La nécromancienne, attirée par les relents acres de la mort, poussa la porte de la masure d’une main décharnée aux ongles longs et sales. Le battant pivota dans un grincement lugubre. L’unique pièce qui constituait cette humble demeure était plongée dans la pénombre. Seules deux petites lucarnes laissaient entrer la lumière blafarde d’un soleil masqué par le brouillard. Le feu dans l’âtre s’était éteint depuis bien longtemps et il régnait dans la pièce un froid humide qui collait à la peau. L’odeur de la mort imprégnait les murs, les meubles et les textiles. Elle avait attiré les quelques vautours perchés sur le toit. Ils attendaient avec impatience de pouvoir se repaître des cadavres en décomposition. Le ricanement des hyènes résonnait sur le plateau de la vipère plongé dans la brume. Les charognards étaient à la fête.
La sorcière repoussa la capuche qui recouvrait ses longs cheveux argentés. Elle plissa les yeux, creusant ainsi les profondes rides de son front qui témoignaient de son âge avancé, et pénétra dans la cabane. Ses pupilles se dilatèrent comme celle d’un chat et sa vue s’adapta vite à l’obscurité. Appuyée sur sa canne en noyer au pommeau sculpté d’une tête de bélier, elle fit quelques pas à l’intérieur. Son visage s’épanouit d’un large sourire lorsqu’elle posa son regard sur le grand lit qui constituait l’essentiel du mobilier. Quatre formes se découpaient sous les couvertures. Aucune chance pour que la vie ne les habite encore. Avait-elle trouvé ce qu’elle cherchait depuis si longtemps ?
L’excitation emballait les battements de son cœur alors qu’elle s’approchait avec appréhension de la couche. Elle poussa un cri de victoire lorsqu’elle perçut une infime part d’énergie vitale qui flottait encore dans l’air. Il fallait agir vite au risque de la voir disparaître. Avec précipitation, elle souleva la couverture et la jeta sur le sol de terre battue. Elle grimaça quand l’odeur fétide qui s’en dégagea envahit ses narines. Le matelas grouillait de vers blanc qui creusaient la chair de l’un des défunts. Sans doute la mère de famille. À ses côtés gisaient son mari et ses deux enfants.
Un battement d’ailes dans son dos fit sursauter la sorcière. Elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Un vautour se tenait dans l’encadrement de la porte et lorgnait les cadavres.
La nécromancienne palpa les corps. Celui de la petite fille était encore tiède. Elle cala sa canne contre les pieds du lit et, avec ses deux mains, au prix d’un gros effort, la chargea sur son épaule comme un sac de grains. L’enfant devait être âgée de quatre à cinq ans au plus. Elle avait sans doute souffert de la faim au vu de sa maigreur. La sorcière se saisit de son bâton et, cahin-caha, se dirigea vers la porte. Le charognard au plumage funèbre qui lui barrait la route ne bougeait pas d’un iota, la défiant du regard. Exaspérée et impatiente de faire ce pourquoi elle avait fait tout ce chemin au travers des monts brumeux, elle tapa le sol trois fois du bout de sa canne, et le vautour, assailli par de fortes douleurs, s’enfuit en poussant des cris stridents.
Elle se précipita vers l’extérieur et fit glisser, avec précaution, le corps inanimé de la fillette sur le sol. Un groupe de hyènes approchait en ricanant, la bave aux lèvres. Elle ferma les yeux et, de sa main libre, pointa la hyène la plus proche. Celle-ci, soudain prise de convulsions, cessa de ricaner pour pousser d’étranges cris de douleur et de frayeurs mêlés. La sorcière siphonna l’énergie vitale de l’animal jusqu’à son dernier souffle. Il succomba en quelques secondes et s’effondra lourdement à terre. Puis la sorcière lança sa main vers la petite dans un mouvement fluide, lui transmettant ainsi l’énergie vitale collectée auparavant.
Vidée, la nécromancienne s’effondra à genoux auprès du petit corps, guettant le moindre signe. Mais les yeux de l’enfant restaient désespérément clos et sa poitrine immobile. Dépitée, elle se laissa tomber à même le sol pour reprendre un peu de forces. Elle avait échoué. De rage, elle frappa le sol aride de ses poings à plusieurs reprises et s’écorcha profondément. Mais elle n’en avait cure. Elle avait passé des années entières à étudier les fluides vitaux. Elle maîtrisait à la perfection l’art de les siphonner. Pourquoi ne parvenait-elle pas à l’insuffler aux défunts?
Déjà, les vautours s’étaient introduits dans la masure et s’attaquaient aux carcasses de la famille. Une hyène approchait du corps de la petite fille. Elle reluqua la sorcière n’osant approcher encore trop près de son futur repas.
Cette dernière s’appuya sur sa canne pour se relever. Il lui fallait maintenant s’en retourner à Smadja. Il lui avait fallu trois bonnes heures pour grimper jusqu’au plateau de la vipère. La descente serait plus rapide, à moins qu’en cette fin de journée, la brume ne s’épaississe. Elle réfléchissait déjà à une nouvelle solution. Elle n’abandonnerait pas, persuadée qu’elle touchait au but. Peut-être devrait-elle faire l’expérience avec deux individus d’une même espèce ?
Elle en était là de ses réflexions lorsqu’un hurlement de terreur aigu perça le silence. Un cri humain. Elle se retourna prestement. La petite fille se débattait avec la hyène qui tentait de lui déchirer la gorge de ses crocs acérés. Une grande joie réchauffa le cœur de la nécromancienne. Elle avait réussi ! Elle entrevoyait déjà les pouvoirs que pourraient lui conférer un tel savoir. Elle remonta sa capuche sur sa tête et s’apprêtait à repartir, ragaillardie par son exploit. Pourquoi sauver cette orpheline d’une mort rapide ? Elle n’avait plus personne et finirait dans les caniveaux de Smadja, à mendier ou vendre son corps pour un morceau de pain. Elle serait la proie de prédateurs humains bien plus féroces, et ce pour le reste de sa pitoyable vie.
Mais elle pourrait aussi lui être utile vivante.
Elle s’immobilisa quelques secondes, hésitante, et leva son bâton. Cette fois il n’était pas question de transfert de fluide vital. La hyène s’effondra raide morte, comme frappée par la foudre.
J'aime beaucoup ton incipit. Il permet de donner assez simplement une ambiance très sombre en quelques mots et ça, c'est une grosse réussite ! (Nah, vraiment, je jamais sous estimer la première phrase)
Du coup, (je suppose que j'en saurais plus dans les prochains chapitres) j'ai l'impression que la nécromancie ressuscite complètement les morts au lieu d'en faire des sortes de zombis à la botte du nécromancien. Je trouve que c'est une approche intéressante, parce que j'ai l'habitude du méchant nécromant et de son armée de relevée.
Bref, je trouve ce début vachement intéressant !
Je suis une lectrice naïve et je ne savais pas vraiment ce qu'était une nécromancienne. Du coup, j'ai été un peu confuse de savoir si elle était vraiment attirée par les morts, parce qu'elle "grimace" à l'odeur fétide, alors que l'odeur semble l'attirer au début. Peut-être qu'au lieu de poser la question "avait elle trouvé ce qu'elle cherchait", tu peux en faire une affirmation, pour ancrer le personnage parce que tout de suite après on sait qu'elle est contente haha ! ça évite de prendre de la distance, fais nous plonger dans les délices putrides de cette vieille sorcière, on frissonnera de dégoût mais d'un frisson positif :-)
Ça va peut-être aussi un peu vite au moment du transfert des énergies, est-ce qu'on voit de la lumière, est-ce que ça sent la hyène grillée ?
Son double revirement de pensée est confondant aussi. ça fait un peu trop de yoyo émotionnel en quelques phrases. Peut-être qu'elle peut s'approcher de la petite vivante ce qui fait fuir la hyène, et lui laisser le temps de réfléchir si elle lui sauve la vie qu'elle lui a donné ou non ?
Et petit détail, mais le Plateau de la Vipère serait peut-être mieux avec des majuscules parce que sinon, en lisant la phrase j'imaginais un plateau avec une vipère mais comme celui qu'on amène au petit déj quoi…
En tout cas, mes retours ne doivent pas t'empêcher de continuer à écrire ton premier jet, ce sera pour peaufiner la réécriture si besoin. On a envie de lire la suite ! Bonne continuation !
PS : Je souris parce que j'ai lu ta nouvelle de Noël à Halloween et que maintenant je lis cette histoire en période de fête, j'aurais dû inverser haha !
Je me suis laissé surprendre par l'hésitation de la nécromancienne quant au fait de sauver l'enfant des griffes de la hyène. Après l'énergie qu'elle avait déployée à la réanimer, et sa déception devant ce qu'elle pensait être un échec, je ne m'attendais pas à un tel cynisme de sa part. J'ai hâte de connaître la suite.
Juste une toute petite remarque : je me perdais parfois dans les "elle" qui alternaient en faisant référence qui à la sorcière, qui à la fillette.