La nuit empestait la chair brûlée. Hélas, on ne peut pas s’arrêter de respirer lorsque l’on manie un marteau de guerre. L’arme de Cassandra décrivit un large arc de cercle autour de sa tête et percuta les côtes de son adversaire dans un craquement sinistre. Il recula de plusieurs pas, le souffle court, l’air surpris, et s’écroula au pied d’un genévrier enneigé.
La sergente inspira profondément, ce qui manqua de la faire vomir, puis s’avança pour prêter main-forte à ses camarades. Ils se battaient en sous-nombre. La victoire était loin d’être acquise.
— Courage soldats ! Pour l’Erellie ! Pour la reine !
Elle fit un pas à gauche et frappa. L’attaque rata sa cible mais la força à reculer, libérant Glenn de l’une de ses assaillantes. Le colosse à la peau brune n’eut pas besoin de plus pour enfoncer sa hache dans le crâne de sa deuxième ennemie. Celle-ci tomba à la renverse tandis qu’une nouvelle ombre prenait sa place.
Cassandra jura. Elle ne s’était pas attendue à rencontrer autant de pillards et ses troupes payaient chèrement son erreur. Comme une promesse funeste, le cadavre de Victoria rougissait déjà la neige à quelques mètres d’eux. Gravement touchée par une flèche au début du combat, la guerrière au visage diaphane s’était jetée sur leurs attaquants pour laisser le temps à ses compagnons d’atteindre un repli rocheux. Les cinq soldats restants n’avaient plus à craindre de contournement grâce à elle. C’était un premier pas, mais il leur en faudrait plus pour triompher. Beaucoup plus.
Deux traits sifflèrent dans le dos de la sergente et frappèrent une bandite sur sa droite. Celle-ci recula en gémissant, obligeant deux de ses camarades à l’imiter et offrant un peu de répit à Arya, qui peinait à les contenir derrière son bouclier. Pendant que cette dernière reprenait son souffle, Cassandra s’élança à la poursuite de ses adversaires en criant aux deux archers derrière elle.
— Couvrez-nous !
— Avec plaisir, répondirent en cœur les jumeaux avant d’ajouter, on ne voudrait pas que vous preniez froid.
Des éclats de rire résonnèrent dans la nuit, puis deux flèches fusèrent vers les brigands. Ils levèrent leurs boucliers pour s’en protéger, oubliant un instant les guerrières devant eux. Ce fut suffisant. Le marteau de Cassandra brisa le poignet d’un bandit, puis fracassa le genou de l’autre dans un bruit sec. Il hurla brièvement, jusqu’à ce qu’Arya lui transperce la gorge et le réduise définitivement au silence.
La sergente eut une nouvelle nausée. Elle ne comprenait ni cette bataille ni cette violence, et encore moins l’entêtement de leurs adversaires. La plupart des pillards ne restaient pas dans les villages qu’ils ravageaient, et les quelques crétins qui le faisaient en profitaient pour célébrer leur victoire, pas pour tendre des embuscades. Ils n’avaient rien d’autre à y gagner que la mort. Pourtant, et malgré leurs grimaces apeurées, ils continuaient inlassablement à venir les affronter.
Une flèche à l’empennage rouge ricocha sur le plastron d’acier de Cassandra. Elle l’ignora pour se concentrer sur la ligne de front, déviant la pointe d’une lance et écrasant les doigts de sa porteuse. Les Erelliens devaient tenir et escompter que leurs archers abattent suffisamment d’ennemis pour les obliger à battre en retraite. C’était un plan désespéré, mais ils n’en avaient pas d’autres. Afin de ne pas laisser le moral de ses soldats diminuer, la sergente vociféra à pleine voix.
— Tenez bon ! Vos ancêtres vous guident !
— Nos ancêtres nous guident !
La clameur résonna dans la montagne et la bataille reprit de plus belle alors que chacun luttait pour sa survie.
Peu à peu, Cassandra sentit la détermination de leurs opposants s’émousser. Ils avaient beau être nombreux, ils manquaient d’expérience et d’équipement face aux troupes de choc du royaume. Si les Erelliens se débrouillaient bien, ils pourraient s’en sortir. Un sourire se dessina sur son visage à cette idée, les siens méritaient de voir le jour se lever, puis disparu lorsqu’un cri de ralliement retentit dans la nuit. Les renforts ennemis arrivaient.
Tout en repoussant l’attaque d’un brigand, la sergente vit deux cavaliers charger Glenn. Il faucha le cheval du premier, mais ne put esquiver la seconde qui transperça sa cotte de mailles et enfonça sa lance dans son épaule. Il recula de quelque pas, déstabilisé, puis saisit la hampe de son adversaire et, dans un cri de rage et de douleur, projeta violemment sa propriétaire au sol. Il abattit ensuite sa hache sur elle et, dans un même mouvement souple, la releva afin de faire face à son second opposant, tout juste dégagé de sa monture agonisante.
Celui-ci hésita, conscient que les blessures du colosse ne l’empêcheraient pas de le massacrer, et jeta un regard aux ténèbres derrière lui. Rien ne l’interdisait de partir. Ils n’attendaient que cela. Hélas, retenu par une incompréhensible logique, il ne recula pas. Il fit même un pas bravache en direction de Glenn quand une flèche l’atteignit à la gorge, et ne réalisa son erreur que lorsque les prunelles déterminées du soldat des plaines croisèrent les siennes. Il le taillada de part en part, insensible aux coups qu’il recevait en retour. Puis, à l’instant où le bandit cessa de bouger, il s’arrêta à son tour, lâcha un dernier râle sinistre, et s’écroula dans la neige.
Cassandra sentit son cœur se serrer. Leur ligne était rompue. Ils étaient perdus.
Comme pour lui donner raison, une cavalière s’engouffra dans la brèche laissée par Glenn et chargea les archers Erelliens sans que la sergente, aux prises avec deux nouveaux lanciers, ne puisse les aider. Le reste lui parvint en une suite de bruits confus : le claquement sec d’une corde, un hennissement paniqué, un cri de douleur, un hurlement d’agonie, les sanglots d’un jeune homme à jamais privé de sa sœur.
Lothis rejoignit la mêlée quelques instants plus tard, une estafilade sanglante sur la joue et les yeux encore embués de larmes. Il tenait dans sa main droite une dague de jet et, dans sa gauche, la lame courte que lui avait offerte sa jumelle pour leur anniversaire.
Hélas, les trois survivants ne pouvaient plus l’emporter. Il ne leur restait qu’une chose à faire : alerter le royaume. Les prévenir de l’existence de ces pillards, de leur étrange motivation, et éviter à d’autres de finir comme eux.
Grâce à l’aide de l’archer aux cheveux bouclés, Cassandra brisa la mâchoire de l’un de ses opposants et força l’autre à reculer. C’était l’ouverture qu’elle attendait.
— Replie-toi Arya ! Ordonna-t-elle en balayant l’air de son marteau. Nous devons évacuer Lothis !
En dépit de son chagrin et de sa fureur, le jeune homme agile était celui qui avait le plus de chance de s’enfuir.
— Bien, sergente, répondit la soldate en parant une attaque, j’arrive dès que je me suis débarrassée de ces deux-là.
Aussi pressé de l’aider que de se venger, Lothis envoya une dague en direction de ses adversaires. Elle se planta dans l’épaule de l’un d’eux, le perturbant assez pour permettre à Arya de lui enfoncer le tranchant de son bouclier dans les côtes. Il recula en titubant, ce qui obligea son partenaire peu motivé à en faire de même. La soldate en profita pour venir se placer devant ses compagnons.
Résignée à ne pas voir le jour se lever, elle inspira profondément, resserra la main autour son écu, et fit un pas dans la neige en criant.
— Pour l’Erellie ! Pour la reine !
La charge soudaine des survivants désorganisa les bandits et leur permit de tracer un chemin sanglant dans leurs rangs. À l’avant, Arya progressait sans s’arrêter, frappant et bousculant tous ceux qui s’approchaient. Derrière elle, Lothis terminait son travail en s’assurant que ceux qui n’avaient pas reculé à temps ne se relèvent pas. Quant à Cassandra, elle défendait à elle seule leurs dos et leurs flancs, s’échinant du mieux qu’elle le pouvait pour rattraper son erreur.
Les bandits finirent toutefois par se ressaisir et, au milieu des gémissements de douleur et des râles d’agonie, encerclèrent le trio au pied d’un vieil aulne.
Arya tomba la première, submergée par le nombre. Dans un ultime murmure, elle s’excusa de ne pas en avoir fait plus. Alors que sa camarade s’effondrait, Lothis lui adressa un sourire désespéré et se jeta dans la mêlée en vociférants, lardant avec fureur ceux qui avaient décimé sa famille. Au milieu de ses imprécations folles et des hurlements de ses victimes, Cassandra continua inlassablement à faire tournoyer son marteau de guerre. Elle ne cherchait ni à survivre ni à se venger. Elle refusait seulement de courber l’échine. Les Erelliens naissaient debout et le demeuraient jusqu’à leur mort.
Elle résista aussi longtemps qu’elle le put. Hélas, bien après que les cris de Lothis se soient tus et que ses larmes se soient taries, son arme glissa de ses mains épuisées et tinta sur les rochers enneigés. Aussitôt, les ombres se resserrèrent autour d’elle. Elle jura à mi-voix, dégaina sa dague et frappa rageusement la silhouette la plus proche. Elle n’abandonnerait pas si facilement.
Elle se retrouva sur le dos sans trop savoir comment. Le souffle court. Le corps à l’agonie. Alors que le froid l’envahissait, elle pensa à sa famille, qu’elle aurait aimé revoir une dernière fois, puis à ses ancêtres, qu’elle allait bientôt rejoindre. Elle espérait qu’ils ne lui tiendraient pas rigueur de son échec. Qu’ils lui permettraient veiller à leur côté sur sa sœur et ses parents.
Une ombre s’approcha d’elle, la main serrée sur fléau noir ensanglanté. Cassandra tourna la tête pour ne pas la regarder, elle ne lui offrirait pas ce plaisir, et laissa ses yeux se perdre sur les palissades du village pour lequel elle allait mourir. La silhouette brune s’agenouilla à côté de la sergente. Une ultime question lui traversa l’esprit. Qui sauverait Brevois maintenant qu’ils avaient échoué ?
J'ai beaucoup aimé ce prologue ! J'avoue que j'ai un faible pour les batailles qui finissent mal, avec la mort des personnages donc j'ai été servi. Tu maintiens l'espoir tout au long, on pense qu'il y aura un ultime rebondissement, mais non.
Cassandra est vraiment intéressante à suivre, on sent sa détermination et sa rage, ses motivations (ses subordonnés, le royaume), tu réussis à la rendre assez attachante en peu de temps.
Ce premier chapitre donne aussi envie de découvrir davantage ton univers. J'ai trouvé très intéressant d'avoir autant de personnages féminins dans le prologue, j'espère que ça sera toujours le cas par la suite.
J'attaque le premier chapitre !
Je n'ai pas l'habitude d'écrire des chapitres pareils, mais un prologue c'est aussi l'occasion de tester de nouvelles choses ^^
J'espère que la suite te conviendra aussi.
Bonne lecture !
Un combat qui décoiffe en introduction, un rythme soutenu et palpitant, nous entrons directement dans le vif du sujet et peu importe si l'on si perd un peu avec tous ces personnages, j'imagine qu' il sera bien temps de les découvrir par la suite. La fin de ce chapitre époustouflant ménage le suspense.
Une jolie découverte.
Merci pour ce retour. Je suis content de voir que ce début a plus. Il y a effectivement quelques passages qui mériteraient des éclaircissements.
À bientôt.
Je sais pas si tu te rappelles de moi, mais nous nous étions croisés aux Imaginales de 2021 :) Je suis ravie de te retrouver sur Plume d'Argent ! Ton histoire était dans ma PAL depuis quelques temps, et je m'y plonge enfin, navrée pour le délai
Et je dois dire que ce début décoiffe ! Il m'a fallu un petit moment pour situer nettement Arya et Lothis, mais en dehors de ça, ça se lit comme du petit lait, la scène d'action est super efficace, la fin tragique à souhait, ça donne clairement le ton pour la suite
Je n'ai pas grand-chose à ajouter à part que je croise les doigts pour Cassandre, forcément, ici on aime les marteaux de guerre et que je découvrirai avec plaisir le reste de ton univers qui s'esquisse ici
A très vite !
Je me souviens de toi (même si je ne suis pas sûr de correctement remettre les prénoms sur les visages ^^') c'était un chouette moment. Je me suis d'ailleurs un décidé à venir ici après notre discussion.
Merci pour ton retour, c'est toujours agréable pour motiver la suite de la correction :P
Au vue de tes remarques, je suis curieux de voir comment tu aborderas les autres chapitres.
À bientôt (et bonne lecture !)
Ton roman est une belle surprise. J'ai trouvé le pitch efficace, même si tu peux le rendre encore plus accrocheur.
Concernant ce prologue, on sent que tu maîtrise ton écriture et l'univers que tu as construit. Tu présentes beaucoup de personnages en même temps, ce qui peut faire fuir une certaine partie de tes lecteurs potentiels, mais si tu es sûr de ce que tu fais, je n'ai rien à redire là dessus.
Bravo à toi ^^
Merci pour ces retours !
J'ai passé pas mal de temps sur le pitch, mais effectivement il pourrait surement s'améliorer un peu. Sur PA, je suis un peu limité en caractère donc j'ai en plus du tronquer la fin. Si tu vas plus loin dans la lecture (ce que j'espère ^^), je serais ravis d'avoir des propositions de modification pour le pitch.
Bonne lecture.
Ce début nous met tout de suite dans l'histoire, et laisse présager des événements forts en rebondissement (je prépare d'avance les mouchoirs au cas où la faucheuse rend visite à certains personnages...). Je mets tout de suite dans ma pile à lire !
J'ai hâte de lire la suite !!!
Merci pour ce retour en espérant que la suite plaise autant !
Bonne journée.
C'est impressionnant ce prologue aussi radical ! ça ne laisse pas le temps de tergiverser et ça plonge directement dans ton monde et ses enjeux !
Ton premier paragraphe est très bien écrit et donne le ton ! J'ai eu plus de difficultés avec le début de la bataille (en particulier le premier paragraphe où tu parles de Glenn) car je ne savais pas toujours qui était qui. Et ton emploi des pronoms impersonnels (souvent féminins) m'a parfois un peu embrouillé.
Petit détail, le verbe "retraiter" n'existant pas dans le sens où tu l'emploies dans la phrase "Les Erelliens devaient tenir et escompter que leurs archers abattent suffisamment d’ennemis pour les obliger à retraiter." j'ai été un peu perturbé (par ailleurs, le reste de ton style est fluide et plutôt relevé).
Bref, voilà de quoi me donner envie de lire la suite (en espérant quand même que Cassandra ait survécu, car elle est attachante cette soldate au grand coeur, même si elle porte un prénom de mauvais présage) !
Je vais essayer de retravailler un peu ce début, il a l'air d'embrouiller tout le monde ^^
Je ne savais pas pour le verbe "retraiter", merci pour l'information.
Bien vu pour le prénom ! Tu es la première personne à le remarquer :P
Content que cela t'ai donné envie de continuer, j'espère que la suite te plaira aussi.
Eh bien, en voilà une façon pour le moins percutante de commencer une histoire ! La bataille est extrêmement bien narrée. Les termes techniques sont bien choisis et facilement compréhensibles même quand on n'y touche pas tous les jours. Les mouvements des soldats sont aisément visualisés, aussi. Si je devais trouver un petit bémol (en dehors de la tristesse de la chute, mais ça, c'est beaucoup plus subjectif), c'est peut-être qu'au début, la quantité de noms mentionnés porte un poil à confusion. Cassandra, Glenn, Arya, Lothis, Sonya... J'ai l'impression que j'en oublie d'autres. On finit par se repérer au fur et à mesure, mais au tout début c'est un tout petit peu laborieux. J'ai dû relire quelques phrases dans les premiers paragraphes pour être sûre de bien comprendre ce qui se passait, qui avait le dessus dans les affrontements, qui était mort, etc. Rien de dramatique, mais j'essaye toujours d'être au moins un peu constructive dans mes commentaires. ^^
Le fait que je sois aussi triste à la mort de tous ces personnages à la fin du chapitre-même où ils ont été introduits atteste pour moi de la qualité de la narration. Bien joué ! Néanmoins ça me laisse quand même perplexe. Est-ce que l'histoire disons principale va se dérouler suite à ces évènements, ou bien les précéder ? L'idée de savoir que tout va mal se terminer est un peu déprimante, même si c'est un parti à prendre tout à fait honorable. Si en revanche il s'agit d'un évènement qui va faire avancer voire déclencher le fil principal, alors pourquoi pas non plus. Après, j'insiste que mon affection pour les fins plus heureuses que malheureuses est purement personnelle, et si cette histoire est vouée à mal finir, alors ainsi soit-il. Mais dans ce cas il faudra s'attendre à mes lamentations larmoyantes tout au long de mes commentaires. xD
En somme, un prologue fort, qui pose aussi bien le style que les enjeux, et même une pointe de contexte. Le caractère digne des Erelliens même dans la mort n'est pas un détail négligeable, à mon sens. Et le fait qu'il soit atypique pour des pillards d'insister autant dans leur assaut me paraît être important aussi. Très bonne introduction, selon moi !
À bientôt pour la suite ! =)
Merci beaucoup pour ce retour détaillé, je suis soulagé de constater que les informations passent ^^
Il est vrai qu'il y a beaucoup de noms, il faudrait que je vois comment alléger un peu cela.
Je n'en dirais pas trop sur le ton pour le moment, mais si tu étais "triste" sur ce passage j'ai au moins réussi mon coup (désolé ^^')
A bientôt