Chapitre 18.
- Paco va se rendre tout de suite à l’aéroport de Sault Sainte Marie, c’est l’aéroport le plus proche du camp. Ma mère l’accompagne. Retrouver Waban dans la foule ne sera pas simple, mais elle mise sur sa ressemblance avec Nirvelli pour le reconnaître au premier regard. Lança Hateya entre deux réponses à son interlocuteur téléphonique.
- Il porte son collier, le totem avec l’ourse de la tribu. Depuis que je le lui ai offert, il ne l’a pas quitté. Si ça peut aider.
- Chaque indice pourra être précieux. Je peux lui envoyer une photo de Waban pour que ce soit plus simple pour lui?
- Fais donc, la seule chose qui compte c’est que je retrouve mon fils et je crois que j’ai déjà perdu assez de temps comme ça. Qu’il n’hésite pas à me prévenir s’il le voit. Caleb n’a répondu à aucun de mes messages, ni de mes appels.
- On va le retrouver, ne t’en fais pas. Les Grands Esprits sont avec lui.
James hocha la tête dubitatif. Trop de questions se posaient en même temps dans sa tête et trop peu de réponses ne parvenaient à les combler. Il enfila son manteau, fit signe à la jeune femme de le suivre et sortit tout aussi vite. Il n’avait aucune notion des horaires d’avion, ne parvenait à savoir s’ils arriveraient vraiment à temps et souffla une fois le moteur en marche.
- Hateya. Je sais que pour vous les enjeux sont très différents mais la sécurité de mon fils passe avant tout. Demande leur, s’il te plaît, s’ils le trouvnte, de nous attendre avant de l’emmener où que ce soit. J’ai besoin de le voir, de lui parler.
Hateya s’était trouvée surprise par les paroles de James. L’oreille toujours vissée au téléphone de ce dernier, elle répéta sans détour ses paroles à son époux et acquiesça.
- Paco me promet qu’il gardera Waban auprès de lui jusqu’à ce qu’on arrive. Il redoute un peu la barrière de la langue mais il me garantit qu’il fera de son mieux. Dès qu’il y a du nouveau il me rappelle. Mais, il me demande s’il faut prévenir la police?
- Pour quoi faire? Ils n’ont jamais réussi à retrouver ma femme, alors si je les contacte dix ans plus tard parce que mon fils vient de disparaître à son tour, crois-tu vraiment qu’ils le retrouveront?
Le ton acerbe du père de famille ne donna aucune envie à Hateya de répondre. Elle raccrocha, figea son regard sur la route qui les menait vers l’aéroport et souffla un peu. Quelque chose lui échappait, elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus et pourtant c’était là. Elle fronça les sourcils pour elle-même, chercha au plus profond de son esprit avant de croiser les bras et osa timidement.
- James? Tu m’as dit que Waban t’avais posé des questions sur Gaagi mais dis moi, comment…comment a-t-il su son nom? Qui lui a parlé de lui?
- Caleb, soupira l’homme en tournant au feu qui venait de passer au vert, Caleb a cette tendance à faire des rêves qui parfois, sont très perturbants, violents même. Cette nuit, n’a pas échappé à la règle. Il hurlait, se réveillait, se rendormait. Il appelait sa mère. J’ai fais ce que j’ai pu pour rester près de lui et ce matin, il m’a parlé de Gaagi. J’imagine que tout est lié.
- Hier soir, j'étais avec lui, il m’a parlé d’une voix. Il avait mal à la tête et contrairement à ce que j’avais pu voir avant, je l’ai senti plus tendu, en colère.
- Oui, il a beau être un enfant très calme, très docile. Ses humeurs ont tendance à être guidées par la météo si je puis dire. A chaque fois qu’il voyait un orage que personne d’autre que lui ne pouvait voir, il se mettait en colère et l’oiseau-tonnerre, a souvent fait partie du décor.
- Peut-être que cela t’a échappé, mais pour certaines tribu, l’oiseau-tonnerre est un symbole. Une déclaration de guerre, laissa échapper Hateya en serrant le téléphone dans sa main.
- La tribu de Gaagi? N’est-ce-pas?
- Par exemple, oui.
- Alors c’est lui, depuis toutes ces années. Ça a toujours été lui? grinça James entre ses dents.
- L’oiseau s’est posé hier. Je l’ai senti si près de Waban. Il est venu pour lui, c’est évident. Et..
- Et quoi? Hateya dis moi ce qu’il y a, hurla James en se garant à la va-vite sur le bas-côté.
- C’est évident, il m’a vu! Il savait que j’étais avec Waban, et la meilleure façon de l’approcher c’était…
- De se faire passer pour toi? Tu es en train de me dire que mon fils est parti avec toi alors que ce n’était pas toi! Tu te fous de ma gueule Hateya!
- Ne me parle pas de cette façon! Je ne suis pas ta femme!
L’un et l’autre se lançèrent des regards empreints de haine et de colère. James ne parvenait à exprimer tout ce qu’il avait sur le cœur. La rage de la réflexion de sa jeune nièce, la crainte de perdre son fils, la culpabilité quant à la disparition de sa femme. Tout, tout se mélangeait allègrement alors qu’il frappait sur son volant pour expulser le trop plein.
Hateya resta aussi stoïque que possible, trop consciente que ses mots avaient dépassé sa pensée, elle patienta un peu, inspira profondément avant de reprendre.
- Je ne suis pas une chamane. Je n’ai pas les capacités de ton fils mais je crois qu’ensemble nous pouvons réussir à le sauver et le ramener. Si tu m’écoutais, si tu écoutais ton cœur tu saurais. Grâce à toi, j’ai pu comprendre que cela fait des années que Gaagi est capable de prendre l’apparence de ce qu’il veut et de qui il veut. Ce matin, oui, j’ai entendu un oiseau à ma fenêtre, je n’ai pas fais attention, je me suis rendormie et maintenant je me dis que peut-être… Peut-être n'était-ce pas un oiseau? Peut-être était-ce lui? Il aurait pu pénétrer dans ma chambre par l’ouverture de la fenêtre! Prendre ma place auprès de Waban! Je n’aurais jamais pu penser cela possible mais maintenant, plus rien ne risque de me surprendre. Alors non! Non, je ne me fous pas de ta gueule cher James, mais j’aurais sûrement préféré.
- Alors il ne sert à rien que Paco l’attende à l’aéroport. Il n’y sera pas. Même si Gaagi s’est fait passé pour toi, il n’y a aucune chance qu’il l’emmène auprès de Tadi.
- Pour se rapprocher de sa tribu, l’aéroport le plus près c’est…Je ne suis pas certaine…Je…J’appelle Paco?
- Fais donc, mais il y a au moins 7 ou 8 heures de vol pour aller jusque là-bas. C’est autant d'heures qui mettent la vie de mon fils en dan…
James s’était tu en voyant Hateya leva la main. Si les manières de la jeune femme ne lui plaisaient pas, il était pourtant conscient que divulguer ainsi son stress ne les aiderait pas. Il trouvait la discussion interminable, se trouvait frustré de ne pas comprendre un mot de ce qu’elle racontait mais il pouvait voir qu’elle ne ménageait pas ses efforts pour l’aider.
Tout en la laissant discuter, il reprit la route pour les mener jusqu’à l’aéroport le plus proche, gara son véhicule et attendit qu’elle ne raccroche enfin pour l’interroger du regard.
- Ma mère va nous rejoindre à l’aéroport de Thunder Bay et de là, nous pourrons rejoindre le camp de Gaagi. Paco va rester chez-nous auprès de Tadi.
- Angeni veut venir aussi? Elle est bien consciente que je serais là?
- Elle le sait, mais Waban fait partie de la famille, c’est notre sang aussi. Quant à toi, et bien, tu es son père et malgré certains aspects de votre passé, elle est prête à te tendre la main si tu en fais de même.
- Bien, très bien. Alors allons la rejoindre.
Hateya garda la tête baissée en descendant de la voiture, elle soupira une fois, puis une seconde avant de s’approcher de James. Être la seule à pouvoir transmettre les messages ne lui rendait pas la tâche facile mais elle finissait par oser bien que sa voix ne ressembla à un murmure.
- Je dois te dire autre chose. Tadi a réussi à ressentir Waban. Il avait l’air dans une situation préoccupante. Prisonnier. Mais il a réussi à lui transmettre un message.
- Nous n’avons donc aucun doute sur qui le détient. Mais il me reste encore un bon nombre de questions en suspens.
Sans attendre de véritable réponse, James se dirigea droit vers le guichet, comme son fils quelques heures plus tôt. Il prit les billets, réquisitionna son téléphone pour envoyer un message à ses parents et patienta, comme un lion en cage. La situation ne lui disait rien qui vaille, il avait le sentiment de revivre ce qu’il avait déjà vécu des années auparavant et regrettait par-dessus tout, de n’avoir jamais pris le temps de parler de toutes ces choses avec Caleb. Il s’asseya un instant, fixa Hateya avant de se relever pour faire de nouveau les cent pas. Son silence valait mille mots et finalement, elle prit une fois encore la décision de reprendre une discussion.
- James par pitié assieds-toi. De ce que j’ai pu découvrir de Waban en quelques heures, c’est un jeune homme plein de ressources. Il est certe très doué pour s’attirer des ennuis mais il est aussi très intelligent et malin. Et puis, il n’est pas seul. Tu verras tout finira par s’arranger.
- Tu ne comprends pas, n’est-ce pas? Tu ne comprends pas que c’est de ma faute tout ça, grimaça-t-il en plantant son regard dans le sien.
- Effectivement, je ne comprends pas. En quoi est-ce ta faute?
- Quand Nirvelli était encore prêt de nous, elle me disait souvent que notre fils était exceptionnel. Qu’il serait amené à faire de grandes choses mais elle avait peur. Elle avait peur pour lui, elle avait peur qu’il ne lui arrive un malheur. Un peu après son premier anniversaire, je l’ai trouvé en larmes auprès de lui. Elle a fini par m’avouer qu’elle avait demandé à Tadi d’ériger une protection autour de lui et m’avait assuré que c’était ponctuel, le temps qu’il ne devienne adulte et capable de se protéger lui-même, avoua-t-il sans même chercher à cacher la peine qui le rongeait. Et puis, elle a disparu et j’ai tout gardé pour moi. Quand Caleb me parlait de ce qu’il voyait j’ai choisi de faire comme si ce n’était que des rêves. Même quand la créature l’a attaqué l’autre jour au lac, j’ai préféré fermer les yeux! Si j’avais réagi avant, si j’avais choisi de contacter Tadi plus tôt et de m’asseoir sur ma fierté, les choses auraient sûrement été différentes!
- L’attaque du lac? Ah oui, quand le serpent l’a attaqué et que le Maymaygwashi a demandé de l’aide au Mishipeshu! Tu te rends compte quand même, nous pensions qu’il n’en existait même plus!
- Oui, un truc dans ce genre là, mais quand il me parle de tout ça, vraiment, j’ai souvent l’impression que c’est surréaliste! Je n’arrive pas à accepter qu’il puisse vivre tout ça et que personne ne puisse vraiment faire quoi que ce soit pour lui. Enfin, tu comprends ce que je veux dire?
Hateya hocha lentement la tête. Elle se rendait surtout bien compte que James restait entièrement focalisé sur ses pensées plutôt que sur l’échange qu’elle tentait d’avoir avec lui. S’en était presque vexant mais la jeune demoiselle n’avait pas dit son dernier mot. Elle ferma les yeux un instant, inspira à diverses reprises avant de faire signe à son oncle de s’approcher.
- J’arrive à percevoir les paroles de Waban. C’est un peu flou et je ne sais pas où il est exactement à cause de la fumée qui l’entoure mais il va bien. Il ne cesse de grogner et de dire qu’il veut des réponses.
- Et lui? Il peut t’entendre? la questionna-t-il en retour.
- Je ne sais pas. J’ai malgré tout peur que Gaagi n’interfère alors, je vais essayer de lui transmettre quelque chose de banal.
En voyant le mouvement de tête de l’homme, Hateya se concentra une fois de plus pour parvenir à joindre son jeune cousin. Tout tourna alors autour d’elle. Elle pouvait nettement sentir une odeur de feu de bois, de terre. Elle entendait les crépitements des branches, le rire lugubre de Gaagi et enfin, au lieu de percevoir Waban comme elle l’espérait, se trouva confrontée au regard impitoyable du chaman. Sans même s’en rendre compte elle recula d’un pas et articula le souffle court.
- James, dis moi que l’avion décolle bientôt!
Ton chapitre est très bon !
Je suis contente de voir la réaction de James c'est intéressant ! Je comprends un peu mieux Caleb haha ! Pomme ne tombe pas loin du pommier (ou je ne sais plus comment on dit!)
Quel suspense à la fin !
James a été presque le seul modèle de Caleb durant 10 ans (si on omet un instant les grands-parents parce qu'ils ne l'ont pas élevé), il fallait vraiment qu'on puisse vraiment les lier!
J'aime bien laisser une note de suspens et j'espère que le prochain chapitre te plaira tout autant alors!