Première Année

Par LVR8963

Après l’orgie d’événements festifs de la rentrée, la fièvre était brusquement retombée. On avait épuisé les raisons pour lesquelles organiser une soirée. Un répit pour le foie et les intestins. Les étudiants soufflaient un peu. Les première nuits complètes s’offraient à tous. Tout le monde y avait le droit, pas seulement ceux qui refusaient de participer à la fête. Pour la première fois depuis bien longtemps, il ne se passait absolument rien dans l’Ecole ou dans les résidences étudiantes associées.

Plus aucun défilé perturbateur dans les couloirs au milieu de la nuit. En ce samedi matin, Paul ne voyait défiler que la grisaille parisienne par la fenêtre de sa chambre. Il remarqua seulement maintenant que son studio était assez clair mais sans aucune chaleur. Depuis le 4ème étage la vue était dégagée, sans vis-à-vis. Mais le gris des nuages et le beige du papier peint de la pièce principale donnaient à la lumière une tristesse inévitable.

Le studio était l’exact opposé d’un endroit cosy. Paul y avait posé ses affaires paresseusement, la moitié des vêtements étaient encore dans la valise. Il avait sorti son ordinateur sur le bureau, étalé des classeurs sur la bibliothèque mais il ne s’était pas approprié cet espace et ces meubles fournis avec les murs. Il se faufilait d’un coin à l’autre, il n’osait pas déranger. Peu de vie émanait de cet endroit. Paul pouvait presque sentir les grains de poussières voler. Une poussière blanche, sans salissures humaines, juste l’usure du temps.

Le jour était entièrement levé et le soleil ne donnerait pas plus pour réanimer le logement. La résidence tout entière semblait endormie. Paul avait pourtant imaginé que les week-ends seraient des moments privilégiés par tous les provinciaux qu’ils étaient, pour partir à la découverte de la capitale, profiter de toutes les attractions de renommées mondiales qui leur étaient à portée de métro. Mais il vit bien que rien ne se préparait, personne ne se manifestait d’une façon ou d’une autre pour faire quelque chose de ce week-end.

Soit ils dormaient tous comme des loirs, soit ils s’enfermaient pour 48h avec leur divertissements solitaires.

Paul ne supportait pas l’idée de ne rien avoir à répondre quand on lui demandera de ce qu’il a fait de son week-end. Si personne ne voulait sortir, alors il sortirait seul, au moins pour changer d’air.

 

Paul enfila ses chaussures, une veste puis ferma la porte de sa chambre. Il quitta la résidence avec l’impression de partir d’une fête au petit matin, au moment où le jour s’est levé mais que tous les convives sont encore comateux de leurs excès de la veille.

Il gagna la bouche de métro sans savoir encore où il ressortirait. Il dut attendre 11 minutes pour avoir un train, les horaires de week-end. Malgré l’attente, le quai ne se remplit guère et Paul put s’assoir dans la rame.

Pendant le trajet il observa la ligne des stations, scruta les correspondances qui s’offraient à lui. Finalement il se dit que les Champs Elysées étaient en accès direct et que c’est là qu’il descendrait.

Ce sera une demi-découverte car Paul avait déjà arpenté ce lieu il y a quelques jours quand les élèves de deuxième année avaient organisé ici la grande quête pour le financement du week-end d’intégration à venir. Les responsables du bureau des élèves avaient donc trainé les nouveaux dans divers lieux touristiques de la capitale pour que ces derniers fassent la manche auprès des habitants.

 

La sortie de la 13 sur les Champs étaient sur le bas de l’avenue, loin des boutiques de luxe. Le premier bâtiment qu’on rencontrait en sortant était le poste de police, comme si les forces de l’ordre voulaient absolument garder un œil sur ce qui pouvait débarquer directement de la banlieue.

Paul remonta les Champs, l’Arc de Triomphe comme horizon. Malgré le prestige de l’adresse, le trottoir n’était ni pavé ni goudronné, juste une large zone de terre que la pluie de la veille avait transformée en boue sur une grande partie. Paul se sentit comme sur un terrain vague, un terrain sans fonction particulière, comme tous ceux qu’il avait pu observer depuis le train Clermont-Paris. Mais ici, au cœur de la capitale où chaque mètre carré valait de l’or, cette sous exploitation était surprenante.

Sur un côté, un stand de crêpes s’efforçait de donner une utilité à la partie basse des Champs. L’odeur de la pâte en train de cuire rappela à Paul qu’il n’avait rien mangé depuis ce matin.

Loin des contraintes familiales, Paul avait abandonné l’idée de se préparer trois repas par jours. Il remarqua que ça n’empêchait en rien de vivre. Il avait profité ainsi de ses réserves toute la semaine, s’évitant de faire la cuisine et les courses trop souvent. Mais là il était arrivé au bout et pour la première fois de sa vie, Paul avait faim, il avait vraiment besoin de manger pour éviter une hypoglycémie.

Il acheta une crêpe au sucre, elle n’avait rien d’extraordinaire mais le fait de la manger par faim plus que par gourmandise la rendait délicieuse. Ce maigre repas calma les crampes d’estomac, pas besoin de le remplir plus pour qu’il cesse de gémir. Paul aurait voulu désactiver son système digestif si c’était possible. Ici les gens oubliaient leurs besoins vitaux pour se concentrer sur le reste.

 

Paul reconnut le haut des Champs quand il retrouva un trottoir lisse, parsemé de touristes chinois qui erraient entre les boutiques de luxe, un smartphone greffé à la main telle une extension de leur corps trop petit. Cet objet était si vital pour eux que la plupart l’avait accroché à un élastique lui-même savamment attaché à leur veste pour éviter un vol à l’arraché comme ils avaient dû le voir à la télé.

A part cette crème du tourisme international, personne ou presque n’achetait quoi que ce soit sur les Champs. Les enseignes présentes s’adressaient aux plus fortunés, Paul découvrit pour la première fois la plupart des marques présentes. Certaines devantures ne portaient aucun nom, le magasin concentrait alors tout son concept sur le numéro de son adresse sur les Champs qu’il affichait en grand comme une marque. Le contenu des rayons n’avait guère d’importance. L’emplacement était snob de lui-même.

Seuls trois emplacements recevaient des Français. Séphora, McDonalds et la boutique officielle du PSG. Leur présence ici avait dû être imposée par la mairie pour justifier que les Champs-Elysées restaient une avenue familiale où les parisiennes et les parisiens aimaient se retrouver.

Les jeunes femmes se ruaient à la boutique Séphora, l’enseigne empestait le trottoir sur plusieurs mètres pour les attirer. Elles en ressortaient transformées, sublimées ou défigurées c’est selon. Les parisiennes se paraient d’un élégant rouge-à-lèvre qui venait donner la touche sexy à un petit ensemble chic, très sage, sans faute de goût. Par contre les banlieusardes se recouvraient les paupières d’un stylo noir épais et qui les faisait ressembler à des pétasses.

Ces dernières attendaient ensuite leurs homologues masculin autour d’un Sunday à la fraise en riant très fort. Elles jubilaient à avoir été plus rapides que les garçons pour le shopping. Les garçons étaient encore à la boutique du PSG où ils se constituaient un costume trois pièces flanqué de l’écusson du club de la capitale. Ils furent retenus à la sortie par le vigile qui voulait s’assurer qu’ils n’avaient pas dérobé un article ou deux au passage. Voilà pourquoi ils furent plus longs que les filles.

A l’extrémité des Champs, donnant directement sur la place de l’Etoile, il y avait l’ambassade du Qatar. Ce pays avait réussi à placer son QG dans la zone. Cela démontrait l’importance du lieu à ses yeux. C’était le lieu de consommation incontournable de ses compatriotes, l’équivalant de nos zones commerciales péri-urbaines.

 

Après cet aller-retour sur l’avenue la plus célèbre de Paris, Paul regagna sa banlieue. Il pourra dire « J’ai fait les Champs ». Il ne s’arrêta jamais de marcher, pas même pour prendre une photo. Il ne trouva pas sa présence ici légitime. Il se contenta d’être de passage, comme pour prétexter que son défilé ici n’était qu’une simple liaison sur un trajet ordinaire. Une simple nécessité de passer par là.

 

Au fil des semaines Paul douta de plus en plus d’avoir fait le bon choix en choisissant cette Ecole parmi la liste qui s’était ouverte à lui suite aux concours. L’intérêt pour les cours de mécanique dont Paul s’était auto persuadé qu’il viendrait ne se présenta jamais. Les enseignants avaient promis que les cours des premiers mois permettraient à tout le monde, quel que soit son parcours, de devenir un as en assemblage mécanique.

Il eut bien de longues séances de travaux dirigés à essayer de décrypter les plans 2D d’un moteur de tondeuse à gazon ou d’une turbine à d’avion mais Paul dut se rendre à l’évidence. Avant ou après cette initiation, les élèves qui savaient déjà lire un dessein mécanique avaient passé un bon moment et ceux qui ne savaient pas le faire l’ignoraient toujours.

Les gens parlaient déjà de l’année prochaine, des options de spécialités qu’ils souhaitaient prendre, certains commençaient même un dossier pour une équivalence ailleurs à la rentrée prochaine. On cherchait à s’échapper, dans d’autres Ecoles du groupe mieux notée et avec une réputation plus éloignées du Club Med que celle-ci, ou dans d’autres pays, une université étrangère qui viendrait illuminer un CV.

Mais avant toutes ces réjouissances, la prochaine étape à valider était le stage découverte de l’entreprise au mois de février. C’était dans longtemps mais l’ensemble du corps enseignant avait insisté pour décrocher une promesse d’embauche le plus rapidement possible.

Le réseau familial était le principal fournisseur d’emploi. Beaucoup utilisèrent cet étape du cursus pour retrouver un endroit agréable et sans frais. Des vacances participatives avec quelques heures de travail par jour pour avoir le droit à la tranquillité. L’inégalité territoriale ne fut jamais aussi forte au sein de la promotion.

Paul avait décroché son sésame lors d’un retour chez lui, pendant les vacances de la Toussaint. Le stage était validé bien avant que cela devienne une urgence. Il était tranquille là-dessus.

L’Ecole avait un responsable des relations avec les entreprises. La question des stages tenait une part importante dans son activité. Il pouvait donner des conseils, orienter et même proposer un stage si on lui présentait un projet professionnel attractif.

En ce début d’année, la coutume était d’obtenir un entretien individuel avec lui pour lui parler de son projet et des stages à venir. Paul prit un rendez-vous sur les recommandations de ses camarades même s’il n’attendait absolument rien de cette personne.

 

Le responsable relations entreprises avait envoyé une invitation par mail pour Paul. Jeudi 13h15 et pour une durée de 15 minutes. Le créneau était à prendre ou à laisser comme l’indiquait l’homme dans son message. Il affichait son importance au travers d’un agenda surchargé et qui ne laissait que des intervalles lilliputiens pour rencontrer les élèves. Et encore on devait se réjouir d’avoir pu obtenir un rendez-vous.

Paul retourna à l’Ecole exprès pour lui. Il n’y avait jamais cours le jeudi après-midi. Sur le trajet il se demanda ce qu’il pourrait bien lui poser comme question, il était censé demander conseil. Et puis il décida qu’il lui raconterait surtout ce qu’il a déjà fait. Il lui présentera fièrement le stage obtenu par lui-même, avant même ses précieux conseils. C’était une rencontre pour se rassurer, se vanter.

Le bureau de M. Pierre Boucher possédait une antichambre avec un vieux sofa pour patienter. Paul s’y installa, il percevait tout du précédant entretien, les vieux murs ne filtraient rien. Le jour était si important sous la porte que Paul put aussi voir des ombres danser sur le parquet, il savait quand Pierre Boucher bougeait ou non sur sa chaise.

Sans surprise Paul vit la porte s’ouvrir et un camarade quitter le bureau. Il les avait vus se lever plusieurs secondes auparavant à travers la porte fermée.

Pierre Boucher enchaina directement avec Paul, ne lui laissant aucun temps pour s’annoncer et décliner son identité.

« Bon c’est à nous maintenant ! fit Boucher. »

Paul s’assis dans le vacarme du parquet qui reprenait sa place. Il n’avait encore prononcé aucun mot. Il commença à douter de son introduction. Devait-il commencer par se présenter naïvement ? Ou devait-il directement aborder le sujet du stage en entreprise comme s’ils reprenaient une discussion abandonnées il y a quelques minutes ?

Pierre Boucher attaqua le premier, il ne tolérait aucun temps mort. Il mit directement les pieds dans le plat.

« Bon alors vous en êtes où vous pour cette recherche de stage ? »

Paul expliqua l’accord qu’il avait obtenu de la part d’une société de sa région qui possédait un atelier d’assemblage de machines. Ces machines servaient ensuite à créer d’autres objets grâces à un laser qui solidifiait de la matière en poudre. Le récit fut court mais efficace, impeccable. Aucune faiblesse malgré tous les complexes que Paul avait devant cet homme qui semblait avoir vécu plusieurs carrières dans le monde concret des entreprises.

Boucher pianota le nom de l’entreprise sur son ordinateur. Il en connaissait énormément mais pas celle-ci, loin du tissu économique parisien. Il consulta le site internet pour s’assurer que Paul disait vrai car c’était plutôt surprenant.

« Donc il y a encore des fabricants de machines-outils en France… Ils sont bien seuls car vous savez dans ce secteur, ce sont les Allemands qui font tout. Merci pour l’info en tout cas ! »

Malgré sa qualité de responsable relations entreprises, Boucher ne trouva pas de conseils à donner à Paul sur cette dernière puisqu’il venait de la découvrir. Mais il ne se démonta pas pour le questionner sur la suite. Il minimisa même ce relatif succès devant les autres expériences à venir, il interdisait la satisfaction à ses invités.

« Bon très bien mais le plus important, c’est le stage ingénieur de 4 mois l’an prochain. Celui-là c’est du sérieux, cette année c’est juste une découverte de l’entreprise. Vous avez des projets pour ce stage ingénieur ? »

Face à ce rabaissement, Paul bredouilla, improvisa une envie dans le secteur automobile, si possible à l’étranger. Sans ambition, il ne dévoila aucun détail concret sur cette recherche qu’il n’avait pas commencé.

« Ah oui l’étranger… fit Boucher. C’est sûr que ça serait mieux. Vous savez aujourd’hui vous êtes grillé chez les recruteurs si vous faites pas un stage à l’étranger. »

Le quart d’heure touchait déjà à sa fin. Paul rebroussa chemin, il n’y avait personne après lui pour l’espionner à travers la porte. Pourtant Boucher s’était montré impatient d’en terminer, il mimait un rendez-vous important juste après.

Pierre Boucher n’avait rien apprit à Paul, c’était peut-être même l’inverse. Son tique de langage où il commençait la moitié de ses phrases par vous savez était criant de vérité. En effet tout ce qui sortait de sa bouche était d’une évidence déconcertante et son auditoire le savait déjà effectivement.

Ce rendez-vous était pourtant indispensable, il fallait venir voir Boucher pour lui apprendre des choses qu’il devait nous enseigner mais qu’on avait déjà découvert par nous-même. Tout ça en quinze minutes, à peine le temps de rester assis.

 

Paul se résigna peu à peu à ne pas sortir les week-end, à ne pas intégrer le Paris by Night Circus alors que la majorité des adultes de provinces imaginaient ça pour lui et tous les étudiants de la région parisienne. Paul aussi se l’était imaginé, il l’avait longuement appréhendé avant de venir ici mais il s’était imaginé qu’il se retrouverait au milieu d’un groupe lui permettant de surmonter cette crainte. Un groupe composé d’éléments semblables à lui et qui feraient bloc ensemble pour révéler leur part aventurière. Car ils sortaient tous du même moule, ce même concours commun auquel ils avaient eu des résultats sensiblement proches. Pour en arriver là, ils avaient tous vécu leur deux premières années de majeur en apnée sociale, consacrant toute leur existence à la préparation des fameux concours. Et maintenant que le plus dur était derrière eux et qu’ils découvraient la vie hors du foyer familial, on s’imaginait qu’ils profiteraient à fond des autres aspects de la vie d’étudiant.

Mais l’ambiance générale ne prit pas cette tournure. Les ex intellos du lycée assumèrent pleinement leur condition et ne cédèrent pas un pouce à l’injonction de divertissement nocturne autour des Grands Boulevards. Il n’y avait plus ce complexe de comparaison, celui qui les culpabilisait de ne pas être assez jeunes et festifs. Alors pourquoi faire des efforts pour se sociabiliser ? Les nouveaux divertissements numériques et solitaires s’étaient démocratisés, il n’y avait plus rien de honteux à s’enfermer des jours dans sa chambrette.

Le groupe, ou plutôt la partie du groupe accessible à Paul, avait des habitudes déjà bien établies, une routine difficilement imaginable depuis l’extérieur.

Chaque vendredi soir commençait par le séance de badminton dans un gymnase de la ville. La caution sport de la semaine, un décrassage nécessaire et qui se voyait tout de suite annulé par le traditionnel arrêt au Quick de Saint-Ouen sur le retour.

Ce fastfood était un sujet assez clivant au sein de l’Ecole. Il avait une réputation sulfureuse, des rumeurs racontaient que ce serait le seul restaurant de la chaine en France à avoir discrètement converti sa carte à la viande hallal face aux pressions des cités voisines. Il y avait aussi des soupçons de manquements graves à l’hygiène la plus élémentaires en cuisine. Régulièrement des articles de presse ou des miroirs de ces articles (dont on ne savait plus si l’article original était bien réel) affirmaient qu’un père et son fils se retrouvèrent hospitalisés après s’être intoxiqués en mangeant un LongBeef.

Certains élèves trouvaient cela intolérables et boycottaient véritablement l’établissement en plus d’en faire la mauvaise pub. D’autres dédramatisaient le tableau en disant que de la viande hallal ça reste de la viande, et que les empoisonnements ne concernaient que les personnes fragiles. Il ne faudrait pas se diriger vers une dictature hygiéniste non plus.

La majorité des garçons revenant du badminton appartenaient au deuxième groupe. Ils étaient jeunes et venaient de faire du sport, ils ne craignaient rien. Il y avait bien une certaine appréhension à se nourrir ici, on ne pouvait pas rester insensible à l’interminable liste des casseroles de cet établissement. Mais plus forte était la volonté de paraître comme un étalon ayant les crocs et ayant besoin d’avaler de la nourriture en quantité et pour pas trop cher.

Au comptoir tout le monde réclama le second burger gratuit qu’offrait la carte étudiante. Paul suivit le mouvement même s’il ne sentait pas une telle nécessité chez lui. Il avait développé une phobie de la viande de bœuf en fastfood suite aux articles lus. Il se rassura en prenant un menu LongChicken.

Paul laissa la moitié de son deuxième sandwich. Un affamé s’occupa de le terminer.

 

Le groupe avait pour habitude de s’éterniser à sa table après avoir fait disparaitre rapidement la nourriture. Ils refaisaient le monde. Ils refaisaient leur monde. Les derniers partiels et la Ligue des Champions. Quand ils quittaient enfin le restaurant pour aller prendre une douche chez eux, ils étaient souvent les derniers à partir.

Après s’être lavé, Paul se trouvait dans un état partagé. Ses poumons se remplissaient plus facilement, sa respiration était agréable, il avait bien couru ce soir. Mais plus bas son estomac souffrait du dernier repas. Le mélange pain, viande, soda, frite était hautement indigeste. Paul chercha une position qui faciliterait la digestion. Sur sa chaise, allongé sur le lit, aucune n’était efficace. Il ne pouvait pas encore s’endormir dans cet état, comme après avoir bu trop d’alcool.

Paul alluma sa télé. Il le faisait tous le vendredis soir jusqu’à minuit ou une heure du matin. Il regardait notamment une émission de débat un peu trop philosophique mais qui contenait une chronique humoristique de quelques minutes et qui faisait patienter le spectateur jusqu’à la fin, car la production plaçait cet attrait en fin d’émission. Elle était assurée par un jeune comédien dont le nom le classait immédiatement dans la catégorie des fils de. Au fil des semaines, la télévision française découvrit tout le talent comique et mélancolique de Nicolas Bedos. Dans chaque chronique il nous racontait ses névroses dues à la dernières. Il semblait déjà abîmé par la vie. Paul imagina que c’était l’effet des soirées parisiennes, celles qu’il ne vivait pas, lui. Il voyait dans quel état il aurait pu se retrouver, à évoquer un trou noir après avoir trop bu comme quelque chose faisant partie de son quotidien, à pouvoir les classer dans différentes catégories tellement il en avait connu.

Certains soirs, on diffusait aussi des reportages chocs sous la marque Enquête Exclusive. Le principe était simple. L’animateur choisissait une ville comme pour partir en vacances, il décidait d’y faire un reportage avec toujours le même axe. Où qu’il puisse se trouver, Bernard De La Villardière trouvait de la drogue, des armes et des prostituées.

Mais ce soir il y avait un numéro spécial qui concernait directement la France et pas un pays exotique. Une enquête autour des nouvelles formes de prostitution dans la capitale, des méthodes innovantes qui restaient invisible aux yeux de la plupart, plus rien à voir avec le traditionnel racolage du Bois de Boulogne. L’animateur démontrait en caméra caché que beaucoup de salons de massages cachaient des activités purement sexuelles sous un nom de code : la finition. Dans une seconde partie, il démontrait que certains sites d’annonces étaient envahis par les propositions de sexe tarifé dans leur rubrique rencontre.

Ces filles étaient des escort-girl, de jeunes étudiantes ou bien des femmes plus expérimentées. Elles étaient en tout cas infiniment plus désirables que celles qui restaient sur les trottoirs en extérieur, comme protégées de l’usure du temps, comme si les autres rouillaient dans la rue. Le drame de cette émission était de rendre attractif la prostitution. Les filles comprenaient que c’était moins dangereux qu’avant et les garçons se disaient que finalement les putes ne sont si dégoutantes que ça. Avec ce format en immersion, tout était expliqué à la première personne, c’était un tutoriel pour savoir où consommer du sexe à Paris.

Cette nuit-là, Paul fit des recherches pendant plusieurs heures sur les salons de massages à Paris, l’offre était considérable. Il venait de découvrir une nouvelle dimension, celle de la luxure dans un monde post numérique.

 

Quand Paul s’aventurerait dans Paris, il dépassait rarement le XVIIIème et la Place de Clichy. Ce carrefour était la rencontre de deux axes, la fourche de la ligne 13, qui permettaient de se rendre soit à Saint-Ouen soit à Clichy. Et par une règle de domination semblable à celle qui impose le masculin sur le féminin en grammaire, on mentionnait seulement Clichy.

Nullement besoin d’aller au-delà, il y avait ici un cinéma et surtout un établissement de la chaine Indiana Café, la favorite de Paul. C’était une montée en gamme par rapport au Quick, plus aucune polémique sur le contenu des assiettes.

Les sorties à l’Indiana étaient comme des événements. On s’y retrouvait à des occasions bien précises.

 

Ce soir-là, c’était le dernier repas ensemble avant que le groupe ne se sépare pour un mois pour le stage de découverte de l’entreprise. Tout le monde irait regagner un environnement protecteur autour de ses origines pour mieux affronter cette première épreuve face au monde du travail. Ce départ méritait un vrai restaurant. Une table à l’Indiana

Paul tourna en rond dans sa chambre toute la journée en attendant ce moment. Pas un seul cours ce vendredi et personne ne fut motivé pour aller au badminton. Paul pensa un moment à se reposer, faire la sieste pour ne pas être fatigué le soir. Mais ce fut impossible. Les adolescents de la cité passèrent leur après-midi à faire des rodéos en moto cross dans la rue de la résidence. Des envolées de décibels fouettèrent les oreilles pendant des heures. Les attaques étaient nombreuses, furtives mais elles saccageaient le silence à chaque passage, comme un moustique qu’on ne peut saisir dans le noir.

Les autres furent également gênés par ces courses sauvages. Au moment de se retrouver pour partir sur Paris, ils échangèrent leur ras-le-bol à ce sujet. C’était comme une séance de thérapie collective pour soulager cette souffrance. Certains imaginaient, sans sérieux, tendre un fil entre les immeubles de la rue pour piéger les deux-roues. Le seul fait de mentionner une telle pratique libérait les frustrations et faisait se sentir mieux.

Ils condamnaient unanimement cette délinquance et le sentiment d’être au-dessus des lois de la part de tous ces racailles. Seul, Paul avait bien cette pensée en tête mais il la chassait aussitôt qu’il la rencontrait, il ne l’assumait pas. Il avait peur d’être raciste en se plaignant du mode de vie de ces personnes dont très peu avaient la peau blanche. Mais au sein du groupe, parmi ceux qui se plaignaient aussi, il y avait différentes origines, il y en avait qui était mis dans la même catégorie que les racailles lors d’un contrôle de police et Paul se dit qu’ils ne pouvaient pas être racistes eux-mêmes, ce serait être masochiste. Ainsi il comprit que ce sentiment d’injustice était légitime, il ne tenait pas à la couleur de peau des incriminés mais de leur comportement.

 

En arrivant à la station de métro, ils trouvèrent un groupe de policier. Ceux-là même qu’ils auraient aimé voir mettre fin aux rodéos sauvages quelques rues derrières ne s’aventuraient pas plus loin que le distributeur automatique de tiquets.

En plus ils faisaient des contrôles aléatoires. Quand Paul et son groupe passèrent à leur hauteur, ils étaient déjà occupés à interroger une proie. Ils étaient quatre, armés jusqu’aux dents, articulations renforcés, contre un jeune homme gringalet et un peu perdu. On dit souvent et à juste titre que policier est un des métier où l’on s’expose le plus mais là, il fallait reconnaître qu’ils ne risquaient pas l’accident de travail.

Paul s’apprêtait à passer le portique le premier quand un des policiers se retourna et lança, en trahissant sa méthode de travail :

« Toi, cheveux longs ! Reste ici ! Et puis tout le groupe restez là. »

Deux policiers demandèrent à celui dans le groupe qui avait le malheur d’avoir les cheveux longs, et donc d’être accusé d’office de fumer du sheet, de vider ses poches. Ils ne trouvèrent rien et au final tout le monde dut s’y soumettre, sans plus de résultat.

Le groupe avait tout l’air de fils à papa qui venait à Saint-Ouen pour s’approvisionner avant la fête du vendredi soir dans un appartement luxueux du XVIème. Pour eux aussi, l’Ecole n’existait pas.

 

Cette aventure nourrit encore les débats au sein du groupe pendant le trajet en métro. La comparaison entre eux et les racailles face au déploiement des forces de l’ordre était saisissante. Des années de politiques d’aménagement du territoire et ses conséquences se résumaient ainsi en une demi-journée. On parlait souvent de discrimination sur ces sujets en se focalisant sur les origines des gens et leur faciès, mais l’histoire de cette après-midi montrait que les inégalités se cachaient plutôt dans le lieux de résidence. Dans une ville comme Saint-Ouen, tous les jeunes étaient embêtés par la police, quel que soit leur couleur de peau ou leur patronyme. Ils étaient tous suspecté de lien avec le trafic de drogue, soit en vendeur, soit en acheteur. Un brin de fatalité conclut leurs échanges.

 

Quelques minutes plus tard, tous ces désagréments ne furent plus que de lointains souvenirs. Le groupe se retrouva autour d’une table, avec une pression bien fraiche entre les mains. Ils furent guidés jusqu’à leurs assises par une charmante serveuse tout habillée de noire, sobre mais élégante, un haut, une jupe, des collants et des ballerines. Les collants soulignaient la finesse de ses jambes.

Ils pensèrent avoir eu de la chance en tombant sur la serveuse la plus mignonne de la salle avant de s’apercevoir que ses collègues se défendaient aussi très bien dans le domaine. Aucune ne dénotait dans l’ensemble. Les garçons se demandèrent comment une telle homogénéité était possible dans un groupe de femmes. Ils se dirent que le recrutement était forcément axé là-dessus.

Ils se rappelèrent alors les quelques annonces de stages dans les métiers de la restauration qu’ils avaient lues ensemble par curiosité sur un site d’emploi. La mention Bonne Présentation qu’ils trouvaient assez énigmatique leur parut soudainement plus explicite.

Ils mangèrent tous copieusement. Des burgers ou des fajitas. Puis glaces ou brownie en dessert. L’alcool aida à faire passer le tout dans les estomacs. A chaque plat qu’elle leur apportait, la serveuse avait la mine ravie et les yeux qui brillent, comme si elle amassait un gain de plus en plus gros. Elle devait avoir leur âge. Les garçons ne parlaient plus que d’elle. Ils s’imaginaient sa vie, son parcours. Peut-être était-elle de leur monde, une étudiante dans une Grande Ecole, mais qui devait travailler pour payer les frais de scolarité. Ils l’auraient peut-être rencontré en soirée s’ils se donnaient les moyens d’y aller quelque fois.

L’heure avançant, de nombreuses tables se vidèrent. Le brouhaha ambiant s’estompa pour ne laisser que le bruit de fond composé du chauffage et du passage sur le boulevard. La salle n’était même pas fermée sur l’extérieur, une miette d’ADN de terrasse parisienne existait ici, à l’intérieur du restaurant. La terrasse était l’emblème d’une soirée réussie et tous les lieux de divertissement ou de consommation s’y rattachait de près ou de loin.

Paul prit conscience de ce détail, de ce besoin incontrôlable qu’ont les parisiens à se montrer dehors sur le trottoir. Il voyait les deux grandes portes béantes et le flot de piétons et taxis occupés à travers. Pourtant il n’avait pas froid, des courants d’air chaud dirigés vers les épaules et les chevilles maintenaient une sensation artificielle de chaleur. Tellement de choses étaient artificielles à Paris.

Juste avant l’addition, le groupe prit conscience que c’étaient leurs derniers instants en compagnie de la jolie serveuse. On imagina moult stratagèmes autour de la table pour aller cueillir la belle fleur. Mais ce ne furent que des paroles. Plusieurs annoncèrent qu’ils laisseraient leur numéro de téléphone sur la note de table avec un smiley à côté, mais personne ne le fit.

Le groupe quitta la Place de Clichy peu avant minuit. Ils étaient larges pour le dernier métro. Quelqu’un suggéra un after dans les club de Pigalle, non loin d’ici, mais sans plus de sérieux que pour la drague de la serveuse de l’Indiana.

Ils refusèrent de goûter à leurs fantasmes, ayant déjà trop mangé à table. Ils n’avaient envie que de regagner leurs lits pour digérer en paix.

 

Les cours étaient officiellement interrompus depuis ce lundi matin. Le mois de stage commençait maintenant. Paul était encore dans la résidence, son entreprise ne pouvait que l’accueillir à partir de jeudi. La durée du stage était donc un peu raccourcie mais l’Ecole le validait quand même. Il était peut-être le seul à être encore là, en tout cas il ne perçut aucun signe de vie dans les couloirs. Même plus une porte qui claque, suivie du bruit des roulettes d’une valise bien remplie.

Ce matin Paul devait absolument s’occuper du dernier papier à envoyer à son entreprise, celui qui validait définitivement l’accord entre lui, son Ecole et le maître de stage. Il s’y prenait au dernier moment, il avait procrastiné jusqu’au bout comme souvent. Le document signé en format PDF était prêt depuis plusieurs jours mais Paul ne l’avait pas envoyé immédiatement, il avait reculé le moment où il scellait définitivement cet accord, comme s’il souhaitait se laisser un ultime échappatoire possible bien qu’il n’ait jamais exploré d’autres pistes sérieuses.

Seulement maintenant qu’il avait atteint la date limite pour accomplir ce dernier geste, il avait un problème. Sa box internet ne marchait plus.

Il la ralluma comme chaque matin. Mais les signaux sur sa face avaient une couleur inhabituelle. Du rouge et du violet, ce qui signifiait que quelque chose n’allait pas. Paul débrancha la box à plusieurs reprises mais il arrivait toujours au même résultat. Il espérait pourtant retrouver les lumières jaunes puis vertes comme il le faisait tous les jours. Car Paul débranchait bien sa box tous les soirs, il était gêné la nuit par les clignotants incessants qui parsemaient sa face. Il avait essayé une nuit de la cacher dans un carton mais trop de lumière s’en échappait. Plus tard on lui apprendra que sa box avait un mode nuit, sans lumière, il suffisait d’appuyer trois secondes sur le capot pour l’activer. Il avait fait revivre son matériel tellement de fois qu’il ne concevait plus que ce dernier ne puisse pas repartir.

Il subissait pour la première fois une histoire que beaucoup avait déjà rencontrée dans l’immeuble, un fournisseur d’accès qui coupe un abonnement par erreur ou qui le décale chez la ligne voisine. Paul repensa à cette appel bizarre qu’il avait reçu samedi, était-ce à cause de cet homme ?

 

C’était il y a deux jours. Son combiné retenti dans la pièce, un numéro avec plus de chiffre que d’habitude, on aurait dit un numéro étranger. D’habitude Paul ignorait les numéros qui n’était pas enregistré dans sa mémoire mais pour une fois il décrocha.

Dès qu’il colla l’appareil à son oreille, Paul perçut la mauvaise qualité de l’appel. Même l’habituel ronronnement électrique était compliqué à identifier. Puis une voix, qui paraissait venir de très loin, émergea de ce brouillard sonore. Un homme qui parlait vite, sans accent et sans articulation. On aurait dit un expert de la bourse qui débite les valeurs à la hausse dans un flash info.

Bonjour monsieur. Excusez-moi de vous déranger un dimanche, je suis chargé par la compagnie SFR de vous avertir que nous procédons actuellement à un re-étalonnement de nos lignes dans votre zone réceptive. Rassurez-vous aucune coupure n’est à prévoir grâce à notre dispositif de rebond qui reprogramme…

Paul perdit rapidement le fil de ce qu’on lui racontait à l’autre bout. Dès le début il se focalisa sur la première phrase « Excusez-moi de vous déranger un dimanche ». On était bien samedi pourtant. Était-ce le signe d’une arnaque à venir ? On repérait souvent les arnaques par des erreurs grossières qui trahissaient leurs auteurs.

A la fin de son monologue, quand il eut fini de déclamer sa tirade si parfaitement récitée, l’homme inconnu expulsa un au revoir et raccrocha aussitôt. Paul commença à articuler qu’on était samedi, pas dimanche, mais il parlait déjà dans le vide.

C’était incompréhensible. Paul avait le sentiment que cet homme avait eu comme unique objectif de composer un numéro, réciter son texte avec aplomb puis raccrocher sans même se soucier de savoir si c’était un client ou un chien qui l’écoutait.

Il se passait donc des choses étranges autour de cet abonnement internet et téléphone. Déjà dès la réception de la box, tout n’était pas très net. Le fournisseur d’accès l’avait déposée dans un relais colis dont l’adresse fut envoyée à Paul par mail. Elle se situait dans un quartier où Paul n’avait jamais mis les pieds, loin des quelques rues qui regroupaient La Poste et tous les commerces.

Quand il s’y rendit, son intuition se confirma. C’était une zone pleine d’entrepôt, de friches où il y avait plus de scooter que de piétons comme Paul. Beaucoup de coursiers en deux roues et les voitures n’étaient que des véhicules utilitaires. Tous les immeubles affichaient des noms de société sur leur boîte aux lettres mais aucune devanture seyante ne se voyait. Ça puait le travail au noir.

Au détour d’une ruelle un peu plus dégagée que les autres, Paul tomba sur une vue du Sacré-Cœur au loin. La butte Montmartre n’était pas loin à vol d’oiseau. Un endroit des plus officiels pour les touristes. Paris faisait cohabiter ses thèses et antithèses si près l’une de l’autre.

Devant le point relais indiqué par mail, Paul hésita à s’arrêter, il pensa continuer en détournant à peine la tête sur le côté, comme s’il ne faisait que passer par là. L’endroit ressemblait plus à une garage miteux aux activités illégales qu’à un point d’accueil pour retirer son colis.

Finalement Paul revint un pas en arrière et se planta devant la porte. Il prit une grande respiration avant d’actionner la poignée de cette porte pleine qui ne laissait rien voir de ce qui pouvait se trouver derrière. A ce moment-là, la porte s’ouvrit elle-même et un homme maghrébin très costaud en boucha le passage. Instinctivement, Paul laissa filer un Bonjour vers ce visage qui le dominait de 20 centimètres. En retour l’homme sourit et montra toute sa serviabilité en demandant.

« Vous venez récupérer un colis ? »

Paul confirma l’information, donna son nom et proposa sa carte d’identité mais l’homme la refusa. On ne vérifiait pas ça ici. Quelques secondes plus tard, on amena le colis à Paul par l’entrebâillement de cette porte qu’il ne franchit jamais. Pas de signature, aucune trace de son passage ici.

Le paquet était pas mal écorné et avait une couche importante de scotch marron. On aurait pu l’ouvrir, remplacer son contenu et le refermer de cette façon.

Paul ne comprit jamais pourquoi cet homme l’avait devancé juste au moment où il allait rentrer. Était-il observé depuis le début et attendu ? Était-ce un hasard que l’homme sortit en même temps et en profita pour servir son client ? En attendant son colis, Paul avait vu d’un œil l’intérieur du local, il avait vu un comptoir avec d’autres hommes qui attendaient aussi sans comprendre s’ils étaient des clients qui n’avaient pas eu la chance de tomber sur un agent dès leur arrivée ou s’ils étaient participants aux activités suspectes du lieux.

 

Paul était coincé, il devait absolument trouver un moyen de raccrocher son ordinateur à un Wi-Fi pour envoyer son mail aujourd’hui. Il rechercha les autres box à proximité, espérant pouvoir utiliser le réseau de secours parfois accessible sur les box d’un même opérateur. Mais tout le monde était parti, il n’y avait rien de disponible autour.

Tous les regrets de ne pas avoir agi plus tôt jaillirent à cet instant, cette simple paraisse venait gâcher une situation que Paul avait eu contre toute attente bien en main jusqu’à présent. Une recherche de stage était de loin l’exercice le plus périlleux auquel il ne s’était jamais essayé, une timidité maladive s’était révélée, une impossibilité d’effectuer des actions simples pour les autres, comme aller à la rencontre d’adultes inconnus pour présenter un CV.

Il s’imaginait ce qui pourrait se passer sans avoir envoyé ce dernier document. Il se rassurait en pensant cela non indispensable pour se présenter dans quelques jours à l’accueil de cette entreprise. Il inventait déjà des excuses sophistiquées pour ne pas avouer qu’il avait été d’un amateurisme sidérant en ne soldant pas cette tâche au plus vite. En plus cela révélait sa motivation toute relative pour commencer ce stage.

C’est alors qu’un nouveau réseau Wi-Fi arriva jusqu’à lui, jusqu’à son esprit. Il y avait un Wi-Fi gratuit au Quick. Il suffirait d’aller commander un dessert ou une boisson avec son ordinateur dans son sac.

Paul avait trouvé un plan, il était rassuré. Il n’avait aucune garantie qu’il n’y aurait pas un nouvel imprévu mais il s’en contenta. Comme il n’avait pas d’accès à internet, il passa le reste de la matinée à regarder sa télévision et manger des céréales. La visite au Quick pourrait attendre cette après-midi. Les démons de la paraisse étaient toujours là.

 

Paul débarqua dans la salle du restaurant vers 15 heures. A cette heure improbable pour commander un burger, il n’y avait pas foule. Seules deux mères de familles voilées et leurs enfants étaient présents. Ils mangeaient des menus enfants en plein milieu de l’après-midi. Surement un caprice auquel les deux femmes avaient cédé. Parmi les cinq enfants il y avait une fille, environ douze ans, avec de jolies nattes. Paul se demanda à partir de quel âge les filles se sentaient obligées de mettre le voile. Il avait vu la veille deux adolescentes, à peine majeures, le porter dans la rue. La limite était peut-être l’âge naturel à partir duquel elles ne veulent plus traîner avec leur mère.

Paul acheta une glace avec un coulis chocolat et alla profiter de son premier droit de consommateur, le Wi-Fi public de l’établissement. Le deuxième étant les toilettes dont le code pour en ouvrir la porte était imprimé sur le ticket de caisse.

Il repensa à toutes les mise en garde auxquelles il avait eu droit sur les danger de se connecter aux réseaux publics, tous les risques de qu’un pirate viennent hacker son ordinateur. Il espéra passer entre les gouttes.

Le débit était ridiculement lent, plusieurs minutes juste pour afficher ses mails. Alors pour envoyer un document PDF, l’opération prit presque un quart d’heure. Mais au final ce fut un succès.

Ensuite Paul repartit vers son studio, terminant son unique activité de la journée. En sortant du fastfood, un souvenir lui revint. A la fin du repas à l’Indiana vendredi soir, quelqu’un avait voulu faire une déclaration officielle, celles qu’on fait en se levant et en frappant son verre avec son couteau. C’était plutôt second degré mais le camarade avait déclamé plusieurs phrases sur l’amitié et conclut sur sa fierté d’être avec eux pour leur dernier restaurant avant la période de stage dans ce lieux plutôt classe par rapport à leurs habitudes. Il y avait presque un serment implicite quand tout le groupe trinqua ensemble à la fin du discours.

Paul venait de le rompre, son dernier restaurant à lui c’était une glace industrielle au Quick de Saint-Ouen, seul.

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Cyrmot
Posté le 02/06/2024
J'ai l'impression d'être un peu seul a commenter ce texte, qui apparemment n'aura peut être pas de suite ...!
J'aime vraiment beaucoup, les lieux, la psychologie de Paul, le déroulé des jours, la sensation de corps étrangers dans un environnement hostile...et puis que c'est généreux ! Je graille tout avec gourmandise, cette banlieue populaire de l'oeil d'un émigré ici, les déambulations incertaines et peu enthousiastes dans ce Paris très "vrai", toujours lointain et imprenable même quand on le foule du pied ..
Quelques fautes d'orthographe paraissant plus être de la relecture trop rapide mais je me repete quelle générosité tous ces paragraphes..

Vraiment je regrette qu'il n'y ait pas de suite !!!!
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