En fait, j’aurais pu être une chercheuse : une jolie petite souris avec des lunettes noires en titane, une blouse blanche sur un ensemble gris, les cheveux toujours attachés en chignon et l’air bien sage. J’aurais dévoué ma vie à un seul but : trouver la recette, le mélange correct qui permettrait de soigner une des maladies graves qui frappe notre siècle. Modeste, bien sûr, j’aurais rejeté les honneurs sur mon équipe et me serait éclipsée avec discrétion.
Cependant, je crois que je me serais vite ennuyée, la vie de rat de laboratoire ne me convient pas, il me faut de l’activité, et rester toujours au même endroit m’aurait fortement lassée. De plus, je serais devenue une vieille fille, seule, et aurait fini ma vie en femme aigrie. Non, si j’avais été une femme, je n’aurais pas pu être une chercheuse.
Peut-être une danseuse. Oui, une de ces créatures divines, fragiles, qui se meuvent avec grâce. Un petit rat de l’opéra, mince, blonde, un chignon serré sur le haut du crâne et voilà que j’aurais pu m’élancer sur la piste, faire le grand écart, de graciles entrechats et toutes sortes d’autres figures. Bien entendu, un producteur m’aurait recrutée pour jouer à Broadway dans sa grande comédie musicale, et il aurait lancé ma carrière. J’aurais visité le monde entier, touché les planches des scènes les plus célèbres au monde, vécu cent vies avant de m’arrêter. A trente ans, j’aurais pu être à la retraite, certes cassée, les articulations usées jusqu’à l’os, mais j’aurais été heureuse.
Je pense que le seul problème aurait été le mode d’alimentation qui est imposé à tous ces pauvres êtres. Il leur est en effet interdit de consommer bon nombre d’aliments car ils leur feraient prendre de la graisse. C’est une affreuse dictature, surtout pour moi, si gourmand. Je n’aurais pas survécu à pareil traitement. Et pour être une délicieuse danseuse, il m’aurait donc fallu être une sorte de balai anorexique, qui soit assez léger pour être porté par des danseurs en collants et en justaucorps rose.
Alors non, décidément, être danseuse ne me tentait pas plus !