À quelques pas de moi, le vide. Une porte ouverte vers le néant de mon existence. Ma gorge se resserre. L’air peine à emplir mes poumons.
Je ne le quitte pas du regard. Il me terrifie, lui, et tout ce qu’il veut me dire. Qu’il ne suffirait que d’un pas pour que tout s’arrête. Que je ne suis rien face à sa force écrasante. Que si je ne suis pas capable de l’affronter ce soir, j’aurai passé les vingt-cinq années qui ont formé ma vie à fuir.
La chienne a eu ma peau.
Dans un dernier moment de grâce, je ne peux m’empêcher de relever la tête pour la contempler. Une dernière fois. Ses immeubles haussmanniens tassés dans la pénombre. Ses murs d’un blanc écrémé froid qui réfléchit la lumière de la lune. La pâle chaleur de ses réverbères qui éclaire les rares passants arpentant encore la rue Delambre à trois heures du matin. Il y en a encore, et il y en a toujours. Je partirai, d’autres prendront ma place. Certains finiront écorchés, eux aussi. Paris les broiera dans sa machinerie infernale. Finalement, qu’est-ce que tout cela change, quelques pas de plus ou de moins ? Rien ne s’arrêtera jamais. L’enfer ne s’arrêtera jamais.
Des roues crissent dans une rue voisine, lancinent mes oreilles, puis disparaissent dans les méandres d’une musique si forte que, il y a quelques mois encore, j’aurais cru à une soirée surprise qui venait de commencer. Je sais maintenant qu’il ne s’agit que d’un son de passage, d’une voiture qui arpente Paris telle une diva en discothèque, fait tout pour qu’on la remarque mais prétend ne rien voir de ce qui se passe autour. Qui me rappelle qu’elle aussi est indifférente à moi.
Si je saute, je n’aurai plus à subir cela.
Je me masse les tempes ; je veux faire taire cette folie. Comment en suis-je arrivé là ? Ce qui était flou ce matin encore me paraît si clair à présent. J’en viens à douter de ma propre lucidité. Quelques gouttes percutent ma peau et je me rends alors compte que je me pose la même question en boucle depuis bien trop longtemps. Je ne veux pas précipiter la réponse. Elle me semble trop cruciale. Elle est bien trop cruciale. Et pourtant, je ne me résous pas à quitter le toit. Je refuse de me laisser aveugler par la peur.
D’un pas prudent, je m’approche du précipice. Le toise et me concentre. Au rythme de mes respirations, mon corps raide revient à la vie. Je me penche pour mieux défier le vide insolent. La pluie s’y précipite tête baissée. Les gouttes éclatent sur le sol en d’autres, plus petites, qui retrouveront d’autres atomes crochus pour un jour former l’océan.
À chaque fin, un nouveau commencement.
Je n’en suis qu’à un pas.
DES BISOUS (mais de loin bien sur)
Pardon pardon pardon !
Et avec du retard : bienvenue ici ! Eh oui, ce début est haut en couleurs, c'est pas l'éclate dans la vie de ce personnage comme tu le comprends :D
Avant que je ne reprenne ce prologue, je me suis parfois demandée si je devais l'enlever... Bon, il manquait dans sa version initiale quelques éléments de contexte assez importants, mais finalement, le laisser me semblait être la bonne option. Il donne le ton. Il pose la question : "pourquoi", "comment, si jeune", et c'est finalement le sens que je voulais donner à mon roman. Quand ça a été plus clair dans ma tête, garder le prologue m'a paru essentiel.
Des bisous de si loin !
Eh bien, quel prologue !
Le style est fin et léché. On comprend peu à peu le désespoir du narrateur, sa haine de Paris (je le comprends ^^) et sa marche vers le suicide.
Pleins de questions sont soulevées mais surtout : comment me personnage en est arrivé là ?
Un plaisir,
A bientôt !
A tout de suite sur le commentaire suivant ;)
Je viens découvrir ta plume !
Ce prologue m'intrigue beaucoup, j'avoue que j'ai fait pas mal d'allers-retours dans les premiers paragraphes au fur et à mesure que je comprenais que le "elle" était la ville, pour relire avec cette lumière-là.
J'avais pas compris dès le départ que le personnage était sur un toit ; j'ai trouvé que c'était savamment amené.
Les prologues me laissent souvent une impression de déjà-vu ou de platitude, mais le tien est loin de me produire ces effets-là !
J'ai hâte de découvrir la suite !
Plein de bisous !
Ravie que le prologue t'ait plu. Quand je pense à le retravailler, l'une des pistes pourrait être justement d'expliciter bien davantage le toit / Paris derrière la personnification. Et en même temps, j'ai peur d'enlever de l'instantanéité du moment aussi...
Il y a une phrase que j'aime bien, tout en trouvant qu'elle contient un peu trop de propositions relatives : "Ses immeubles haussmanniens tassés dans la pénombre aux murs d’un blanc écrémé froid *qui* réfléchit la lumière de la lune, la pâle chaleur de ses réverbères *qui* éclaire les rares passants *qui* arpentent encore la rue Delambre à trois heures du matin." > à la fois ça déclenche tout de suite une image mentale nette, à la fois l'écrit m'a un peu fait tiquer. Peut-être la phrase est-elle un peu longue ? Mais bon, comme je te dis, je ne suis pas tranchée sur la question, il y a quelque chose de chouette aussi dans cette phrase, donc à toi de voir !
Pour la phrase que tu relèves, j'ai tiqué en la relisant récemment aussi et ne m'en satisfais pas en l'état.
Je suis juste soufflée par ce début. Il y a une justesse dans les mots, une sensibilité à vif qui est aussi grisante que douloureuse lorsque l'on est empathique.
Curieuse de la suite, je mets cette histoire dans ma PAL et je continuerais de la lire avec plaisir !
A bientôt,
Soah
Ca me fait du bien de lire ton commentaire, car ce début est la question de la semaine dans la réécriture. J'ai même questionné l'opportunité de le garder, avant de me rappeler pourquoi je trouvais important de commencer par là...
Du coup, quand je lis ton retour, je me dis que je fais du bien de prendre du recul un peu avant de trop couper XD