D’un geste vif, je verrouillai la trappe et remis le tapis dessus pour la dissimuler. Je sortis en trombe de la chaumière que je contemplai à peine une seconde avant de partir en courant pour m’en éloigner le plus vite possible.
Ils ne devaient pas savoir que je m’étais attardée là. Ils devaient croire que j’avais fui sans jamais m’arrêter, sinon tout serait perdu. À cette pensée, je redoublai d’efforts pour accélérer l’allure, prenant de plus en plus de distance avec la maisonnette, mais aussi avec les cris de guerre.
L’ennemi avait attaqué par surprise, prenant tous les habitants du village
au dépourvu. Je n’avais pu que me sauver pour cacher ce que j’avais de plus précieux. Maintenant, je les avais aux trousses, je le savais.
Mes poumons me brûlaient, mes jambes tremblaient. Je continuais malgré tout à bondir au-dessus des racines pour m’enfoncer dans la forêt de sapins. C’était ce qu’il fallait faire, pour le bien de tous.
Soudain, un cri retentit dans mon dos. Je ne m’arrêtai pas. Pas avant que l’on me plaque au sol. Je tombai lourdement dans la neige, glissant sur plusieurs mètres à cause de l’élan. Mon souffle se coupa sous le choc. Je battis des pieds pour faire lâcher le soldat. Ma botte écrasa dans son estomac et il desserra sa prise, m’offrant la possibilité de m’extirper de son étreinte. Je m’obligeai à me redresser pour repartir. Je ne fis qu’un pas lorsque ses doigts s’enroulèrent autour de ma cheville, il me tira en arrière pour me retenir. Je m’effondrai sur le sol une nouvelle fois, mais je ne perdis pas un instant pour me relever.
Cette fois, je sentis le contact glacial d’une lame sur ma nuque. Je savais que ça arriverait, j’avais tout fait pour que les choses se passent ainsi. Je pris une profonde inspiration en faisant mine de lever les mains en l’air avant de saisir le poignard à ma ceinture avec rapidité. L’épée de mon assaillant entailla la peau de mon cou lorsque je fis volte-face. Je n’eus pas le temps de faire le moindre geste qu’il se retrouva sur moi, plaquant mon dos dans la poudreuse.
Il était hors de question que je meure sans me battre. Je levai mon arme pour la planter dans sa gorge, mais il me saisit par le poignet pour le tordre, m’obligeant à lâcher le poignard. Je criai de rage et me débattis comme un démon sans parvenir à le faire bouger.
— Tu mériterais que je te dépèce vivante.
Le sharianais était une langue grave et gutturale. Chaque mot donnait l’impression d’être craché avec un profond mépris. Je ne lui répondis pas, continuant à me démener avec toutes les forces qui me restaient.
Une déflagration retentit du côté de la mer, de là où j’avais été plus tôt. Mon regard dévia de l’homme pour voir ce qu’il se passait. Une épaisse fumée noire envahissait le ciel.
Le rire du Sharianais attira à nouveau mon attention. Il plongea ses yeux bruns dans les miens.
— C’est le début de la fin de l’Uhoria. Vous avez perdu.
Non. J’avais encore de l’espoir. Les choses ne pouvaient pas se terminer ainsi.
Dans un cri de guerre, je donnai un coup de hanche à mon adversaire pour le désarçonner. Il se laissa surprendre. Je parvins à le déséquilibrer assez pour le jeter à terre et me retrouver sur lui. Mes mains encerclèrent sa gorge pour l’étrangler.
— Nous n’abandonnerons jamais. Nous nous battrons jusqu’à vous repousser de nos terres, éructai-je en uhorien.
Ses gros doigts tentèrent de me faire lâcher prise, il remuait maladroitement son épée. La peur me donnait une force que je m’ignorais. En voyant son visage devenir violet, un
sentiment de satisfaction m’envahit.
La neige craqua derrière moi, je jetai un coup d’œil par dessus mon épaule et reçus un violent coup sur la tempe qui m’envoya au tapis. Je parvins à lutter à peine quelques secondes avant de sombrer dans le néant.