. Sans lui faire mal, celui-ci plia tout de même sa jambe sous la pression exercée sur l'articulation, tant et si bien que le jeune homme finit avec une jambe à terre.

L'hilarité ambiante rejaillit de plus belle. 

— À ce qu'on dit, ce serait assez complexe de te faire mal, reprit le chef. Mais il semblerait que j'ai trouvé un moyen ! En fin de compte, tu souffres encore plus qu'elle, n'est-il pas? avança-t-il en désignant la jeune femme de la pointe de son arme. 

— C'est moi que tu veux, laisse-la partir! hurla Jeffrey. 

Le criminel haussa les épaules.

— Je vous l'avais dit les gars, j'en étais sûr! Voilà comment on met à genoux un homme plus fort que soi. Personne ne le peut, l'amour si!

Des applaudissements retentirent de tout côté de la pièce. 

— J'ai une idée pour continuer, un petit jeu! Tu fais tout ce que je te dis sinon je lui fait subir la même chose. Ce sera elle ou toi, un bon choix n'est-ce pas? Mon frère n'a pas eu cette chance! Pour commencer, met-toi à genoux complétement s'il te plait.

Voyant que Jeffrey hésitait, le malfaiteur souligna ses propos en désignant la cuisse de Léa de sa lame.

— Ne me force pas à lui charcuter la jambe pour qu'elle l'abaisse à ta place! hurla-t-il.

 Non...

Le jeune homme s'exécuta lentement en pliant sa dernière jambe pour rejoindre l'autre. 

Les railleries s'intensifièrent et furent accompagnées de crachats. 

— Faites vous plaisir les gars! proclama leur chef.

Les chacals affamés se déchainèrent alors, firent pleuvoir les coups de poings, de pieds, de barres de fer, de battes et d'autres ustensiles peu recommandables. Ce véritable passage à tabac n'arrachait à Jeffrey que des grincements de dents imperceptibles. Tant et si bien qu'au bout de quelques minutes, un des tortionnaires interpella son supérieur.

— C'est pas drôle chef, il n'a pas mal! 

— Apparemment... répondit celui-ci. Tant pis. On peut encore en faire quelque chose d'utile. Va me chercher le jeunot, il peut en profiter pour faire ses preuves!

Le subordonné sortit alors du bâtiment et revint quelques instants plus tard accompagné d'un jeune homme que Jeffrey reconnut au premier coup d'œil.

Joseph...

Le jeune homme avait perdu sa fierté d'antan. Il semblait de toute évidence gêné d'être là et aurait tout donné pour se trouver ailleurs. C'est l'air hésitant qu'il obéit à l'ordre du chef et prit son arme à feu pour la braquer sur Jeffrey. 

— Pimentons donc la partie! Fais tes preuves Marlow et tu seras enfin accepté comme l'un des nôtres, abat-le donc!

Joseph plongea son regard dans celui de sa victime passée. Toute trace de mépris avait disparu, subsistait seulement une détresse palpable dans les yeux de celui qui tenait d'une main tremblante la vie de Jeffrey Slart entre ses doigts. 

— Je ne peux pas, il me regarde! fit-il par prononcer d'une voix chevrotante. 

Le meneur soupira lourdement. 

— Marlow, Marlow, Marlow... pauvre idiot, tire lui dans le dos alors!

Les membres du gang remirent alors le vengeur sur ses genoux alors que Joseph Marlow faisait péniblement le tour de la scène pour se placer derrière le condamné. Tout le monde s'était tu, le silence s'interrompait uniquement pour laisser place aux sanglots de Léa Vermont. L'estafilade sanglante de son visage avait fini par tacher ses beaux vêtements blancs. 

Joseph finit par se positionner lentement là où Jeffrey ne put plus le voir. De longues secondes s'écoulèrent mais toujours aucun coup de feu ne retentit. 

— Je ne pensais pas que... Je ne voulais pas que ça aille si loin! bégaya le jeune homme.

— Je commence à en avoir assez! mugit le chef de la bande. 

Il rangea son couteau et ressortit son pistolet qu'il braqua sur le visage de Léa. 

— Le jeu continue! Si tu ne tires pas, c'est moi qui le ferait! Je le ferai souffrir jusqu'à ce qu'il me supplie de crever! Tu as envie de rester le moins que rien que ton père ne cesse de décrire Joseph? Soit un homme au moins une fois dans ta misérable vie!

La respiration de Joseph se fit de plus en plus bruyante et l'on pouvait deviner que les larmes commençaient à lui monter aux yeux. 

— Tire Joseph. 

Tout le monde obliqua le regard dans la direction d'où étaient sorties ces paroles. Jeffrey ne trahissait pas la moindre émotion.

— Vous la laisserez partir si jamais je meurs ce soir? demanda-t-il.

— Mais bien sûr, répondit le leader d'une voix suave, je la laisserai sortir. 

— Joseph, tire, renchérit alors le jeune homme. 

Celui-ci ne savait pertinemment plus quoi faire. Ses doigts tripotaient, changeaient de place alors qu'il leva son arme vers le dos de Jeffrey Slart. Il renifla alors bruyamment et murmura:

— Je ne voulais pas que quelqu'un meure.

— Alors sauve-la elle! cria Jeffrey. Pas moi, elle! Joseph bon dieu, tire! Tue-moi! 

Il n'entendit le bruit métallique et tremblant d'une arme mal ajustée, ponctuée par les sanglots de son porteur. 

— C'est moi que tu détestes, pas elle! renchérit Jeffrey, laisse la vivre! 

Des larmes commençaient à perler le long des yeux du jeune homme, comme la première et dernière marque de tristesse que ne ressentirait jamais cet être aux capacités hors du commun. 

— Bon, assez trainé! déclara l'architecte de cette mise en scène macabre. 

Il arma son pistolet sous les yeux écarquillés de Léa et mit le doigt sur la détente.

Non!

Jeffrey amorça un mouvement de relevé et se prépara à bondir sur l'estrade. Au moment où cette pensée traversa son esprit, il entendit un léger "pardon" larmoyant dans son dos.

Un bruit de tonnerre retentit dans toute la pièce. 

Jeffrey retomba à genoux sous une incroyable poussée qui traversa son thorax de part en part. Son sentiment d'inhibition et de toute-puissante si coutumiers à l'influence de son produit s'évanouit instantanément. Le goût du sang oublié lui vint à la bouche et une sensation qu'il n'avait pas connu depuis longtemps maintenant envahit son esprit: il avait mal. 

Le souffle coupé, il plaça sa main droite sur le torse, d'où venait le sentiment destructeur. Il cracha alors une gerbe de liquide vital et examina la paume de sa main. Il ne parvenait plus à respirer. 

Dans un râle, Jeffrey Slart s'écroula dans son propre sang.

 

Un sang qui arborait une teinte orange.

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robruelle
Posté le 07/11/2020
Hello !
Ben je m'aperçois que bien qu'ayant lu ce chapitre il y a quelques jours déjà, je ne l'avais pas encore commenté ! Ayaya ... bref, mieux vaut tard que jamais :)

Hé bien hé bien, que dire
J'ai apprécié le passage de Joseph... il y a une ambiance particulière dans ce chapitre qui est intéressante et qui tient en haleine, même si on sait qu'au final la conclusion est inexorable

Je n'ai pas noté (enfin de mémoire) de trucs qui sautent aux yeux

Maintenant j'ai hâte de savoir comment tout ca va continuer, parce que c'est clairement un chapitre charnière

A bientôt !!
Kara Warren
Posté le 08/11/2020
Coucou ! Ça fait un moment que je suis pas passé désolé...

Ouais j'avoue, je voulais une ambiance malsaine, clairement. Le simulacre de spectacle etoutou... Il fallait que je donne à l'histoire un côté sombre...

J'espère que ça a fonctionné pour toi !

Merci de ton commentaire !

Promis je repasse à partir de demain sur ton histoire !
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