PRELUDE

Par S.B.D

Le soleil décline lentement, projetant une lueur orangée sur les façades des immeubles. L’air est empli de rires et de cris, ceux de mes potes et moi, absorbés dans notre partie de foot improvisée. Les murs servent de cages, le bitume comme terrain, et chaque tir est une bataille pour la victoire.

Je récupère le ballon, puis arme une frappe puissante. Trop puissante. Le cuir s’élève, passe au-dessus de nos têtes et file droit vers la route. Mon cœur rate un battement.

Sans réfléchir, je cours après. Je m’arrête juste avant le passage piéton, mon souffle court. Pas de voiture en vue. J’hésite à peine. Je fonce.

Le ballon roule doucement de l’autre côté. J’allonge le pas, mes baskets crissent sur le bitume, mes doigts se referment sur la surface usée du ballon. Je pousse un soupir soulagé.

Et je me retourne.

Un hurlement déchire l’air. Un klaxon furieux. Un choc brutal.

Tout bascule.

Mon corps s’arrache du sol, projeté en arrière comme une poupée de chiffon. Une douleur vive explose dans mes côtes, mes jambes cèdent sous moi, et le monde devient un tourbillon de lumières, de bruits et de vide. Je touche le sol. D’abord mes épaules. Puis ma tête.

Tout devient flou. J’entends des cris. Des pas précipités. Mon propre souffle, court, haché. J’essaie de bouger, mais une douleur fulgurante me cloue au sol.

Et là, au milieu des visages paniqués qui se penchent sur moi, mon regard se perd dans le ciel. Le ballon, mon foutu ballon, roule encore doucement sur le trottoir.

Le bruit autour de moi est lointain, étouffé, comme si je flottais sous l’eau. Je vois des ombres s’agiter, des visages flous, des lèvres qui bougent sans que j’entende vraiment les mots.

Puis une sirène déchire l’air. Bleue et rouge, elle pulse au rythme des battements désordonnés de mon cœur.

Des mains me touchent, des voix claires et assurées me ramènent à la réalité.

— Reste avec nous, gamin. Tu peux bouger tes bras ?

Je hoche faiblement la tête. Oui, mes bras répondent.

— Et tes jambes ?

Mes jambes ?

Je veux les bouger. Je veux sentir mes pieds frotter contre le bitume, replier mes genoux, n’importe quoi… Mais rien.

Un frisson glacé me parcourt l’échine. Mon cœur s’emballe.

— Je… Je sens rien…

Le pompier échange un regard rapide avec son collègue. Je perçois une ombre d’inquiétude dans ses yeux. Il attrape ma main.

— On s’occupe de toi, respire, d’accord ?

Ils m’installent sur une civière, me sanglent, et la douleur me cloue le souffle quand ils me soulèvent. Ma tête tourne, des lumières défilent au-dessus de moi, puis le plafond de l’ambulance m’engloutit.

Le trajet est flou. Je perds la notion du temps. Parfois, j’entends leur voix me parler, vérifier si je suis conscient. Puis les portes s’ouvrent brusquement. L’hôpital m’avale.

Des blouses blanches. Des lumières trop vives. Des odeurs de désinfectant. On me pose mille questions, mais mon esprit est ailleurs, bloqué sur une seule chose : mes jambes.

J’ai 15 ans. Je devrais être en train de rire avec mes potes, de rentrer chez moi en râlant sur les devoirs à faire. Pas allongé ici, à me demander pourquoi mon corps ne répond plus.

On m’emmène faire des examens, des radios, une IRM. Je ne comprends pas tout. Je suis fatigué. J’ai froid. Je veux juste que quelqu’un me dise que ça ira, que demain je pourrai marcher, courir, rejouer au foot…

Quand on me ramène dans une chambre, je les vois.

Ma mère est là, effondrée sur une chaise, les mains plaquées sur sa bouche. Son visage est ravagé par les larmes, ses épaules tremblent. Mon père est debout, les bras croisés, immobile. Mais son regard brille trop fort, trop humide. Il essaie d’être fort.

Ma grande sœur, elle, est collée contre le mur. Son regard accroche le mien, et je vois qu’elle lutte pour ne pas craquer.

— Maman…

Ma voix est rauque, à peine un souffle. Elle se précipite vers moi et attrape ma main, la serre comme si elle avait peur que je disparaisse.

— Mon bébé… Oh mon Dieu…

Je veux parler. Leur dire que ça va, que je suis là. Mais la porte s’ouvre et le médecin entre.

Son regard est grave. Il s’approche, inspire doucement avant de parler.

— Écoute… On a fait tous les examens nécessaires. L’impact a touché ta colonne vertébrale.

Je déglutis.

— Ça veut dire quoi ?

Un silence pesant. Puis les mots tombent, lourds, irrévocables.

— Ta moelle épinière a été endommagée. Nous allons tout faire pour t’aider à récupérer… Mais il est très probable que tu ne puisses plus remarcher.

Je fixe le médecin, incapable de comprendre. Non. Impossible. Il se trompe.

— Non…

Ma voix est qu’un murmure.

Ma mère éclate en sanglots à côté de moi. Mon père se frotte le visage, passe une main dans ses cheveux en inspirant un grand coup.

Ma sœur, elle, recule d’un pas. Son masque tombe, et je vois ses yeux s’inonder de larmes.

Je serre les draps entre mes doigts, cherchant un repère, quelque chose de stable dans ce monde qui bascule. Mais rien ne répond. Ni mes jambes. Ni mon destin.

Et le poids de ces mots m’écrase.

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Justine H
Posté le 05/02/2025
Très beau, on ressent toutes les émotions, la plume est super, je te conseil d’aller un peut moins vite, car il y a tellement de sensations à explorer, malgré le fait qu’elles sont déjà très bien décrites. 😊
S.B.D
Posté le 05/02/2025
merci .
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