Prologue

Par apo

Mise à jour du 6 juin 2018 

La vieille dame est plongée dans une sorte de sommeil artificiel, emmitouflée dans son écrin de verdure. Elle se trouve ainsi protégée des regards indiscrets, mais pas d'une vieillesse qui l'abîme toujours un peu plus à chaque saison. Son visage est ridé, son teint terne. Elle n'est plus que fissures et peintures écaillées. Elle perd jusque ses tuiles qui s'amassent ça et là, brisées, au milieu des herbes folles. Tous les attributs raffinés de sa jeunesse dorée ont disparu, avalés par une nature jalouse et rancunière. Ils sont désormais en proie à une lente décomposition. Le peu qui est est parvenu à résister, tant bien que mal, aux assauts du temps, a perdu son panache : la rouille a mangé les riches décors en fer forgé, les majestueuses sculptures de pierre ont égaré la plupart de leurs membres rendant les visages éternellement souriants de ces éclopés plus effrayants encore. 

 

Au milieu de toute cette débandade, les fidèles soldats de bois continuent inlassablement à monter la garde le long du grand mur qui borde le chemin, comme si rien n'avait changé. Pourtant, eux non plus ils n'ont pas fière allure avec leurs branches mal taillées et leurs vieux troncs difformes. Abandonnés par ceux qui les avaient autrefois apprivoisés, livrés à eux-mêmes, ils auraient pu retourner à l'état sauvage, retrouver leur nature profonde, mais ils ne l'ont pas fait. C'est pour elle qu'ils sont restés, qu'ils ont tenu bon, vaille que vaille. Pour leur chère Méloé. Ils ne pouvaient pas la laisser seule et sans défense en ces heures sombres où elle avait tant besoin de leur protection. 

Il fut un temps où la somptueuse Méloé rayonnait dans le paysage, faisant la fierté des hommes qui l'avaient édifiée. Cette époque bénie est révolue. Désormais, la nature a repris ses droits, resserrant peu à peu son étreinte, comme un vert linceul.

 

Par cette nuit sans lune, une lueur chaotique transperce soudain l'horizon. Elle se rapproche lentement dans d'étranges soubresauts, disparaît par moments pour mieux réapparaitre un peu plus loin dans un ronronnement métallique.

La route qui mène à la villa n'est qu'un chemin de terre fait de virages et d'ornières, de creux et de bosses, lui aussi envahi par une végétation débordante. 

Le véhicule, empli de courage, persévère, laissant toutefois échapper de temps à autre un râle de douleur. Il poursuit régulièrement son avancée pour atteindre, en bout de course : le vieux portail brinquebalant.

Il ne peut s'agir que d'une erreur, ou des élucubrations suicidaires d'un GPS détraqué, car aucun humain averti n'oserait s'aventurer aussi loin sur le chemin, à pareille heure de la nuit. 

Ces gens ne vont pas tarder à réaliser leur méprise et feront demi tour pour regagner la route départementale, avant qu'il ne soit trop tard. Il ne faut pas s'inquiéter. Tout va bientôt rentrer dans l'ordre.

 

D'ailleurs, la voix robotique, à l'intérieur du  véhicule, ne s'y trompe pas :

« Veuillez regagner la route », dit- elle à qui veut bien l'entendre.

- On voudrait bien. Je fais ce que je peux, s'impatiente le conducteur. C'est trop étroit, impossible de faire demi tour. Satané GPS de malheur. J'espère que je ne vais pas être obligé de me taper tout le chemin en marche arrière... ce serait le pompon !

Il se parle à lui-même et n'attend pas de réponse. Mais un peu plus loin sur le chemin, il découvre enfin le vieux portail et réalise soudain qu'il ne s'est pas trompé d'endroit.

 

Le véhicule des intrus s'immobilise alors et un homme en descend. Il ne prend même pas la peine de couper le moteur ni de fermer la portière. Cette présence inhabituelle résonne dans la nuit. Il est épié par une multitude d'yeux, tapis dans l'ombre.

La silhouette continue d'avancer, d'une démarche conquérante, en direction du portail. A la faible lumière des phares, les grandes grilles paraissent encore imposantes, on ne distingue pas les trous percés par la rouille qui les rendent vulnérables. 

Une deuxième ombre est tapie à l'arrière de la voiture, immobile.  

L'homme fouille dans les broussailles. Aurait-il quelque besoin urgent à soulager ? Un bien long chemin pour une si petite affaire. Il ne serait tout de même pas venu jusqu'ici pour souiller une vieille dame?

Quand il se redresse victorieux, le gros trousseau de clefs entre les mains, l'espoir n'est plus permis. Il ne tarde pas à enfoncer l'objet dans la serrure et alors la lourde grille n'offre plus aucune résistance laissant le gaillard pénétrer dans l'intimité de la villa. Le sanctuaire est sur le point d'être violé. Les deux battants vaincus s'ouvrent en laissant échapper des cris de douleur. Il y a bien longtemps que cette gymnastique n'avait plus été imposée à leurs articulations vieillissantes. Tout cela n'est plus de leur âge. L'intrus remonte tranquillement dans la voiture, claque la portière sans se soucier du bruit occasionné et se fraye un passage entre les branchages. Ces derniers luttent contre l'envahisseur comme ils peuvent, freinant sa progression, rayant sa carrosserie. C'est peine perdue. Il atteint rapidement la cour et s'immobilise enfin au pied des marches, devant la villa. 

Méloé est désormais entièrement à leur merci. D'ici quelques minutes ils seront à l'intérieur et prendront possession des lieux. Plus rien ne les arrêtera. Pas même la vieille porte à la serrure grippée. Un bon coup d'épaule la fera facilement céder. Elle n'a jamais été bien courageuse. De toutes façons, ils possèdent désormais toutes les clefs.

Ils s'engouffrent à l'intérieur sans un mot, sans une attention envers celle qu'ils viennent de réveiller sans le moindre égard pour son grand âge.

Tout est étrangement calme et silencieux aux alentours. Rien ne bouge. Pas même le vent dans les feuilles des arbres. Comme si la nature toute entière retenait son souffle. Puis, peu à peu, elle s'habitue à cette nouvelle présence permettant à la vie nocturne de reprendre son cours sans plus se préoccuper des hommes. 

On croirait avoir rêvé. Seule une petite lumière allumée révèle l'intrusion à l'intérieur de la maison abandonnée, ainsi que la voiture garée dans la cour qui porte encore les maigres traces d'une lutte qui était perdue d'avance. Quelques feuilles coincées dans le pare-brise qui disparaîtront d'un coup d'essuie-glace et de légères griffures sur la carrosserie pour que l'honneur soit sauf.

 

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aranck
Posté le 30/05/2018
Hello Apo,
J'y ai mis le temps, mais me voilà enfin sur ta fiction, et je dois dire que je suis enchantée !
La personnification de la maison (je me suis fait avoir au début...:-) ) est vraiment bien foutue, le respect et l'amour pour cette vieille bâtisse transparaissent dans tous les mots que tu choisis et son histoire doit être longue et pleine.
Les arbres qui compatissent à sa solitude et les relations que tu tisses entre l'environnement et les vieilles pierre sont des belles trouvailles. Tes images sont pleines de poésie et de subtilité, en bref, c'est un très bon début et ta plume est vraiment pleine de qualités.
Tu attises notre curiosité avec l'arrivée de ces presques profanateurs et j'apprécie énormément l'originalité de ce texte, ce qu'il transmet comme ressenti et comme émotions en peu de mots.
C'est donc une belle découverte pour moi, et un grand bravo pour toi !
Je n'ai ni relevé de coquilles, ni de fautes de syntaxe, mais je ne suis pas forcément douée pour ça, surtout lorsque l'histoire m'embarque.
Un grand merci pour ce partage et à bientôt. 
apo
Posté le 30/05/2018
Bonjour Aranck,
Mille mercis d'être venue. Je suis très touchée par ton commentaire et heureuse que mon histoire t'embarque ainsi. 
Du coup, je n'ai plus de mots... Un grand merci à toi.  
J'espère que la suite te plaira autant.  
A bientôt.
Apo 
Jerome
Posté le 26/04/2018
Bonjour apo,
 J'ai beaucoup aimé l'ambiance de ton texte et les différents points de vues qui s'imbriquent et construisent ton histoire au fur et à mesure de tes chapitres.
Les lieux sont très bien décrits et sonnent très justes.
Tu prends bien le temps de placer le décor, on s'installe confortablement, on profite de ton écriture très agréable, jusqu'à cette fin qui nous donne envie de connaître la suite.
J'ai juste aperçu quelques petites coquilles que je n'ai pas pris le temps de noter, désolé, mais à part ça, j'ai vraiment passé un agréable moment.
Jérôme 
apo
Posté le 26/04/2018
Bonsoir Jérôme,
Merci pour ton gentil commentaire qui me touche énormément. 
Je suis heureuse que l'ambiance te plaise et que tu t'y sentes bien. Que demander de plus!
Les coquilles sont une vraie plaie... On n'en a jamais fini avec elles... mais je vais plutot essayer de m'atteler à avancer sur la suite, plutôt que de relire encore et encore pour chasser les fautes, sinon je ne m'en sors pas.
En tout cas je te remercie de ton passage et j'espère que tu reviendras faire un tout à la villa un de ces jours... 
Apo 
Moje
Posté le 23/04/2018
J'aime beaucoup la délicatesse avec laquelle tu décris Méloé. On a une véritable impression de... de tendresse et de respect. En tout cas j'ai hate de savoir la suite, et de voir si cette intrusion évolue en rénovation, si les nouveaux arrivant arrivent à redonner un peu de sa jeunesse à Méloé pour lui donner un nouveau souffle de vie!
Bonne continuation,
Moje
apo
Posté le 23/04/2018
Bonjour Moje
Merci pour ta lecture et ton message.
Je suis très heureuse que tu ressentes cette tendresse. La maison est presque un personnage à part entière.
Je n'ai pas beaucoup de temps actuellement mais dès que ça se calme je poste la suite.
A bientôt
Apo 
Nana
Posté le 09/04/2018
Coucou Apo !
<br />Ce premier chapitre est très sympa, ça éveille la curiosité ! On a envie de savoir la suite, pourquoi cette maison est abandonnée et qui sont ces gens qui arrivent pour en prendre possession… C’est bien mystérieux :)
Juste un petit truc qui m’a un peu manqué pour mieux m’imaginer ce lieu, c’est une notion de climat je dirai : est-ce qu’il fait chaud et les arbres seraient tropicaux, ou alors on est dans le froid et les arbres sont des conifères ? Peut-être juste ajouter un ou deux mots qui clarifieraient ça, comme nommer le type d’arbres ou préciser si le vent est chaud ou glacial ?
<br />Quelques coquilles :
<br />Le peu qui est est parvenu à résister, tant bien que mal, aux assauts du temps, a perdu son panache: > il manque un espace avant les :
<br />Ils ne pouvaient pas la laisser seule et sans défense en ces heures sombres où elle en avait tant besoin de leur protection. > le "en" est en trop je pense
<br />Le véhicule, empli de courage, persévère cependant, laissant toutefois échapper de temps à autre un râle de douleur métallique. > j’enlèverai le “toutefois”, avec “cependant” avant ça fait un peu redondant je trouve :)
<br />Il poursuit régulièrement son avancée pour atteindre, en bout de la course : le vieux portail brinquebalant. > “en bout de course” ou “au bout de la course”
<br />Ils ne vont pas tarder à réaliser leur méprise et feront demi tour pour regagner la route départementalE, > il manque un "e" à départementale
<br />Tout est étrangement calme et silencieux aux alentours Rien ne bouge. > il manque un point après “alentours”
<br />Comme si la nature toute entière était retenait son souffle. > un mot en trop
<br /><br />J’espère qu’on aura bientôt la suite !
Bisous :)
<br /><br />
apo
Posté le 09/04/2018
Bonjour Nana, 
Merci d'avoir pris la peine de lire et commenter ce premier passage. J'en suis très touchée.
Je m'empresse de corriger les coquilles et je note ta judicieuse remarque concernant le climat. Je n'avais pas réalisé, alors que c'est tout-à-fait important.
je vais essayer de revoir ma copie sur ce point rapidement.  
A bientôt.
 
 
 
Virgile
Posté le 14/04/2018
Bonjour apo !<br />
J'ai commencé à lire ton prologue (je n'ai pas terminé, encore !). Comme tu as demandé des retours, je me permets de t'en faire "à chaud", pendant ma lecture.<br />
J'aime beaucoup ton entrée en la matière. Cela semble très poétique.<br />
Mais j'ai un problème avec ta concordance des temps. Si tu choisis le présent comme temps de la narration, ton passé doit être écrit à l'imparfait et ton futur au futur, justement, ou au conditionnel présent. Exemple : "Abandonnés par ceux qui les avaient autrefois apprivoisés, livrés à eux-mêmes, ils auraient pu retourner à l'état sauvage, retrouver leur nature profonde, mais ils ne l'ont pas fait." J'aurais plutôt écrit :<br />
"Abandonnés par ceux qui, autrefois, les apprivoisaient, livrés à eux-mêmes, ils pourraient retourner à l'état sauvage, retrouver leur nature sauvage..."<br />
J'aime beaucoup les descriptions mais attention à ne pas écrire de trop longues phrases, qui essoufflent le lecteur. Des phrases plus courtes, même si elles parlent du même sujet, ont plus d'impact et donnent davantage de rythme au récit.<br />
Sur ce, je vais lire la suite ^^
apo
Posté le 14/04/2018
Bonjour Virgile,Merci pour cette lecture et ce commentaire à chaud. Tes remarques me touchent.
En ce qui concerne la concordance des temps et les descriptions je vais prendre le temps de réfléchir à tout cela tranquillement. Je te remercie de me l'avoir signalé. C'est tellement difficile de se relire.
Bonne continuation. j'espère que tu aimeras la suite. Je suis sur le point de poster un nouveau chapitre.
Apo
 
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