Prologue
Vlan !
Pour sûr, ce coup là... j' l'ai pas vu venir ! C'est pourtant pas la première fois, et un jour comme celui là, j'aurais dû m'en douter…
Sa paume large et striée est venue s'imprimer sur ma face plus vite que les nouvelles fraîches du Times-Picayune.
La purée d' haricot rouge a volé au milieu de la cuisine comme un feu d'artifice sans fanfare tandis que son autre paluche s'est écrasée sur ma joue.
Rouge, tout est rouge, les haricots ont refait la déco de la cuisine et le sang qui coule de mon nez a ruiné mon T.shirt.
A cet instant, bêtement, comme un pauvre nigaud, je m'dis juste « t'auras l'air de quoi demain, devant Molly !... t'auras l'air de quoi... ».
Je n'ai pas vraiment le temps d'y réfléchir à deux fois que je sens sa rage lui tordre les boyaux. Il n'en a pas fini avec moi. Ses poings serrés s'enfonçent sur le rebord de la table et ses phalanges blanchies contienent une force explosive.
– C'est toi qui l'as tuée !
La violence n'est pas sortie cette fois de ses poings mais de sa gueule rouge et ravagée. Il a craché ses mots plus coupants que la serpe du vieux James qui vit sur le bord du lac. Des mots plus blessants que les torgnoles habituels, encaissées depuis trop longtemps.
La douleur irradie. Je tente de me relever mais il m'a mis K.O. Laminé, à terre, écrasé comme Les Saints lors de leur défaite fulgurante contre les Panthers.
Malgré mon nez qui doit être cassé et mes tempes qui sonnent plus forts que les cloches de l'église Sainte Augustine un jour de Carnaval, c'est bien dans la poitrine que je suis le plus touché.
Là, au coeur...
Puis, une honte, un désespoir, un silence. Sa bouche reste béante mais plus rien n'en sort. Un grand trou noir ouvert sur du néant. Un puits asséché. Une volonté qui s'effondre.
Assis sur sa chaise, il n'a plus l'air de rien. Il ressemble à tous ces bouseux du coin, le regard morne et l'échine flasque, un peu comme les marshmallows décolorés et fondus derrière les vitrines collantes de la boutique de chez Amy. La tête baissée, il fixe un point imaginaire sur la grande table trop vide et dans le silence, j'entends une sorte de chuintement comme un cri de souris.
Plic, Plic... une goutte puis une autre s'écrasent sur le formica, il pleut sur ses souvenirs.
En moi, les mots viennent comme des claques, je veux les refouler mais leur assaut me mord la langue et à mon tour, je crache mon venin.
– Bon anniversaire !
J'ai 14 ans mais ça ne compte pas. Je n'aurai plus jamais d'âge.
A présent, je dois me faire invisible, du moins pendant quelques jours, le temps de l'oubli.
Chut, silence, mon père s'est endormi et moi, je guette la nuit, voleuse du jour qui tarde trop, qui tarde trop...