Prologue

Par MarineB

La marée montante avançait à pas feutrés sur les grandes étendues sableuses du pays de Lavasse. Cette nuit n’avait pas de lune. Les nuages l’étouffaient de leur présence. Le bruit de la mer apaisait les cœurs les plus angoissés dans un bruissement répétitif. Les flots couvraient petit à petit les terres et dans ces ténèbres, l’eau devenait un liquide trouble et noirâtre. Elle prenait alors l’apparence d’une huile lourde venue définitivement s’engluer sur le paysage marin.

La course folle d’un jeune homme vint casser ce plancher lisse et aqueux. Chacun de ses pas affolés créait de larges marques circulaires qui s’étendaient jusqu’à s’effacer dans l’horizon. Son souffle rauque et court accompagnait le grondement de la marée. Ses traits tirés marquaient les jours de souffrance vécus et son regard pointait régulièrement vers ses arrières. Au loin, plusieurs voix s’entrechoquaient. Des cris enragés semblaient provenir de deux larges tours qu’on distinguait encore au loin. Malgré la nuit déjà bien avancée, le lieu était éveillé. D’autres voix se voulaient plus douces et concernées :

– Léo ! Léo ! Reviens ne fais pas ça ! hurlaient-elles en cœur.

Léobald n’avait cure de ces cris qui l’invitaient à faire marche arrière. Il était déjà trop loin.

Il sentait que ses pas étaient de plus en plus lents et l’eau glacée commençait à atteindre tout son corps. Courir lorsque la marée atteignait ses chevilles lui semblait être à sa portée. Maintenant qu’elle rivalisait avec le haut de ses genoux, Léo riaient nerveusement de sa naïveté.

– Tu vas mourir mon grand, chuchota-t-il à lui-même.  

Léo jura et continua d’avancer. Bientôt, les voix des deux tours s’adoucirent et prirent l’écho d’un lointain mirage.

Léo n’avait plus l’impression de bouger. Le ciel ne se distinguait plus de la mer et le silence vint se poser sur le jeune homme comme un couvercle sur une boite sans issu.

Léo sentit sa poitrice se serrer. Elle lui faisait terriblement mal. Il sentait à chaque inspiration ses poumons se déployer difficilement, comme les ailes d’un oiseau englué. La course fut plus laborieuse que prévu.

Fort de sa jeunesse, Léo se savait rapide. Il le fut lorsqu’il réussit à s’échapper ce soir-là, mais sa félicité fut de courte durée. Il avait à peine couru une centaine de mètres qu’il avait dû s’arrêter, le souffle court. Il s’était alors attendu à sentir le poids des nombreux gardes s’effondrer sur son corps chétif et le saisir.

Mais personne ne l’avait suivi.

Il comprenait maintenant pourquoi. Il était condamné. La marée montait et elle avait englouti ses genoux depuis plusieurs minutes à présent. Léo tourna frénétiquement la tête à la recherche d’un quelconque repaire.

Rien.

Il allait se noyer.

Il se frotta frénétiquement les yeux, comme pour essayer d’y voir plus clair dans cette cage obscure. Malgré la douleur de son torse, il leva haut les genoux et intensifia l’allure ignorant l’eau qui semblait vouloir l’inviter à une éteinte mortelle.

Il avança ainsi pendant un long moment et bientôt, la lune perça les nuages pour offrir au jeune homme une vision de son cynique destin. Au loin, Léobald vit plusieurs points lumineux orner l’horizon terne.

Fort-Erèbe était en vue. Et la capitale du pays de Lavasse était loin. Trop loin.

Léo sentit soudain une pointe lui traverser le corps et le déchirer de douleur. Il baissa son regard affolé vers son torse mais rien ne l’avait transpercé. La douleur était cachée en lui et elle continuait de lui écraser les poumons. Il se demandait qu’elle maladie était en train de le ronger depuis quelques temps maintenant. Comment atteindre Fort-Erèbe dans cet état ?

– Tu peux le faire hein Léo…tu peux non ?... dit-il dans un souffle.

Un éclair traversa le regard du jeune forgeron. Toujours tordu par la douleur lancinante, il tâta les poches de son pantalon puis celles de sa tunique. Il sentit une légère bosse près de son torse et laissa passer un rapide sourire sur son visage fin. Il ouvrit sa chemise et passa une main par le col et d’une poche habilement dissimulée, il en sortit un fragment rocheux.

Au creux de sa paume, Léobald observa l’objet. La pierre était lisse en son côté gauche mais semblait appartenir autrefois à un ensemble beaucoup plus volumineux. Sombre comme la mer de cette soirée d’équinoxe, elle apportait pourtant du réconfort au cœur désespéré du fuyard.

Léo sentit ses joues le brûler et son crâne se tendre. Il s’en était à peine aperçu mais il ne respirait plus depuis quelques minutes.

Alors que sa vue devint trouble, Léo prit la petite pierre et la posa contre son plexus.

Il sentit rapidement la chaleur de ses joues diminuer et la violence des battements de son cœur disparaitre. Léo se demanda s’il étant en train de mourir. Était-ce déjà trop tard pour compter sur ce fragment de pierre ?

Une fraicheur bienheureuse l’envahit et c’est alors qu’il sentit l’air glacé lui claquer le visage et écarter sa poitrine affaissée. Léo respira brutalement à plein poumon et la vigueur lui revint aussi rapidement que l’effondrement d’une lourde vague. La pierre semblait répandre en lui une eau fraiche et glacée pouvant soigner tous les maux.

Il décolla le fragment de son torse et le serra au creux de sa main, comme pour le remercier.

Délicatement, il le déposa dans la poche interne de sa tunique et reprit sa fuite désespérée.

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Erwel.le
Posté le 03/03/2023
Je trouve chouette de poser là quelques éléments qu’on retrouve ensuite dans l’histoire – cette mer omniprésente, cette pierre mystérieuse – j’ai supposé que c’était le même type de pierre que Harmas et son père façonnent. D’ailleurs je réalise un peu tard que l’illustration de ton histoire – c’est cette pierre ? (Est-ce que c’est toi qui a réalisé cette image ? Elle est chouette.)

Le fait aussi que cette pierre puisse soigner tisse (toujours dans mes suppositions) un lien avec le thème de la maladie du père d’Harmas… Bref, ça donne envie d’en savoir davantage pour la suite.

Je relève quelques articulations qui m’ont interrogé-e : Léo « riait nerveusement » (il y a une coquille de conjugaison) et juste après il jure – s’il rit, c’est qu’il a déjà compris qu’il était fichu, non ? Ou il rit d’autre chose ?
« il ne respirait plus depuis quelques minutes » : j’imagine que l’image, c’est qu’il respire mal ? Ou alors, vraiment, il ne respire plus ? Est-ce que c’est à prendre au figuré ou au sens propre ?
Il manque quelques virgules, par-ci, par-là, par exemple :
« Reviens, ne fais pas ça ! »
« intensifia l’allure, ignorant »
Il y a aussi des coquilles que je me permets de t’indiquer :
« sentit sa poitrine »,
« se demandait quelle »
« se demanda s’il était »

Merci pour ce prologue. J’ai hâte de retrouver ce Léo plus loin dans l’histoire !
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