Prologue

Notes de l’auteur : J'espère qu'entrer dans la tête de Nicolas restera un plaisir : attention, si vous recherchez de la joie, du bonheur et de l'humour, ce n'est pas ici qu'il fallait venir !
Bonne lecture !

Ce matin, je me suis éveillé perturbé, hanté par des souvenirs, noirs et tristes, desquels j'avais réussi à me détacher. Hier encore il ne demeurait d'eux que des bribes, des miettes éparpillées que j'avais cachées sous le tapis de ma conscience. Il ne me reste que le visage fané d'une enfance brisée et la réminiscence d'un rire cristallin qui fait vibrer mes tympans.

Aujourd'hui, tout est là : ténèbres mélancoliques et joyeuses clartés.

Hier, j'ai parlé avec Suzanne. Je lui ai tout avoué : mes erreurs, mes colères, mes haines. Néanmoins, elle n'a rien pu comprendre. Par amour, elle me donnait sans cesse raison. Par amour, elle me pardonnait. Peut-être y a-t-il, dans les événements passés, quelques injustices. Peut-être puis-je me plaindre de quelques mots et de certains regards, mais je sais que je n'ai pas de raisons valables de le faire. Je suis mauvais, je rends mes proches malheureux ; mon absence crée leur joie, je l'ai compris des années auparavant. Je suis certain que Suzanne elle-même, qui m'aime tant aujourd'hui, me haïra demain.

 

Elle est partie hier chez ses parents. Il faudrait que je l'appelle pour ne pas la perdre.

 

Le café est froid. C'est elle qui y pense normalement.

Le silence est tout aussi froid et je prends conscience que la présence de Suzanne me permet d'être bien, de ne plus penser. Seulement, elle n'est pas là, elle m'a laissé réfléchir. Elle ne sait pas qu'il suffit de quelques heures de solitude pour que je sombre.

Ma famille est baignée dans le désespoir ; je le suis tout autant. Voire plus.

Pendant quelques minutes, je laisse le téléviseur allumé mais les programmes ne me plaisent pas. Il n'y a que la répétition infinie d'une même vanité, et l'inconscience de chacun me trouble davantage. D'où leur vient leur bonheur ? Pourquoi tous ces gens sont si naïfs ? Pourquoi dois-je désespérer de tout tandis qu'ils rient de rien ? J’éteins.

Reste le silence.

 

Le facteur est toujours passé tôt. Il me semble que les nouvelles ont, depuis ma naissance, tendance à arriver trop vite. Chaque fois que j'ai du courrier, il n'y a que des publicités et des prospectus, parfois ce sont les impôts. Tous, mais plus encore ces derniers, dès le réveil, me rappellent l'omniprésence de l'argent dans notre société, et l'absence de nouvelles venant de ma famille me rappelle mon esseulement.

Lorsque j'ouvre la boîte, je n'y trouve qu'une grosse enveloppe. Elle me fait penser à ces paquets qu'on voit dans les films, qui contiennent de la drogue ou de l'argent. Je la prends, suspicieux. Je ne reçois jamais de lettres ; peut-être la Poste a-t-elle décidé de toutes les regrouper ?

Je lis :

 

3 a. des P. à M.

Fanny Mauron

 

Je relis. Il s'agit bien de ma petite sœur, partie depuis cinq ans, sans prévenir, sans que je n'eusse une seule nouvelle.

J'ouvre.

La lettre est longue.

Elle pue la cigarette.

Pire.

Elle pue l'aigreur future d'un drame.

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C. Kean
Posté le 18/11/2020
Hello Elie ~
Dès qu'il y a quelque hantise, ça a tendance à attirer mon attention. Alors si en plus ça se fait de façon épistolaire, c'est parfait !


Je me suis fait quelque remarque au long de ma lecture que je te transmets d'entrée de jeu, comme ça on en parle plus :

« Il ne me reste que le visage fané d'une enfance brisée et la réminiscence d'un rire cristallin qui fait vibrer mes tympans. » : Cette phrase m'a fait sortir de la cohérence du « ce matin je me suis réveillé hanté » alors que « hier encore » il ne demeurait que des bribes puis « aujourd'hui » tout est là. Cette phrase tombe au milieu de tout ça et au présent, si bien qu'on ne comprend pas si c'est aujourd'hui qu'il ne reste que le visage fané ou si c'était hier encore. Et si c'est aujourd'hui ce n'est pas logique avec la phrase paragraphe suivante : « Aujourd'hui, tout est là : ténèbres mélancoliques et joyeuses clartés. »

« Néanmoins, elle n'a rien pu comprendre. » : néanmoins formule assez inutilement l'idée qu'elle n'a pas pu comprendre, le reste de la phrase se suffit et aurait plus d'impact sans cette précaution de langage.
Puis ça casserait un peu ton rythme de phrase bi-phasée sur ce paragraphe : néanmoins, blablabla. Par amour, blablabla. Hier, blablabla. Si on y entend le poids de la lassitude du personnage, ça peut rapidement devenir caricatural si le dosage est trop fort.

« Elle est partie hier chez ses parents. » : je me demande si c'est bien nécessaire de redire « hier ».

« Ma famille est baignée dans le désespoir ; je le suis tout autant. Voire plus. » : cette phrase me gêne un peu. Elle semble tomber de nulle part.


Tu n'as pas menti, la joie n'a pas été invitée à l’inauguration de cette histoire ! On sent le marasme affectif et intellectuel dans lequel est englué Nicolas. Tout ce qui l'entoure semble faire épreuve pour lui, et comme il n'a plus l'énergie nécessaire pour l'épreuve, cela devient des impossibles, des murs infranchissables entre lui et le monde. Peut-être aussi entre lui et lui-même dans une certaine mesure. Puis y a peut-être un tout petit trou dans le mur, disons, la vulnérabilité du mur : la fente de la boite au lettre. Le truc fait pour laisser passer un petit bout de quelque chose du monde qui est toujours une agression pour Nicolas, et là, sans doute s'en est une aussi, mais il y a quelqu'un de l'autre côté. Ce n'est pas l'agression d'un système qu'on subit, c'est l'agression de l'autre et de la rencontre.
Elie Langroi
Posté le 18/11/2020
Merci beaucoup pour ton commentaire !

Je note toutes tes idées ! C'est vrai que je remarque, maintenant, que ça peut prêter à confusion... La première chose qui lui rappelle tout ça est la conversation avec Suzanne... Puis la lettre vient confirmer cette réminiscence. Mais ce mélange entre matin/hier/aujourd'hui brouille trop la compréhension ! Je vais voir comment faire.

Oui... Tous les mots de liaison sont là pour montrer son côté universitaire et bien carré. Mais avant de poster je me suis aussi dit que ça pouvait finir par donner une lourdeur ! Si je peux en supprimer, je suis d'accord avec toi, ça ferait du bien.

Je note tous les autres faits relevés avec attention !

Merci pour ta lecture attentive ! Tu as su voir le côté désespéré et profondément englué du personnage, ce qui est déjà une très bonne chose.
Attention néanmoins puisque le roman n'est qu'un tiers épistolaire. Une grande partie est narrative (j'espère que ça te plaira).

Merci encore !
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