Prologue

 Le Blanc et le Noir. Le Bien et le Mal. L’esprit et la matière. La création et la dégradation. La vérité et le mensonge ; Tant de couples opposés, de concepts fondateurs dans la pensée humaine. Ce qui existe connait un contraire égal, et les deux facettes surviennent toujours en même temps, car l’une se définit par l’autre et ne saurait être sans elle.

Partant de ce postulat, Dieu serait donc une entité capable de concilier les deux opposés, de les lier dans une unité symbiotique parfaite, originelle, n’est-ce pas ? Puisque l’on pense toujours Dieu comme celui qui définit le possible et l’impossible. Ou bien la dualité est-t-elle l’origine même de Dieu, matrice de l’univers ? Et donc la preuve de l’existence d’un Diable, un destructeur, celui qui par nature doit défaire ce qui Dieu produit ? Il semblerait que la question soit complexe, mais il n’en est rien. La réponse existe déjà, pullule aux yeux de tous sans que personne ne le remarque. Les êtres capables tout à la fois de créer et de détruire ne sont-ils pas légions ? Mais au final qu’est-ce que tout cela a à voir avec mon histoire ? Pas grand-chose, en vérité, mais un préambule philosophique retient tout de suite l’attention, vous ne trouvez pas ?

Moi, je suis un de ces êtres capables de créer et de détruire, comme vous, comme beaucoup de monde. Mais contrairement à ce beaucoup de monde, j’ai touché du doigt le sujet des contraires, je l’ai vécu d’une manière assez particulière. Ne m’en voulez pas si j’ai l’air de me vanter quand je vous dis : je sais sans doute tout ce qu’il est possible de savoir sur le sujet. Non, je n’exagère pas ! Des fois, l’expérience nous permet de faire ce genre de déclarations cinglantes, qui semblent si prétentieuses alors qu’elles sont douloureuses. Oui, je sais tout ce qu’il y a à savoir, et pourtant, je ne sais toujours pas le fin mot de l’histoire. Car au final ça dépasse les limites de la connaissance, même la mienne.

J’ai été ignorante autrefois, et bienheureuse. Et durant mon parcours j’ai souvent fait erreur, de grossières méprises lourdes de conséquences. Car l’ignorance pousse à faire des suppositions, des conjectures, qu’on prend alors pour vrai au moindre signe positif. C’est ainsi que j’ai cru des âneries pendant bien longtemps, et je peux vous dire que le réveil fut brutal et douloureux. Surtout pour les autres.

Mais je vous ai assez fait patienter, je vous vois trépigner. C’est que j’ai l’audace de croire que comme mon histoire sera longue et intrigante, il convient de l’introduire lentement, pour que vous écoutiez avec plus d’attention la suite.

Maintenant voilà la partie critique, le moment où je dois donner le ton, le souffle initial. Et comme c’est une histoire compliquée, et que vous êtes des auditeurs plein de compréhension, vous me passerez la formule traditionnelle, usée jusqu’à l’os :

Tout commence il y a bien longtemps …

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Dans les Temps Légendaires, quatre Dieux façonnèrent l’univers.

Séparant la lumière des ténèbres, instaurant l’équilibre du monde,

De la marée sombre ils firent émerger la première terre,

Dont le ventre fertile et secret que la lumière inonde

Peuplerait l’Espace de milles terres nouvelles.

Les Quatre étaient aussi différents les uns des autres

Que le sont les éléments dans lesquels ils sculptèrent la réalité.

Le plus ancien, spirituel, gardait la paix du monde parmi les astres,

Le second, visionnaire, cherchait la clef de l’avenir sous ses pieds,

Le troisième, passionné, désirait prouver sa force par le labeur,

Tandis que le dernier, excentrique, préférait paresser, rêveur.

Par la volonté des Dieux, la vie fleurit en une infinité,

Animaux et Plantes, dans une harmonie parfaite.

Mais le projet divin n’était pas achevé,

Leur œuvre ultime de la Création serait le faîte.

Chacun des quatre selon sa nature,

Façonna une race d’êtres Réfléchissants,

Qui ensemble devaient dominer les autres créatures,

Grâce à leurs dons mystérieux et puissants.

Ces êtres sur la première terre prospérèrent,

De leurs dons firent les meilleurs usages,

Sans que jamais n’éclate aucun conflit ou guerre,

Car les anciens comme les Dieux étaient sages.

Vint alors un temps troublé et corrompu,

Les jeunes, par la soif de liberté aveuglés,

Se présentèrent face aux Dieux, leurs liens rompus,

Et réclamèrent une vie sans destinée.

Pour la première fois il y eu un conflit,

Les Quatre divins déçus par leurs enfants avides,

Ordonnèrent que les rebelles soient bannis,

Sur les autres terres, par-delà le vide.

Bientôt sur ces lointaines contrées le Mal parut,

Les enseignements des Dieux furent rejetés,

La mémoire falsifiée, et le passé mourut.

L’ignorance et l’hérésie furent le prix de la liberté.

Mais les Dieux, touchés par cette misère, pardonnèrent leurs enfants ;

De leur volonté divine, un miracle vint au jour.

Un prophète de lumière s’éleva au soleil couchant,

Et accompagné de ses fidèles, posa sur les exilés un regard d’amour.

La Croisade de Lumière fut longue,

Car le mal partout gangrénait,

Et le miracle s’assombrit peu à peu

Souillé par les péchés des peuples Libérés.

La folie gagna le Prophète et tout fut perdu,

Sa rage et sa puissance divine couplées,

Ne cédaient face à aucune force connue,

Alors que les Dieux se taisaient, désespérés.

Faute de pouvoir être tué, le prophète fut maîtrisé,

Et dans une prison de ténèbres dorénavant il git.

Le miracle s’éteint, la liberté consume les exilés,

Et nous sommes là, peuple à l’agonie, 

Tandis que le monde s’effrite …