Premiers pas au camp

Chapitre 19.

Les regards des uns et des autres s’étaient figés à l’arrivée de la voiture dans le camp. Plus personne ne parlait, plus personne ne bougeait. Gaagi descendit le premier après avoir signifié au conducteur et à Caleb de rester assis tant qu’il n’en avait pas donné l’autorisation de le rejoindre. La portière claqua, le chaman s’avança avec son éternel rictus et choisit, étrangement, de s'accroupir devant un enfant qui lui tendait avec ravissement un bouquet de fleurs.
Si dans l’esprit de l’adolescent il était évident que ce dernier allait détruire le bouquet il fut pourtant surpris en le voyant y ajouter des couleurs pour le plus grand bonheur du jeune papoose. L’enfant s’émerveilla, offrit au chaman un sourire rayonnant et entreprit de se serrer dans ses bras. Caleb manqua de s'étouffer et marmonna.

- Ah donc en fait y’a qu’avec moi qu’il est super con!
- Le chaman a toujours été très bon avec les enfants, c’est avec les adultes qu’il est plus sévère. Quant à toi, je ne peux pas te dire s’il t’aime ou pas, mais tu es toujours en vie, répondit le conducteur en se tournant vers lui. Je me nomme Mingan, puisse le Grand Esprit t’envoyer ses présents les mieux choisis.
- Je vois…merci beaucoup, répondit Caleb en esquissant une grimace hasardeuse. Je m’appelle Caleb. Enchanté?
- Caleb? Mais, il me semblait que tu te nommais Waban, souffla le conducteur surpris.
- Oh ouai c’est vrai, vous m’appelez tous Waban, soupira l’adolescent. Mais normalement sur mes papiers c’est bien écrit Caleb, donc ce serait vraiment sympa d’utiliser le bon prénom.

Mingan se mit à rire. Haussant légèrement les épaules, il fit un petit non avant de se tourner totalement vers Caleb et le fixa. Ce n’était pas dans ses habitudes de détailler ainsi les gens mais il avait tellement entendu parler de lui, de sa mère. Lui qui était au courant des stratagèmes de Gaagi pour l’amener jusqu’ici, qui se doutait que les intentions de ce dernier n’étaient pas louables bien qu’il n’en ait clairement rien dit, se sentait malgré lui investi d’une mission. En croisant le regard de l’adolescent il souffla par le nez et murmura.

- J’aurais bien du mal à te nommer Caleb, je trouve que Waban te va bien mieux. Mais si c’est ce que tu souhaites, alors je le ferai quand nous serons seuls. Je ne sais pas pourquoi, mais je me dois de te dire que tant que tu seras ici, je serai présent pour t’aider. N’hésite pas d’accord?
- J’avais le choix, enfin presque. Il a tout fait pour que j’accepte de le suivre mais y’a que lui qui sait où se trouve ma mère et…

Un tapotement dans la vitre de la voiture le coupa net. Mingan se crispa avant de saisir le volant de ses deux mains et toussota en faisant signe à l’adolescent de descendre et celui-ci obtempéra sans vraiment comprendre. Les paroles de son nouvel ami résonnait encore dans sa tête alors qu’il suivait Gaagi jusqu’à l’intérieur de sa demeure.
Tout était nouveau pour Caleb, les odeurs, la décoration qu’il trouva plus que lugubre, l’absence de canapé et autres objets technologiques. Il fronça un instant les sourcils avant de voir le chaman désigner une couverture à même le sol.

- Assieds-toi. Ne bouge pas et ne touche à rien, commença-t-il en disposant du bois à l’intérieur de son cercle de pierre.
- Et j’aurais des réponses quand? Non parce que clairement je ne suis pas là pour faire griller des chamallows! rétorqua Caleb en s’installant comme il le pouvait.

Gaagi ne répondit pas. Se contentant de grogner, il souffla en direction de son amas de bois avant de le laisser s’enflammer et ferma les yeux. Ce qu’il pouvait percevoir autour de lui, autour de Waban, ne laissait aucune place au doute et le visage de ce dernier se pourfendit d’un rictus mauvais. Il pouvait la sentir, l’entendre, Hateya! Sans même laisser le temps à Caleb de se rendre compte de quoi que ce soit, il érigea autour de ce dernier une protection qui empêchait tout contact avec lui et précipita son esprit au-devant d’Hateya avant de laisser échapper un rire lugubre.

- Maintenant que je sais que nous sommes seuls et que rien ne viendra perturber notre petit tête-à-tête, nous pouvons commencer. Que veux-tu savoir exactement?
- Je veux savoir ce que tu as fait à ma mère. Je veux savoir où elle est? Je veux sav…
- Doucement doucement, ne sois pas si pressé. Je t’ai déjà dit que je n’avais aucune idée de là où elle se trouve. Il y a quelques mois de cela, j’ai enfin pu apprécier l’étendue de mon pouvoir mais disons qu’elle m’a malencontreusement échappé et je n’ai plus aucun contrôle sur elle.
- Que lui as-tu fais? reprit Caleb sans le lâcher du regard.
- Mais tu le sais déjà. Tu l’as vu n’est-ce pas? Dans tes rêves! ricana le chaman en faisant danser la fumée de son feu de camp autour d’eux.

Il avait fallu quelques minutes à Caleb pour comprendre de quoi parlait l’homme qui se tenait face à lui. Quelques unes supplémentaires pour qu’il n’en vienne à discerner les images qui prenaient forme et vie dans la fumée. Sa stupeur fut sans appel. Tout ce qu’il voyait était bel et bien réel. Il avait pleinement conscience de ce qu’il se passait et pouvait nettement voir le visage de sa mère, l’entendre crier comme si elle se tenait près de lui et la suite, il la connaissait déjà. Dans la fumée se muait une version plus jeune de Gaagi, tout tremblait, tout était plus intense comme s’il le vivait et l’énorme patte griffue d’une créature surgissait.

- Mais bordel c’est quoi ça! hurla Caleb en se relevant avant d’être expédié au sol par un mouvement de bras du chaman!
- Ne bouge pas! répéta-t-il alors que la fumée se dissipait lentement. Ce que tu as vu, c’est elle. C’est ta mère! Cette chère Nirvelli.
- Mais tu lui as fait quoi au juste! Elle? Tu? Tu l’as transformé en quoi au juste?
- En une créature que mon cher ami l’oiseau-tonnerre exècre par-dessus tout. Il fallait bien qu’il puisse la surveiller pour moi et ça l’a beaucoup aidé à rester concentrer sur sa mission, ricana de nouveau Gaagi en dardant son regard plein de colère sur Caleb.
- Une créature que l’oiseau-tonnerre déteste…une créature que l’oiseau-tonnerre déteste…

Gaagi s’éloigna légèrement de lui, ouvrant la porte de sa demeure il se posta juste à l’entrée et admira le ciel qui noircissait à vue d’œil. Ce n’était qu’une question de secondes, de minutes tout au plus et enfin il le vit arriver. L’oiseau pourfendit le ciel, le déchaîna à coup de tonnerre et  d’éclairs qui zigzaguaient dans tous les sens.
A l’intérieur Caleb sursauta en entendant le son propre à l’oiseau. Il resta un court instant prostré avant d’oser se lever et se plaça juste derrière le chaman en murmurant.

- Si elle vous a échappé, pourquoi n’est-elle pas rentrée à la maison?
- Tout simplement mon jeune ami, parce qu’elle n’a plus aucun souvenir de sa vie humaine. C’est une bête, rien de plus!

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