Dans une salle clairsemée de lumières, l'air résonnait des cris déchirants de la vie. Autour du lit de la reine, des silhouettes figées, témoins silencieux, retenaient leur souffle.
Le roi, le visage impassible malgré l'orage qui grondait dans ses yeux, observait sa reine se tordre sous l'assaut des contractions. Ses mains étaient crispées sur le pommeau de son épée, et les conseillers détournaient parfois le regard. La douleur, comme une lame acérée, fendait le silence oppressant, et l’air était saturé de l’odeur métallique du sang.
Puis, dans un hurlement atroce, l’enfant fut arraché du ventre maternel, couvert de sang et de larmes.
— C’est un fils, votre Majesté, dit une servante en enroulant le nouveau-né dans un linge.
Le roi, ébahi, n’en croyait pas ses yeux.
Une naissance dans l’Empire. La première depuis de nombreuses années.
On coupa le cordon ombilical et l’enfant fut déposé dans les bras de sa mère. Les servantes épongèrent le sang et aidèrent la reine à se soulager de tout substrat maternel.
A petits pas, le roi se rapprocha de sa femme et déposa sa main sur son front en sueur.
— Nous avons réussi, dit-il. Alma, nous l’avons fait.
La reine n’avait d’yeux que pour son fils
— Que la nouvelle se répande ! reprit le roi auprès des conseillers. Que tout l’Empire sache que le royaume de Vinsille a donné naissance à son héritier, le dernier-né de l’Empire !
— Oui, votre Majesté.
— Omael, dit la reine. Voilà le nom que je lui donne.
Le roi se retourna vers elle et déposa sa main sur le crâne de l’enfant.
— Omael …
Au comble du bonheur, il fit les cent pas.
— Vinsille est capable de l’impossible, et nous l’avons encore prouvé aujourd’hui ! Je me gausse d’avance en imaginant la réaction de l’Impératrice. Et de ces enflures à la Capitale !
La reine le suivit des yeux, épuisée par son accouchement, et câlina son enfant.
— L’humilité est une vertu, devant ce vaste monde, dit-elle.
— Nous sommes les seuls acteurs de notre propre félicité ! Vous ne devez pas en douter …
Il se pencha vers elle pour embrasser son front avec une infinie tendresse.
— Notre lignée ne s’éteindra pas … Je suis fière de vous, ma femme …
Alma ne dit rien.
Le bébé chercha déjà du bout des lèvres le sein maternel. Ses petites mains s’agitèrent et s’enfuirent du linge pour chercher son office sur la poitrine de la reine.
Le roi se figea d’effroi en voyant la main droite de son fils.
Déformée, immonde, inhumaine.
— Qu’est-ce ?
— Votre Majesté, ce n’est qu’une simple malformation, dit le médecin, votre fils miraculé est en parfaite santé du reste.
Le roi recula pourtant, effaré. Le bébé sentit la tension monter dans l’air et se mit à pleurer, malgré les câlins de sa mère. Elle fixait son époux, alors dépourvue d’émotion.
— Une simple malformation ? répéta le roi. Personne ne doit savoir cela ! Personne ne saura ! Aucun prince de Vinsille ne possède de telle … immondicité.
Écoeuré, noyé par la colère qui remplaça toute joie, le roi s’agitait dans la chambre comme un tigre en cage.
— Notre fils est en parfaite santé, répéta Alma.
Le roi croisa alors les yeux bleus de sa reine. Énigmatiques comme toujours, leur lueur ingénue possédait un fond inaccessible. Une confiance parfaite, issue d’un contrôle total. Malgré toutes ces années de mariage, le roi était parfaitement conscient qu’il n’avait jamais pu accéder aux véritables pensées de son épouse. Mais cette fois-ci, il lit à travers son âme, et ce qu’il vit l’effraya plus encore que la main de son fils.
— Alma … Qu’avez-vous fait ?
Le regard froid de la reine, chargé d’une tension sourde malgré son apparence calme, troubla le roi et éveilla chez-lui une profonde angoisse. Il s’enfuit alors de la chambre pour épargner à tous le spectacle de sa colère.
* *
L’annonce de la naissance du fils prodige de Vinsille se répandit dans tout le royaume, puis dans tout l’Empire de Poléneïs qui n’avait pas connu de nouvelle naissance depuis des années.
Le même jour, dans les campagnes, une petite fille bien loin de toute la politique courait dans le champ en fleurs. Sa mère n’était pas loin. Le printemps s’était installé depuis peu et avait fait naître mille couleurs aux vertes plaines.
La fillette aux boucles blondes tomba sur une fleur magnifique et voulut, comme tout enfant, la mettre dans ses cheveux. Mais au moment de la cueillir, un givre se répandit sur ses pétales et glaça son cœur. La petite fille prit peur et sa mère la souleva du sol dévoré par le froid.
Tout autour d’elles, le givre se répandit comme un feu de forêt. Les fleurs multicolores se cristallisèrent toutes et devinrent un camaïeu de bleu. Des arbres, les oiseaux prirent leur envol en abandonnant leurs oisillons incapables de s’envoler. Des taillis, les sangliers, les biches et autres bêtes s’enfuirent à toutes pattes. La mère, elle, courut jusqu’à sa chaumière pour mettre sa petite à l’abri. Le grand frère parti pêcher arriva à son tour les mains vides.
— Maman ! La rivière s’est gelée d’un coup ! Ma canne à pêche est restée coincée ! On a pourtant passé l’hiver ! Que se passe-t-il ?
— Ne pose pas de question ! Barricadons la maison, il ne faut pas que ce froid terrible n’entre !
Ils firent rentrer leurs chèvres et leurs poules dans la maison, placèrent des tapis sur les fenêtres et les murs, et nourrirent l’âtre avec plus de bois. Puis, ils se serrèrent tous les trois près du feu alors que le blizzard balaya la campagne à l’extérieur. Ses hurlements frappaient la maison et terrifièrent la petite fille. Pour la rassurer, la mère chantonna une berceuse.
N’aie pas peur ma fille,
N’aie pas peur mon fils,
Le froid ne nous touchera pas.
Il n’est que de passage,
Et la peur ne nous atteindra pas.
Nous tous, en demeurant bien sages,
Enlacés près d’un grand feu,
Survivrons à la tempête,
Et nous resterons heureux.
Aucun d’entre eux ne pouvait sortir de la maison, car jamais le blizzard meurtrier ne s’interrompit. Tous les champs furent décimés par le gel.
D’abord, ils purent manger les œufs des poules et boire le lait des chèvres. Mais les poules stressées ne pondirent plus, et une à une, la mère les cuisina. Les rations étaient maigres à chaque repas et ils économisaient au maximum les récoltes. Mais les chèvres avaient faim, et elles ne firent bientôt plus de lait. Leurs viandes servirent à nourrir les enfants, mais arriva le jour où la famille mangea son dernier grain de blé.
La tempête n’était pas calmée.
— Je vais chercher de l’aide ! On ne peut pas rester ainsi ! proclama le fils.
— Non ! C’est trop dangereux ! Je t’en supplie ! dit la mère.
Mais le courageux jeune homme partit et il ne revint jamais.
— Maman … J’ai si faim …
— Tiens bon ma chérie, tiens bon …
Les jours de famine s’enchaînèrent et la mère, trop affaiblie, mourut.
Puis un beau jour, le blizzard s’arrêta.
La fillette amaigrie, seule, quitta la chaumière macabre, et respira l’air froid et pur. Elle erra dans l’épaisse neige à la recherche d’un autre survivant.
Tout autour d’elle, elle ne reconnut pas les champs où elle avait pris l’habitude de crapahuter. Certains arbres avaient été déracinés. Le craquement des déchets végétaux ponctuaient ses pas. Des plaines blanches. Un ciel blanc. Un calme absolu. Elle n’avait aucune idée d’où aller. Elle suivit la rivière comme lui avait appris son père de son vivant. Les poissons étaient prisonniers sous la glace et figés comme dans un tableau. La petite fille avait faim et voulait les attraper. Elle se mit à quatre pattes contre la glace, et la glace se brisa, emportant l’innocence dans son impitoyable courant.
Cet Hiver si soudain gangréna tout l’Empire de Poléneïs et jamais l’on ne revit le printemps.
Évidemment, en lisant ce début, on veut la suite !
C'est une très bonne base qui est posée, avec assez d'éléments pour donner goût au récit ( la malformation, le soudain hiver...).
La première partie, agencée à la manière d'une pièce de théâtre, rend bien dans son contexte, celui du roi ayant un ascenseur émotionnel, de la bonne nouvelle passant à la malédiction (comme dans un conte).
La deuxième partie est bien écrite, mais un peu trop subite de mon point de vue. Il manque de descriptions et, ou, d'actions. Je me suis retrouvé à hausser les épaules lorsque la mère est morte, il me semble nécessaire de donner les impressions de la fillette pour les transmettre au lecteur.
Une simple remarque, parce que je suis un peu maniaque, lorsque "les poules stressées" sont évoquées, j'userais plutôt du mot "angoissées", plus français. Ce n'est pas une faute en soi et peut être laissé ainsi.
Là n'est que mon avis, bien sûr, et le premier jet de ce début reste encourageant. Je suis curieux de lire la suite, bonne continuation !
Je prends note de tout cela pour ma réécriture !
Mais cela porterait la mère en tant qu’outil et risquerait d’éclipser le rejet de l’enfant (son mauvais départ, donc), au profit de la détresse de la mère. J’aime la scène telle qu’elle est, la chute émotionnelle est renforcée par la tournure.
En sommes, à toi de voir !
Je crois qu'il y a un bug dans la matrice, ou une fausse manip quelque part... bref, jolie couverture en tout cas mais le texte est fort bref, ce fut vite lu mais c'est frustrant, un peu, quand même. XD