3 Janvier 1713
Cette porte était son seul salut. Elle était légère, et assez grande pour lui permettre de faire peser tout son poids sur sa devanture. Elle ne protégeait plus la cuisine des petits forbans qui auraient pu tenter de voler du pain. Ce n'était plus son rôle. Mais jusqu'ici, cette porte était la seule chose qui lui permettait de survivre.
Mais pour combien de temps ?
Son corps entier était engourdi par le froid mordant des flots qui tentaient de l'envelopper de leur étreinte mortelle, en l'éclaboussant de son écume, pour essayer de l'entraîner par le fond. Le jeune homme était épuisé, à bout de souffle, et incapable d'envisager une quelconque survie.
« Je vais mourir... »
Ces mots, il eut à peine la force de les prononcer dans un murmure perdu dans ce désert aquatique. Le brouillard, qui avait permis à ses attaquants de ne faire aucun quartier, ne se dissipait toujours pas. Oui, il se le rappelait, et emporterait probablement ce souvenir en Enfer, avec lui. Ce navire deux fois plus imposant que le sien, ces cris voraces et avides de violences, et ce pavillon. Ce drapeau rouge sang, griffonné d'un crâne humain et d'un sabre au-dessus de sa tête, qui avait fait hurler certains marins à son bord. La panique en avait saisi plus d'un, alors que le nom du terrifiant capitaine était sur toutes les lèvres.
RedEye Thomas.
Puis, le jeune homme l'avait vu, un pied sur la rambarde de son bateau, alors que ses hommes utilisaient les cordes et les planches pour aborder son propre navire. Son rictus malsain l'avait paralysé sur place, alors que ses grands yeux noirs étaient devenus rouges d'excitation.
Il n'avait rien pu faire.
Sa connaissance des armes n'était résumée qu'aux chamailleries de l'orphelinat, lorsque lui et les autres enfants attrapaient des bâtons pour faire croire qu'il s'agissait de sabres. Mais protéger ses frères et Senhora Izabel avait été la seule chose qui lui avait permis de retrouver l'usage de ses jambes. Tito et Amaro avaient essayé, tant bien que mal, de les repousser. Il s'en souvenait encore : Tito lui avait crié de partir en cuisine pour protéger Senhora Izabel, la seule femme qui les ait jamais aimés, et les avait élevé, malgré leur statut d'orphelin, et leurs différentes appartenances.
L'instant d'après, Amaro avait été transpercé d'une balle en pleine tête. Le jeune homme n'avait même pas eu le temps de hurler, c'était déjà trop tard. Tout ce qui comptait, désormais, c'était de faire en sorte qu'il n'arrive rien à leur mère, quitte à mourir pour elle. Il s'était rué dans la cale, dévalant les escaliers quatre à quatre, manquant plus d'une fois de faire une chute. En posant le pied à terre, il avait reculé brusquement, alors qu'un boulet de canon venait de fracasser la coque du navire. Le trou béant qu'il laissait dans le bois lui permet de voir que le tir provenait bien du bateau qui était en train de les attaquer, et il avait cru même voir l'un des pirates sur le pont rire de joie, secoué de spasmes d'excitation, et probablement sourd à cause du bruit.
Puis, en reprenant son souffle, il s'était rué vers la cuisine. Senhora Izabel était debout, tremblante et paniquée, serrant la croix autour de son cou dans la paume de sa main. Elle tirait tellement dessus en récitant des prières, que la chaîne lui entaillait la nuque. Son fils adoptif s'était précipité vers elle pour la prendre dans ses bras, lui jurant de la protéger, et qu'ils s'en sortiraient. Mais lorsqu'elle lui avait demandé ce qu'il en était de Tito et Amaro, son simple regard avait trahit la vérité, et elle s'était effondrée, en pleurs. Il avait tenté de la consoler, de lui dire que Tito était toujours là, que l'équipage était aussi préparé aux éventuelles attaques pirates. Mais du haut de ses dix-sept ans, il peinait lui-même à essayer de s'en convaincre. Jamais une telle effusion de sang n'aurait pu se retrouver même dans ses pires cauchemars. Il voulait se réveiller, penser que jamais, ni lui, ni ses frères, ni Senhora Izabel, n'avaient décidé de prendre ce bateau pour qu'elle les emmène au Portugal, voir sa terre natale. Qu'ils étaient restés dans ce vieux lotissement insalubre, mais dans lequel lui et ses frères s'étaient sentis en sécurité presque toute leur vie.
Alors qu'il serrait sa mère adoptive dans ses bras, la porte fut violemment enfoncée, et deux hommes étaient entrés. Il reconnut l'un d'eux comme étant ce capitaine sanguinaire aux yeux rouges. Son rictus malsain s'était transformé en grimace de dégoût, alors qu'il les regardait, lui et sa mère de cœur. Le second, avec sa moustache noire et ses cheveux noirs de jais et gras, ricanait en dévoilant des dents en or. Puis, RedEye Thomas avait prononcé ces derniers mots :
« Rien d'intéressant ici, fais ce que tu veux. »
Tout s'était ensuite déroulé très vite. L'autre homme s'était jeté sur eux, alors que RedEye Thomas quittait les lieux d'un pas nonchalant, sans la moindre préoccupation quant à ce qui risquait de se passer dans cette cuisine. Le pirate était armé, et il avait manqué de le tuer plusieurs fois, mais la sécurité de Senhora Izabel était primordial pour lui.
Malgré cela, expérimenté par ses combats, et ses cruelles sauvageries, son adversaire s'était révélé plus fort. En manquant de peu de le tuer à l'aide de sa lame, il avait profité de son mouvement pour l'assommer violemment à l'aide d'une bouteille vide.
Le reste était si flou. Cette douleur atroce qui lui secouait le crâne, et lui donnait une vision blanche... Rien ne lui avait permis de protéger sa mère d'adoption. Cette dernière s'était jetée entre lui et le pirate, à genoux et les mains jointes, suppliant leur agresseur de ne pas faire de mal à son petit orphelin :
« Pitié ! Pitié, au nom du Seigneur, ne tuez pas mon petit Matheus ! Je ferai tout ce que vous voudrez ! »
Par la suite, il avait entendu ses cris. Ses hurlements déchirants, alors que Senhora Izabel se faisait traîner par les cheveux. Matheus aurait voulu bouger, se lever et aller la sauver. Mais c'était comme si son corps refusait de lui obéir. Il avait lutté de toutes ses forces pour ne pas perdre conscience, et récupérer cette bouteille, pour faire subir le même sort à ce pirate. Mais tout cela avait été vain.
Il n'avait repris conscience que deux fois.
La première, pour se traîner hors de la cuisine, et constater avec horreur, le spectacle désolant du corps sans vie de Senhora Izabel, qui tenait encore la croix dans ses mains, couverte de sang. Il avait voulu hurler, pleurer toutes les larmes de son corps, et, saisi par la rage, revenir sur le pont pour tuer tous ceux qui avaient fait du mal à sa famille. Mais la soudaine fatigue entraînée par sa montée d'adrénaline, et la douleur, lui avaient fait de nouveau perdre connaissance.
La seconde fois, les derniers tirs de canons détruisant son navire l'avait ranimé. Il s'était agrippé de toutes ses forces à la première chose qu'il avait trouvée. Alors que tout s'effondrait sur lui, et que l'eau s'était peu à peu infiltrée, il avait profité de l'inondation, et du soutien offert par la porte de la cuisine, pour s'échapper via une ouverture faites avec l'un des tirs.
Mais à quoi bon avoir survécu à tout cela ?
Il ne restait plus rien du bateau qui devait l'emmener au Portugal. Certains cadavres étaient en train de flotter, et ne tarderaient pas à attirer les prédateurs voraces qui peuplaient les océans. Toute la charpente était éparpillée autour de lui, et le peu d'affaires qu'ils avaient emmenés avec eux coulaient pour disparaître dans les bas-fonds marins.
Cette porte, cette planche de survie, n'était là que pour prolonger son agonie. Senhora Izabel, Tito, Amaro... Ils étaient tous morts, et il n'avait absolument rien fait pour empêcher cela.
« Pardonnez-moi. Pardonnez... Moi... »
Matheus ne pouvait que murmurer ces mots, priant pour le pardon, alors qu'il savait déjà que l'Enfer l'attendait. Il n'y retrouverait sûrement pas sa famille, élevés au ciel dans ce carnage et cela l'angoissait d'avantage. Il était seul, et il le resterait.
Le jeune homme ne savait pas depuis combien de temps durait son déclin. Il avait froid, sa tête bourdonnait, alors que les flots le transportaient au grès de leurs caprices. Son agonie s'éternisait, et pourtant, il s'obstinait à rester sur cette porte en bois. Matheus était-il à ce point accroché à la vie, ou au contraire, était-il si faible que le simple fait de glisser pour se laisser couler lui demanderait trop d'énergie ?
Ses tourments cessaient peu à peu de lui tournoyer en tête, à mesure que ses yeux se refermaient. Bientôt, il rejoindrait le sommeil éternel qui lui était destiné :
« Homme... Mer... »
Des éclats de voix lointains étaient en train de lui parvenir. Ils n'étaient pas suffisamment puissants pour pouvoir lui faire ouvrir les yeux, mais assez pour attirer son attention. Matheus laissa échapper un dernier soupir :
« UN HOMME A LA MER ! »
Cette fois, la voix était plus proche. Plus forte. Elle fut rejointe par des dizaines d'autres, qui semblaient agitée, comme si les propriétaires étaient en train de courir, d'agir dans l'urgence. Impossible de savoir d'où est-ce qu'elles provenaient exactement. Et à quoi bon ? Matheus se sentait déjà attiré vers le fond marin, saisi au dos.
Du moins était-ce ce qu'il croyait. Mais le bruit des flots n'était plus aussi paisible et mécanique, comme si leur trajet était interrompu par une nage à contre-courant. Et ce qui l'avait attrapé par la chemise ne le tirait pas par le fond, mais au contraire, le soulevait de sa planche. Ses jambes quittèrent la mer, et se heurtèrent brusquement à un fond en bois, solide et froid.
Ses yeux étaient toujours fermés, mais Matheus comprit très vite que deux personnes venaient de le tirer de l'eau, et qu'il se trouvait maintenant dans une barque. Au milieu de cet océan, si loin des côtes ? Alors... Un navire ne devait pas être bien loin. Cependant, tout cela lui semblait bien vain. Survivre ne faisait plus partie de ses plans. Il s'en sentait incapable, aussi bien physiquement, qu'émotionnellement. Mais il était bien trop faible pour rejeter la main qui lui saisit le visage pour lui ouvrir la bouche, avant de poser deux doigts sur sa carotide :
« Malik... Est-ce qu'il va s'en sortir ? demanda une voix féminine.
- Laisse-le faire son boulot, Elena ! intervint brusquement une voix d'homme.
- C'est juste un gosse ! protesta ladite Elena. Désolée de m'inquiéter !
- Tu ne l'aides pas en le questionnant !
- Et vous, vous ne m'aidez pas en vous chamaillant. » gronda une troisième voix, plus proche, et semblant venir d'un homme plus âgé.
Matheus toussota, mais il était encore incapable d'ouvrir les yeux. Son corps tremblait, mordu par le froid causé par ses vêtements trempés. Son agitation prouvait qu'il était vivant, mais pour combien de temps ? Le jeune homme sentit la barque se déplacer, et entendit le bruit des rames claquer dans les eaux profondes.
Le trajet lui semblait plus paisible, maintenant qu'il était à l'abri, et que les passagers ne se disputaient pas. L'homme plus âgé, probablement appelé Malik, essayait de s'assurer qu'il allait bien, et lui murmurait à l'oreille des paroles rassurantes « ne crains rien, nous allons prendre soin de toi... »
Rien de tout cela ne lui parvenait vraiment.
Bientôt, la barque se stoppa. L'extrémité heurta quelque chose, et envoya une secousse. Un navire. Un plus grand navire. A bord duquel chacun des quatre furent hissés. Deux des individus l'allongèrent sur le pont, tandis que le troisième prit la parole :
« Il va s'en sortir. C'est une chance que nous soyons arrivés.
- S'il avait vraiment de la chance, s'exclama une voix féminine, lui et son bateau n'auraient pas été attaqué. Il n'en reste plus rien... Avez-vous vu d'autres survivants ?
- Non, avoua un membre de l'équipage. On dirait que c'est le seul. »
Cette phrase eut l'effet d'un coup de poignard dans la poitrine de Matheus. S'il n'avait même pas pensé au fait que, peut-être, ses sauveurs avaient pu récupérer d'autres rescapés, cette possibilité venait d'être définitivement anéantie.
Il avait vu Amaro. Il avait vu Senhora Izabel. Personne n'y avait échappé. Et visiblement, Tito non plus.
Immédiatement, il fut saisit d'un haut-le-cœur, et se mit à tousser en se retournant, afin de se mettre à genoux et prendre appui pour pencher la tête en avant. Il lui était encore difficile de distinguer ce qui l'entourait, mais le même homme s'approcha de lui, afin de lui mettre une main sur le dos. Le contact fit sursauter Matheus, qui se dégagea rapidement, et retomba sur les fesses :
« Je ne vais pas te faire de mal... murmura la voix. Ne t'inquiète pas. Je m'appelle Malik, et je suis docteur. »
Matheus secoua la tête, et cligna plusieurs fois des paupières, essayant de retrouver son souffle. Le dénommé Malik préféra ne pas s'approcher, tout comme les autres membres de l'équipage. Le jeune garçon leva alors la tête, les formes devenant plus nettes autour de lui. L'homme face à lui avait une barbe grisonnante assez impressionnante, et des cheveux bouclés en pagaille. Ses yeux marron le regardaient avec une certaine douceur, et Matheus ne put s'empêcher de lui trouver des points de comparaison avec le gros ours en peluche qu'il avait eu étant petit :
« Où... Où suis-je... ? finit-il par balbutier.
- T'as l'air d'avoir pris un sacré coup sur la tête, répondit Malik en ignorant sa question. Laisse-moi t'examiner d'abord.
- Non... Je... »
Matheus recula brusquement, et commença à faire un peu plus attention aux personnes qui l'entouraient. Tous étaient vêtus de pantalons débraillés, et de chemises sales, signifiant qu'ils voguaient en mer depuis un long moment. Il repéra cependant plusieurs femmes, tout comme il en avait entendu les voix. Mais elles étaient habillées exactement comme des hommes. Une femme noire, au crâne rasé et au regard suspicieux, tenait même une espèce de long fusil : un mousquet. D'ailleurs, en faisant un peu plus attention, il se rendit même compte que tous et toutes étaient armés jusqu'aux dents. Sabres, poignards, pistolets à silex.
Pris d'une soudaine révélation, Matheus se crispa, et leva les yeux au ciel, afin d'apercevoir le pavillon. Il n'avait pas été hissé, ce qui signifiait que ce bateau n'appartenait à aucun pays. Et en suivant le mat des yeux, le jeune garçon aperçut un long tissu noir, baissé. Il était bien incapable de voir ce qui y avait pu être dessiné, mais cela n'avait guère d'importance. Car il comprenait bien ce que cela voulait dire :
« Des... Des pirates... »
Exactement comme ces hommes. Comme ceux qui les avaient attaqués, et avaient abattus la seule famille qu'il ait jamais eut. Pris d'une peur panique, et de rage, Matheus se redressa brusquement en position assise, et recula en rampant jusqu'au rempart. Pourquoi ? Pourquoi avait-il échappé à la mort, si c'était pour être récupéré par de nouveaux tortionnaires ?
Inquiet, Malik fut le seul à tenter de s'approcher. Matheus remarqua qu'il boitait de la jambe, et la traînait assez difficilement. Cela ne le rassura pas pour autant, et il posa l'une de ses mains sur la rambarde en bois pour essayer de se relever. Trop vite, sa vue s'obscurcit, et il chuta de nouveau, les jambes flageolantes :
« Petit, commença Malik, ne force pas trop. Avec un coup pareil, ça peut s'aggraver. Depuis combien de temps es-tu dans l'eau ?
- Ne me touchez pas ! Laissez-moi ! Vous êtes...
- Oui, des pirates. » grommela une nouvelle voix.
Il y eut comme une vague de silence. Plus personne autour d'eux n'osaient discuter, alors que des bruits de pas se rapprochaient de leur groupe. Matheus tenta de se ressaisir, et releva les yeux. Deux hommes marchaient vers lui. L'un était blanc, avec les cheveux châtain virant au gris et le nez crochu, les yeux enfoncés. A son épaule, un petit singe le regardait avec curiosité, avant de pousser un piaillement.
Mais le plus imposant des deux était celui qui le devançait légèrement. Grand, noir, et de larges épaules, il était aussi mal rasé que ses compagnons, et arborait un impressionnant sabre à sa ceinture. Deux choses frappèrent Matheus : L'immense balafre qui lui barrait la joue droite, et le tricorne de capitaine qu'il portait fièrement au sommet de son crâne.
Matheus n'était pas habitué, et la surprise l'empêcha de protester, alors que le capitaine s'était approché pour se pencher vers lui :
« Nous sommes des pirates, répéta-t-il avec une voix grave et rauque. Et nous sommes aussi tes sauveurs. Un problème à ça, gamin ? »
Passé l'étonnement, le jeune garçon passa de la peur à la rage, et défia le capitaine du regard :
« Quelle différence ? Ce sont des pirates qui ont coulé le bateau, et tué ceux que j'aimais. Me sauver n'y changera rien.
- Nous avons secouru un homme à la mer. Le reste, ça ne dépend que de toi. Si tu veux retourner dans l'eau, plonge et va rejoindre Davy Jones.
- Alors pourquoi ?! hurla Matheus. Pourquoi je devrais penser que vous voulez m'aider, alors que vous êtes de la même espèce que ces truands ?! »
Il n'eut aucune réponse. A la place, l'homme lui attrapa le menton, et serra entre ses doigts. Matheus n'eut même pas la force de le repousser, alors qu'il l'examinait, de ses yeux noirs. Le capitaine lui fit pivoter le visage, comme s'il l'examinait sous toutes les coutures. Puis, il le lâcha :
« Laisse Malik s'occuper de toi. On verra le reste après. »
Mais alors que l'homme pensait se redresser, Matheus mobilisa ses dernières forces, afin de s'agripper à son col. Immédiatement, Malik tenta de l'attraper, tandis que l'homme au singe pointait déjà son pistolet sur lui :
« Recule, chien !
- Laisse-le, Ian, intervint le capitaine en posant sa main sur les poignets de Matheus. Le petit tient à peine debout.
- Vous... Vous... »
Matheus plongea son regard dans les yeux fatigués mais autoritaires de cet homme. Contrairement à RedEye Thomas, il n'y voyait ni mépris, ni excitation meurtrière. Juste de la curiosité, et de la sérénité :
« Vous n'avez peut-être pas ses yeux rouges... Ni son envie de me tuer... Mais vous êtes comme lui, au fond. Vous ne me tuez pas, parce que je n'ai plus rien.
- Des yeux rouges ? »
Un murmure s'éleva, parmi les autres pirates. Le nom de RedEye Thomas ne tarda pas à se faire entendre, mais étrangement, bien que Matheus s'attende à ce que la terreur ne fasse pas partie des tonalités, il entendit plutôt de la colère. Des grondements. Des soupirs de rage. Après tout, si les marins de son navire connaissaient la réputation de ce terrible pirate, alors il n'était pas étonnant qu'eux-mêmes en aient entendu parler :
« Alors c'est lui qui a fait ça, gronda Malik. Ce gibier de potence...
- On dirait bien, approuva le capitaine. Mais ça ne me surprend pas. »
Le médecin de bord eut un grognement d'approbation. Matheus, quant à lui, relâcha la pression sur le col du chef de bord. Celui-ci ne lui lâcha pas les poignets pour autant, et l'incita à se relever, tout doucement :
« Petit, je suis désolé pour ce qu'il t'a fait. Mais ici, tu n'es pas le seul. RedEye Thomas est un corsaire redoutable, qui ne laisse que peu de survivants derrière lui.
- Un corsaire ? s'étrangla Matheus.
- Eh oui, au service de Sa Majesté Anne de Grande-Bretagne. »
Alors ce monstre possédait des lettres de marque ? Et parce qu'ils avaient navigués sous pavillon portugais, il s'était allégrement permis de venir piller et tuer, sans craindre la moindre conséquence ? La rage qui l'avait habité quelques minutes plus tôt ne s'était pas dissipée, mais avait laissé la place à une incompréhension, et un sentiment d'injustice.
La pression sur ses mains se resserra, et Matheus recroisa le regard du capitaine :
« Petit... Comment est-ce que tu t'appelles ?
- Matheus.
- Ton nom de famille ?
- Je n'en ai pas... On n'a pas de nom de famille, à l'orphelinat.
- Je vois... »
Qu'allait-il devenir ? Si son envie de vivre avait disparu lorsqu'il était dans l'eau, elle était désormais revenue à vive allure. Matheus ne se voyait pas rejoindre les poissons maintenant. Pas alors que son bourreau était toujours là, quelque part, voguant sur les mers avec le sang de Senhora Izabel sur les mains :
« Tu as un endroit où aller ?
- Non, avoua le jeune garçon. Je devais aller au Portugal. Mais je n'ai plus rien à y faire. »
En tout cas, sans Senhora Izabel, il ne voyait pas vraiment d'avenir dans un pays qu'il ne connaissait pas, sans argent ni soutien. D'ailleurs, sans elle, ni Tito, ni Amaro, il ne voyait nulle part où se rendre :
« Tu n'as pas l'air de porter les pirates dans ton cœur, interrompit le capitaine. Mais je peux te proposer ceci. D'ici quelques jours, nous arriverons à La Havane. Nous pourrons t'y déposer tranquillement, et tu pourras aller où bon te semble. »
La Havane... Là-bas, il y croiserait des marins et commerçants de tous poils. Idéal pour se faire engager quelque part, et essayer de survivre. Et pourtant, Matheus ne parvenait pas à s'y faire. Ça ne ressemblait pas à ce qu'il voulait faire de sa vie. Ça n'y ressemblait plus :
« Et si... Si je voulais rester ? suggéra-t-il.
- Rester où ?
- Avec... Avec vous ? »
Il y eut comme un blanc, et Matheus se sentit soudainement très intimidé, regrettant immédiatement ses mots. Tout le monde le regardait d'un air interloqué, et il y avait de quoi, car après tout, le jeune garçon les avait quand même insultés, et avait tenté d'agresser le capitaine, sans grande force par ailleurs.
Cependant, le capitaine eut une réaction qu'il n'avait pas du tout envisagée.
Il se mit à rire :
« HA ! HAHAHAHA ! Un pirate ruine ta vie, et tu voudrais rejoindre les rangs d'un autre ?
- Je n'ai pas d'autre choix. » Matheus s'arma de courage, et insista « Je voudrais rejoindre votre équipage.
- Et aller à la Havane ne te plaît pas ? Si tu aimes la mer, tu pourrais te faire engager sur un navire marchand.
- Pour qu'il coule de nouveau ? Et puis... Ce n'est pas comme ça que je le retrouverai. »
Le capitaine resta un moment immobile. Puis, il lâcha les poignets de Matheus, et commença à tourner autour de lui, l'observant sous toutes les coutures. Le jeune garçon se sentit soudain mal à l'aise. Depuis qu'il était à bord, il avait sentis tous ces regards sur lui, mais se savoir étudié de la sorte l'embarrassa.
Finalement, l'homme s'arrêta de nouveau devant lui, et lança d'une voix forte :
« Ici, on ne s'encombre pas de bouche inutile. Si tu veux rester, tu devras montrer que tu vaux la peine.
- Mais... commença à protester Ian.
- Si j'estime que tu ne nous es d'aucune utilité, tu resteras à la Havane. Et surtout... »
Le capitaine se pencha en avant, et murmura à l'oreille de Matheus :
« N'oublie pas que nous sommes des pirates. Il n'y a pas de place pour les états d'âmes ici.
- Vous m'avez sauvé...
- Tout comme nous aurions pu te tuer si tu avais été sur notre chemin. Es-tu capable de continuer, en sachant cela ? »
Matheus se mordit la lèvre. Il ne voulait pas montrer son hésitation. Tout allait si vite. En à peine quelques heures, il avait tout perdu, et envisageait d'embrasser une carrière qu'il n'aurait jamais pu imaginer. Il ferma les yeux quelques instants, et inspira profondément. Senhora Izabel n'aurait jamais voulu qu'il devienne un criminel. Mais voilà, elle n'était plus là, et Matheus connaissait le responsable de sa disparition. Et la simple idée de le savoir vivant et impuni le rendait malade. N'était-ce déjà pas là une pensée criminelle qui commençait à l'habiter ?
Le jeune garçon rouvrit les yeux, et plongea son regard dans celui du capitaine :
« J'en suis capable.
- Très bien, alors on va faire un essai. Je suis le capitaine Scar Jack. Bienvenue à bord du Blue Moon. »
On est tout de suite immergé dans ton monde. L'action est géniale, les émotions aussi sont super bien transmises. On a vraiment envie de savoir la suite. Dès le début on comprend les conflits et des enjeux.
D'ailleurs je sens que j'aurais un petit faible pour Matheus
Bref, c'était un super début, je vais lire la suite de ce pas
Niveau point négatif je dirais que pour un prologue le texte me parait un peu long. Peut-être qu'il pourrait davantage s'apparenter à un premier chapitre...
Je comprends tout à fait et moi-même je trouve le prologue trop long. Du fait du gap temporel et de la mise en contexte, je voulais en faire un prologue, mais j'avais beaucoup de choses à dire, haha.
J'espère que la suite te plaira!