Prologue

Par Elka
Notes de l’auteur : L'autrice s'excuse pour la couverture pas terrible. Mais elle vous souhaite une bonne lecture.

Liv pédale à toute vitesse sur le chemin caillouteux. Les vibrations remontent le long de ses bras tendus, de ses mains crispées sur le guidon. La sueur lui coule dans le dos et, si le soleil se heurte à la visière de sa casquette, le monde devant elle baigne dans une éblouissante lumière blanche. Il fait très chaud aujourd’hui, mais elle aurait pu en profiter. Elle aurait en profiter. Au lieu de ça, elle presse les pédales de toute la force de ses mollets, la gorge serrée et le cœur battant. Elle fuit, sans but précis. Elle fuit une image.

Ce n’est pas comme ça qu’elle envisageait la fin de son premier mois de lycéenne.

Elle finit par ralentir. Elle a tourné sur une route – un nom grandiose pour cette bande de terre cassée de nids de poules et de caillasse grosses comme des poings – qui coupe en pleine campagne. De tous côtés, les hautes herbes s’élèvent vers le ciel comme des poignards. Liv enlève sa casquette pour essuyer la sueur de son front et la remet en y fourrant ses cheveux pour libérer sa nuque.

Elle va devoir rentrer. Elle se sent stupide. Pourtant, sa trouille est réelle ; une vague nausée colle au fond de sa gorge et un frisson glacé court sous sa peau brûlante. Les pieds bien posés au sol, le vélo coincé entre ses jambes, elle pose maladroitement les coudes sur le guidon pour presser ses mains sur ses yeux.

Des fleurs rosâtres éclosent sur la nuit de ses paupières puis, presque aussitôt, le visage de Morgane. Son vrai visage, qu’elle a vu à la rentrée. Morgane a des pommettes hautes, un nez en trompette et une peau rose de bonne santé. Quand elle prend la parole en classe, c’est d’une voix assurée, comme son sourire. Liv l’apprécie, même si elles ne sont pas amies. C’est une camarade de classe agréable.

Depuis une dizaine de jours, elle lui trouve l’air patraque. Sa peau a pris progressivement la couleur du lait caillé, son regard se fait vitreux, ses expressions lointaines.

Liv est la seule à penser ça, au point qu’elle a arrêté de le signaler à ses amis. On commençait à la regarder bizarrement. Elle a commencé à avoir peur de voir Morgane, alors elle ne le faisait plus. Ces deux derniers jours, ça allait mieux.

Mais tout à l’heure, elle s’est laissée surprendre. Elle venait de détacher son vélo, prête à rentrer chez elle, quand la voix surprise de Morgane lui a fait lever la tête. Leurs visages se sont croisés.

Elle ne peut pas parler de « regard ».

Liv se redresse, les larmes aux yeux. Est-ce qu’elle a inventé ça ? Est-ce qu’elle devient folle ? Personne d’autre n’a remarqué la figure de Morgane, les yeux de Morgane ; personne.

Elle décide de rentrer. La boule au ventre, l’esprit pas du tout éclairci par ce détour en bicyclette qui lui a pourtant toujours fait du bien, mais avec le besoin prégnant de retrouver sa chambre, son lit, et de s’abrutir devant des vidéos de chats.

Elle se force à pédaler plus doucement, ses muscles la piquent après l’effort fourni. Quand elle quitte le chemin terreux pour le macadam, des fourmis lui galopent encore sur les bras. Elle repasse devant des commerces et remarque l’attroupement au rond-point. Plus elle s’approche, plus elle se dit qu’elle ne devrait pas.

Pourtant, elle va jusqu’au bout, elle fait comme si elle n’entendait pas l’ambulance, comme si elle ne remarquait pas l’air horrifié des gens, comme si on n’essayait pas de lui dire de reculer. Elle finit par descendre de vélo, mais un policier l’arrête d’une main ferme sur l’épaule. Sans réfléchir, sans reconnaître sa propre voix, elle utilise la phrase magique :

— Je la connais.

C’est bien la fille qu’elle a rencontré à son entrée en seconde, mais son corps est tordu, son visage comme fendu par un filet de sang. Ses cheveux sont devenus rouges et poisseux, ses yeux révulsés sont coincés dans un écarquillement paniqué.

Il faut un temps infini à Liv pour réintégrer son corps, pour retrouver le contact du guidon sous ses paumes moites, de la chaleur étouffante sur sa peau, du verre qui lui tapisse la bouche, de ses yeux qui la brûlent. Un temps infini avant que ses jambes ne se dérobent et qu’elle se détourne du cadavre ensanglanté de Morgane en criant.

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Olek
Posté le 08/10/2020
Eh ben ! Quelle entrée en matière !
J'espère que la suite sera un poil plus gaie tout de même ^^
(la couverture n'est pas si terrible que ça)
Un plaisir de revenir te lire, Elka !
Elka
Posté le 08/10/2020
Coucou Olek, ça me fait très plaisir de te voir ici ! Merci ♥
Un poil plus gaie... C'était pas l'idée ahaha Mais j'espère que ça ne te plombera pas le moral pour autant.
Merci pour la couverture, je la changerai peut-être quand même parce que plus je la vois et plus je... meh.

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