"Il y a des fois où je me demande, papier, pourquoi lorsque je t'estropie ainsi j'éprouve aussitôt un succulent soulagement. Des os tu n'as même pas les lettres, je ne puis provoquer ton être, et pire encore après ma mort tu continueras de paraître. La solitude est mienne, papier, mais ton amitié et le livre qui te contient également : il y a bien longtemps que j'eusse sombré sans toi.
Qu'entends-je ? Que lis-je ? Qu'enlis-je ? J'ai l'air triste aujourd'hui ? Allons ! Mais regarde moi mieux ! Les yeux vides ! Ah ? Le teint pâle ! Mais non ! Les cheveux-nids-d'oiseaux ! Allons...
Tu vois en moi comme dans un ouvrage ouvert, pas vrai ? Un juste retour des choses, en somme. Oui, je suis malheureux ce soir : mon puissant ami et la belle sotte me manquent, l'un car voici dix années, l'autre parce qu'elle a empoché ma bourse et ma descendance, et qu'ayant promis de revenir avec une certaine plante "de Monsieur Durale" dans le but de calmer ses contractions, voilà deux mois que je suis perdu (et en plus Monsieur Durale a péri : au derrière les plantes...).
Qu'entends-je ? Que lis-je ? Qu'enlis-je ? Tu t'en moques comme de ta première goutte d'encre ? Tu vas voir, le papier ! Je te donnerai à mâcher aux ânes, tu périras ainsi des dents de ta famille ! Mais j'ai besoin de toi encore. Silence à présent ! Ma belle enchiardée m'attend !"
"Maman ! Maman ! Le héros du gros livre se remet à parler que de lui ! C'est trop nul ! Comment je vais au moment pour savoir si il sauve son amoureuse ?
-C'est là la meilleure partie, mon cœur. Personne n'est capable de faire une telle chose." La figure de raison ultime aux yeux de la jeune enfant vint lui caresser les cheveux.
"Il te faut être plus patiente.
-D'accord..." Puis, après avoir refermé le livre : "Dis ! Dis !
-Eh bien ? Petit être, le sanglier ne se cuit pas tout seul.
-Où sont Victoire et Papoune ?
-Dehors, Papa l'entraîne à l'épée.
-Hé ! Et moi ?!"
N'écoutant que ses trois pommes, la longue (tellement qu'elle en touche le sol) tempête de chevelure brune sauta du banc de la table pour se ruer en sautillant hors de la salle à manger. Aveuglée temporairement en sortant, son sourire rivalisa ensuite de lumière face au salut des habitants. On l'apercevait alors déambuler sur le sol poussiéreux de son village natal, autour des bâtisses terre-bois et des toits pailles, une bouille lacunaire de quelques dents, signes déjà d'une transition vers l'âge des grands. Pour l'heure, elle réchauffait le cœur de chacun contre la cruelle canicule.
À l'orée du village, devant la palissade boisée aux portes ouvertes et gardée par des sentinelles, un petit et un adulte échangeaient à l'aide de branches-épées, selon le plus jeune.
"Hé! Mais c'est Slip !" Fit l'enfant, engendrant un sprint de la nouvelle venue en sa direction.
"Plus jamais tu m'appelles comme ça !
-Bonjour ma pu..."
Mais une tempête de poussière tourbillonnait déjà de coups, un nuage furieux d'assaults d'ongles et de cheveux qui n'eût laissé de survivant sans les deux mains paternelles.
La vigie de son côté ne se laissait pas distraire.
"Attention ! Etranger en vue !
-Quoi ? Les enfants un peu de tenue, on vient !"
En face du groupe avait été repérée une seule personne. Se rapprochant, un jeune garçon est avisé par le père, porté par une femme qui tomba dans ses bras. Mais que différencie un être humain d'un caillou une fois l'humidité essorée jusqu'à la dernière goutte ? La poterie argileuse semblait un seul bloc, et ses larmes s'évaporaient sur ses joues craquelées.
"Madame ? Madame ! Tenez bon ! Zip, Victoire ! De l'eau, maintenant !" Il allongea la mourante, la délestant de l'enfant. Malgré tout, déjà son regard était au ciel.
"Pi...pitié...Occupez-v-vous de lui... Mon... Mon..." Elle inspira dans un ultime effort, et, avec un dernier coup d'œil propulsant toute la fierté qu'une mère pouvait avoir envers sa progéniture : "Mon Jean Lou."
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"Mais pourquoi t'as fait ca ?! Maintenant faut qu'on retrouve notre chemin pour en plus se faire punir !
-M'en fiche, il avait qu'à pas se moquer de mes parents.
-Les nôtres tu veux dire ? T'es trop gentil !
-Non ! Je parle des miens, j'aime pas ici !
-Jean Lou..."
Progressant dans l'univers du sombre vert et des longs troncs marron, Zip n'était pas encore parvenue, comme chacun au village, à ressentir une quelconque complicité avec le nouveau venu.
"Pff... J'aurais jamais du t'aider à les taper !
-T'avais qu'à pas ! Je suis le plus fort, j'ai pas besoin d'une brindille pour me soutenir !
-Ah ! Tu faisais moins le fier contre Papa !
-Il a dit que c'est parce que j'avais que 6 ans.
-Idiot ! T'en a 7, ca fait un an que t'es ici.
-M'en fiche ! Veut rentrer chez moi !"
Mais le ventre du jeune belliqueux n'était pas de cet avis. Sa compagne, connaisseuse de la flore, sélectionna une Oustroune toute mure, prête à rassasier de son énergie vivifiante.
"Tiens !
-C'est pas un fruit au moins ?" Et, sans attendre de réponse : "Mmmmh ! Ché po mal !
-Ben... Si ! Pourquoi ? T'aimes pas les..."
Depuis ce jour on nomme ce lieu "clairière du hurlement" : les arbres privés à jamais de leurs feuilles tremblent encore du son qu'aurait poussé une bête légendaire. Problème : la bête ne s'arrêtait plus de vomir comme si le fruit s'était dupliqué à l'infini dans son estomac.
"Mais qu'est-ce qui t'arrive ?! C'est trop bon normalement !
-Je sais-BLARGH !" À genoux, les bras en croix sur le ventre, le petit gémissait entre deux dons.
"Attends une minute... Comment ya autant de trucs ?! C'est toi qui a vidé notre garde manger !" Poussée par son sang désireux de répandre celui du voleur, une gerbe du crachat de ce dernier vint alors rendre visite au pied de la délicate.
"AH NON ! C'est dégoûtant ! Et ça pue, NOOON !
-ZI-BURP, AT-RAH ! PARS PAS !"
Mieux valait qu'il meure plutôt qu'elle subisse le châtiment de la mélasse non-digérée. Mais le temps ne l'entendait pas de la même oreille, bientôt le soleil et le champ de vision de la couarde prenaient leurs jambes à leurs cous. Retrouver le village : perdu d'avance.
"Bon, plus qu'à retrouver cet idiot dans le noir, et espérer qu'il n'est pas mort et qu'il ne me déteste pas plus enc-
-WAAH ! MABAN, BABA ! J'AI BEUR !
-Trouvé ! Mais, je rêve ou il chouine ? "
Se frayant un chemin en esquivant chaque racine malicieuse, les oreilles comme guides, c'est son nez à la fin qui lui indique bon porc : l'animal n'a pas bougé, et sous le clair de lune, dans son obscure mare trempe tout recroquevillé, donne à sentir le merveilleux mélange de la digestion larmoyée.
"Jean Lou, j'suis là !
-ZUIPE! D'ES OU ? Z'AI... Z'AI... BEZOIN D'UN GUALIIIN !" Son attendrissement n'atteignant pas la pitié, Zip considérait bien lourde l'épreuve récompensée par la sympathie d'un idiot. Elle prit la plus grande inspiration de sa petite existence, et la décision de s'oublier fille ce soir, pour se faire amie.
Elle se met sur les genoux, dans un bruit gluant signifiant tout, et plaque son ventre sur le dos du fœtus, les mains devant ses bras en croix. Rien, pour son plus grand désarroi, rien ne lui évoque au toucher la douceur. Une chance d'être dans le noir : elle s'imagine seulement baigner dans un ragoût ayant bien mijoté.
Mais il faut qu'une narine soit ouverte ou fermée : après que Jean Lou s'est relevé, elle rend à son tour. L'enfant roux s'agitait toujours, et après une quinte de toux, Zip reprend : "Là, Là ! Ba alors, le feu s'est éteint ?
-J'AI PEUR DU DWAR !" Le petit trapu éclata de plus belle en sanglot. "Non, j'ai fait tout ça pour rien !" se lamentait intérieurement la pauvre, dont le calme s'estompait petit à petit : Eussent ils été en milieu hostile, les enfants n'auraient pas tenu deux minutes sans se faire repérer. De plus, Zip le remarquait à mesure qu'elle le côtoyait, l'ordinaire s'éloignait de ce garçon : ses os tremblaient à une vitesse folle, sa voix projetée transformait les arbres en tronc d'hiver, les larmes changeaient terre en boue, bientôt forêt en marais : il fallait se dépêcher.
"JE BE BA BOUGER ! J'AI DRO BEUR !
-D'accord, d'accord ! Mais pitié arrête de hurler !
-DON! DON ! DOON ! BABA ! MABAN !" Il se tuait par le son au grand désespoir de la fillette, dont les battements de cœur accéléraient, pris d'une envie de faire larmoyer son propriétaire, de le faire courir le plus vite possible.
Cette histoire fut à l'origine narrée. Ainsi, elle a subi des modifications conséquentes.
"Jean Lou ! Regarde le ciel !
-MABAN! BAB-buh ? Oh... OH ! C'est beau !"
Comprenez par là que le récit d'un jeu de rôle n'a rien à voir avec celui d'un roman -on opposera ici des rigolades privées à des écrits se voulant compréhensibles et accessibles par tous-.
"Tu sais lire ? Moi non, j'aime pas les leçons.
-Aha ! Moi non plus !
-Sérieux?! On se mettra à côté alors, on se moquera de Victoire quand il répond !
-La brindille ? Ça tombe bien, j'ai du lui laisser quelques bosses !
-Ah non par contre ! Finies les bagarres !"
De plus, ce que vous allez suivre est issu de l'imaginaire de trois amis.
"Bah ha ha ! T'es couverte de vomi !
-C'est le tien, débile !"
Un lieu, personnage ou événement considéré comme réel n'est ni plus ni moins que le fruit de votre esprit tordu.
Sous cette nuit de lumière, tandis qu'après une joyeuse chamaillerie les enfants reprenaient leur route, se tenait une inscription qui ne s'estompa à tout jamais qu'au petit matin : VETUS RES - ************.
L'idée de reprendre le jeu de rôle est original, reste à voir comment tu vas réussir à écrire une histoire cohérente à partir d'une épopée entre amis (qui peut être plus ou moins sérieuse). Je salue le challenge en tout cas.
Quant à l'histoire en elle même, c'est un prologue donc il reste à découvrir la suite. Pour l'instant, tu nous dévoiles la vie de trois enfants, certainement tes futurs protagonistes. Le moment où Zip décide de surmonter ses sentiments pour aller rassurer Jean Lou est touchant et je trouve, bien écrit.
Hâte de lire la suite !