Premières projections

Je crois que j’aurais pu être une prostituée. Une de ces femmes qu’on juge vulgaires car toujours trop belles quand elles sont jeunes. J’aurais habillé mes lèvres de rouge carmin, dessiné mes yeux de nuages noirs comme un ciel sans lune pour cacher mon dégoût, et pris un air matois pour appâter l’animal. Mon corps se serait paré de tissus fluides et moulants mais jamais très longs. Que voulez-vous, il faut montrer au consommateur la qualité de la marchandise qu’il va payer ! Mais oui, c’est dans ce métier que j’aurais pu être la plus coquette, sublimant ma silhouette svelte avec des bas résille et de vertigineuses chaussures à talon, un maquillage outrageux et un excès de faux luxe pour cracher, avec une discrétion non feinte, mon mauvais-goût. Puis, perchée tout là-haut, enveloppée dans une fourrure en poils de chat gris, importée de Chine, j’aurais regardé mon monde comme une reine, avec un sourire factice gravé sur ma bouche en cul-de-poule, sur mes lèvres plus pulpeuses. Chaque client aurait été jaugé, calculé au poids de sa montre, à la qualité du cuir de ses chaussures, à la coupe de sa veste et de son pantalon, puis je l’aurais fidélisé à mes services. Oui, comme la carte de fidélité que vous donnez à la caissière après chaque achat, signe de loyauté à un commerce. J’aurais fait commerce de mon corps, volontairement cependant, étant ma propre maquerelle. Car, malgré tout ce que la société peut dire, le sexe, c’est bien. Ça libère, ça apaise les tensions, et en plus, ça fait maigrir. Alors, bon, autant faire un métier qui apporte du plaisir.

 

Ou alors j’aurais pu être une droguée, de celles qui ne vivent que dans les paradis artificiels. Peut-être qu’avant de toucher le ciel j’aurais été une femme merveilleuse, aux courbes rondes et appétissantes, fort élégante dans ses petits tailleurs bleu nuit, avec ses cheveux longs et soyeux, à la texture riche. Mais dans la situation dans laquelle je me songeais, mon corps aurait été décharné, sans poitrine, mes veines gonflées et mes cheveux bien gras. Ma première amante aurait été la bouteille, avec ses liquides aux saveurs fraîches ou âcres, sucrées ou fruitées, avec ses couleurs enivrantes et son odeur réconfortante. Je me serais réchauffé le corps et le cœur à ses lèvres tendues, pour boire son âme jusqu’à la lie. Puis, elle n’aurait plus suffi. La cigarette se serait fait mon amie, pour brûler mes moments solitaires et ennuyés. Mais j’aurais voulu planer plus haut, m’évaporer plus vite, n’être que fumée. Je me serais envolé sur cette herbe magique qui faisait briller les yeux des gens. Les couleurs auraient enfin eu un sens, les odeurs aussi. Je serais devenue, l’espace d’un instant un écrivaillon célèbre. Avant de sombrer dans le gouffre, plonger avec les vapeurs d’opium, le plafond se serait fait voûte, j’aurais voyagé chez moi, au plus profond de la noirceur de mon âme. Et au-travers de la seule dépendance qui aurait vraiment compté, celle de la plume et du cri du papier, je me serais saigné les veines pour tracer mes lettres et vivre un instant. 

 

Mais je crois que mon éthique se serait tout de même révoltée face à ce mode de vie peu conventionnel.

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