Que seriez-vous prêts à faire...

Il faisait beau cet après-midi là. Le soleil faisait valoir ces droits, même en cette journée de fin d'automne. Les arbres et l'herbe demeuraient encore verts et la chaleur restait supportable uniquement en des endroits ombragés. Léa et Jeffrey s'étaient installés sous le grand chêne de notre jardin, à parler de tout et de rien. Jeffrey lui faisait part de ses doutes quand au fait que notre père approuve leur relation. Quant à moi, je répétais dans la jardin l’enchaînement que mon mentor m'avait appris, en prévision de notre prochain entraînement. 

— Il s'inquiète pour moi, lui répondit ma sœur, il a toujours voulu quelqu'un qui puisse me protéger, et c'est vrai que ton petit gabarit ne lui a pas inspiré ce sentiment de sécurité. Mais il a changé d'avis, je t'assure! 

— De toute façon, si ton agresseur renverse tes affaires de cours, il est cuit, fit Jeffrey avec une pointe d'humour. 

Léa rit aux éclats. Dans un sens, j'étais parfaitement d'accord avec cette affirmation. 

— Tu marques un point, mais dis-moi, qui donc n'arrive pas à tourner la page finalement?

— La même personne qui me croit d'un petit gabarit alors que je peux facilement la porter?

— Tsssss... Mais tu es terrible toi!

— C'est pour ça que tu m'aimes non? 

— Entres autres, entres autres, tu cuisines très bien aussi, c'est ton gâteau au chocolat qui m'a fait craquer pour tout dire, acheva ma sœur en souriant.

— Nous en reparlerons, mademoiselle Vermont, d'ici là, plus de chocolat!

Je levai les yeux au ciel, qu'ils étaient fleur bleue je vous jure...

Soudain, l'alarme du portable de Léa retentit. C'était le jour où elle devait aller faire son séminaire hebdomadaire à la faculté. Elle m'en avait parlé durant des mois, mais j'avoue que je n'y avais jamais accordé plus d'importance que cela. J'étais si loin de tout ça.

Elle embrassa Jeffrey et me fit un léger signe de la main.

— Allez, je file, ne te fais pas trop malmener petit frère!

A la vue de la moue déconfite de Jeffrey de n'avoir reçu qu'un seul baiser, elle lui en fit un autre, ce à quoi j'eus un sourire en coin qui ne m'était que trop familier. 

— Je rentre dans quelques heures, ne faites pas les vilains! 

Alors qu'elle prit son sac et s'en alla vers la porte de derrière notre maison, Jeffrey me fit un clin d'œil complice: il avait prévu ce soir une surprise spéciale pendant le diner en amoureux qu'ils auraient au retour de ma sœur. Il m'avait mis dans la confidence afin de prévenir l'attitude de curiosité maladroite qui me seyait tellement.

Sitôt ma sœur partie, Jeffrey se redressa vivement sur ses pieds et proclama d'une voix enjouée le début de la session d'entraînement. J'espérais être prêt pour le moment que j'estimais être le plus important de la journée. J'avais répété chaque heure, chaque minute que j'avais pu incorporer dans mon temps libre.

Et effectivement, j'exécutai cette série de mouvements à la perfection, Jeffrey et moi étions parfaitement synchronisés dans l'application des gestes. Selon son propre aveu, j'étais devenu un combattant impressionnant en l'espace de quelques mois d'entraînement. Je ne savais pas s'il embellissait la chose ou s'il était pleinement sérieux, mais peu m'importait, je n'étais que plus motivé pour m'améliorer. 

Les heures filèrent à la vitesse de l'éclair. Mouvement après mouvement, coup après coup, blocage après blocage, la sueur se faisait de plus en plus présente et la fatigue engourdissaient progressivement mes maigres muscles endoloris. 

La dernière partie de l'entraînement fut, comme à l'accoutumée, la plus ardue. Jeffrey se plaça face à moi, et se mit en garde. On aurait dit que la fatigue n'avait pas de prise sur lui, seules quelques gouttes de transpiration trahissaient le fait qu'il avait pratiqué un effort physique. 

Nos affrontements étaient généralement brefs, moi-même étant complètement surclassé par mon adversaire. Deux minutes au plus, quand bien même j'avais toujours l'impression qu'il se retenait. Cette fois-ci cela dura un peu plus longtemps, marque de mes progrès ou bien de plus d'indulgence de la part de mon mentor. Je n'en avais cure, je donnais tout ce que j'avais, je me libérais, me déchainais. Croyez-moi, il dut recourir à ses deux mains cette fois, même si au bout du compte, je goutais à nouveau l'amertume passagère de la défaite.

Nous fûmes interrompus par la tombée progressive de la nuit. Léa n'était toujours pas rentrée, et cela commençait à devenir inquiétant. Nous rentrâmes dans la maison et, passablement éreinté, je m'assis sur la première chaise venue, alors que Jeffrey alla se remplir un verre d'eau en cuisine.

Soudain, le téléphone sonna et je me précipitai pour répondre. Je n'aurai voulu jamais recevoir cet appel.

Mes pensées furent évasives, alors que mon père m'expliquait que ma sœur ne rentrerait pas. Qu'elle avait été enlevée. Il nous intima l'ordre, à Jeffrey comme à moi, de rester à la maison, par mesure de sécurité. Le nom de Vermont était devenu assez connu parmi les criminels et il était tout à fait possible que certains se livrent à une vendetta personnelle. 

Je raccrochai le combiné d'une main tremblante, je ne réalisai qu'à moitié ce qu'il s'était passé. Jeffrey sortit de la cuisine après avoir fini de boire. Il sut immédiatement que quelque chose était arrivé. 

— C'était ton père? demanda t-il.

J'acquiesçai, au bord des larmes. 

— Où est ta sœur? 

Il avait compris.

— On l'a enlevée, articulais-je difficilement.

Il ne posa pas d'autres questions. Il bondit vers son manteau et ses affaires et se dirigea vers la sortie. 

Je me plaçais lentement sur son chemin.

— Laisse-moi passer Marcus.

— Papa a dit de rester ici, bégayai-je. 

— T'a dit, pas à moi, corrigea Jeffrey.

— Cela vaut pour toi aussi...

— Laisse moi passer bon dieu! 

— Non! hurlais-je.

— Tu ne me laisse pas le choix, je suis désolé.

Il sortit alors de sa poche, celle-là même que j'avais désignée des mois auparavant, une espèce de seringue, remplie d'un liquide orange. Avant même que je ne puisse comprendre, il s'appliqua cet injecteur sur le bras et appuya d'un coup sec.

— Alors c'est toi? fis-je d'une voix tremblante, dans une tentative pitoyable pour paraître déterminé.

Il eut un légère crispation endolorie avant de se remettre d'aplomb et de me fixer du regard.

— Tu as encore beaucoup de chose à apprendre. Laisse moi passer, dernier avertissement!

Sa voix avait changé, on aurait dit un autre homme. Mes pensées se bousculaient à la vitesse de l'éclair, mais une seule idée fixe demeurait: le bien de ma sœur. J'écartais les bras pour tenter d'obstruer le passage au maximum de mes capacités. Voyant que je n'allais pas obtempérer, il prit les devants. 

Sans même que je ne le vois arriver, il bondit sur moi et m'empoigna à la gorge, me souleva comme si j'étais une bouteille vide et me plaqua contre le mur.

Etouffant à moitié, j'agrippai de mes deux mains la poigne monstrueuse qui me maintenait au dessus du sol dans le vain espoir de parvenir à me dégager. Peine perdue. 

— Je sais à quel point tu tiens à ta sœur, et je peux t'assurer que c'est également mon cas... prononça Jeffrey.

— Mais, reprit-il, il faut que j'y aille. Tu comprendras quand tu aimeras quelqu'un. 

— Tu... vas... la mettre... en danger! tentai-je d'articuler. 

Il ne répondit pas, et d'un geste brusque, m'envoya sur le côté. Il se dirigea vers la porte et l'ouvrit sans un bruit. Je venais de commencer à comprendre un bordel sans nom. Jeffrey se retourna vers moi et plongea ses yeux dans les miens. Je crus sur le moment déceler une larme qui se confondait avec les miennes. 

— Je te promets de la ramener, déclara-t-il. 

Il ferma ensuite la porte avant de disparaître. 

Ce fut la dernière fois que je le vis.

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robruelle
Posté le 01/11/2020
Coucou

Bon j'ai du retard ... mais on va rattraper tout ca :)
Alors, avant que j'oublie , passons à la partie des petites coquilles :)
"Le soleil faisait valoir ces droits" -> je pense que c'est "ses"
"On l'a enlevée, articulais-je difficilement." -> je suis pas sur qu'il faille un s à articulais-je, d'autant que plus bas, pour bégayai, il n'y est pas

Voilà pour les détails :)
Bon sinon c'est un bon chapitre. Ce qu'il y a de chouette je trouve, c'est qu'on assiste un peu impuissant au drame en train de se dérouler. Dés que Lea parle de son séminaire, on sait qu'il va y avoir un soucis. Et ce qui ne manque pas d'arriver.
Et donc ben là, on attend de voir à quel point ca va être la cata. Sans parler de la derniére phrase, terriblement lourde de sens

A tout pour le prochain chapitre :)
Kara Warren
Posté le 01/11/2020
Rolala, que d'erreurs... Merci beaucoup !
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