Isi était déterminé à faire de son mieux. Il ne se décourageait jamais, il ne bronchait pas, il ne s'apitoyait pas davantage. En vérité, il était convaincu que son acharnement portait ses fruits. Pour la première fois de sa vie, la mère lui témoignait autant d'égards qu'à Boris. Elle ne l'ignorait plus, elle le façonnait – ce qui constituait une nette avancée dans leurs relations. Et même si Isi fit une légère poussée d'eczéma à suer sang et eau, sous le satin du nouveau masque, la mère s'épanouissait chaque jour un peu plus. Enorgueillie. Fière. Heureuse.
Et Isi trouvait dans ce bonheur par procuration, sa récompense.
« Pour maman ».
En dehors de cette satisfaction, Isi tirait deux avantages significatifs de ses obligations.
Exécutés à la lettre, les arts et les manières se voyaient récompensés par des jetons étampés – de bronze, d'argent ou d'or. La courtisane Cristallin expliqua qu'ils offraient à ceux qui en possédaient de confortables privilèges, et qu'en cela ils étaient extrêmement prisés. Les quelques bonnes performances d'Isi lui valurent à titre d'encouragement un premier jeton de bronze. Conformément aux indications de la courtisane Cristallin, Isi se saisit de l'arachnautomate inactif qu'il avait trouvé sur son lit le premier soir, et inséra le jeton de bronze dans la fente dorsale. Là, l'automate fit chuinter ses engrenages engourdis, étira ses bras mécaniques, redressa sa coque. Puis il s'attela à l'entretien minutieux des appartements. Une journée de domesticité contre un jeton. Il n'en fallut pas plus à la mère pour y prendre goût : elle usa et abusa des commandes à injonction vocale, et fit préparer tant de bains moussants qu'elle trouva moyen de s'en plaindre.
— Saviez-vous que la peau du bout des doigts se plisse à force de rester dans l'eau ? avait-elle confessé à Gonflette, après avoir exigé du petit robot qu'il lui limât les ongles.
Gonflette ne rechignait plus à les chaperonner. Il s'invitait même à l'intérieur, à condition qu'Isi fît son sport à l'abri d'un paravent, et passait ses soirées en compagnie de la mère, à lui narrer ses bottes secrètes culturistes. Captivée et admirative, elle en prenait note et les mettait en pratique sur Isi. Quels que fussent les bienfaits du gainage latéral en ciseaux, Isi aurait à redoubler d'efforts pour maintenir l'arachnautomate à l'état d'éveil.
Deuxième avantage : la carte du palais qu'il échafaudait en pensées se précisait chaque jour un peu plus. Au centre se dressait le corps du logis, avec ses pièces communes, ses salles d'arts, son bassin, l'hémicycle – dont la visite était bientôt prévue –, et la résidence privée des Bellissimes. En souterrain, les locaux techniques qu'il n'avait qu'entraperçus. Et aux points cardinaux, quatre hautes tours. Les familles de courtisans, de géniteurs et d'enfants nés d'union de Cour se partageaient l'est, l'ouest et le sud, sous l'égide d'un Beau-Parleur référent.
La dernière tour était désertée.
Isi avait beau se triturer les méninges, il ne comprenait ni comment une aile entière du palais, et tout son confort intégré, avait pu être ainsi laissée à l'abandon, ni pourquoi les courtisans évitaient soigneusement de s'en approcher. Cela remontait à des faits bien antérieurs à son arrivée, sans qu'il ne soit parvenu à les dater, ne serait-ce qu'approximativement. Ce mystère l'intéressait bien plus que de saisir en quoi il valait mieux faire carillonner son galure à grelots à la tierce plutôt qu'à la quinte. Il n'avait trouvé aucune réponse dans les pages jaunies des ouvrages de sa bibliothèque. Celle-ci n'était remplie que de recueils d'ordonnances soporifiques. Pas de récits d'aventures, pas d'illustrés, pas de publications d'histoire ou d'architecture.
Isi ne lisait pas très bien. Il n'avait pas eu le droit à la même éducation que Boris. Et grand-mère Lorette ne lui avait enseigné que les mots les plus usuels – ceux utiles au chapardage.
— Pourquoi sommes-nous les seuls à loger dans l'aile nord ?
Isi s'était décidé à sonder la courtisane Cristallin, lors de leurs louanges bucoliques. Il avait pris le temps de concevoir un compliment à la hauteur, pour l'amadouer.
— Vous êtes la sirène de cet endroit. D'une si redoutable beauté, qu'il me plairait de me jeter à l'eau.
La courtisane sourit, lui tendit un jeton, mais ne répondit pas à sa question.
Ils nouaient de meilleurs rapports à présent. Isi appréciait que la courtisane n’exigeât plus de lui qu'il se mira – ce qui représentait selon lui, une entorse à l'Étiquette – et ne manquait pas de lui témoigner son estime. De son côté, elle lui faisait assez confiance pour ne plus l'accompagner jusqu'à la porte de ses appartements et l'abandonner au bas des marches de la tour nord.
Isi adorait ses moments en solitaire. Certes, sa mère et Gonflette veillaient à ce qu'il se montrât ponctuel. Mais au pas de course, Isi réussissait toujours à gagner deux ou trois minutes sur son itinéraire de retour, à visiter furtivement un nouvel appartement abandonné ou un couloir inconnu, et à affiner sa carte. Les serrures se crochetaient toutes de la même manière, si bien qu'il ne lui fallut bientôt plus que trois entrechocs bien ciblés pour ouvrir une nouvelle porte.
Isi était parvenu à faire fonctionner les cornets acoustiques des appartements voisins du sien. En appuyant au hasard sur les touches disposées tout autour du manchon de cuivre, il s'était retrouvé en communication avec un courtisan dont la voix lui était parfaitement inconnue ; il s'était enfui, sans dire un mot. La deuxième tentative lui avait valu un résultat similaire. À la troisième, Isi en était arrivé à la conclusion que les communications passées se limitaient au seul périmètre de la Bulle d'Or. Pour prendre des nouvelles de grand-mère Lorette ou de son frère, il lui faudrait trouver un autre moyen.
Ce soir-là, Isi ne s’embarrassa d'aucun détour. Il était pressé de rentrer à ses appartements pour changer de vêtements. Le jabot en fourrure de fourmilier le grattait affreusement.
Quand soudain, il trébucha au détour d'un couloir de l'aile nord, sur une jambe tendue spécialement à son attention. Féodor Junior l'attendait au tournant, bras croisés, Pandora en retrait derrière lui. Il agrippa Isi par son col, le souleva de terre et le plaqua violemment au mur.
Maintenu sur la pointe des pieds, Isi suffoquait. S'il avait cherché à crier, il n'aurait émis qu'un râle. L'avant-bras puissant de Junior écrasait sa carotide.
— Tiens, tiens. Qui voilà.
Isi ne décelait aucune trace de peur dans les yeux de Junior. Ce dernier affichait même un rictus malfaisant, souligné par son maquillage chatoyant. Isi crut de prime abord qu'il portait un masque de plumes. En réalité, celles-ci étaient collées à même la peau.
— Te crois-tu maître ici, à courir au beau milieu des ga-le-ries plutôt que d'en raser les murs.
Junior singeait le tic de langage de son père et il mettait dans ce tutoiement souligné autant de mépris que possible. Junior était trop jeune pour avoir recours aux artifices du Bel Embrun. Il ne risquait absolument rien à s'exposer d'aussi près. Il se sentait même suffisamment intouchable pour s'aventurer à palper de sa main libre chacune des poches du costume d'Isi.
— Certains parviennent à oublier ta présence, nous non. Elle dé-sa-cra-lise notre sélection. N'est-ce pas, Pando ?
La jeune femme glissait ses doigts dans ses cheveux blonds, à la façon d'un peigne. Silencieusement.
— Qu'avons-nous là ? interrogea Junior, en sortant le jeton d'or d'une des poches.
Sous l'effet de la surprise, il relâcha la pression de son avant-bras. Assez pour permettre à Isi de reprendre son souffle. La mine ombrageuse, Pandora ne caressait plus ses cheveux.
Isi regardait alternativement son jeton chèrement gagné et la veine palpiter au front de Junior. À chaque nouveau battement, les plumes à sa peau frémissaient.
Isi voulut déglutir, sa gorge était trop serrée pour ça. Il ne doutait pas que ces deux-là pussent gagner quotidiennement plus de jetons que lui en une semaine. Mais cet unique jeton était déjà de trop à leurs yeux.
— Sais-tu seulement ce qu'il en coûte aux gens comme nous d'obtenir le rang de courtisan ? Sais-tu le déshonneur que s'est infligé mon père en épousant ma gé-ni-trice ? L'outrage de mélanger son sang à celui d'une petite-bourgeoise, aussi belle soit-elle. Cette dot avilissante, et le reste... Sais-tu combien mon corps a souffert d'avoir à s’embellir toujours plus ? Sais-tu à quel point les pa-ra-sites de ton genre ont causé du tort aux Précerel ? À mon grand-père...
Isi savait, oui.
Grand-mère Lorette lui avait raconté l'histoire du Cerbère.
À la Nappe, les parents s'en servaient pour effrayer les enfants turbulents – notamment ceux qui refusaient de porter la cagoule et trouvaient à rire des fausses menaces du croque-mitaine. Grand-mère Lorette n'avait trouvé aucune raison valable de faire peur à ses petits-fils et aucune de les dispenser d'en connaître le récit. Alors, elle avait mis les formes pour la rendre digne d'un feuilleton d'aventures palpitant, à grand renfort d'imitations détonantes, de voix nasillardes, et de grimaces. Plus jeune, Isi avait applaudi. Ce n'est qu'avec les années qu'il en avait saisi l'épouvantable véracité des faits.
En son temps, Féodor – premier du nom – avait été un jeune candidat magnifique. Le beau monde s'était accordé pour dire qu'il avait tout pour rejoindre la Cour. Agressé en pleine rue et défiguré, il n'avait plus eu aucune chance de l'être. Ce type de violences n'était pas rare à l'époque. Les laids jalousaient les beaux. Certains avec rage et férocité. Les Précerel avaient demandé réparation. La mise à mort de l'agresseur – un miséreux – ne leur avait pas suffi. Et ils avaient exigé un acte politique fort. Comme la direction de la fabrique-laboratoire leur donnait le bras long, les courtisans en fonction avaient pris une décision radicale : imposer le port de la cagoule à tous les enfants, au nom de leur protection. Le nombre d'actes anti-beaux avaient rapidement chuté, au point de se retrouver déclassés parmi les faits divers. Les Précerel s'en étaient montrés unanimement satisfaits, à l'exception de la victime. À jamais meurtri, Féodor n'avait eu ensuite que des envies revanchardes en tête : il s'était enrôlé dans la milice et en avait gravi un à un les échelons, jusqu'à la plus haute fonction ; et il avait imposé le respect des lois par la force et la peur, comme aucun Cerbère avant lui. En particulier dans les quartiers populaires.
Le souvenir de cette histoire laissa dans la bouche d'Isi un étrange arrière goût. Le sang lui montait à la tête. Il respirait à grand peine. Junior avait encore resserré son emprise.
Isi avait l'habitude de gérer les humeurs de Boris, de désamorcer les menaces, de parer les coups. C'était devenu une sorte de normalité routinière. En revanche, il ne savait pas comment gérer celles de Junior. Ce dernier était fils de notable, devenu courtisan. Isi ne s'estimait aucunement arriver à sa cheville, il demeurait un imposteur, à leurs yeux comme aux siens.
— Si j'avais été Beau-Parleur, j'aurai eu le cran de te répudier, acheva Junior. Tu n'as pas ta place ici-haut, il est grand temps de faire le ménage... Pando, apporte-le moi.
Pandora lui tendit l'arachnautomate lové au creux de son bras. Junior glissa le jeton d'Isi dans la fente dorsale et le robot s'éveilla.
— Nettoie ! siffla Junior en désignant Isi d'un hochement de tête mesquin.
Une brosse rotative surgit de la coque de laiton, laissant à sa suite des traces d'écumes savonneuses. Et l'arachnautomate s’exécuta.
Au lieu de lessiver le sol, il s'employa à polir les souliers d'Isi. Ensuite, les bras articulés s’agrippèrent aux bas en soie naturelle et la brosse s'acharna, les arrachant au passage. Isi sentit les crins griffer la peau de ses jambes et le savon l'embraser. Au rythme où l'arachnautomate opérait, il mettrait le reste de la tenue en lambeaux en quelques minutes. Isi se débattit. Prêt à opposer la plus farouche résistance. Deux des pinces du robot lâchèrent prise.
— Arrête de gesticuler, Pujol. Tu ne facilites pas les choses, tu me vois contraint de par-ti-ci-per.
Junior fit danser ses doigts libres sur le masque de perles d'Isi. Ses yeux étincelaient d'une lueur avide et malfaisante.
— Du sur-mesure.
Brusquement, Junior saisit le masque au col, en arracha le laçage – des perles valsèrent –, puis il entama de l'ôter de force. La bouche d'Isi était quasi-démasquée, lorsque sous le coup de l’affolement, il mordit le poignet de Junior, l'empêchant d'accomplir son forfait jusqu'au bout. D’instinct.
Junior le relâcha aussitôt, sidéré, et recula. Sa main en sang.
Isi ne lui laissa pas le temps de recouvrer sa lucidité. Il attrapa l'arachnautomate-nettoyeur accroché aux rubans détrempés et mousseux de sa rhingrave, puis il le jeta contre le mur d'en face.
Alors, il s'élança. Dans un état trop second pour savoir s'il avait Junior à ses trousses. Ni même s'il avait détruit son arachnautomate. L'anxiété rendait sa course et ses gestes fébriles. Il peinait à remettre en place sa cagoule. Le tressage du cuir s'entortillaient sur lui-même. Son menton était toujours à découvert. Isi insista encore. Sans s'arrêter de courir. Et sans se rendre compte qu'il avait rejoint le grand patio circulaire.
À proximité du rocher d'or, un groupe de courtisans s’échangeaient amabilités et courbettes d'usage. L'exercice tourna court, et l'un s'écria :
— Mais, mais, mais... LE COURTISAN LAID SE RUE SUR NOUS !
— QUE FAIT-IL SI LOIN DE L'AILE NORD ?
— IL NE JOUE PLUS LE JEU !!
— VOYEZ COMME IL TIENT SA CAGOULE DES DEUX MAINS.
— POUR NOUS MONTRER SON VISAGE !
— PAR TOUS LES ONGUENTS, NOUS SOMMES FAITS !
Les figures se plissaient en un éclair. Les courtisans indisposés empoignèrent aussitôt leur Bel Embrun, en inhalèrent une bouffée salvatrice et retendirent leurs traits. Mais la panique généralisée était telle que la tension des peaux se relâchait aussi vite. Bientôt les inhalateurs furent tous vides, et les rides indélébiles.
Isi n'eut ni le temps, ni la présence d'esprit de se confondre en excuses, déjà les courtisans détalaient en se cachant autant que possible du regard de leurs pairs. Certains emmaillotés dans d'élégantes peaux animales inadaptées à la fuite, trébuchaient et rampaient sur le marbre noir. À la manière d'animaux blessés.
Isi alla s'enterrer dans le couloir de service obscur qu'il avait emprunté le jour de son arrivée, assuré de ne plus causer de troubles ne fois à l'ombre des regards. Et il prit le temps de rassembler ses esprits. Et de réguler les battements de son cœur.
Le soleil déclinait à présent. À la faveur d'un fin rai de lumière, il constata que sa tenue n'était plus qu'haillons. Si la manière du jour imposait qu'il honorât la beauté du règne animal, la scène qu'il avait jouée tenait plus de l'horrifique.
Se remémorant l'itinéraire, il regagna ses appartements. En ne croisant que les seuls arachnautomates au plafond.
***
Les Beaux-Parleurs l'attendaient dans l'antichambre. Leurs sourcils étaient si froncés qu'ils n'étaient pas loin se rider à leur tour. De colère. Ils serraient au creux de leur poing, un inhalateur de poche, juste au cas où.
Isi ne chercha pas à se justifier, ni à se trouver une excuse valable. À quoi bon...
La mère se tenait en retrait. À ses côtés, deux courtisans d'apparence amochée. Isi identifia sans mal Gonflette qui, malgré la déformation de ses traits et l'apparition de vergetures abdominales, conservait sa carrure imposante. Quant à la courtisane Cristallin, s'il n'y avait eu sa robe sirène, Isi aurait été persuadé de la rencontrer pour la première fois.
Sa bouche et son front étaient striés de rides profondes, ses bajoues tombaient, son cou se plissait. Et ses yeux semblaient écrasés par le creux des cernes. De son physique habituel, il ne restait que ce regard vitreux – révélateur de son grand âge –, perdu dans le vague. Elle était au moins centenaire.
Isi l'appréciait assez pour se sentir coupable. De lui faire endurer cette transformation, de lui ôter son masque juvénile. Il inspira longuement, amer, puis il se tourna vers les Beaux-Parleurs et attendit leur réquisitoire.
— Ce soir, la Cour s'endort marquée par la disgrâce. Les souillures causées par votre échappée se répandent plus vite qu'une traînée de poudre. Les témoins bavardent, les autres imaginent le pire. Et tous se rident. Tant de plaies à panser, tant de peaux à restaurer...
— Il faudra du temps pour panser les peaux.
— Et restaurer la paix.
— Courtisan Pujol, vous avez agi en connaissance de cause. D'aucuns ont fait preuve de trop de complaisance à votre égard. Des sanctions s'imposent.
Ils se tournèrent d'un seul homme, vers la courtisane Cristallin et Gonflette. Et le Beau-Parleur au binocle trancha :
— En temps normal, la situation requerrait une sévère peine d'Étiquetage. Nous seront indulgents compte-tenu de vos états de service. Nous jugeons cependant approprié que les restaurations matérielles liées aux nombreux dommages soient acquittées sur vos jetons d'or personnels. En outre, vous recevrez votre dose de Bel Embrun les derniers. L'expectative fera office de mise en garde.
— La plus ineffable des mises en garde.
— Gardez-vous de l'ineffaçable.
Isi peinait à se représenter la valeur de ce jugement. Gonflette grimaça, suggérant que le colosse se considérait trop lourdement puni. La courtisane Cristallin leva son menton flasque. Elle acceptait la sentence avec panache, pour sa part.
Puis, ce fut au tour de la mère d'affronter les Beaux-Parleurs.
— Madame Pujol, vous n'êtes que génitrice ici-haut. L'Étiquette ne s'appliquant pas à vous, nous avons pleine autorité pour limiter vos déplacements. Vous serez assignée à résidence, indéfiniment.
— Assignée à résidence.
— Résignée à l'évidence.
La mère triturait ses mains maladivement, mais elle n'objecta pas.
— Et moi ? demanda Isi que ces dommages collatéraux tourmentaient croissant.
— Quoi vous ? s'interloqua le troisième Beau-Parleur.
Sa voix avait déraillé. Il ne parvenait pas à feindre le calme aussi bien que les deux autres. Il vérifiait régulièrement la lissité de ses pommettes. Et le reste du temps, ses mains se cramponnaient à son inhalateur de poche, laissant croire qu'il pouvait en avoir l'usage à tout instant. Et il jetait des regards pressants aux deux autres, comme si ceux-ci avaient le pouvoir d'écourter l'entretien.
— Ma punition... s'obstina Isi.
Il ne se croyait pas coupable des faits qui lui étaient reprochés – tout était de la faute de Junior –, mais il espérait de tout cœur payer plus chèrement que les autres. Le Beau-Parleur au binocle se contenta d'un rictus et quitta l'antichambre le premier. Ni réponse, ni courbette polie. Les deux autres le suivirent sans demander leur reste.
Quand la porte claqua, ils laissaient derrière eux le reste du groupe abattu.
— Je suis désolé, glissa Isi, tête basse. Je vous jure que...
— Décidément, tu n'arrives pas à la cheville de ton frère.
La mère, cinglante, le poignarda en premier. Mutiques, la courtisane Cristallin et Gonflette se contentaient de le foudroyer du regard. Tous trois se chargeraient de le lui faire payer. C'était ça, sa punition.
— Tu me fais honte ! Honte ! Honte !
Déjà à fleur de peau, Isi sentit son cœur se fendre en mille morceaux. Tous les sourires de la mère, ceux radieux de ces derniers jours, s'étaient mus en une unique grimace de dépit... et de dégoût. Il s'éclipsa dans sa chambre, pendant qu'elle continuait d'hurler dans son dos.
— Pars, vas-y ! C'est si commode !
Il verrouilla le loquet. Il arracha ses haillons, les jeta en boule dans un coin, et se glissa sous la couette. Quand il fut bien certain que personne ne pouvait l'entendre, il enfouit sa tête dans son oreiller et cria sans un bruit.