An 195 du calendrier impérial, Baie d’Urû.
De hautes vagues blanches déferlaient sur les récifs déchiquetés de la Baie. Les violentes gerbes d’écume se fracassaient le long des falaises brisées.
Un vent puissant se déchaînait, grincheux et trompeur, déversant sa colère sur la terre. Les hurlements de la tempête vibraient au rythme de la mer en furie. Ils étaient les cris de la nature, les témoins de sa fureur. La pluie, torrentielle, s’abattait sans relâche. Chaque goutte d’eau était une larme de haine tombée tout droit du domaine des dieux vengeurs.
Au milieu des trombes d’eau, à peine visible, se dessinait une frêle silhouette. Dangereusement malmenée par la violence des éléments, courbée et titubante, la jeune femme tenait fermement son ventre arrondi entre ses mains. Son capuchon était rabattu en arrière par les bourrasques, son visage buriné ruisselait de perles humides, son corps tout entier vêtu de noir était trempé jusqu’à l’os. Elle avançait en trébuchant, au bord du précipice.
La fatigue creusait de profonds sillons sur ses traits, marquant sa chair comme la plus aiguisée des lames. Chaque pas était un supplice. Sa volonté s’érodait au rythme des vagues, un fil si ténu qu’il était sur le point de céder.
Il serait si simple de lâcher prise. Il suffirait de fermer les yeux, et le vent se transformerait en un ami bienveillant la guidant vers l’abandon.
Mais c’était impossible. Trop de choses restaient en suspens, trop de questions demeuraient sans réponses. Une vie entière vouée entièrement à la prophétie, mais cela n’était pas suffisant. Il s’était réveillé, et elle n’avait pas su l’arrêter. A présent il venait pour sa fille, pour l’embryon d’existence qui poussait en elle.
Elle ne le permettrait pas. Elle ne pouvait échouer. Pas si près du but.
Son corps était un bloc de souffrance pure, chaque pas lui demandait un effort surhumain, mais elle se força à avancer. Ses yeux étaient alertes malgré l’épuisement, scannant chaque recoin du sentier, scrutant par-delà la brume et le rideau de pluie, à l’affût de ses poursuivants. Elle pensait les avoir semés en s’aventurant dans la baie, mais elle sentait leur présence infâme et corrompue tout autour d’elle ; une puanteur rance reconnaissable entre toutes : l’odeur de la mort.
Le raclement des griffes sur la pierre troua les moqueries du vent ; suivi d’un hurlement qui déchira la nuit. Elle accéléra l’allure, tous les sens aux aguets, son cœur fier et sauvage terrorisé par l’ombre qui la poursuivait.
Il ne restait plus beaucoup de temps…si au moins elle pouvait tenir jusqu’à son arrivée !
Elle sentit soudain un liquide chaud lui couler le long des cuisses, et sa respiration devint plus saccadée encore. Pas maintenant ! Une puissante douleur la fit tomber à genoux. Tandis qu’elle ahanait sous l’effet des contractions, une haute silhouette se dressa devant elle.
Ce prologue que tu nous présentes est très bon, composé d'une sublime hypotypose de cette tempête, qui vient nous heurter jusque derrière nos écrans. L'usage du vocabulaire est à la hauteur à chaque phrase, dont j'ai particulièrement aimé lors de l'introduction (d'une vague), de l'état mental et physique du personnage. Je me suis senti emporté par ce début très prometteur !
Petite erreur de frappe, il manque le mot UNE ou LA ici : Une vie entière vouée entièrement à UNE/LA prophétie, mais cela n’était pas suffisant.
En tout cas merci pour ce beau texte, qui annonce une suite prometteuse.
Un grand merci pour ce beau retour!
Je suis tout à fait ravie que mon texte te soit aussi percutant, car cela m'indique que je parviens au moins en partie à donner vie à ce que j'écris :)
Ah oui en effet, je ne l'avais pas vue celle-là! Merci, je vais de ce pas rajouter le déterminant manquant.
Waw j'aime beaucoup ce début, il est très intriguant. Avec les mots puissants, on ressent la tempête de plein fouet, ainsi que l'épuisement la jeune femme.
Vraiment, c'est très accrocheur !
Merci merci pour ce tout premier commentaire, qui me va droit au coeur :)