Personne n’avait jamais navigué sur la rivière. Les occupants de la cité plus haut ne lui prêtaient pas de nom. Il n’y avait après tout qu’une seule rivière dans cette grande caverne, pourquoi vouloir la distinguer ? Au sein de l’Absence, tous avaient appris l’économie onomastique, si bien que les quelques syllabes articulées pour se désigner les uns les autres se passaient de bouche en bouche, chaque prénom un amas de sons cousus entre eux. Ainsi Ludvienn avait récupéré à droite et un peu à gauche les bruits qui le désignaient, tels des petits cailloux à la forme satisfaisante à glisser dans sa poche pour les caresser. Taillées comme un de ces arbustes aux branches courtes et épaisses qui s’évertuaient à prendre racine sur les parois, les épaules carrées de Ludvienn fendaient l’obscurité de la cité. Là, sur le chemin pavé de galets polis qui reliait les hautes corniches de la caverne au fond de la cuve, il marchait d’un pas soutenu. Ses sandales tressées claquaient en rythme contre la plante de ses pieds. Sous son chapeau à larges bords, son regard glissait vers la cascade, plus loin, par laquelle la rivière se déversait. Les cris du cours d’eau qui se jetait contre la roche couvraient presque ses pas. Quand il s’était assis un peu plus tôt à l’un des balcons de la chute, ils noyaient alors dans un bruit blanc toutes les aspérités sonores de la ville. Pour Ludvienn, c’était ça le silence, cet autre bruit.
Il tira sur la lanière qui retenait sa cape contre lui et pinça le bord de son chapeau de deux doigts pour l’ajuster sur sa chevelure diaphane. S’il tardait encore alors que la journée de travail s’achevait, Iodenn commencerait à s’agiter. S’il trouvait leur demeure vide, son amant irait s’enquérir de son sort auprès de chaque passant, pour n’en récolter qu’une succession de haussements d’épaules désabusés. Ludvienn ne pouvait pas disparaître, puisqu’il n’y avait aucune issue. À moins bien entendu de se laisser chuter dans les eaux de la rivière, là où son cours plongeait dans une abysse noire. Iodenn refusait de l’envisager, Ludvienn roulait l’idée sur sa langue comme un bonbon. Mais qu’importe les inquiétudes de Iodenn l’auxiliaire, les gens accordaient peu d’importance à ceux qui abandonnaient leur fonction. En soi, quelqu’un comme Ludvienn n’existait déjà plus, et dans la cité de l’Absence, chacun craignait ce qui n’était pas là, qu’importe la forme que cela pouvait prendre. Lorsque les plus anciens partageaient le récit de leur arrivée au sein de la ville, cette accumulation de petites maisons au coeur d’une cuve souterraine, avec ses routes pavées, ses colonnes, ses frontons ornés de frises, ses jardins et ses champs étroits en jachère, l’immense stèle au centre de la place demeurait la première chose qu’ils mentionnaient. Elle y trônait toujours, presque comme une pierre tombale, où le défunt qu’elle honorerait aurait pour nom « L’Absence ». Les lettres y avaient été gravées au burin par une des vieilles personnes jadis, quand on se souvenait encore comment traduire les mots en Anté écrits juste au-dessus sur la pierre, la langue des prédécesseurs. À dire vrai, toute la partie supérieure de la stèle, au-dessus des deux dernières écritures, était décorée de symboles, emblèmes, esquisses. On supposa pendant un temps qu’il s’agissait de la même idée répétée dans une tour de graphèmes, jusqu’à ce que l’intérêt pour cette bizarrerie meure entre les mains de l’habitude, la routine, et le quotidien. L’Absence, l’Absence, l’Absence. À part pour Ludvienn des années auparavant, la langue antésique n’intriguait plus personne, et lui-même s’était démis de ses fonctions de traducteur. On avait accepté cette stèle comme un geste, une sorte de mouvement vague pour désigner ce qui était là en parlant de ce qui en était absent.
Ludvienn souffla. Une crampe menaça de gravir son mollet. Le chemin s’enfonçait dans la roche sur quelques mètres, dans une non-lumière presque totale. Au bout de celui-ci, à l’éclosion de la pénombre, se tenait Fenndata, debout sur un parapet sculpté, le cou presque fléchi vers le lit de la rivière en contrebas. Ludvienn le salua d’une inclinaison de son chapeau sans un mot, mais l’observateur, sitôt qu’il le frôla, le retint par la manche de sa tunique.
« Tu as vu ? »
Ludvienn se laissa manoeuvrer par Fenndata pour adopter sa perspective. L’articulation de son genou craqua dans un frottement d’os alors qu’il se hissait sur le muret à son tour. La crampe gagnait du terrain. Fenndata pointa du doigt l’écoulement paisible du cours d’eau, là où le rivage était accessible et où Iodenn venait ramasser par poignées ce qu’il appelait ses petits trésors, des coquillages coniques, minuscules et vides, dont il faisait la collection. Ludvienn écarquilla ses yeux pour absorber le peu de lumière de la caverne, reflétée par la roche claire au plafond et les quelques torches. Ses globes élargis devinrent presque une flaque de noir liquide tant les pupilles se dilataient sous l’effort. Au creux de la cuve, entre l'extrémité des champs et le bord de la falaise où se trouvait le vieux sanctuaire, une portion de la berge émergeait de l’eau telle une plage abîmée, sombre et boueuse, sans ornement, à l’exception du limon régurgité par le gosier de la rivière.
« On dirait une grosse pierre, mais en peau. »
Ludvienn considéra l’image qui se présentait à lui. Sur le rivage d’ordinaire désert, une masse blanchâtre sortait à moitié de l’eau, échouée comme le corps d’un âne qui se serait rompu le cou au bas des hauteurs. Inerte. À cette distance, alors qu’il tendait sa main devant lui, elle avait presque la taille d’une demi-paume. Une forme carrée, comme on en trouvait rarement dans la nature. L’humidité de la caverne sembla se coller sur son velum, jusqu’à filtrer dans ses narines. La masse apparaissait semblable à une non-obscurité tant elle amenait à elle chaque goutte de lumière pour l’absorber, n’en réfléchissant que ce blanc terne.
« Ça a l’air plutôt mort, dit Ludvienn d’un ton prudent.
— Peut-être, répondit Fenndata, mais on ferait bien de prendre quelques objets pointus si tu veux mon avis. »
Ludvienn retira son chapeau et passa ses doigts dans la raideur de sa chevelure pâle, tirant sur les nœuds. Il sauta à bas du parapet, Fenndata à sa suite. Même avec son couvre-chef à nouveau juché sur son crâne, la stature de son camarade soulignait sa petite taille et sa carrure rectangulaire.
« Tu n’as rien sur ce genre de phénomène, dans tes carnets ? demanda l’observateur alors que tous deux s'engageaient sur le chemin de la ville en contrebas.
— Pas que je sache. » Ludvienn fronça les sourcils, l’air contrarié. « Mais peut-être qu’un des vieux saura. »
Il apparut en effet à Ludvienn qu’il n’avait pas vraiment de mots pour désigner ce qui était venu mourir sur le rivage de la rivière, juste une armada de périphrases prêtes à faire naufrage dès lors qu’il aviserait la chose de plus près et s’en ferait une meilleure idée. Dans ses carnets de traduction, qu’il avait abandonnés au fond d’un panier quelque part avec les bocaux de coquillages de Iodenn et les autres objets inutiles, il n’avait noté aucun événement de ce type. Les prédécesseurs antésiques n’articulaient vraisemblablement pas de mot à ce sujet, du moins, parmi ceux qu’il avait pu traduire. La crampe se fit plus insistante, un lacet serré autour de ses muscles. Le claquement de ses semelles s’accompagnait désormais du frottement rêche des pieds sales de Fenndata sur les galets encastrés. La peau nue des mollets de Ludvienn se couvrit de petites bosselures. Drus et épars, des poils noirs couraient le long de ses jambes, s'emmêlaient dans les lanières de ses sandales. La désagréable sensation de démangeaison provoquée par la courbature naissante le poussa à s’arrêter pour frotter sa cheville de sa sandale. L’ongle de son orteil y traça des griffures blanches. Mais Fenndata marqua à peine une pause, la ligne de son corps arquée vers son objectif. Avec les côtés de son crâne rasés et la haute tresse sombre qui pendait derrière lui comme un oriflamme en berne, l’observateur avait tout d’un piquet, un point d’exclamation se dressant pour ponctuer l’inattendu. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient tous deux des maisons, les bruits de la cité enflèrent l’espace de la caverne. En retrait, Ludvienn suivait des yeux le mouvement de balancier de la tresse devant lui. Il nota qu’à chaque pas, ce balancier allait d’une hanche à l’autre, et que chaque hanche s’alignait parfaitement avec chaque épaule. Une symétrie satisfaisante qu’il aimait souligner. Fenndata avait en effet tout de la personne désirable, ce que les occupants d’Absence s'enthousiasmaient à démontrer à grand renfort de sourires et de mots doux et audacieux. Mais le sujet de leur admiration demeurait seul dans sa maison, n’y invitant que Duldarel, le musicien, pour sa musique, et surtout, pour son fin doigté. Ludvienn, lui, se contentait de mesurer les vides dans la silhouette de Fenn. Il y trouvait toute la ponctuation du personnage, là où tout se disait secrètement : le mouvement par le vide.
L’entrée à proprement parler de la cité était marquée de colonnes anguleuses, un empilement de carrés et de rectangles. Elles soutenaient un fronton triangulaire froid, dans un style peut-être antésique, avec des gravures qui ne ressemblaient à rien, comme si cela avait été rajouté par la fantaisie égarée d’un artiste. Au-delà s'entassaient les maisons aux toits plats, autour de la place où on allait échanger de quoi vivre ou habiller l’existence sur de petits étals en pierre. Comme d’habitude, chacun y allait de sa conversation, s’interpellant parfois à travers l’espace, le moindre recoin occupé par le bruit. Le boulanger, entre deux boules de pain pétries, asticotait le tanneur qui s’était à peine extirpé d’une discussion avec le tailleur de pierre. On parlait beaucoup et on tenait à ses fonctions, et surtout, à les occuper.
« Fenn ! » retentit une voix hors de la masse sonore.
Une personne à la chevelure tressée en deux cornes prises dans des filets s’avança, instrument en bandoulière, sourire aux lèvres. À peine plus grand que Ludvienn, la courbe de sa coiffure soulignait la rondeur de ses traits et de son corps. Le blanc des dents qui s’échappait du sourire lui rappela celui de la masse morte sur le rivage. Fenndata, fidèle à ses principes, dévia à peine sa trajectoire qui l’emmenait vers la boucherie, là où les occupants gardaient les viandes et quelques objets pointus, sous la houlette du boucher qui n’aurait pas su refuser quoi que ce soit à Fenn, ni se refuser à lui.
« Et le bonjour à toi aussi Ludvienn, se reprit Duldarel le musicien en s’apercevant de l’autre présence.
— Fenndata veut aller tâter la chose qui s’est échoué sur le rivage », lui lança Ludvienn.
Duldarel écarquilla les yeux, avisa ses deux camarades avec circonspection puis curiosité, et leur emboîta le pas, capeline prune emportée dans son sillage. Quelques regards curieux se tournèrent vers le trio. Un vague murmure de conversation accompagna leur traversée de la place.
« Iodenn te cherche, enchaîna le musicien alors qu’il essuyait ses mains humides sur sa tunique céruléenne avec un œil porté sur Fenn.
— J’imagine. » Ludvienn essaya de trouver la force de vaincre l’indifférence. « Bah, j’irai le voir après, quand on aura fini. »
Duldarel haussa les épaules et rajusta son instrument contre lui. Les cordes à pincer grognèrent contre le tissu. Armés des instructions de Fenndata, les voilà qui repartaient dans l’autre sens, couteaux en leur possession. Fenn s’était réservé le hachoir, après avoir coincé le boucher contre le comptoir et récolté quelques gouttes de sueur et balbutiements. Il le suspendit dans un étui à sa ceinture ornée de petits fils jaunes tressés, l’ancre subtile qui maintenait le tissu de sa longue jupe autour de sa taille. Pauvre Auridan, dépouillé ainsi de ses outils et de sa dignité. Ludvienn soupçonnait Fenndata d’avoir envie de trancher quelques corps pour impressionner le musicien qui, dès qu’il s’agissait de Fenn, se montrait très impressionnable. Alors qu’ils descendaient à grandes enjambées au fond de la cuve, Ludvienn plaqua une main sur son chapeau noir, là où les courants d’air se faisaient capricieux au point de soulever sa tunique pour dévoiler le haut de ses cuisses glabres. Duldarel laissa le vent emporter quelques mèches grises de ses filets et le battement régulier du bois de son instrument contre son drapé marqua la mesure de leur marche.
La masse blanche n’avait aucune odeur. Aucun mouvement ne l’agitait, seul l’air remuait les lambeaux grisâtres qui dépassaient à ses extrémités. Elle était plus haute que Fenndata et on aurait pu allonger deux personnes dans sa largeur. Sur sa surface interminable, pas d’aspérité ni de rainures ou même tâches.
« Ça ne ressemble à rien », déclara l’observateur en fronçant le nez.
Il tapota la chair avec la pointe de son hâchoir. Duldarel risqua un doigt, puis une main. Le blanc sous sa paume paraissait lisse, légèrement humide. Ludvienn demeura en retrait, la main serrée sur le manche de sa lame. La simple idée de contact avec cette chose raviva la crampe qui s’était tue, une irritation montante qui lui fit taper du pied sur le sol. La forme rectangulaire non naturelle de cette masse lui évoquait les maisons de la cité, comme si quelqu’un avait décidé d’en faire un grossier paquet de viande blanche. Une sorte de pâte grotesque qui lui donnait la nausée tant cela avait l’air si organique et si faux à la fois. Comme une trahison de l’ordre des choses, définie en négation, par ce qu’elle n’était pas ou n’avait pas. Il eut envie d’intimer à Duldarel d’arrêter de la tripoter.
« Ça m’étonne que tu n’aies rien vu tomber de la cascade », dit Fenn après en avoir fait plusieurs fois le tour.
Ludvienn passa une main sur son visage, essuyant la sueur qui s’était accumulée au-dessus de ses lèvres et dans le creux de son menton. Fallait-il préciser qu’il venait aux balcons pour les sons et non la vue ?
« Je ne sais pas, je n’ai pas fait attention, répondit-il.
— On ne sait pas ce que c’est, ça vient peut-être de là où la rivière se jette ? avança timidement Duldarel.
— C’est beaucoup trop gros et lourd pour remonter le courant. »
Fenndata ponctua ses mots d’un geste agacé pour déloger les quelques mèches noires qui s’étaient plaquées sur son front. Ses sourcils épais et froncés créèrent des vagues de peau sur son nez bombé, la commissure de ses lèvres peintes glissa vers le bas. Ludvienn n’osa pas le contredire, de peur de réveiller l’irritabilité de l’observateur. Fenn ne brillait ni par sa patience, ni son art de la conversation.
« On verra avec les autres ce qu’on en fait », trancha-t-il en abaissant son hachoir.
Lorsque Ludvienn rentra chez lui un peu plus tard, il avait été décidé qu’on tirerait simplement la masse hors de l’eau, au cas où il se passerait quelque chose, même s’il ne se passait jamais rien dans cette cité. Malgré l’insistance de Fenndata, personne ne voulait s’impliquer. On trempait le bout des lèvres dans le problème, on parlait de l’importance d’occuper ses fonctions, de les mener à bien. Même Auridan le boucher fut d’avis que si une chose devait se produire suite à cette apparition, cela pourrait redonner le goût de la conséquence à leur existence plate et que mieux valait laisser couler. Ses remarques se ponctuèrent de regards par en-dessous à l’observateur qui s’appliqua à les ignorer. La masse mortifère semblait pourtant impossible à acheminer vers l’entrepôt, ou plus haut encore vers le sanctuaire de la falaise, et personne n’avait envie de la découper en morceaux, mis à part peut-être Fenn. Ludvienn fit donc partie des désignés pour être harnaché à la chose et la tracter, sa carrure puissante et robuste pointée du doigt. Duldarel s’était lui porté volontaire, et même si la force physique ne lui faisait pas défaut, on ne souhaitait pas qu’il s’abîme les mains et ne puisse plus abreuver la caverne de ses musiques. Il rentra avec Fenn après la concertation, penaud, prêt à accueillir le réconfort de l’observateur. Certains semblèrent alors regretter de ne pas avoir profité de cette occasion pour se débarrasser de lui et prendre sa place. On aimait peut-être trop la musique parmi les occupants de l’Absence.
À l’intérieur de la maison, le corps enduit de sueur, chapeau d’abord à la main puis suspendu à un petit crochet, Ludvienn se débarrassa de sa tunique crasseuse d’un seul mouvement et l’envoya voler à travers l’unique pièce, quelque part vers le reste du linge. Il prit place sur le bord du lit dont le matelas de paille et de petits galets légers reposait sur une large dalle de la même pierre pâle que les murs. Un soupir, un craquement de ses genoux fatigués. Il étira ses jambes, se massa une cuisse. Ses dents se refermèrent sur les peaux mortes de sa paume droite, là où le chanvre de la corde avait fait son œuvre, alors qu’ils étaient quatre à tracter la chose plus haut sur le rivage. Il garda en bouche un instant ses lambeaux d’épiderme avant de les avaler. Son esprit était occupé par une vision soudaine de la masse blanche, pelée par le hachoir de Fenndata, qui à chaque coupe révélait d’autres couches de chair de couleurs différentes. Son échine se tordit de frissons à cette idée et ses mains grattèrent vigoureusement les côtés de son crâne, là où ses cheveux avaient fait des amas sales et drus. Il commença à délacer ses sandales.
« Tu aurais pu me prévenir. »
La voix de Iodenn prit possession des lieux. Ludvienn leva à peine la tête. Iodenn se tenait sur le pas de l’entrée, le tissu qui obstruait l’embrasure enroulé autour du bras. Dans son autre main, un panier vide. Derrière le voile de ses longs cheveux gris qui pendaient autour de son visage fin comme des bras morts, ses traits tirés par la fatigue formaient une vague expression de reproche. Ludvienn envoya valser sa deuxième sandale et se leva en grimaçant pour aller embrasser le nouveau venu sur la pointe des pieds. Iodenn se laissa faire. Il fit glisser le panier au sol pour attraper d’une main une fesse charnue et y enfoncer ses ongles.
« Il faudra que j’aille avec toi au sanctuaire, dit alors Ludvienn en relâchant les lèvres de son amant. J’ai des questions à poser aux vieux.
— Tu reprends du service en traduction ? » s’enquit Iodenn.
Le tissu de l’entrée se libéra et sa deuxième main vint rejoindre l’autre pour s’emparer d’une chair délavée mais ferme. Lors de la concertation, il était demeuré en retrait sans intervenir. Son bassin s’amusa à conduire Ludvienn vers le lit où il le fit asseoir sur ses genoux et continua à l’empoigner. Le traducteur grogna, les muscles endoloris, le parfum de son corps presque rance et habité par les eaux sales de la rivière.
« On ne peut pas traduire ce qui n’existe pas », répondit-il en plongeant une main sous la tunique ocre de Iodenn, la tête emplie du silence de la cascade et de la non-lumière de la chair mortifère.
Alors que la cité s’enfonçait de plus en plus profond dans le sommeil, ce fut les chants mornes du vent sifflant à travers les percées de la caverne qui réveillèrent Ludvienn. D'ordinaire, il prenait soin d’enfoncer dans ses oreilles des petites boules tissées pour étouffer les sons, mais les moments passés dans les bras de son amant déjouaient parfois ses habitudes. Iodenn respirait doucement, son corps une couverture, comme si dans ses songes il cherchait à le garder captif. Ludvienn le poussa sans violence, presque un glissement. Son amant s’ajusta de lui-même sur le dos et exposa sa nudité à la pièce. Son nez busqué formait une flèche vers ses lèvres arrondies, une bouche large sur un menton étroit, entrouverte et relâchée. Tel un balcon au-dessus de grandes orbites enfoncées et ourlées de légères rides, ses sourcils épais se rejoignaient presque en un seul trait et soulignaient sans tension le relief de son front plat. Quelques grains de beauté, quelques cicatrices de vieilles papules tourmentées. Sous la peau claire serpentaient d’ordinaire de fines veines bleues, invisibles dans l’ombre de la maison. On les trouvait aussi sur les mains, l’intérieur des cuisses, les orteils. Les poils blancs qui ornaient les surfaces de son corps les dissimulaient à peine mais quand Ludvienn y enfouissait son nez pour respirer l’odeur forte qui s’y était logé avec l’effort, il lui semblait sentir les pulsations des va-et-vient du sang dans tous ces petits tuyaux. Et puis, autour du ventre où les plis s’accumulaient, les longs doigts maigres des vergetures se tordaient sur la peau. Le regard de Ludvienn parcourut brièvement l’étendue de ce corps dans son lit, grand et maigre, pâle et gris, doux et beau. Il rabattit la couverture en poil d’âne sur la forme longiligne puis se leva sans un bruit.
Assis sur un tabouret terne à l’assise tressée de lamelles d’os, muni d’un canif émoussé tout juste bon à curer des dents, Ludvienn commença à peler la corne qui s’était formée sur ses talons. Semblables à des bouts d’enveloppe de fruit, les copeaux jonchaient le sol et se recroquevillaient en arabesques jaunies. Sans y penser, il en mastiqua un, appréciant la texture rêche et sans goût. Depuis cet endroit de la cité, encastré dans un coude un peu en hauteur, la caverne se dérobait pour qu’on puisse l’embrasser d’un seul regard. Plus loin en contrebas, la masse blanche demeurait toujours là, intacte. Ludvienn reprit son travail. Le bruit de la peau pelée par la lame lui monta aux oreilles comme un crissement atroce. Il leva les yeux. La chose avait-elle bougé ? Il passa une main sur ses talons, palpa la zone irritée. Il avait taillé l’un plus profond que ce qu’il n’aurait dû. Du bout des pieds, il dégagea ses restes d’épiderme morts du palier pour en faire un vague tas sur le côté. Les ânes se chargeraient de les faire disparaître, ou bien les courants d’air. En face, quelques marches plus loin, la torche de la demeure de Fenndata n’avait pas encore été soufflée. Un gâchis. Mais l’observateur nourrissait trop de fierté à l’endroit de son corps et le musicien trop d’admiration pour priver leur vue du festin de leurs ébats. Plus loin, la silhouette de Tristeln, le deuxième auxiliaire, apparut sur le chemin du sanctuaire puis entre les colonnes qui marquaient l’entrée de la cité. Tristeln, flambeau brandi à hauteur de visage, s’arrêta quelques secondes. Au mouvement de son chapeau, Ludvienn le devina contempler la masse, puis se détourner vivement. Quand l’auxiliaire s’aperçut de la présence du traducteur plus haut, nu sur son tabouret, chevelure blanche comme un casque sale du crâne aux épaules, canif à la main, il le salua d’un signe de tête. Ludvienn se gratta la cuisse, lui rendit son salut, et retourna dans la maison.
Le lendemain, dès les premières heures, il avait le nez plongé dans ses carnets de traduction. Des vieilles choses qui sentaient l’enthousiasme. Il y retrouvait le bruit de ses pensées, des mots et symboles recopiés à la hâte, de l’anticipation. Son travail n’avait rien de sérieux, ni de riche. À dire vrai, les carnets se démarquaient surtout par leur absence de contenu et Ludvienn s’était résolu à l’idée que c’était simplement son sort que d’abandonner. Il soupira et malaxa son front de la pulpe de ses doigts. L’idée de se replonger dans cette fébrilité juvénile qui l’avait poussé à endosser cette fonction le répugnait. Dans cette cité, la traduction ne produisait pas de vivre, de biens, d’outils, d’utilité. Rien que de la frustration. Vissé sur son siège devant la petite commode, il se retourna à demi, phalanges enroulées autour de ses mèches pâles, mouillées, et désormais propres. Iodenn finissait de se laver le bas du corps dans le pédiluve étroit creusé dans le sol de la pièce. Son torse se secouait de frissons tandis que ses gestes se faisaient rapides, précis, désireux de se couvrir au plus vite. Il pesta quand Ludvienn lui lança sa tunique à la figure sans prévenir. Le rire du traducteur se transforma en glapissement quand une gerbe d’eau vint l’arroser, lui et la commode. Les deux échangèrent quelques amabilités avant de lacer tour à tour les sandales l’un de l’autre, un sourire au coin des lèvres.
Iodenn, outre ses activités de ramasseur de coquillages, s’occupait des anciens dans le sanctuaire en tant qu’auxiliaire. Panier rempli de victuailles et de petits soins, il bravait l’air frais de la caverne chaque jour pour grimper la falaise et passer la plus grande partie de son temps auprès des plus âgés. Venait ensuite Tristeln pour le remplacer, visage fermé et maussade. Ludvienn l’avait souvent accompagné autrefois, pour noter dans ses carnets les mots d’Anté dont les vieux se souvenaient, les bribes de cohérence qu’ils savaient encore produire. C’était ainsi que le doux Iodenn l’avait séduit, pendant ces heures passées ensemble entre deux murmures. Ludvienn ne se rendait plus au sanctuaire depuis bien longtemps, préférant la compagnie de la cascade et de la solitude. Là-bas, les vieux ne chuchotaient rien d’étrange, avec leur visage ridé, un amas de traits dans le noir, seul rappel que le temps existait bel et bien. Ludvienn ne se souvenait pas avoir été enfant. Il ne se sentait pas vieillir. Personne ne semblait en mesure de procréer et quand l’âge finissait par rattraper un des leurs et qu’il ne pouvait plus assurer ses fonctions, les occupants l’envoyaient au sanctuaire avec les autres, hors de leur vue et de leur cœur. Iodenn paraissait alors bien brave, de passer ainsi sa vie en leur compagnie.
Les deux amants cheminèrent côte à côte, Ludvienn panier au bras pour se montrer attentionné, Iodenn tendre et ravi de raviver le souvenir de leurs premiers moments. Depuis les hauteurs de la falaise, les maisons carrées de la cité prenaient la forme d’une dentition endommagée sur une gencive sombre et effritée. Dans les champs, les silhouettes des travailleurs ressemblaient à des mouches dansant sur la rétine d’un œil fatigué. Mais surtout, aux pieds de la rivière, la masse blanche. Les courbatures de la veille s’éveillèrent sous la peau de Ludvienn qui se cramponna au bras de Iodenn, dérobant son regard à la chose morte du rivage. Le sanctuaire en lui-même se constituait d’une grande bâtisse, toujours dans cette même pierre glabre, avec des colonnes et des frises sur les murs. Les colonnes avaient été rajoutées plus tard, comme si on avait cherché à habiller un corps nu. Les frises adoptaient un style antésique similaire au fronton de l’entrée de la cité, et leurs auteurs semblaient avoir cherché à recouvrir d’autres fresques, plus anciennes, qu’on devinait aux endroits où les artistes n’avaient pas réussi à trouver les bonnes formes. Ludvienn eut envie d’empoigner son coutelas et de peler le bâtiment comme une peau, pour révéler le vif de cette chair cachée. Il songea à la masse blanche, à quand il l’avait regardée. Si haute qu’elle cachait sa vue, si large qu’elle masquait son corps. Le traducteur pénétra dans le sanctuaire à la suite de son amant, le pouce appuyé sur sa paume pelée.
Les cris réguliers des scies sur le bois les accueillirent. Les anciens, regroupés dans la grande salle principale, s'affairaient à couper, clouer, ajuster, plier. Des copeaux et des amas de poussière brune couvraient les dalles fissurées. Quatre à cinq petites embarcations avaient été poussées d’un côté, de l’autre on s’affairait à la construction d’une sixième. Quand les occupants étaient arrivés à la cité jadis, le sanctuaire avait été rempli de troncs d’arbre, entreposés à la va-vite. Ludvienn se demandait parfois comment il savait ce qu’était un arbre, puisqu’il n’y en avait pas dans la caverne, pas depuis ses premiers souvenirs du moins. Pourquoi avoir un mot pour cette idée, pourquoi la discriminer en particulier, en lui donnant un son à communiquer aux autres ? Il avait écrit à ce sujet dans un de ses carnets, fut un temps. Iodenn commença son travail, allant saluer chaque ancien qui le regardait à peine, ou lui rétorquait simplement que s’il avait un brin de jugeote, il irait construire des bateaux avec eux. L’auxiliaire souriait, les remerciait, leur offrait un encas, un peu d’attention, avant de passer au suivant. Difficile de connaître leur nombre. Certains des plus âgés s’entassaient dans un coin, inertes, leurs lèvres s'agitant seulement pour gémir ou pleurer. Parfois un éclair de force les étrennait et agitait leur corps de spasmes, ou les poussait à attraper la jupe de Iodenn pour la déchirer de leur poigne. Une migraine gagna peu à peu Ludvienn. Le bruit de leurs travaux venaient percer son crâne, ses os, sa moelle. Il serra les dents, se concentra sur la sensation de ses talons fraîchement rabotés contre le cuir de ses sandales. Carnet en main, matériel à encre dans un étui, il prit place à côté de l’amas de vieux dans un coin, installa ses outils. Iodenn le suivit du regard un instant avec un air grave, avant de l’ignorer. Ludvienn avala un surplus de salive.
« Il y a une chose blanche, commença-t-il, qui s’est échouée au bord de la rivière. »
Aucun vieux ne réagit. Ludvienn le nota dans son carnet.
« On dirait un gros paquet de viande morte. »
Une forme bougea dans le coin, une tête s’extirpa des corps sombres. De la bouche, quelques sons, des bruits de gencives humides. Ludvienn chercha à reconnaître ce visage, en vain. Les noms de ces personnes restaient perdus et il n’avait ni la force ni l’envie de les trouver. Il était impossible de distinguer ces vieillards les uns des autres de toute façon. Une voix faible bégaya une logorrhée de gargouillis. Accompagnant cette tirade, une main noueuse, rachitique, couverte de tâches brunes, agrippa sa cuisse. Ludvienn suspendit sa plume. Il tendit l’oreille, essaya d’occulter le vacarme alentour. La prise sur sa peau l’ancra dans cet espace entre lui et l’ancien. Les sons formèrent des syllabes, puis un mot se détacha de la bouillis linguistique. Enfin. Ce terme, dans les méandres de ses recherches, était déjà apparu. Il accrocha son ouïe, le mot revint sans cesse. D’un mouvement plus vif qu’il ne l’aurait voulu, il parcourut les pages de son carnet. Une entrée, une éternité auparavant.
Enfin - Après l’attente, après le temps, pour abréger, pour conclure.
Pas d’équivalent trouvé en Anté. Concept qui vient purement de nous ?
Mais que peut-il y avoir après quand on vieillit sans crever ? Est-ce que c’est ça l’Absence ? La fin ? Ou la fin de l'absence de quelque chose ? Quand quelque chose revient ? Ou « est » de nouveau ? Est-ce que de fait la fin termine, ou bien elle commence ? Je devrais arrêter de donner de l’importance à ce que les vieux racontent. Je devrais faire comme Io, les regarder en souriant et en hochant la tête. Je ne sais pas comment il fait pour arriver à ne pas réfléchir. Peut-être qu’il n’en est pas capable.
Une sensation désagréable à l’arrière de son crâne l’extirpa de sa lecture. Ludvienn avait toujours été acerbe dans ses notes, mais les attaques envers Iodenn le gênaient, parce qu’au fond de lui, il restait d’accord avec ses écrits. Entasser ses carnets avec les coquillages que Iodenn aimait tant, c’était presque une moquerie. Mais après tout, lui aussi amassait dans ses pages des choses vides et sans vie. Il se gratta la cheville du bout de sa plume. La rigidité des dalles du sol rencontrait ses os et la raideur de ses muscles. La plupart des mots qu’il connaissait n’avaientt pas leur miroir dans la langue d’Anté. Parmi les maigres traces antésiques qu’il avait trouvées, difficile de faire l’inventaire de tout le lexique. Se posaient alors deux questions : peut-être l’Anté avait-il un mot semblable qui lui était inconnu ? Ou peut-être, pour une fois, la langue des occupants de l’Absence n’était-elle pas guidée par celle qui semblait l’avoir précédée ? Si la notion de fin, de conclusion, venait de ses semblables, cela lui semblait bien ironique. Lui-même, traducteur, se retrouvait condamné à travailler dans les pas des autres, l’esprit mené par les réflexions des prédécesseurs, que ce soit les vieux du sanctuaire ou les mystérieux locuteurs de l’Anté. À côté de lui, la face de l’ancien qui avait parlé se tordit sous l’effort, les narines d’un nez s’ouvrirent et se fermèrent. L’esprit de Ludvienn fit un effort de compréhension.
« Tu es le traducteur, entendit-il entre deux respirations.
— Je l’étais autrefois, oui.
— C’est bien. Tu sais trouver la source. »
Un râle de sa part, un soupir pour Ludvienn. La fatigue le gagnait déjà, elle perçait à travers sa migraine et l’irritation de sa peau. Comment avait-il pu passer des heures dans ce coin sombre, avec ces gens et cette cacophonie, mué par l’excitation, le désir de trouver des réponses, d’avancer ? Même la présence de Iodenn n’amenait pas plus de joie dans ce caveau bruyant. Résigné, il parcourut à nouveau son carnet. Un agacement le saisit, lorsqu’il se rendit compte qu’il savait exactement à quelle page se trouvait quel mot. Comme s’il n’avait jamais cessé d’être traducteur, de faire ses recherches. Il martela ses ongles déjà sales sur la page. Le temps n’avait pas tout balayé. Il fallait reconnaître qu’à la cité de l’Absence, le temps ne faisait pas grand chose.
Source - Un commencement, une dissimulation, ce qui jaillit.
Équivalent en Anté possible (distinction entre cascade, rivière, chute, et un quatrième mot en rapport avec la rivière non élucidé : source ?)
Le concept le plus proche d’une idée de « début » et peut-être donc de « fin ». Les locuteurs antésiques semblaient se questionner, notamment dans les deux tablettes retrouvées au sanctuaire, avec le bois. Peut-être qu’ils étaient à la recherche de la source de la rivière ? Elle vient forcément de quelque part. Nous aussi nous devons venir de quelque part. Venir, ou du moins, arriver. Je ne sais pas dans quel sens prendre les choses.
Il y avait un soupçon de comique, dans cette manière juvénile de tout questionner. Ludvienn aurait voulu protester que c’était ridicule, qu’il fallait se résigner. Mais déjà ses yeux relisaient les mots, son cerveau sortait de sa torpeur, les démangeaisons sur sa cheville se taisaient. La fatalité l’asticotait, refusait de le laisser s’abrutir de rien. Ses pensées s’emparaient de son canif et le voilà qui commençait à éplucher les couches langagières, une par une, pour faire sens, pour traduire. Les pages défilaient sous ses yeux, les mots, les pleins et déliés, les hésitations, les percées. Et les questions revenaient, déferlant à travers le bruit qui bouchait ses oreilles. Son corps s’arquebouta sur son carnet, ses cheveux un écran d’eau blanche autour de son visage. Est-ce qu’on vit dans une roue qui refuse de tourner ?
« Tu vas te coincer le dos. »
Le ton de Iodenn avait l’apparence du reproche léger, pour couvrir la crainte sous-jacente. Sa haute taille paraissait tout aussi intimidante, même une fois accroupi, tunique rabattue sur le haut des cuisses, chevelure ramassée en amas de tresses. Il posa sa main sur l’épaule de Ludvienn, un sourire trop large étirant ses lèvres.
« Je te vois partir, toi et tes pensées incontrôlables, poursuivit-il d’un ton affable assorti à une expression tirée. Tu ne veux pas plutôt m’aider à faire manger les plus vieux ? »
Ludvienn grogna, saisit la main de l’auxiliaire entre ses doigts et la retira de son épaule. La prise de l’ancien sur sa cuisse avait disparu. Regard mauvais par-dessous ses cils pâles, bouche crispée en une moue déplaisante, il répliqua :
« Pour une fois que je travaille, tu ne veux pas arrêter de me houspiller sans cesse ?
— Ah ? Tu travailles maintenant, hm ? »
La raillerie dans la voix de Iodenn lui fit l’effet d’une langue de feu sur une plaie à vif.
« Des lustres que tu ne fais plus rien à part te morfondre et m’ignorer quand ça t’arrange, et là une merde échoue sur notre rivage et soudainement c’est ça qui te fait sortir tes doigts. Je note.
— Vraiment ? La jalousie ? fit-il mine de s’esclaffer. C’est ça que tu me sors ? Eh quoi, tu as peur que je préfère la compagnie d’une chose crevée à la tienne ? Ah ! Il faut dire que c’est si simple, d’être plus intéressant que toi. J’ai moins l’impression de brasser du vide. »
Ludvienn s’attendait à des plaintes et des couinements après ces quelques mots qu’il regrettait déjà à demi d’avoir dit, mais pas à la rage cuisante qui empourpra le visage de Iodenn. La gifle partie aussi vite que les insultes de sa bouche.
« Va te faire foutre, Ludvienn. »
Il se tint la joue un instant, à la fois abasourdi et lucide. Iodenn, une crispation figeant tout son corps jusqu’à sa mâchoire, le toisait. Malgré les regrets des paroles trop vite prononcées, il se savait friand de ces réactions lapidaires qu’il pouvait provoquer chez les autres. Un ravissement l’éveilla. Une sorte de jubilation interdite, de toujours savoir quoi dire pour blesser. Iodenn y était si sensible, et Ludvienn parfois si cruel. Il passa sa langue contre sa joue dans sa bouche, là où la grande main blanche l’avait frappé, et il en parcourut l’intérieur comme on chercherait à embrasser un corps désirable. Quand Iodenn, raide et digne, quitta son poste sa corvée finie, Ludvienn demeura au sanctuaire et, plus tard, ne rentra pas à la maison. Tristeln s’abstint de tout commentaire lorsqu’il vint prendre ses fonctions à son tour. Ludvienn le salua, doigts dansants sur les pages de son carnet, avant de quitter les lieux, sans trop savoir où aller. Au final, il n’y avait qu’une chose qu’il fallait interroger, outre peut-être son envie de se sentir vivant en tourmentant les autres. La masse blanche.
La caverne lui sembla plus étroite que d’ordinaire. Le plafond culminait pourtant à une telle distance qu’on distinguait à peine les veinures dans la roche. Une sorte de ciel obscur, lourd. Au sanctuaire, si on grimpait sur le toit, même une main tendue n’aurait su l’effleurer. Et en bas, dans le creux de la rivière, reposait la chair morte de cette chose. Ludvienn laissa ses pas l’y mener, alors qu’un air frais soulevait sa tunique et sa chevelure. Il garda les yeux rivés sur ses sandales et pourtant la masse appuyait sur ses paupières, ses sourcils, son front, sa bouche. Comme si la pression de la caverne se trouvait changée, étouffée par cette présence. Ses pieds s’arrêtèrent à quelques centimètres de la base de l’amas. Une accumulation grisâtre, à moitié enfoncée dans le sol. Il leva les yeux. Il n’y avait que le blanc, à perte de vue. Un mur de peau morte et épaisse. Il se mordit la lèvre, avança une main, se ravisa. Il songea aux vieux entassés dans un coin du sanctuaire, ceux qui ne pouvaient plus rien faire, qui se coulaient les uns dans les autres, une bouillie consciente qui gémissait par des gueules déformées, incapable de mourir. Ses doigts se refermèrent sur le manche de son canif. Et lentement, il se mit à peler. Avec méthode, il ravala l’épiderme, laissant à ses pieds des longs et fins copeaux blafards. Le blanc, le blanc, rien que le blanc. Soudainement, autre chose. Une couche pâle, mais veinée. Il concentra ses efforts sur cette zone, sans écouter les muscles de son bras qui commençaient à protester. La lame du coutelas racla quelque chose de solide. Ludvienn plissa des yeux. Une sorte de fragment translucide avec un petit liseret blanc. Il y posa un doigt. Lisse, rigide. On aurait dit un ongle. Ça en avait la forme. Il continua sa besogne. La nouvelle couche était constellée d’ongles. Et puis après, de petits rectangles épars en émail. Des dents. Des dents, des ongles, et enfin, des poils. Les mains de Ludvienn tremblaient. La sueur roulait sur ses tempes, s’accumulait sur ses sourcils et menaçaient d’inonder son regard. L’odeur rance de son corps emplit ses narines. Chaque couche avait une couleur différente. Sur l’une d’elle, un visage aplati, avec des orifices vides. Aucune expression, juste une peau tendue, avec des ongles, des dents, des poils, et vaguement, des personnes. Sa main retomba le long de son corps. Il ne sentait plus son bras, le sang de l’effort ruisselant dans sa bouche. En face de lui, dans ce bloc qu’il avait maintenant sculpté, se trouvait quelque chose qu’il n’avait jamais vu : la fin.
Fenndata apparut à côté de lui. Il ne l’avait pas entendu venir. L’observateur passa une main devant son visage :
« Ludvienn ? Tout va bien ? »
Le traducteur cligna des yeux. Une douleur vive remonta le long de son bras. Son coutelas avait entaillé sa paume, creusé les sillons là où il avait la veille arraché les peaux mortes de ses cales. Du sang roulait dans ces cratères. Devant lui, la masse blanche demeurait aussi lisse et simple qu’à leur première rencontre. Fenndata lui retira le canif des mains.
« Ça fait un moment que tu es planté là. Je pensais que tu venais étudier le bloc, mais… »
Un pli d’inquiétude déformait les traits élégants de son visage. Ludvienn essuya le sang de sa main sur sa tunique et considéra un instant les doigts que Fenn venait de poser sur son avant-bras.
« Je me suis disputé avec Iodenn », articula-t-il.
L’observateur nettoya la lame du canif avec un pan de sa jupe. Il soupira :
« À ce point-là ?
— Je ne sais pas, Fenn. »
Au creux de sa paume meurtrie, Ludvienn crut un instant voir pousser des rangées d’ongles et de dents, jaillissant des crevasses comme du pus d’un kyste. Ça sortait de l’épiderme, des rognures d’ongle pâles, des molaires irrégulières, dans un bruit humide de lymphe. Un flou passa dans son regard. Sans même l’avoir senti venir, un hoquet le secoua. Il attrapa la ceinture de Fenndata et l’amena à lui pour coller son visage contre son torse, juste sous sa poitrine. L’observateur marqua un temps, avant de passer ses bras autour du dos large de Ludvienn. Derrière lui, la masse blanche attendait. Et dans les couches, les visages hurlaient.
« Je vais te ramener à Iodenn. »
Ludvienn cessa de compter les jours qui le séparèrent de sa confrontation avec le bloc de chair. Plus que jamais, des démangeaisons incontrôlables envahissaient son corps et son esprit. Le moindre bout de peau morte, il l’arrachait avec ses dents, puisqu’on avait repris son canif. Il se maintenait à vif et scrutait son corps à la recherche de la moindre excroissance. Les irritations ne prenaient fin que lorsqu’il se plongeait dans ses carnets ou réfléchissait au sens de toutes ces choses. Comme si cette envie de se gratter jusqu’à l’os exprimait un désir de comprendre. Iodenn ne lui avait toujours pas adressé la parole. Le ramasseur poursuivait son existence habituelle, le poids mort de Ludvienn poussé sur le côté de sa route, sans trop y penser. Au bout de quelques journées, peut-être trois ou quatre, le traducteur prit ses affaires et s’installa dans une maison vide. Il y en avait beaucoup dans la cité. Les autres y allèrent chacun de leur petit commentaire, à demi-mot, parfois en gloussant, parfois en raillant. Tristeln ne se privait pas de lancer des regards mauvais. Duldarel avait commencé une nouvelle composition intense et tragique. Seul Fenndata s’inquiétait en silence.
Peut-être Ludvienn avait-il halluciné ce moment seul à seul avec la carcasse. Son esprit aurait pu être embrumé, confus. Après tout, c’était sur sa main que le canif s’était acharné, pas la masse qui demeurait intacte. Mais les mots du vieux lui revenait en tête, cette idée de source. Le traducteur se surprit à passer de plus en plus de temps devant les structures de la cité, les bâtisses, les colonnes, les frontons, les stèles. Qui avait pu les construire ? Pourquoi recouvrir ce qu’il y avait avant ? Ses camarades répétaient le même schéma. Quand un mur devenait trop fragile, le tailleur de pierre se chargeait de le changer, l’enduire, le renforcer. Parfois certains se prenaient d’envies décoratrices et habillaient de motifs le pourtour de leur porte. Ludvienn trouvait les motifs prématurés, loin d’être aboutis. Les choses s’entassaient les unes sur les autres. La stèle dressée au milieu de la cité en était le témoin : un empilement de mots et de symboles pour une seule idée. Ludvienn s’asseyait devant elle, la scrutait pendant des heures. Impossible de savoir laquelle des écritures était la première. Celle du haut ? Du milieu ? Peut-être aucune. Même ses rudiments d’Anté ne menaient nulle part, puisque les locuteurs antésiques eux-mêmes ne savaient rien. Ludvienn entortillait ses mèches de cheveux autour de ses doigts, frottait ses orteils les uns contre les autres, le bruit de sa propre peau l’aidant à se concentrer. Et quand les autres occupants commençaient à faire trop de bruit, alors il allait à la cascade, dans les petits balcons. Il se revoyait éplucher la masse blanche, couche par couche. Une traduction inversée, qui remontait à l’envers le fil créateur, à la recherche de la source. Assis sur le muret de pierre qui ourlait le balcon à un endroit où la roche était déjà creusée par tous ceux qui s’y étaient assis avant lui, il plongea son regard dans l’eau. Elle venait d’en haut, se déversait en bas. La rivière, cette flèche bruyante qui indiquait le sens.
Le dernier soir, Iodenn l’attendait dans la nouvelle maison. Sa stature haute et fine, encadrée par ses longs cheveux et membres ballants, prenait la forme d’une poutre de soutien au milieu de la bâtisse. Il portait un habit léger, le tissu ocre si fin que chaque aspérité du corps se voyait révélée. Des bracelets de coquillages ornaient ses chevilles et bruissaient à chaque mouvement incertain. Ludvienn se tint en retrait, peau irradiée de démangeaisons, chapeau à la main. Iodenn glissa une de ses mèches derrière son oreille et s’avança :
« Ta main va mieux ? »
Ludvienn haussa les épaules et alla déposer son chapeau sur son crochet, comme il l’avait déjà fait une infinité de fois dans une autre demeure. Il le suspendit d’un geste sec, expression fermée, le pas précis.
« Qu’est-ce que tu veux ? demanda-t-il sans se retourner.
— Toujours aussi gentil et agréable, ça ne change pas.»
Ludvienn leva les yeux au plafond et entreprit de retirer sa tunique, qu’il lança plus ou moins en direction de son lit, en espérant que cela force Iodenn à faire un pas de côté. Il lui fit enfin face :
« C’est le travail, ça irrite.
— Surtout quand on n’a pas l’habitude, il faut dire.
— Ne me fais pas rire, s’esclaffa Ludvienn. Qu’on fasse quelque chose ou pas, ça ne change rien de toute manière. Tu le dis toi-même. Ça ne change pas. »
Iodenn croisa les bras sur sa poitrine, confus. Son air revêche amusa Ludvienn qui alla s’agenouiller au bord du pédiluve. Il y trempa ses mains, laissa l’eau emporter la poussière, la sueur et les croutes mortes de sa paume.
« On ne sait pas, enchaîna alors Iodenn sans bouger. Tant qu’on fait quelque chose, on ne peut pas savoir ce qu’il se passerait si on arrêtait.
— Si tu crois vraiment ça, alors tu es plus stupide que ce que je pensais. »
Une grande main vint se saisir de ses cheveux et le força à se relever. La poigne de Iodenn le plaqua contre le mur, entre la commode et le petit bassin. Ses omoplates se heurtèrent à la pierre glacée. Tordu de frustration, le visage de son amant se colla près du sien, plus bas, lèvres humides de salive.
« Pourquoi suis-je condamné à aimer une personne aussi ignoble que toi ? » gronda-t-il.
Le rictus de Ludvienn se mua en un demi-sourire, plus doux que ce qu’il n’aurait souhaité. Sa main droite abîmée caressa la joue de Iodenn, qui tressaillit. L’autre accompagna son bassin contre le sien. Il chercha son regard :
« Parce que tu es incapable d’autre chose, tu ne crois pas ? »
Iodenn se détacha et le repoussa contre le mur avec une expression de dégoût.
« Je ne sais pas dans quel délire tu nages, souffla-t-il, mais ce sera sans moi. Tu veux du changement ? Je t’en donne ! J’en ai assez de te supporter. Au final, moi qui m’inquiétais sans cesse de ne jamais te voir revenir, ton absence est tellement plus agréable. Je peux enfin m’entendre respirer. »
Ludvienn secoua la tête et passa une main dans ses cheveux. Il était temps d’y mettre un terme.
« Pour une fois, on se comprend. Dès demain, tu ne me verras plus jamais. Je pense que tu m’aimeras encore, après. Il suffit que tout change pour que rien ne change. »
Iodenn repartit sans amour ce soir là et Ludvienn décida d’oublier toutes les larmes qu’il versa seul dans le secret de son déchirement.
Acheminer un des bateaux du sanctuaire jusqu’à la rivière prit la majeure partie de la journée. Personne n’osa prêter main forte à Ludvienn, qui tracta seul au bas de la falaise l’étroite embarcation et les rames pour la mouvoir. Fenndata finit par se détacher de son poste d’observation, pour venir se saisir d’une des cordes et tirer à son tour. Les muscles endoloris du traducteur accueillirent cette aide avec soulagement. L’effort avait rougi sa figure, les lanières de ses sandales s’enfonçaient dans la chair gonflée de ses mollets. Toute la manoeuvre demandait à la fois de tirer le bateau et l’empêcher de dégringoler tout le long du chemin. Duldarel fut l’unique témoin de cette entreprise, les autres trop occupés à leur non-vie. Son instrument à cordes pincées en main, il les accompagna en musique. Quelque chose de doux, de calme, comme s’il cherchait à alléger leur fardeau. Fenn lui adressa un bref sourire. Ludvienn garda son regard braqué sur sa destination. Il avait un instant songé à utiliser les ânes comme bêtes de somme, mais il n’avait pas de harnais et aucune envie d’essayer d’en convaincre deux de se plier à sa cause. Son cœur se serra. Aucune trace de Iodenn.
Une fois au bord de la rivière, il fallut contourner la masse blanche. Sans Fenn, Ludvienn aurait renoncé et se serait jeté dans les eaux, mu par l’impuissance. L’observateur usa de toute sa force, de son savoir-faire, sa longue tresse balayant les reliefs de son dos nu à chaque mouvement. L’obstacle fut franchi et le bateau laissa de profonds sillons dans le limon, là où ils durent le faire pivoter. Enfin, il ne resta plus qu’à pousser l’embarcation dans l’eau et partir. Ludvienn s’étira, but une gorgée d’eau de son outre. À ses pieds, son sac était lourd de tous ses carnets, provisions, et matériel d’écriture léger. Il y avait également glissé une poignée de coquillages de Iodenn, qu’il conservait toujours avec lui. Il jeta un dernier coup d'œil à la masse blanche puis à sa main. Pas d’ongles, ni de dents. Lorsqu’il se hissa à bord et entama sa longue descente, Fenndata lui adressa un bref signe de tête avant de s’en retourner à son poste. Les flots se précipitèrent autour du bateau, avides d’en lécher les flancs, de tester sa résistance. Le traducteur s’installa au centre, sur la petite banquette, les mains sur les rames. Il glissa son sac dans un des nombreux renfoncements prévus à cet effet et alors qu’il donnait son premier coup de rame, il réalisa qu’il n’avait aucune idée de comment naviguer. Et qu’il n’y avait pas de retour possible.
La rivière lui cracha dessus à mesure qu’il s’approchait de ses chutes finales, là où le flot mourait dans les abysses. Dents serrés, muscles tendus, phalanges blanchies sur les rames, Ludvienn tint bon, chevelure trempée, tunique vacillante. Devant lui, le trou noir l’appelait, l’attirait, le chahutait sans merci. Un virement à gauche, une éclaboussure inattendue. Il perdit le contrôle de l’embarcation qui s’ébranla en avant, prisonnière de la rivière. À la toute fin, il n’y eut plus que la suspension du vide. Et le grand plongeon. Iodenn, pourquoi n’était-il pas venu ?
Je cherchais pour le bingo "un chapitre où tu as sincèrement ressenti du dégoût" et on m'a conseillé ton histoire. C'est réussi, les chapitres avec les peaux mortes et les croûtes m'a bien dégoûté xD C'est rare des textes avec des ambiances aussi réussies, on est investi !
J'avoue avoir été un peu perdu par moments. Les longs paragraphes, la durée du chapitre et le fait qu'il ne soit pas justifié ont peut-être participé à cette impression. Il m'a aussi fallu un petit bout de temps pour situer les personnages, ce qui est logique
Sinon, ton style est très maîtrisé, avec des descriptions vraiment très pointues qui participent à nous plonger dans l'ambiance, à imaginer facilement les scènes, les corps des personnages.
Bref, une sacrée expérience de lecture^^
Mes remarques :
"juste une armada de périphrases prêtes à faire naufrage" très jolie expression !
"s’enfonçait de plus en plus profond dans le sommeil," -> profondément ?
"La gifle partie aussi vite que les insultes de sa bouche." -> partit
Un plaisir,
A bientôt !
Le monde est incroyable, ces vieux qui ne meurent pas comme une autre masse organique, aah je me sens pas bien !
Les personnages sont tous intéressants, tous bien campés et marquants, leurs relations passionantes et réalistes.
"En face de lui, dans ce bloc qu’il avait maintenant sculpté, se trouvait quelque chose qu’il n’avait jamais vu : la fin." -> J'en ai eu froid dans le dos. Il la voulait cette fin, mais comme ça ? Perso j'ai changé d'avis, je suis pas prête x.x
berk berk berk berk berk berk - (je ne sais pas si mon com est clair, mais je trouve ce texte génial, ambiance de fou, écriture incroyable) berk berk berk berk berk je vais aller lire une petite histoire jeunesse mignonne maintenant x.x mais des que la suite est postée je rapplique !!! \o/
J’ai vraiment beaucoup aimé ce monde, que j’ai plus eu l’impression de ressentir que de voir. Cette grande caverne étrange avec ses habitants qui semblent se complaire dans une sorte de routine éternelle. Enfin, ils semblent s’y complaire en contraste avec le regard qu’y porte Ludvienn. Son incompréhension vis-à-vis du travail constant et patient de Iodenn plante bien leur relation je trouve.
Enfin, tu l’introduisais déjà clairement avec cette façon dont Ludvienn n’est pas pressae de lae retrouvae (allez, je teste les terminaisons neutres). La scène de tendresse juste après était belle et soulignais – je trouve – une belle ambiguïté dans la façon dont Ludvienn la perçoit.
Du coup, la rudesse de leur altercation plus tard m’a paru presque trop… simple. Peut-être glisser une remarque sarcastique de Ludvienn dans leur scène d’amour ? Quelque chose qui fasse tiquer Iodenn sans qu’ael s’énerve ? Qu’on réalise après – comme Ludvienn – que trop c’est trop ?
J’ai adoré cette folie qui s’empare de Ludvienn. Je l’ai trouvé très très bien faite. Parce que ce rapport à la chair (qui m’a répugnée, mais c’est une bonne chose. C’est que tu l’as bien retranscrite. C’est moi qui avait de plus en plus de mal avec les coupure, les morceaux en trop et tout…), ce rapport à la chair, donc, m’a interrogé. A un moment je me suis même dit « peut-être que je commenterais que c’était too much » sauf que c’était parfaitement voulu et donc ça marche trop bien ♥
Comme je me sens d’humeur tatillonne, je te proposerais bien de dire clairement que la masse blanche que Ludvienn entame longuement n’a en fait rien.
D’une manière générale, j’ai été parfois un peu perdue dans les longs paragraphes. C’est un peu dur à expliquer, parce que je n’ai aucun soucis avec l’idée d’être balancée dans un monde étrange sans explications. Je trouve effectivement beaucoup plus immersif ta façon de faire : raconter ce que le narrateur voit, glisser tout ce qu’on veut glisser au travers de ses déambulations. Et je pense que ce que tu en dis est complet et fascinant. J’ai peut-être juste manqué de moments de clarté totale. Une phrase courte, un peu plus bateau (aha.) que la prose d’ensemble, pour situer une émotion ou une action.
J’ai beaucoup beaucoup aimé la scène avec les anciens, d’ailleurs. Je pense qu’elle était un poil plus rythmée : du dialogue, les coupures avec ses notes de traduction, des paragraphes plus courts…
Bref, je lirai la suite avec plaisir. Y a un truc très prenant dans ton texte !
Bon courage et à bientôt !
Olala, mais j’ai l’impression que mon cerveau était trop vieux pour tout comprendre. Ce premier chapitre est d’une beauté troublante. Je ne pense pas ajouter de grandes nouveautés par rapport aux autres commentaires, mais j’aurais regretté de ne pas prendre le temps de commenter. Donc ce temps, je le prends.
Une fois les premiers paragraphes passés, je me suis complètement laissée immerger par ton récit. Par où commencer ? Quelque part, ton récit aussi est composé de couches. La couche minérale de la cité. La couche aquatique de la rivière. La couche organique de ses habitants. Et la couche impalpable de cette immobilité, de ce temps qui demeure, qui étouffe même.
Clairement, on voit que tu aimes les mots. J’ai pris un immense plaisir à suivre les descriptions, parfois précises à un point pas possible (cf l’ongle qui trace une rainure dans le cuir de la sandale). Je me suis dit : mais on peut aller jusque là dans ses descriptions ? C’est autorisé ? C’est légal ? Moi qui suis plutôt adepte d’ordinaire des descriptions mesurées, j’en suis ressortie toute tourneboulée. Je pense que je devrais passer de vraies heures à décortiquer ton récit pour en apprécier tous les petits détails. Du coup, en une seule lecture, j’ai l’impression de ne pas lui avoir fait honneur…
Curieusement, j’ai plus éprouvé de trouble que de dégoût véritable. Alors qu’honnêtement, dans la vraie vie, quelqu’un qui mange ses peaux mortes de pieds (!) ou les vieux en train de délirer qui s’entassent sans mourir dans une zone qui leur est dédiée, ça me donnerait des haut-le-cœur. Dans l’ambiance générale du récit, c’était troublant mais pas repoussant. Ça met en place un malaise, c’est sûr, il n’y a pas à tortiller. En fait, c’est un peu comme du compost (je m’explique). Le fait que rien ne bouge, que rien ne change, ça me donne l’impression que les choses s’entassent, s’empilent, se détériorent, changent de forme sans véritablement mourir. Quelqu’un évoquait que la masse blanche pourrait être un caca. Avec les couches de dents, de poils, d’émail visionnés par Ludvienn, ça m’a fait pensé à une pelote de réjection. C’est ce qui reste du repas d’un rapace, qu’il n’a pas pu digéré et qu’il recrache ensuite, avec les poils et les os de toutes les petites bestioles qu’il a mangé. Je m’égare ^^’’.
Comment passer à côté de la beauté des personnages ? Je rejoins les autres avis sur ce sujet :). Tous sont différents, mais il émane d’eux une sensualité époustouflante. Visiblement, Fenn est celui qui fait le plus d’émule. Le côté très organique des descriptions, des corps (notamment les mollets ^^), tranche nettement avec le minéral de la cité. Cependant, je me pose une question. Une question osée. Tu expliques que dans ton récit les gens n’ont pas de genre. Du coup, comment ça se représente, physiquement parlant ? D’autant plus qu’ils n’ont pas l’air en possibilité de se reproduire. C’est donc qu’ils n’ont pas ce qu’il faut pour ? Visiblement, ça ne les empêche pas de prendre du bon temps, mais je suis intriguée ^^.
J’interprète la fin du récit de plusieurs manières. De toute évidence, Ludvienn en a assez de l’immobilisme de la cité et de ses habitants. Lui-même était contaminé et semble s’éveiller d’une très longue torpeur. Revenir à la source, ce serait revenir dans le passé, qui ne peut être changé. Se plonger en suivant la rivière, quelque part c’est aller vers le futur. Vers autre chose. N’importe quoi d’autre. J’ai aussi caressé l’idée que cette plongée dans la rivière, sans attache, sans même savoir comment s’y prendre, était presque une allégorie du suicide. Ludvienn en a assez de tout ça et décide de tout quitter. Mais peut-être que je vais trop loin et bon sang, c’est d’une tristesse ce que je raconte @@.
J’ai l’impression de n’avoir fait que gratter la surface… mais voici au moins mon commentaire à chaud de ce qui m’a marquée. C’est beau. C’est triste. C’est troublant.
Je reviendrai avec plaisir lire la suite :)
Merci pour ta lecture et pour avoir pris ce temps pour laisser un super commentaire qui a apporté plein de choses ! En plus tu dis que ton cerveau est trop vieux pour comprendre mais je trouve que tu as parfaitement cerné le texte donc bon.
Le récit est en effet composé de couches à tous points de vue, ça me fait tellement plaisir que tu le soulèves ! Pas pour rien que chaque partie s’appelle aussi une strate. J’aime ce que tu y vois en tout cas.
Aaah merci ce sont d’énormes compliments que tu écris ici ! C’est vraiment LE truc qui me fait vibrer dans les descriptions, de m’attarder sur des détails très précis qui sont assez ordinaires et qu’on souligne peut-être moins (comme par exemple la sensation des poils de jambe pris dans une lanière). Ça contribue je trouve à cette idée « organique » dont tu parlais aussi plus avant. Bref, j’aime attirer l’oeil sur ça et quand les autres le font aussi !
Le trouble ça me va tout à fait, je veux pas aller dans le ragoûtant immonde non plus hahaha Une personne de plus dans la team Caca, ses rangs ne font que grossirent x) Mais oui je suis d’accord, et je dirais même que c’est pire que du compost, parce que le compost on s’en sert pour faire pousser d’autres trucs alors que ça ne donne rien, ça n’amène à rien. Oooh je n’avais pas pensé à la pelote de rejection, excellente remarque ! Je t’avoue que mon inspiration c’était le kyste pilonidal, on reste dans les choses délicieuses (au secours).
Je confirme que d’après les standards de la cité, Fenn c’est le rêve haha Moi je trouve ta question intéressante ! C’est vrai que je ne décris pas volontairement cette partie là des anatomies parce que j’ai décidé que ce n’était pas important pour ce texte. Je n’y ai pas réfléchi et puis je me dis que dans une société sans genre et sans reproduction, les gens ne feraient peut-être même pas attention à ces choses là puisque ça ne servirait pas pour les distinguer. Donc au final je ne peux pas répondre à ta question, je n’y ai pas plus réfléchi que ça xD oups
J’apprécie tes interprétations ! C’est mentionné au début du texte que Ludvienn a déjà pensé à se jeter dans les eaux, il le redit une nouvelle fois vers la fin quand il déplace la barque. Donc je ne pense pas que tu vas trop loin, au contraire ! Et puis même s’il ne meurt pas, il est “mort” dans le sens où il quitte la cité et sa société.
Gratter c’est le mot ! Merci une fois de plus pour ton commentaire qui a égayé ma soirée <3
Ouaaaah, mais quelle claque cette première partie et cette fin (ce début ?) !
Je rejoins tout le monde, cette dernière phrase est vraiment hyper touchante, je trouve cela très réaliste, cette façon que nous avons de nous raccrocher, dans les moments important, à des pensées qui peuvent sembler en décalage. Je me dis que ce sont ces pensées là qui nous rappellent ce qui est "vraiment" important pour nous ^^"
J'ai eu un ressenti de lecture proche de celui de Léthé, le rapport à la chair est omniprésent et très particulier dans ses différentes approches, positives ou négatives, cela transpire vraiment dans le texte et marque énormément. Et moi aussi j'ai pensé au ventre d'une créature, comme un microcosme interne dans une vie plus grande ^^"
J'ai aussi la même remarque que Ery à faire concernant le "il". Malgré la note d'auteurice en début de texte, ce pronom insuffle le sentiment d'un monde exclusivement masculin, dépourvu de femmes ou d'autres genres. C'est d'autant plus renforcé par l'absence d'enfants je trouve, comme s'il "manquait" un ingrédient pour en faire ce qui est vraiment très différent de la notion de neutralité je trouve. Mais bon, maintenant que c'est dit, je ne sais pas quoi te proposer en solution au sein de cette satanée langue française, si fortement genrée, donc ce commentaire n'est pas très utile finalement x'D
J'ai beaucoup aimé le départ de Ludvienn par contre, il ne m'a pas tellement surprise, seulement piquée un peu par ce contre-pied dans le déroulé de l'histoire, mais de façon positive. Je l'ai trouvé très logique finalement vis à vis de la psychologie du personnage, donc ça ne m'a pas du tout posé problème.
J'ai aussi beaucoup aimé les explications tirées du carnet de Ludvienn, s'il y en avait plus cela ne me gênerait pas tellement c'est intéressant, mais j'imagine que chaque lecteurice aura son seuil sur ces sujets là.
Il y a deux mini détails qu'on m'ont fait tiqué, mais attention, le premier est très con :
- pourquoi des chapeaux s'il n'y a pas de soleil ? (j'avais prévenu que c'était con, mais ça m'a perturbée pendant tout le récit alors il faut que je demande x'D)
- j'ai été surprise par la présence d'une race animale familière au lecteur, l'âne, dans ce monde si différent du notre. Est-ce fait exprès ?
Et sinon, de façon plus générale, je ne me suis pas toujours très bien représentée où était quoi dans la caverne, ce qui est en haut, en bas, la ville, le sanctuaire, l'endroit où est trouvé la masse de peaux. Chaque fois que les personnages se déplacent je ne suis pas sûre de s'ils montent ou s'ils descendent et où se trouve quoi dans cet espace clos. Mais bon, si je suis la seule à faire la remarque c'est peut-être juste moi qui ai une représentation dans l'espace toute nulle ^^" (ou bien c'est fait exprès ?)
Concernant les petites théories, je me demande si la rivière ne serait pas un circuit fermé, genre quand on dévale on finit par ressortir par le haut de la cascade et revenir à son point de départ, un peu comme la "fin du monde" de "La Horde du contrevent"... mais bon, c'est une idée qui m'a surtout été induite par ces histoires de début et de fin qui se rejoignent et de hauts et de bas que je n'ai pas bien perçus dans les descriptions ^^"
Et enfin, la grande question : en vrai être "observateur", c'est quand même bien un poste de planqué non ? On reproche à Ludvienn de ne pas bosser mais franchement Fenndata il en fait pas franchement plus x'DDD
Bref, j'ai adoré et j'ai très hâte de découvrir la suite ♥
Merci beaucoup pour ta lecture et ton commentaire, décidément tout le monde a décidé d’être adorable mon coeur va pas pouvoir tenir <3
Pour cette dernière phrase c’est ce que je me suis dit aussi donc tant mieux si elle a fait mouche hehehe
Itchane tu rejoins donc la team Caca pour les théories, je note x) Blague à part, ça m’intéresse tout ce que tu dis là et que tu renchérisses, ça souligne des aspects du texte que je n’avais peut-être pas autant vus que vous ! Si si ce commentaire est utile ! Ce que tu dis sur comment je donne une idée de neutralité par en fait, une absence de femmes/autres genres (même si c’est pas voulu mais le biais est là), je crois que ça me fait même comprendre des trucs sur moi-même du type ah ? pourquoi passer par l’absence de « féminin » ? *transpire en transidentité* Bref, je crois qu’on peut s’accorder (c’est le cas de le dire) sur le fait que c’est probablement un truc central à travailler !
Vraiment le fait que ce soit un format court je crains parfois de précipiter les choses, de pas leur donner tout leur contexte pour que ça ait du sens et que ça sorte pas de nulle part. La décision de Ludvienn fait partie de ces trucs, mais si ça fonctionne pour toi, alors c’est une remarque à garder sous le coude.
Yep, un autre dilemme… Avec un peu de chance, l’écriture de la suite va me donner des idées sur quoi intégrer comme notes au début pour semer plus d’indices !
Alors c’est pas con xD Pour les chapeaux la réponse va être très bête : le style, le flow, la superbe, la CONF. Bref, Ludvienn a du goût donc il a un grand chapeau xD Et pour les ânes ma réponse va être aussi éclatée que les transports en commun en île-de-france : j’adore les ânes. Voilà. Peut-être que je devrais plus y réfléchir mais pour l’instant je me fais plaisir x)
Alors là tout ce que tu dis, je note à fond. C’était une de mes craintes dans le texte, parce que moi je me représente extrêmement bien tout ça donc ça peut être difficile à communiquer. Je voulais éviter de faire un long paragraphe géographique mais y’a probablement moyen d’être un peu plus précis, à méditer. C’est pas vraiment fait exprès, je pense même que c’est bien d’avoir une bonne idée de la cité.
Les bonnes refs qui ressortent, on aime ! Aucun démenti ni confirmation de ma part, il faudra attendre la suite hehehe Mais c’est trop bien de lire toutes les théories !
Ohlala ça dénonce Fenndata les termes sont enfin dits xD En vrai si tu veux les potins c’est bien comme Fenn voit tout donc on lui pardonne + il est sexy à faire le poseur sur un muret donc booon
Encore merci, ça m’encourage à vite vite écrire <3
Je viens enfin vers toi. Je suis soufflée par la beauté de ce chapitre. Beaucoup de belles images, et j'apprécie beaucoup la manière dont tu évoques les corps, le désir, la profondeur de ces démangeaisons qui font écho au creusement de la masse blanche. Tu fais paraître une monde à la fois cru et sensible. Bravo !
A bientôt
Merci pour ton retour qui berce ma soirée ! Ton commentaire soulève plein de points qui me tiennent à coeur dans ce texte, donc merci de prendre le temps de l’écrire. Je ne m’attendais pas à ce que ça fasse mouche !
À bientôt également
Quelle jolie découverte que ce début de nouvelle. Plus que l'intrigue de cette masse blanche mystérieuse, l'univers que tu dépeints m'a enchanté. Un tableau lugubre, presque malaisant mais tellement captivant. Ces expressions balancées au coin d'une phrases sont tellement efficaces et nous renvoie à un monde sinistre, morose et déprimant à souhait. J'ai particulièrement aimé la partie où tu décris les vieux agglutinés, masse sans forme, presque sans vie, en décomposition... C'était très joli. Et tout ton univers en parfait décalage presque dérangeant est plaisant à découvrir. Petite mention pour les peaux mortes que notre cher ami prend plaisir à déguster... On prend plaisir à avoir du dégoût, on s'immerge avec plaisir dans l'immondice que tu nous offres...
Ton texte est exigeant, ça ne se lit pas entre deux portes où avec quelques distractions autour. Tous tes mots sont pesés, réfléchis et minutieusement bien agencés. Vraiment, je ne vais pas tous les énumérer, mais les nombreux passages qui décrivent ton monde proche de la folie-douce m'ont enchantés.
J'ai bien apprécié les questionnements que tu introduis, presque philosophiques sur le début et la fin des choses, le sens de la vie... C'est bien dosé et bien inséré dans ton récit.
On voit que tu as plein de centre d'intérêts que ce soit autour de la linguistique, l'histoire... Petit bémol, certains passages, je les ai trouvés un peu "technique" (notamment sur l'utilité de la création de certains mots...) Mais, bon, c'est très personnel et tellement subjectif...
Voilà que notre Ludvienn se retrouve embarqué dans le flot de l'inconnu et, s'il se retrouve finalement tout seul dans son rafiot, je prends place à ses côtés pour découvrir avec lui ce monde étrange.
Petites coquilles :
"quand ça t'arranges" > quand ça t'arrange
"Incontrôllables" > un seul L
Au plaisir de lire la suite
Tout d’abord merci pour ton retour et pour avoir pris le temps de lire. Si l’univers a réussi a réussi à t’emporter et te faire ressentir captivation et malaise, alors mon pari est réussi ! J’ai adoré écrire ces expressions que tu mentionnes et tous les passages avec les peaux mortes.
J’ai essayé en effet de bien placer mes mots, sans tomber dans l’excès ni le manque, donc c’est gentil de le souligner !
Ah oui, tu mets le doigt sur une des questions que je me pose, et dont je discutais plus bas avec Ery, sur le dosage justement du contenu “technique”. Est-ce que je vais loin ? ou pas assez ? C’est encore en maturation et je peux ajouter ton ressenti aux éléments pour continuer à réfléchir sur ce sujet. J’imagine que seul mettre un point final au récit me permettra de démêler tout ça !
Ludvienn t’accueille volontiers dans sa barque pour naviguer ensemble et voir où tout cela va mener.
Merci pour les coquilles, je vais corriger ça ! Au plaisir de te retrouver pour la suite, encore merci d’avoir lu et commenté.
Non je ne trouve pas que tu ailles loin justement, c'est technique mais plutôt bien dosé pour ne pas perdre un lecteur qui n'accrocherait pas éventuellement sur cet aspect là :) tu reviens sur ce thème en plusieurs étapes, distillées dans des parties assez éloignées, du coup l'approche n'est pas pesante :)
Bon courage pour la suite !
Aaah très intéressant ce que tu dis là ! Je le garde précieusement avec moi. Didactiser des notions dans un texte littérarire, c’est pas le plus simple, mais si ça a l’air de fonctionner ici, alors c’est le soulagement ! Merci pour tes précisions !
Premier ressenti : une ambiance poisseuse, très corporelle, j'avais dans le nez la vague odeur de poiscaille de mes cheveux après les bains de rivière l'été et dans les mains une sensation de cailloux mouillés qui peuvent se mettre à crisser contre les ongles de manière très désagréable, mais qui autrement sont lisses et doux. Un voyage sensoriel, du coup, vraiment ! Et malgré le côté peu ragoûtant de certaines sensations décrites, c'était quand même très agréable à traverser. Je ne sais pas si tu cherchais à générer l'inconfort, mais ça n'a pas été le cas pour moi. Un peu de dégoût devant ce bloc de gras mais ça m'évoquait aussi (et là je me questionne sur moi-même) ces gros morceaux de gras de viande que j'ai pu avoir plaisir à mâchonner quand j'étais la plus viandarde des viandardes, donc quelque chose de presque... appétissant et repoussant à la fois.
J'ai aimé cette ville immobile. Ça m'a évoqué une histoire de GueuledeLoup publiée ici, que du coup je te recommande, qui s'appelle "63/84 jours". Il y a ce côté temps suspendu et en même temps écoulement inexorable de quelque chose, questionnement d'un cycle et confusion début-fin. J'adore de manière absolue que tu aies lié ça à une recherche de sens linguistique. J'adore que le personnage constate impuissant qu'on a perdu des savoirs et qu'on continue de recouvrir des frises anciennes juste par caprice, alors qu'il pourrait s'y trouver des fragments de passé qui aideraient à en comprendre d'autres.
Je dis "on" parce que, eh ben, j'ai pas pu m'empêcher de lire une métaphore de notre société, sans l'avoir particulièrement réfléchi d'ailleurs donc je prétends pas que ça tient debout, juste c'est ça qui s'est imposé à mon esprit et je crois que c'est à cause de la caverne. Platon, tout ça. Comme je te dis j'ai pas poussé la réflexion plus loin et je n'ai pas forcément envie de le faire avant d'avoir poursuivi l'histoire ( :eyes: VA ÉCRIRE) (mais sans pression hein), mais je me demandais si l'allégorie de la caverne faisait partie du paysage à partir duquel tu as conçu cette histoire ou pas du tout. En tout cas, cette passivité, cette importance de la fonction, ces petites rivalités internes, ça m'a parlé. J'aurais presque aimé avoir davantage de temps avec ces personnages et peut-être d'en rencontrer encore d'autres, voir encore un peu plus comment ils vivent. Y a une foule de détails civilisationnels que j'ai trop aimés, comme le pédiluve à l'intérieur de la maison, les coiffures et les vêtements, le visuel très frappant du village aussi. J'ai a-do-ré le traitement des corps. La description précise de celui de Iodenn quand il dort nu est vraiment géniale.
Je me suis posé une question concernant le pronom "il", que du coup tu emploies au neutre ici. S'il n'y avait pas eu la précision au début, je ne suis pas sûre que j'aurais perçu ces personnages autrement que comme masculins (c'est très subjectif mais je me dis que c'est bon à savoir pour toi, et pour situer un peu, je suis loin d'être la plus déconstruite des lectrices mais je ne pars pas de zéro non plus – estimation d'une grande précision, n'est-ce pas xD). Je me demandais si tu avais envisagé d'utiliser d'autres pronoms ou d'en inventer ou si le "il" s'était imposé, et quel a été ton raisonnement. Toujours très subjectif : moi je n'aime pas trop qu'on utilise la forme masculine pour exprimer le neutre à cause de ce que ça implique pour la forme féminine (qui du coup ne peut pas être neutre et est à jamais marquée du sceau de l'altérité). Pour autant, utiliser un néopronom n'est pas un choix à faire à la légère vu le travail que ça suppose et l'effort de lecture supplémentaire que ça peut impliquer. Donc n'y vois aucune incitation de ma part, juste un questionnement :) en soi j'ai trouvé ça extrêmement confortable à lire comme ça et grâce à la précision du début, j'ai pu me faire des images assez diverses de ces gens et de ces corps et ne pas leur attribuer nécessairement un genre en particulier, alors si c'était ça le but eh bien ça fonctionne ! (et on ne peut pas casser toute la grammaire à chaque texte qu'on écrit, c'est sûr. J'en profite quand même pour te citer un autre texte d'ici, écrit par Tac, qui s'appelle "The Lovers" et utilise des néo-pronoms d'une très belle manière, au cas où ça t'intéresserait !)
J'ai beaucoup aimé l'ambiguïté de la relation Iodenn-Ludvienn, avec le premier très possessif et le deuxième assez cruel. Je dois me rendre à l'évidence : j'adore quand les personnages s'agrippent mutuellement les fesses, voilà, c'est dit. J'aime ce que ce geste a de familier, ce qu'il suppose d'érotique dans la relation mais un érotique usuel, genre "je t'agrippe la fesse tout en racontant ma journée et ensuite on va voir où ça nous mène", j'aime aussi l'ambiguïté du geste de "saisir", "tenir" l'autre, qui montre ici super bien je trouve la relation des deux personnages. Comme effectivement c'est assez toxique entre eux, je ne les shippe pas autant à fond que Léthé, mais j'ai quand même eu le coeur serré quand ils se sont séparés, ne serait-ce qu'à cause de ce regard si doux que Ludvienn pose sur son amant qui dort (mais pourquoi ne peut-il pas être plus doux quand il est réveillé ?). En fait, il y a de la violence rentrée dans cette relation (qui explose en partie lors de leur confrontation) et c'est à la fois dérangeant et fascinant. Comment des gens qui ont une vie aussi passive peuvent développer autant de violence ? Ça m'a amenée à me demander si Ludvienn n'était pas anormal, du point de vue de sa société. Clairement, il ressort du lot à plein de niveaux.
Une question encore. Sur cette fin de chapitre, je suis partagée entre ma déception de peut-être quitter avec Ludvienn ce lieu si étrange dont j'aurais voulu fréquenter davantage les personnages, et ma curiosité de savoir ce qui va suivre. Mais j'ai l'impression de ne pas bien saisir pourquoi Ludvienn s'en va. Ça ne sort pas de nulle part non plus, puisque tu nous annonces dès le début qu'il soupesait l'idée, et que le fait que les vieux construisent des bateaux laisse à penser que. (pourquoi, d'ailleurs, construisent-ils des bateaux ? là aussi, impression d'avoir peut-être loupé un point de logique) Alors bien sûr il y a la dispute avec Iodenn. Mais dans sa quête de sens, j'aurais plutôt imaginé que Ludvienn chercher à remonter à la source (même si sans doute pas possible, mais au moins métaphoriquement) plutôt qu'à descendre le courant. À moins que justement, il parte en quête de la source mais en cherchant la fin ? Puisque ces deux concepts s'entremêlent ? Je suis en train de me dire que oui, finalement, ça pourrait bien être ça. Et en vrai peu importe hein : j'embarque quoi qu'il en soit ! J'espère quand même qu'on aura le fin mot de l'histoire par rapport au gros bloc de gras.
Sur l'aspect linguistique : j'étais très enthousiaste de lire les notes de Ludvienn mais je me suis retrouvée à peiner un peu pour les suivre. Paradoxalement, j'aurais aussi voulu qu'il y en ait plus. Le fait qu'il mêle ses notes de travail avec des éléments persos m'a presque frustrée parce que je suis à fond sur le mystère de l'écriture, du déchiffrage de la stèle et du reste, de la mémoire, alors j'avais surtout envie d'en apprendre plus sur ça. Mais là encore, de toute façon j'ai embarqué et je suis enthousiaste ; je pense que mon avis évoluera sur ces points quand j'aurai un regard plus global sur l'histoire et que je saisirai mieux où tu voulais nous emmener.
Dans l'ensemble j'ai vraiment beaucoup aimé et j'attends la suite avec impatience ! Super plongée dans ton écriture, je n'ai pas parlé du style mais il y aurait de quoi dire aussi, ce sera pour le prochain commentaire ^^
J'ai noté au fil de ma lecture des coquilles ou autres éléments de formulation qui m'ont questionnée. Ça va rallonger ce commentaire déjà très long, mais je te les soumets quand même et tu en feras ce que tu voudras :
- "qui s’évertuaient à prendre racines sur les parois" > prendre racine (sg)
- "les épaules carrées de Ludvienn" double espace
- "Taillé comme un de ces arbustes aux branches courtes et épaisses qui s’évertuaient à prendre racines (racine) sur les parois, les (double espace) épaules carrées de Ludvienn fendaient l’obscurité de la cité." > est-ce que le participe "taillé" ne devrait pas renvoyer au sujet de la proposition principale ? (cette règle m'obsède depuis mes cours de latin mais je vois ça tellement souvent que je commence à douter)
- "qui reliait les hautes corniches de la caverne jusqu’au fond de la cuve" > qui reliait au ou qui reliait jusqu'au ?
- "Sous son chapeau à larges bords" (double espace au début de la phrase ; il y en a quelques autres qui parsèment le chapitre, à rechercher peut-être)
- "jusqu’à ce que l’intérêt pour cette bizarrerie meurt" meure
- quelques virgules à questionner pour moi : "dans un frottement d'os, alors qu'il se hissait..." ; "dépouillé ainsi de ses outils, et de sa dignité" ; "Ludvienn soupçonnait Fenndata d’avoir envie de trancher quelques corps, pour impressionner le musicien, qui, dès qu’il s’agissait de Fenn, se montrait très impressionnable." (ici je les trouve toutes superflues, sauf les deux qui encadrent le"dès qu'il...") ; "Ludvienn plaqua une main sur son chapeau noir, là où les courants d’air se faisaient capricieux, au point de soulever sa tunique pour dévoiler le haut de ses cuisses glabres." (ici la virgule avant "au point" me donne l'impression que le soulèvement de la tunique est dû au geste de Ludvienn et non au courant d'air) ; "laissa l’eau emporter la poussière, la sueur(,) et les croutes mortes de sa paume."
- "les maisons aux toîts plats" toits (le mot réapparaît ensuite avec la même erreur)
- "Bah, j’irais le voir après" j'irai
- "Duldarel haussa les épaules et rajusta son instrument contre lui et les cordes à pincer grognèrent contre le tissu." deux fois et
- "Ludvienn fit donc parti (partie) des désignés"
- "il dégagea ses restes d’épiderme morts du pallier" palier
- "flambeau brandit" brandi
- "passer la (plus ?) grande partie de son temps"
- "matériel à encre dans un étuis" étui
- "Les sons formèrent des syllabes, puis un mot se détacha de la bouillis linguistique. Enfin. Ce terme, dans les méandres de ses recherches, était déjà apparu." il m'a fallu relire pour comprendre que le terme qui avait émergé était "enfin", que ce n'était pas un commentaire du narrateur. Je me suis dit qu'il serait possible de le mettre en italique pour qu'il n'y ait pas de doute ?
- "La plupart des mots qu’il connaissait n’avait pas leur miroir" n'avaient
- "Derrière-lui" sans tiret
- "des démangeaisons incontrôllables" incontrôlables
- "lorsqu’il se plongeait dans ses carnets ou réfléchissaient" réfléchissait
- "Iodenn ne lui avait toujours pas adressé la parole. Le ramasseur poursuivait son existence habituelle" : le ramasseur ou l'auxiliaire ?
- "Ludvienn (...) frottaient ses orteils les uns contre les autres" frottait
- "L’autre accompagna son bassin contre le sien." Ça me fait drôle que ce soit Ludvienn qui soit désigné par "l'autre" étant donné que c'est le personnage qu'on suit tout le temps. Après je comprends que c'est pour éviter une répétition...
- "Ludvienn secoua la tête et passa une main dans ses cheveux. Il était temps d’y mettre un terme." Le pronom "y" devrait renvoyer à quelque chose d'énoncé, et là ce n'est pas le cas, non ? Cela dit, c'est compréhensible.
- "mué par l’impuissance." mu
- "là où le flot mourrait dans les abysses." mourrait au futur, ou mourait à l'imparfait ?
Effectivement je voulais vraiment faire un truc sur le rapport aux sens (dans tous les sens du terme aha quel humour) et l’ambiguïté entre dégoût/désir, donc on va dire que ça fonctionne ? et que c’est une bonne chose que tu penses à un bon bout de gras ? L’inconfort, je pense que ça dépend des gens, parfois je me suis demandé si c’était trop ou alors peut-être pas assez. Typiquement le genre de truc à cogiter quand j’aurais mis un point final au texte !
Je vais glisser “63/64 jours” dans ma PAL, merci pour la recommandation ! Et oui effectivement tout est lié, linguistique, histoire, civilisation, bref. Je trouvais qu’aborder par le biais de la traduction, ça pouvait peut-être apporter quelque chose. Oui y’a clairement une tension entre la préservation du passé (mais dans quel but ?) et la nécessité de laisser le présent s’exprimer. J’espère pouvoir continuer à approfondir tout ça avec la suite eheh Oui je vais écrire promis, ce soir même :eyes: Alors j’ai pas forcément pensé au mythe de la caverne mais maintenant que tu le mentionnes, doit y avoir de ça aussi ! Honnêtement une de mes sources d’inspiration principales c’est le début de Autobiography of Red de Anne Carson, notamment la partie sur “fragments” et “red meat” (donc oui ton idée de gras de viande est complètement justifié une fois de plus). Et puis aussi l’histoire de la ville de Kaifeng, en Chine, reconstruire plusieurs fois, avec les différentes versions qui sont visibles comme une empilement, strate par strate. Mais bref je n’en dévoile pas plus ! Le fait de passer plus de temps dans la cité, de développer le worldbuilding, les personnages, je me suis vraiment posé la question. Je t’avoue que j’ai peur de “trop” écrire, qu’on passe de la novella au roman, ou de perdre un certain rythme. Je ne sais pas si c’est pertinent en fait. On verra je suppose ! Et oui la description de Iodenn est un des passages que j’ai préféré écrire :eyes:
Pour les pronoms, tu tombes en plein dans un de mes questionnements aussi ! Au début j’ai testé un combo pronom iel + point médian avec le personnage de Fenndata pour voir et je ne sais pas, ça ne marchait pas. Je ne suis pas fan du pronom “il” neutre non plus… J’aurais aimé avoir accès au “they” anglophone, mais pas possible non plus. Je suis vraiment dans une impasse de ce côté-là. Le “il” a toujours été mon “pronom confort” (whatever the hell that means), mais il a tout son bagage et comme tu dis ça installe forcément un biais ! Et ouais les néopronoms, les accords alternatifs, ça peut rendre la lecture pénible. Mais c’est aussi une question d’habitude, qu’on a pas avec ces pronoms et accords, et d’un autre côté si on ne les utilise pas dans les textes. Bref, c’est un casse-tête pas possible, aled. J’ajoute “The Lovers” de Tac à ma PAL, ça a l’air top et en plus ça va peut-être m’aider !
Team agrippage de fesses ici, j’approuve :eyes: “Je ne les shippe pas autant que Léthé” -> j’ai cru comprendre qu’il ne fallait pas grand chose à Léthé pour shipper (il n’y a hélas a priori pas de roux dans ce texte). J’aime beaucoup ce que tu dis sur ces deux-là en tout cas, je me dis que je me suis pas trop viandé (ah) sur l’écriture de leur relation ! Je pense que Ludvienn est quelqu’un qui ne supporte pas sa propre inertie ni de voir que Iodenn semble s’y complaire, et donc il ne peut pas s’empêcher d’être mauvais pour compenser, pour faire des étincelles en quelque sorte. Il aime mettre en lumière la distance qui le sépare de Iodenn, ça l’émoustille (oui c’est pas une personne très sympathique oups). Et Iodenn sent que Ludvienn est appelé ailleurs et ça le terrifie. Bref, ça sent le foin leur affaire, ça ne pouvait que mal finir eheh
Encore une fois tu soulèves pleeein de questions que je me suis aussi posées ! La peur de faire trop long en ralentissant un peu le scénar, en passant plus de temps dans la ville. Et puis aussi la crainte que la décision de Ludvienn soit un peu précipitée. J’ai du mal à doser l’explicite vs l’implicite. Peut-être que plus de détails sur la cascade, sur pourquoi ça semble impossible de la remonter, pourrait aider. Quant au bateau, peut-être que je devrais préciser que personne ne sait pourquoi les anciens font ça ahah, c’est clairement pas censé être logique ! Mais oui a priori si je me démerde bien, on devrait avoir le fin mot de l’histoire pour tout : le bloc de gras, les anciens qui construisent des bateaux, etc.
Idem sur le nombre de notes, j’avais peur de noyer le texte si j’en mettais plus. Je trempe à peine l’orteil dans les concepts linguistiques et dans ses recherches, parce qu’encore une fois j’ai beaucoup de mal à doser ! J’ai pas envie d’être obscur ou inaccessible, mais ça peut aussi être au détriment du texte. Comme toi, je crois que moi aussi je saisirai mieux quand j’aurais fini l’histoire x)
Merci encore mille fois en tout cas pour ce super commentaire !! C’est génial si tu as pu passer un bon moment de lecture ! Et je note toutes tes remarques sur la forme, je vais aller étudier ça en détails, je suis apparemment double-espaciste et virguliste de profession, oups (ça me fait rire parce que j’ai exactement les mêmes problèmes quand je soumets des articles de recherche à la publication, on change pas une équipe qui perd !) Et puis après il y a les trucs pas clairs comme “je mets un accent circonflexe sur “toit” parce que c’est comme un toit sur le “toit”. Tout va bien. Encore merci !!
Je compatis au casse-tête pronominal, c'est pas aisé. Ça peut être une réflexion au long cours de ton côté et ça peut même faire l'objet de discussions dans ton journal de bord ou dans les discussions littéraires sur le forum. Je souscris à toutes tes hésitations, mais ce qui est clair c'est qu'en tant que personne qui écrit on n'a pas non plus la responsabilité de réinventer la langue et combler ses failles à chacun de nos textes, donc pas de pression, juste de la bonne réflexion qui enrichit, hopefully !
!!! Comment connais-tu déjà les arcanes de PA et le penchant de Léthé pour les roux ?? xD Eh ben, je dois dire que j'ai quand même un fond de sympathie pour les deux amants à la fois, Iodenn parce qu'il a peur d'être seul, Ludvienn parce qu'il recherche une sorte d'indépendance (?).
J'entends tout à fait les questionnements sur la longueur, que mettre et ne pas mettre et tout ça ! Là où j'en suis dans mon parcours d'écriture, j'aurais tendance à chercher la brièveté plutôt que la longueur, et donc à considérer que tu prends la bonne décision ; mais c'est évidemment très relatif et à d'autres époques je t'aurais dit exactement le contraire haha, et puis ça dépend beaucoup des projets. Donc ; affaire à suivre avec la suite !
C'est tout mignon ce chapeau sur le toit x) On a toustes nos points noirs formels, je suis moi-même atteinte du syndrome "virgule-et" et aussi du "quelque chose", bref... Ravie d'avoir été utile !
Il faut effectivement que je me lance encore plus dans le JdB, c’est déjà si chouette de lire ce que les autres font dans les leurs. Et oui je suis d’accord, c’est pas notre rôle maaaais ça donne envie aussi, de proposer quelque chose de différent. À méditer !
J’ai eu droit à quelques discussions avec Léthé suite à son super commentaire, et j’ai découvert des choses sombres x) (ou plutôt des choses rousses) J’ai aussi de la sympathie pour eux, même si oups confession, Fenndata reste mon préféré… (pardon Iodenn, pardon Ludvienn).
En fait je pense que ça dépend de la taille de la bête une fois terminée, affaire à suivre comme tu dis. Si y’a moyen d’étoffer ça, parce que ça sert le texte, pour peut-être en faire un roman court (ou une longue novella ?), pourquoi pas ! Je suis plutôt du côté de la brièveté aussi, peut-être que dans 10 ans ce sera autre chose x)
En tout cas grâce à toutes les remarques qui ont été faites, j’ai pu corriger plein de trucs dans le texte et structurer quelques phrases différemment pour que ce soit plus clair ou pour bouter hors des lignes quelques irréductibles virgules. Merci donc à nouveau pour tes retours sur la forme !
J’ai beaucoup aimé plonger dans Absence, à qui je trouve malgré son nom une présence étouffante de bout en bout, de par sa structure fermée et les multiples couches qu’on peut imaginer grouillantes sous ses dalles et sa roche. J’ai particulièrement apprécié les vibes de The Forgotten City, à la fois dans l’esthétique, le thème et ces personnages qui font toujours les mêmes choses à moins qu’on vienne les bousculer (laissez Iodenn ramasser ses coquillages et s’occuper des vieux svp merci).
C’est intéressant d’entrer dans cet univers par le regard de Ludvienn qui est très porté sur la langue (et on ne parle pas de celle de Iodenn hahaha quel humour), la traduction, et tout le travail archéologique qui va en découler ensuite.
L’histoire comme Ludvienn gagne en profondeur (dans tous les sens du terme)(parce qu’il se pèle, je précise) au fil de la lecture, si bien que je me suis totalement attaché à lui malgré le fait qu’il soit… détestable ? Je ne sais pas si c’est le mot, mais en tout cas c’est un sacré petit con quand il veut !
Le point fort pour moi de ce récit c’est son rapport à la chair qui est à la fois synonyme de désir/sensualité (j’en pince moi aussi pour Fenndata et son bon ratio épaules-hanches) et de dégoût (les pelures, toujours les pelures, et les kystes aussi). Je trouve que c’est un exercice difficile de jouer avec ces concepts et de les faire cohabiter. Tout au long du récit, on est dans quelque chose d’organique et de vivant. On a la chair des hommes, mais aussi cet étrange bloc composé de peau, dents, ongles et cheveux, que Ludvienn finit même par appeler carcasse. Tout ça enfermé dans cette cité qui semble digérer ce qui l’habite. C’est encore trop tôt pour avoir de vraies pistes, mais c’est à ça que ça m’a fait penser : qu’Absence est vivante, sa caverne est un ventre, la rivière est un long tube digestif qui la parcourt et qu’elle finit par digérer ses habitants. Le bloc serait donc un caca d’Absence (mes excuses pour cette conclusion xDD).
Je n’ai pas assez de temps pour parler aussi de la signification des couches (celles d’autres gens, d’autres civilisations mâchées et digérées elles aussi, sur lesquelles on rajoute d’autres couches au fil du temps, et ce qu’il en reste au final de tout ça ou l’absence de ce qu’il ne reste pas). Comme ces vieux dans la caverne, j’ai presque eu l’impression que certains faisaient partie du décor, entassés dans un coin comme des reliques. Le grattage/rapage (je n’en reviens pas qu’il fasse ça) de Ludvienn est lourd de signification : il faut creuser en profondeur pour découvrir ce qui est dessous et qui façonne l’aspect visible/présent des choses.
Bref il y a trop à dire et à analyser sur ça, et je ne suis pas sûr que ça t’aide beaucoup d’avoir mon avis dessus (quoi qu’au moins, tu peux voir comment j’ai interprété certaines choses hehehe). Je ne vais pas non plus m’étendre sur les personnages qui sont tous super bien définis, très identifiables, très sexy, et dont j’adore les prénoms.
Je voulais quand même finir sur une éloge de la toute dernière phrase, je l’ai trouvée poignante, surtout parce que je suis un shippeur de la première heure à fond les boulons même pour les relations toxiques, j’ai pas de honte. POURQUOI N’ES-TU PAS VENU IODENN !!! Certes, Ludvienn est un connard, mais toi aussi Iodenn, TOI AUSSI. Du coup, ça équilibre ! Soyez malheureux ensemble, dans votre barque D:
Ce que je pourrais reprocher, mais c’est sans doute propre à cette forme de récit (je lis assez peu donc cet avis n’est pas objectif ni éclairé), c’est que j’ai trouvé le rythme un peu décousu, parce qu’on a au final de très longs passages contemplatifs pour nous mettre du lore linguistique ou des descriptions, pour qu’à la fin tout s’accélère à la dispute de Ludvienn et Iodenn (j’étais à fond les boulons en mode omg le drama). Même l’arrivée de l’élément perturbateur (la masse) n’est pas accueillie avec plus de tension que ça.
C’est vraiment un point minime cela dit, j’ai passé un bon moment de lecture. Je déplore qu’il n’y ait pas plus d’échanges entre les personnages parce que j’aime ta façon de les écrire. J’en veux encore.
Hâte de lire la suite du récit ! Je braque mon œil de Sauron sur toi jusqu’à ce que ce soit fait !
Les vibes du jeu The Forgotten City sont effectivement très présentes, une grosse source d’inspi (pour la cité du moins). C’est satisfaisant de voir que ça transparaît, avec cette idée de répétition !
Tout à fait voulu que Ludvienn ne soit pas la personne des plus sympathiques ! C’est une bonne chose si son point de vue de traducteur apporte quelque chose, j’espère qu’il ne part pas trop dans ses pensées langagières.
Avec cette dualité désir/dégoût tu mets exactement le doigt sur un des thèmes au coeur du texte et sur pourquoi j’aime l’horreur, surtout quand c’est queer !! Ahlala si ça transparaît dans le texte alors c’est génial. J’aime beaucoup l’idée de la cité digestive, à voir si ça se confirme par la suite ehehe (est-ce qu’on est pas un tous des cacas en vrai).
Je ne peux pas en dire plus mais oui y’a des choses à dire sur les couches (phrase à ne pas sortir de son contexte), tu soulignes à nouveau un thème central ! Le texte… fonctionnerait-il à peu près ?? qui l’eut cru.
Si ça m’aide déjà beaucoup ! Parce que ton analyse montre qu’il y a des choses que j’ai essayées de faire et qui fonctionnent, donc c’est intéressant de le souligner. Je note pour la sexiness des personnages x)
Eh bah je reviens sur ce que j’ai dit en début de commentaire : c’est top x) Et merci pour ton enthousiasme sur ce ship qui n’en mène pas large :D
Je note pour les derniers points relevés, le rythme c’est une grosse question que je me pose sur ce texte. Comme j’ai une tendance jardinièresque, même si je sais où je vais, j’écris l’histoire sans lumière et donc je pense que le rythme est pas aussi optimisé qu’il pourrait l’être, faudra voir avec les corrections. Donc merci de l’avoir relevé ! Et j’adore écrire les dialogues, même si je trouve ça difficile à doser parfois.
Merci encore, tu as refait ma journée avec ce commentaire ! Promis j’écris, j’écris !!