Dans notre monde, il y a ceux qui naissent pour être des survivants et ceux qui permettent aux survivants de survivre, se disait Esther.
Elle faisait partie de la première catégorie.
Pas lui.
Prologue
Leur village était petit, du genre si petit qu’il était bel et bien noté sur une carte mais complètement illisible. Les voyageurs étaient rares, le plus souvent perdus. Ils séjournaient à la paroisse pour reprendre des forces et des vivres, puis repartaient le lendemain sur la bonne route, en espérant arriver à leur véritable destination. Esther aimait bien ces voyageurs. Ils amenaient toujours avec eux des nouvelles des grandes villes et de la capitale.
Comment ? Le maire a envoyé sa femme dans un asile ? Il faut dire que la pauvre commence à se faire vieille - bientôt trente ans ! - et n'est jamais parvenue à enfanter. Apparemment, cette impuissance à faire naître un héritier l’a rendue folle. Oh, et le baron le plus proche cherche à augmenter les taxes impunément ? Eh bien qu’il tente ! Et voilà qu’un prophète cherchait à attiser les foules pour saisir le domaine, mais bien vite les flammes de la révolution s’éteignaient et avec elles, les envies de révolte.
Bien sûr, Esther était encore trop petite pour comprendre. Le maire disait forcément vrai. Le dirigeant faisait sûrement ce qu’il jugeait bon pour les siens.
Comment cela aurait-il pu en être autrement ?
Alors quand tous lui affirmaient que ce petit garçon aux joues creuses et au teint gris était la progéniture du diable… pourquoi mentiraient-ils ? Il était toujours sale, tout marron de terre. Une fois, il s'était caché avec les chevaux et Esther ne l’avait remarqué qu’ensuite. À cause de son odeur pestilentielle. Il sentait moins bon qu’une vache, pire qu’un cochon. Ce qui était dégoûtant. Diabolique.
Les Hommes d'Église ne se prononçaient pas à son sujet. Ils agissaient comme si ce petit, qui jouait continuellement avec des cailloux, n'existait pas. Les adultes l’évitaient, ordonnaient à leurs enfants de ne jamais lui parler, les mettaient en garde : ce moins que rien te donnera des poux et des maladies. Je saurai alors que tu lui as parlé !
Esther se dirait plus tard qu’il avait certainement eu des poux pendant des années, et qu’Ethan avait eu de la chance d'échapper à la vérole et la peste. Sa mère ne l'avait jamais aidé à se laver lorsqu'il était tout petit. Il n'était jamais allé à l'école et, du fait de son manque certain d’éducation, il parlait très mal pour un enfant de son âge.
La mère d’Ethan… les parents d’Esther n’en parlaient qu’à voix basse. Quand ils faisaient ça, c'était parce qu’ils parlaient de manière méchante de leur voisine et qu’ils ne voulaient pas que leurs enfants le répètent à qui mieux mieux. Sauf que la mère d’Ethan n'était pas leur voisine. Elle était une inconnue, une image fantasque que la petite imaginait pourvue de cornes et d’une mâchoire aussi pointue qu'une défense de sanglier. Elle savait toutefois que le garçon n'avait pas de père. Ce qui n'était pas normal, aux yeux de tout le village.
Ce qui expliquait qu’il soit le fruit du diable.
Et qu’il serait toujours le fruit défendu d’Esther.
En tout les cas, cela me donne envie de lire la suite, ce qui est une très bonne chose ;)
A bientôt ;)
Hypatia.