Procédure de remise mémorielle et déclaration mortuaire

Ça y est je suis mort... enfin ! À 100 ans, j'ai largement battu mon record. Mourir comme mon épouse était mon idéal, mais un soldat africain a décidé de me couper la tête pour la porter en trophée afin de fêter la prise de cette maison après des mois d'échanges musclés. Ainsi soit-il. Sans qu'ils s'en aperçoivent, j'ai quitté mes amis sur le chemin du monde d'en haut pour me rendre directement vers le bureau de la remise mémorielle où je vais devoir rédiger mon rapport.

Je fais face à une immense porte en bois. Une gentille dame dans un guichet m'appelle.

- Monsieur ? Je peux vous renseigner ? Vous avez pris rendez-vous pour une remise mémorielle ?

- En quelque sorte oui. Je suis un « éternel », je viens de mourir.

- Quel est votre nom ?

- Dans cette vie-ci : Michael W. Dougson

- Non, dans votre première vie, quel était votre nom ? Votre vrai nom est le premier que vous avez reçu.

- Oh ! j'avais oublié. Alors je m'appelle Albus Desavy

- Oui je vois, vous avez rendez-vous au 3 ème étage porte numéro 356.

- Merci beaucoup.

- Je vous en prie, bon séjour.

La porte s'ouvre. Un large escalier en marbre se dresse devant moi. Je monte les trois étages sans rencontrer âme qui vive. J'arrive dans le couloir des remises mémorielles. Je me dirige vers la porte 356 et après 10 minutes d'une longue marche je la trouve enfin. Sur la porte il y a un écriteau.

Remise mémorielle : 100 ans et plus.

J'ouvre la porte. La pièce est éclairée d'une lumière agréable, l'atmosphère est chaude et douce. Un homme m'accueille chaleureusement.

- Ah ! vous voilà enfin ! depuis 1659 que l'on vous attend ! Vous êtes une véritable légende ici, avoir fait autant de guerres et y mourir presque à chaque fois. Je vous assure grâce à vous l'éternité ici est plus douce !

- Merci Monsieur, ravi d'avoir pu vous divertir tout ce temps !

- Je plaisante bien sûr ! Je tiens d'ailleurs à vous féliciter pour ce record de longévité. Chapeau !

- Je ne sais quoi vous répondre... que dois-je faire au juste ?

- C'est très simple : vous prenez ce formulaire, vous le remplissez – c'est pour vous couvrir en cas de problèmes – et puis vous passez à la salle des machines.

- Il y a un risque à cette remise ? Je pensais que ce rapport nous devions le remettre écrit.

- Non très peu, mais on n'est jamais sûr de rien. Quelle drôle d'idée ! vous vous imaginez le temps que cela devrait prendre pour transcrire chaque souvenir que vous possédez depuis votre première naissance ? Mais cela est important que vous continuiez d'écrire sur terre, pour la mémoire humaine collective, il faut qu'il y ait des traces physiques oubliées ou non.

- Je n'avais pas pensé à ce détail... cela ne m'avait pas paru si long sur terre.

- Ça ne fait rien, venez avec moi !

Le drôle d'homme me conduit vers une salle où trône une machine qui ressemble à un scanner IRM. Je la trouve très moderne alors qu'elle doit servir depuis l'aube de l'humanité. L'homme m'assied sur le rebord, me fait signer des papiers et pianote sur ce qui semble être un ordinateur.

- Je vous crée votre banque mémorielle, ainsi à chaque mort, vous viendrez la compléter de vos souvenirs fraîchement récoltés.

- Je pensais que nous étions les seuls à disposer de cette mémoire.

- Depuis 40 ans terrestres, les grandes instances désirent elles aussi pouvoir consulter cette mémoire, cela leur permet d'anticiper les tendances humaines.

- Oui l'effet cyclique naturel, j'avais oublié.

L'homme secoue la tête, amusé, et m'ordonne de me coucher, de fermer les yeux et d'attendre que le processus soit fini. Je m'exécute. J'entends la machine ronronner doucement à mes côtés. La fatigue des derniers jours passés sur terre me rattrape, je ferme les yeux et m'endors.

On me réveille 3 heures plus tard. La tête dans le brouillard, je me dirige vers la sortie. Je m'apprête à reprendre mon chemin quand soudain une voix au loin retenti - Albus ! attends-moi ! Je vois un homme courir vers moi. Je ne le reconnais pas.

- Albus, c'est moi Noé !

- Noé ! Nom d'un chien ! Quelle surprise ! Tu as une toute autre apparence qu'avant, excuse-moi de ne pas t'avoir reconnu !

- Ne t'inquiète pas ! Tu as pas mal changé aussi !

On sort de la remise ensemble, en riant et en racontant nos exploits. Noé avait fini sa dernière vie après 55 ans, bêtement mort d'un cancer une heure avant moi. Il avait débuté comme cadre dans une société et avait abusé des bonnes choses de la vie.

- Les grandes instances ont dû estimer que je perdais mon temps sur terre. J'espère que ma nouvelle sera plus constructive. J'ai entendu dire que ta dernière vie a été particulièrement intéressante ! Tu as de la chance.

- Tu as eu droit à ton lot de bonnes choses aussi, je crois.

- Oui, tu as raison. Quel plaisir de te retrouver ! Viens, nous devons aller nous présenter au bureau des déclarations mortuaires.

Nous y sommes, une file immense continue sans cesse de se remplir vers le bureau des déclarations. Noé m'attire vers un côté et me montre une file spécialement réservée aux « éternels ». Je ne l'avais encore jamais vue, j'avais pris l'habitude d'attendre. Noé rigole de mon ignorance. Je me rends compte que malgré mes 363 années passées sur terre je ne suis encore qu'un débutant dans ce rôle qui m'est confié. La déclaration se fait brièvement, on me demande de compléter sommairement un document personnel puis l'on me signale que je peux désormais rentrer chez moi, dans ma « maison du ciel », l'endroit où je séjourne en attendant ma nouvelle vie. 

- Home Sweet Home ! me lance Noé d'un air amusé avant de disparaitre dans sa demeure.

Je retrouve avec bonheur cette maison si familière, inchangée depuis 1659. Je pense aux rénovations et améliorations que je pourrai y apporter. J'allume le feu en dessous de l'épaisse marmite où stagne encore une délicieuse soupe que j'avais faite avant de débuter ma dernière vie. Rien ne pourrit ici, pensé-je, je vais me régaler ! Sur mon bureau se trouvent une enveloppe rouge et une bleue. La rouge contient ma note de productivité et la bleue la nouvelle vie qui m'attend. Cette fois-ci la note est positive. En bas des cotes est écrit

« Votre résistance aux différentes guerres a impressionné les grandes instances, vous en êtes félicité. »

Bref, mais efficace. Je souris et range la note dans une caisse prévue à cet effet. Je me pose dans un fauteuil confortable en peau de loup, que Noé avait confectionné lors de son premier séjour en haut alors que l'humanité peaufinait encore ses premières formes de civilisation. Je regarde l'enveloppe bleue et me décide de l'ouvrir. Un petit pincement au cœur me surprend. L'effet n'a pas changé, c'est toujours excitant d'apprendre comment sera faite sa nouvelle vie.

La lettre se compose simplement des données relatives à ma nouvelle vie.

Nom : Karim al-Fakr

Père : Wallid al-Fakr, Colonel 23e division aéroportée, 45 ans

Mère : Myriam Beloussouf, Ministre de la Culture, 36 ans

Date de naissance : 3 Août 2025

Lieu : Berlin

Espérance estimée dans le cadre de vie : 20 ans     

La guerre lancée aura peut-être eu raison des populations européennes. Nous verrons. Maintenant je dois profiter et me reposer, si je ne vis que 20 ans c'est que quelque chose m'attend. 

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_ygso_
Posté le 27/05/2021
re-hello ! eh bien cette partie a répondu à mes précédentes questions !
j'aime bien, j'ai hâte de voir comment se passe la renaissance :)
donc ce sont les grandes instances qui décident de la mort des éternels ?
par contre il sait combien temps il va vivre, c'est un peu horrible dans un sens, l'année de ses 20ans, à tous les coins rues il pourra mourir, ça peut être stressant, horrible... on verra comment il sera !
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