Prologue

            Alors que la lune projetait son éclat sur les terres endormies, un individu téméraire bravait l’ascension de la plus grande des montagnes. Ses pas étaient lents et mesurés. Il n’avait fait aucune pause depuis son village et était certain de sentir ses articulations sortir de leurs logements. Mais malgré tout, il continuait à gravir les pentes escarpées et les passerelles à demi effondrées.

Il devait arriver à temps.

C’était son devoir.

Déterminé comme jamais, il escalada un rebord de roche sans se soucier du précipice qui s’étendait à trois pas de lui. Passé cet obstacle, il s’octroya une courte pause et déboucha sa gourde. Elle était quasiment vide, mais cela non plus, n’allait pas le freiner. Il but les dernières gouttes tout en observant le panorama qui s’offrait à lui.

En face de lui, à plusieurs milliers de lieues s’étendait une immense chaîne de montagnes, serrées les unes contre les autres, faisant rempart aux plus violentes des tempêtes. De là où il se trouvait, il pouvait voir le manteau neigeux qui recouvrait tous les monts et les bourrasques de vents glaciales qui soulevaient les couches les plus légères.

Son regard dévia vers ses pieds bottés et le sol poussiéreux, parsemé de gravats. Il passa alors une main gantée sur celui-ci et sentit très vite la chaleur naturelle qui s’y dégageait.

‘Il n’y aura jamais de neige sur ce mont, même s’il se dresse beaucoup plus haut que les autres.’

Malgré cette chaleur qui s’intensifiait au fur et à mesure de sa montée, l’individu ne se sépara pas de sa pèlerine. Elle lui avait été remise à la fin de son cursus, il y tenait beaucoup.

Il se remit enfin en route. Il ne lui restait plus que quelques longueurs avant d’arriver à destination.

‘Pourvu que j’arrive à temps…’

Alors qu’il gravissait les nouveaux pans de montagne, il sentit brusquement la température chuter. Et subitement la lune, pourtant si imposante ce cycle-ci disparu en un battement de cil.

Le noir total enveloppa alors l’individu, encore suspendu dans le vide.

‘Qu’est-ce que… Non !’

Haletant d’angoisse, il parvint à atteindre le rebord à tâtons et se hissa sur la nouvelle plateforme.

Il se releva d’un bout et commença à courir.

D’ici, il connaissait bien les lieux. C’était son prédécesseur qui avait taillé les marches et les parapets pour atteindre le sommet sans encombre.

L’air qu’il déplaçait ne sécha pas la sueur qui le maculait. La soif et la faim lui troublaient la vision, déjà amoindrie par la disparition de la lune. Cependant, il ne faiblit pas.

Il était en retard.

L’escalier, creusé dans la montagne, le mena rapidement vers une nouvelle plateforme, creusée elle aussi dans le sommet.

Elle était aussi vaste qu’un palais et était protégée des vents violents par des pans de montagnes bruts, montant à plusieurs pieds de haut. Au fond, deux grottes lui faisaient face.

Quand il déposa enfin le pied sur la zone, un léger tremblement le fit tressaillir. Soudain, une voix grave et profonde s’éleva de l’une de celles-ci :

-Tu es en retard.

L’individu, essoufflé par sa hâte, s’avança jusqu’au milieu de la zone.

-Je, j’ai fait au plus vite… Je suis navré. Il est…

Des bruits de mouvements s’élevèrent dans la noirceur de la grotte gauche.

-Il a poussé son dernier soupir il y a peu.

Anéanti par la nouvelle, l’individu se laissa tomber lourdement sur ses genoux meurtris. Il plaqua ses mains sur le sol et des larmes commencèrent à se mêler à la poussière.

-J’ai failli ?

-Non. Ça vient de commencer, regarde donc les cieux.

L’individu s’exécuta promptement et ne vit rien d’autre que les ténèbres.

-La lune a disparu, c’est…

-C’est notre dernier voyage, notre dernier combat. Bientôt, très bientôt tout sera fini.

La voix profonde émit alors un long gémissement empli de douleur et de mélancolie.