Prologue

Par Alixxx
Notes de l’auteur : Bonjour à tous, voici le premier jet d'une histoire qui me trotte dans la tête depuis quelques temps ! J'en appelle à votre indulgence pour cette première écriture... :)

Trois ans plus tôt

 

  La pointe humide du feutre noir remplit avec une précision confinant l’art la case du dernier QCM.

  Corentin regarda, presque avec fascination, l’encre briller un instant sur le papier, avant de sécher, absorbée. Avec une étrange sensation au creux du ventre, il déposa son stylo à côté de sa grille, d’une lenteur toute calculée, comme s’il s’agissait d’un geste solennel, et arracha enfin son regard de son sujet.

  Les têtes penchés sur leurs copies, deux mille autres étudiants planchaient dans un silence absolu, si ce n’est les froissements précipités des feuilles retournées, les toux intempestives qui s’élevaient de temps à autre, le grattement infime d’un stylo griffonnant à la hâte quelques notes, ou le grincement de la table bancale d’un élève qui crissait à chaque fois que ce dernier s’appuyait dessus.

  Un étrange sentiment l’envahit. Toutes ces bulles individuelles de concentration formaient un silence presque terrifiant sur le vaste hall de Villepinte. Le travail de toute une année - voire de deux pour les plus tenaces - se jouait en quelques heures de concours.

  La dernière épreuve touchait cependant à sa fin. Un soulagement presque irréel envahissait le garçon. Une musique s’éveillait en lui, tocsin signant la fin d’une période intense de son existence. Il ne se lèverait plus à 6h tous les matins pour se coucher tard dans la nuit; rythme de vie qu’il maintenait depuis plusieurs mois. Qui l’épuisait. Les valises qui tombaient devant ses yeux prouvaient assez son manque de sommeil. Ah médecine, quand tu nous tiens…

  La fin de cette épreuve sonnait le début des vacances. Vacances rêvées, espérées, fantasmées, presque. Son cerveau pouvait à présent relâcher les bribes d’information en tout genre qu’il accumulait depuis septembre. Autant de détails qu’il lâcherait dans la nature avec autant de plaisir qu’un enfant qui découvre un oeuf de Pâques. Les glycosaminoglycanes, les ostéoclastes de 100um, les tests de Fisher, les étapes de la glycolyse en aérobie… Tout pouvait s’échapper.

  La voix grésillante d’un micro le fit soudain sursauter.

-Il vous reste une minute!

  Aucune agitation ou cri de protestation ne s’éleva; néanmoins, la frénésie silencieuse s’accentua. Corentin se sentait serein. L’angoisse ne l’avait pas éreinté au moment d’ouvrir le sujet. Tout juste une légère tachycardie. Un doux sentiment de calme et de paix l’avait envahi, bien que l’anxiété ne l’ait pas quitté toute l’année. Il savait qu’il avait fait le maximum pour réussir. Autant de soirées sacrifiées, de copains perdus de vue, de journées entières passées sous l’ombre de son bureau et de ses livres. Il savait que le but qu’il s’était fixé ne souffrirait aucun divertissement, et il s’était donné à corps perdu dans ce torrent de travail qui avait failli le noyer, négligeant les autres et se négligeant lui même, mordu d’une féroce volonté pour parvenir à son objectif, quoi qu’il lui en coûta.

  Il ne sortirait pas complètement indemne de cette année post-bac…

  Sa grille noire et blanche s’étalait devant lui, impeccable. Il lui parut étrange que ce damier détenait le pouvoir de le faire passer en deuxième année de médecine. Un billet codé, une transcription basée sur la cinquantaine de questions qui brillaient sur le papier… Il essayait de se convaincre que l’issue de toute sa vie ne débouchait pas sur les résultats de ce concours. Qu’il le repasserait si l’échec le piégeait, que ce n’était pas un drame.

  Et pourtant…

  Il ne supporterait pas de recommencer une année comme celle ci. Une année axée 100% sur le travail, à refouler les dimensions sportives, artistiques, affectives et sociales sur le bas-côté. Il savait que la PACES avait éprouvé une fibre qu’elle avait failli briser.

-Posez vos stylos et levez vous, l’épreuve est terminée! rugit la voix du micro.

  Un concert étourdissant de raclements de chaise détruisit en un instant le silence opaque qui pesait depuis une heure sur le gigantesque hall. Plusieurs étudiants, depuis les tables individuelles assignées à chaque concourant, cherchèrent des yeux la tête familière d’un camarade, pour partager silencieusement, à l’aide de mimiques forts communicatives, leur avis à propos de l’épreuve.

  Corentin, lui, restait les yeux dans le vague, hermétique à ces soudains partages collectifs de ressentis. Ce hall grouillait d’inconnus, pour lui. Cette première année de fac acharnée ne l’avait pas foncièrement aidé à sympathiser avec de nouvelles personnes, le travail occupant tout son temps. Tout l’année, il était reparti de l’amphithéâtre sitôt le cours magistral achevé, et détestait passer ses journées à la BU - la bibliothèque universitaire - préférant de loin le travail solitaire chez lui. De surcroît, son arrivée dans cette fac parisienne avait été menée par dérogation, et aucun de ses amis du lycée ne l’avait suivi.

  Le constat de sa solitude lui rendit un sourire doux amer; il fréquentait la fac depuis un an et il ne connaissait personne. Sa tendance naturelle à la discrétion et sa timidité ne formaient pas non plus des atouts hors pairs pour se tourner vers les autres. Ce cruel manque d’amitié et de complicité l’affectaient bien plus qu’il n’aurait aimé. Sa solitude occasionnait à bien des égards des craintes et une souffrance difficilement supportables.

  Les surveillants passaient, affairés, dans les rangs, et leurs mains habiles s’empressaient d’empiler avec soin toutes les grilles.

  L’agitation des étudiants, tenus de rester à leur place pendant le comptage des copies, atteignit son paroxysme au bout de quelques minutes d’attente. Un doublant, la table juste à côté de Corentin, porta les mains à sa bouche et s’écria d’une voix de fausset qui perça très bien les rumeurs silencieuses qui ébruitaient peu à peu le calme:

-Allez là! Accélère!

  Dès lors, le relai fusa, et seules les menaces des surveillants ramenèrent l’ordre. Un ordre précaire.

-Ssssssselection! siffla un autre doublant, à l’autre bout du hall.

  Des rires se répercutèrent dans tout le hall, et ce déluge joyeux et irrépressible tenait en échec les malheureux surveillants qui tentaient encore de l’endiguer. On fit appel aux menaces, aux ramassages de carte d’étudiants, de sanction; mais rien ne parvenait à stopper cette marée de liberté qui jaillissait de tous les sourires, de toutes les exclamations. C’était fini.

  Fini.

  Et soudain, alors que Corentin ne pouvait s’empêcher de penser que tout, au contraire, commençait, un coup d’une brutalité inouïe lui tordit la poitrine, le laissant pantelant sur ses jambes, les doigts agrippés comme des serres sur le rebord de sa chaise. Haletant, il baissa la tête, tenta de maîtriser son mal, priant pour que personne ne remarque cette faiblesse inattendue. Son corps tout entier tremblait sous cet assaut violent. De brusques sueurs froides lui coulèrent le long du dos. Il ne voulait pas s’afficher, pas maintenant, pas devant tout le monde.

  Néanmoins, la douleur ne s’arrêta pas là. Revenant à la charge comme un taureau enragé, elle l’irradia tout entier, le percutant de vagues déchaînées. Un voile noir obscurcit son champ de vision tandis que, sous les cris de stupéfaction des étudiants proches de sa table, ses jambes vacillaient; il se vit tomber avec un détachement presque inquiétant, son menton heurta quelque chose, et, alors qu’il lâchait prise, les ténèbres l’engloutirent.

 

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B1anca
Posté le 25/10/2020
Alixxx ! j'ai adoré ! Que se passe-t'il ensuite ?!
Je dois faire une dissertation pour vous le faire savoir... j'ai apprécié les références biologique et la souffrance des études (....... hahahah...ah...ah..........ah)
J'ai hâte de savoir le rapport avec le tigre de la couverture ! Est ce qu'il se transforme en tigre ? ou en chat adorable comme votre photo de profil ?
Avez vous une fréquence de publication ?
:) Bonne journée <3
Alixxx
Posté le 25/10/2020
Bonjour B1anca, merci beaucoup pour ce gentil commentaire ! Les félins dans mon récit sont plutôt typés manticores que jolis chatons... J'espère publier toutes les semaines ! J'ai vraiment hâte de lire votre histoire <3
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Posté le 25/10/2020
Bonjour !

Un prologue intriguant. L'ambiance des études de médecine est posée !
Je ne peux pas vraiment donner d'appréciation pour le moment, j'attends de lire la suite.
Une petite chose à remarquer : la fin sonne un peu "cliché". L'expression "les ténèbres l'engloutirent" pourrait être remplacée par une phrase un peu plus originale. Pourquoi pas en rapport avec la médecine ? Tu as déployé quelques connaissances dans les premiers paragraphes, dont tu dois t'y connaître - ce qui n'est pas mon cas. Peut-être que ton protagoniste peut faire une analogie avec les phénomènes biologiques qui conduisent à la perte de conscience ? A toi de voir, mais il y a du potentiel de ce côté ^^

A bientôt !
Alixxx
Posté le 25/10/2020
Oui c'est vrai que c'est une formule toute faite, je vais essayer de trouver quelque chose de plus original et pourquoi pas oui tourné vers la physiopath de la syncope ;) Merci pour ton commentaire!
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