Prologue

Prologue

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Amiya Southall Dhoraji

Je me réveille à l’aube, la bouche sèche, le cœur battant. À travers les persiennes, les rayons du soleil éclairent les murs blancs de ma chambre, ou plutôt de la pièce que Madame Bloomsbury met à ma disposition. Elle accorde une grande importance à l'éducation de ses enfants et m'a engagé comme précepteur voilà bientôt un an. Billaa, mon chat, se réveille quand je repousse les draps. Les rayures rousses de son pelage ondulent tandis qu'il escalade ma jambe. Il se blottit contre ma poitrine et son ronronnement m'apaise.

Ce cauchemar m’a laissé en paix pendant des années, mais son retour ne m’étonne guère. Les journaux d’hier évoquent une découverte macabre sur une petite île des Maldives. Les survivants parlent de l’arrivée d’une magicienne étrangère. Elle a tué tous les autres lynes, même les enfants, pour s’accaparer l’énergie des donneurs. Cette femme traite les denas comme des proies ou du bétail. Nous ne disposons d’aucun pouvoir, donc elle ne nous considère pas comme des êtres humains. Parfois, je maudis ma nature. Les explorateurs qui sont arrivés sur cet atoll par hasard ne s’attendaient pas à y trouver un monstre. Elle a fui, comme celle qui m’avait agressé, et les descriptions des indigènes correspondent au visage qui me hante depuis douze ans.

Je revenais de la source qui jaillit près du village, lorsque la violeuse d’énergie m’a attaqué. Je n'étais qu'un gamin sans défense face à une prédatrice expérimentée et elle m'a immobilisé en une seconde. Elle me plaquait contre la terre poussiéreuse et j’apercevais les nuages anthracite par-dessus son épaule. Son flanc écrasait ma poitrine, ses bras enserraient les miens et elle buvait à l'anahata, le chakra du cœur, la source de vie. Sa bouche était collée contre mon torse, ses dents mordillaient ma peau et elle pompait avec une avidité inouïe. Mon corps se débattait, s’arquait, tressautait en vain. Je criais, je crois, mais ma voix a vite faibli.

Ses cils voilaient son regard grenat. Je me rappelle de ses boucles brunes, de son nez un peu fort et de ses lèvres carmin ; des traits séduisants pour une tueuse. Par contre, ses effluves la trahissaient. Elle exhalait l'odeur de ses victimes, celle de la peur, de la mort et de la décomposition. Ses petits cris de plaisir me révulsaient.

Je ne pouvais lui échapper, malgré l'horreur et le dégoût. Elle aspirait une puissance énorme, mon énergie coulait dans ses veines et je perdais toute force. Je priais pour qu'un miracle se produise, je m’accrochais aux mantras que ma mère m'avait appris mais, petit à petit, même la panique a laissé place au néant. Il ne restait plus que cette horrible sensation de succion. J'étais à peine conscient quand les secours arrivèrent, mais la chasseuse les entendit. Elle s'écarta légèrement et gronda. Je sentais sa frustration à l'idée d'interrompre son repas. Elle a bu une dernière fois avant de refermer ses doigts autour de ma gorge. J'ai fermé les yeux pour fuir ses iris étincelants, son regard de fauve, son regard inhumain. Une détonation a retenti. La suceuse s'est s'enfuie dans la jungle et ceux qui la poursuivirent ne la retrouvèrent pas.

Je pense qu’il s’agit de la même personne. Est-ce moi qui deviens fou ? Ces derniers temps, des rumeurs inquiétantes se propagent de village en village. Un enfant a disparu et je crains que ce drame n’annonce son retour. Je délire. Il existe beaucoup de suceurs en ce monde. Des lynes, hommes ou femmes, qui soutirent aux denas plus qu’ils n’acceptent de donner. Malgré ces dénégations, la peur ne me quitte pas. J’écarte la moustiquaire et bondis sur mes pieds. Billaa miaule d'un air outragé, il prend appui sur la table de nuit et saute sur l'armoire. Depuis son perchoir favori, ses yeux verts me fixent d'un air désapprobateur.

Je sais ce qu'il voit. Un homme jeune, mais déjà voûté, aux cheveux noirs, aux yeux sombres et cernés. Je cherche mes lunettes à tâtons et renverse mon livre de chevet avant de les trouver. Je m’empresse de les enfiler pour que ma vision devienne nette. Le point douloureux qui pulse au milieu de mon front annonce une nouvelle crise de migraine ; comme mon énergie circule mal depuis mon agression, il en résulte des troubles physiques récurrents.

Que faire ? Personne ne m'aidera. Si j'évoquais mes craintes en public, certains riraient et les autres partageraient mon impuissance. Nul ne dispose de la force nécessaire pour arrêter cette femme. Pourtant je noircis les feuillets d’une lettre comme un naufragé jette une bouteille à la mer.

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Rachael
Posté le 26/11/2018
J’ai vraiment aimé tes deux premiers chapitres, alors je reviens avec un peu de recul sur ton prologue qui m’a moins convaincu. D’abord, il joue bien son rôle en nous donnant juste ce qu’il faut d’information sur les lynes et les denas ; Il nous renvoie dans le passé pour assister à l’attaque dont ton héros a été victime, et on ressent de la piété et de l’horreur à cette agression. Mais...
Pourtant, et ce n’est là que mon avis tout à fait subjectif, je trouve qu’il manque de naturel et qu’il n’est pas au niveau de la suite. Par exemple le fait que ton héros prenne le temps de nous glisser le nom de son employeur ou le fait qu’il est précepteur, alors qu’il se réveille d’un cauchemar, atténue beaucoup la portée de ce réveil ou du cauchemar.
La façon dont l’agression est racontée, à l’imparfait, met une certaine distance. Il m’a fallu un moment pour comprendre que le cauchemar était en fait le souvenir de l’agression. Pourquoi ne pas raconter l’agression comme il vient de la revivre dans son cauchemar ? (au présent ?..)
Il me semble que tu pourrais nous rendre plus présente cette agression, l’impact qu’elle a eu et continue d’avoir sur ton héros, tout en nous intriguant avec quelques indices/informations. Ton prologue n’en aurait que plus de force.
Je répète que ce n’est que mon avis, et peut-être que d’autres auront eu une vision différente de ce prologue.
 
détails
 Je me rappelle de ses boucles brunes, de son nez un peu fort et de ses lèvres carmin : rappeler est transitif direct
Malgré ces dénégations, la peur ne me quitte pas : je n’ai pas compris à quoi les dénégations faisaient allusion.
elikya86
Posté le 26/11/2018
Merci pour ton retour Rachael, je note soigneusement tes remarques.
 Pour l'instant, je n'en suis pas encore au stade des corrections, sur ce roman, j'ai besoin de prendre du recul. Cela viendra.
elikya86
Posté le 09/10/2018
Merci pour ton commentaire, Sorryf, je suis contente que ce début te plaise. Il m'a fallu beaucoup d'essais avant de présenter correctement le concept lynes / denas.
Le fait de boire l'énergie de quelqu'un est un acte intime, pas forcément sexuel, car cela se pratique entre personnes d'une même famille, mais personnel. Il est donc choquant de vendre son énergie à des étrangers.
Sinon, tu as raison, le résumé en dit trop, mais je n'arrive pas à le modifier. 
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