Sous un ciel flamboyant, un homme marchait le long d’une route filant à travers champs. Partiellement envahie par les mauvaises herbes et recouverte de terre, seul de larges ornières venaient rappeler un passé autrefois animé. L’homme avançait d’un pas hésitant, presque chancelant. Une branche de chêne en guise de bâton de marche venait lui éviter la chute lorsqu’il trébuchait sur les quelques pavés du sentier encore présents.
Il portait une longue tunique en lin grise et poussiéreuse ainsi qu’une cape brune à capuche. Avec de longs cheveux noirs, et une fine barbe, ses traits étaient ceux d’une personne âgée tout au plus d’une trentaine d’année. Et pourtant, l’épuisement de toute une vie se lisait sur son visage. Ses yeux d’un brun vitreux ne laissaient rien percevoir, et les regarder trop longtemps revenait à contempler un abime sans fond.
Une brise fraîche secouait la végétation environnante et venait déposer par endroits une fine couche de cendre formant un léger duvet grisâtre. L'individu s’arrêta un instant et se pencha pour ramasser une fleur d’un rouge éclatant que les cendres n’avaient su recouvrir. Sa robe vive rappelant la couleur du ciel contrastait parfaitement avec le teint terne de la vallée. Il la contempla longuement et l’espace d’un bref instant un éclat de nostalgie illumina son regard. Alors, subitement, l'iris de ses yeux devint écarlate et la fleur s’embrasa, fondant en cendres dans le creux de sa main. La couleur rouge s’estompa aussi vite qu’elle était apparue, redonnant à ses yeux leur aspect brun initial. Il jeta un rapide coup d’œil aux alentours puis se releva avant de se remettre en marche d’un pas plus pressé. Derrière lui, la lumière chatoyante du crépuscule venait inonder une cité en flamme.
Après plusieurs heures de marche, il finit par rejoindre une route pavée plus fréquentée et arriva bientôt devant un modeste village. Les quelques habitations qui s’y trouvaient étaient dans un état délabré et toutes les ruelles étaient désertes. Il ne croisa pas âme qui vive aux alentours. Malgré cela, il avait la désagréable impression d’être constamment surveillé. Il lui semblait que chaque fenêtre le dévisageait et que chaque croisement l’incitait à quitter l’endroit au plus vite avant que sa présence n’apporte de plus grands malheurs en ces lieux. Il continua sa route malgré tout et déboucha sur une place vide au milieu de laquelle se dressait un bâtiment un peu plus imposant que les autres ressemblant vaguement à une auberge. Comme le soleil était déjà couché, il s’y dirigea.
Presque entièrement construite en bois, l’auberge possédait une modeste écurie qui dut, en de temps plus glorieux, jouer le rôle de relais de poste. Il poussa la porte et pénétra dans une salle de restauration plus chaleureuse que ce que l’endroit laissait espérer. Un feu venait de prendre dans le foyer central, des tables rustiques étaient disposées de part et d’autre et une douce odeur de lard fumé flottait dans l’air. L’aubergiste, un homme jovial et bedonnant, était en pleine discussion avec une jeune serveuse derrière un comptoir fabriqué à partir de bois et de terre cuite. Celui-ci le remarqua, cessa sa conversation et l’accueillit aussitôt :
— Entrez donc cher ami ! Que désirez-vous ? Il nous reste encore des chambres de libre et des bouteilles de vins tout droit venus de l’ouest, un vrai régal.
— Juste un repas chaud, dit l’homme en retirant sa capuche laissant retomber ses longs cheveux noirs.
Il sortit deux pièces d’une bourse en cuir et les tendit à l’aubergiste.
— Certainement, répondit-il en prenant les pièces au passage.
L’aubergiste disparut derrière son comptoir en criant quelques ordres à l’attention des cuisines. Il réalisa alors qu’il était le seul client et prit place sur l’un des tabourets en bois à proximité du foyer. En inspectant la salle du regard, il remarqua que quelque chose n’allait pas. Certaines chaises manquaient, des tables semblaient avoir été enlevées et des caisses remplies de babioles diverses étaient grossièrement stockées dans un coin. Le premier venu aurait tout de suite compris que le village n’en avait plus pour longtemps. L’auberge et sa proximité avec la route semblait être la seule activité économique, et cette dernière était à l’agonie. Au bout de quelques minutes, une serveuse lui apporta une assiette de purée de fèves au lard avec une tranche de pain ainsi qu’un pichet de vin. Alors qu’il dégustait son repas, l’aubergiste se dirigea vers lui d’un air amical.
— Comme vous pouvez le constater, cet établissement n’accueille plus grand monde, j’espère que vous trouverez quand même le plat à votre goût. Puis-je vous demander ce qui vous amène dans ce coin perdu ?
L’homme le regarda avec confusion comme s'il ne s'attendait pas à ce que quelqu'un ne vienne lui adresser la parole. Il finit tout de même par répondre d’une voix terne et mal assurée.
— Je... Je cherche quelqu'un qui pourrait m’aider.
— Vous aidez ? Dans quel but ?
— Je n'ai plus la force de lutter, il faut que j'en finisse avant que... argh !
Assailli par une violente migraine, il se prit aussitôt sa tête entre ses mains en grimaçant.
— Holà ! Vous allez bien ? Vous devriez prendre une chambre pour la nuit si vous vous sentez mal. Elles sont toutes libres en ce moment, ajouta-t-il avec une once de dépit dans sa voix.
— Non, je vous remercie, mais je ne souhaite pas vous attirer des ennuis. Je partirais dès que j’aurais terminé mon repas, répondit l'homme plus calmement alors que la douleur disparaissait aussi vite qu’elle était arrivée.
— Comme vous voulez, si vous changez d’avis je serai au comptoir.
Alors que l’aubergiste s’en retournait, deux hommes en tuniques, glaives au fourreau et casque contre leurs épaules entrèrent dans l’auberge. Ils portaient une longue cape noire et une armure en bronze avec une large épaulette. Cette dernière avait un motif très spécial, elle arborait un visage triste pleurant une larme ayant l’allure d’une petite flamme.
Le premier homme paraissait assez âgé. Son visage était légèrement ridé et il portait une fine barbe grisonnante. Le second était beaucoup plus jeune et devait avoir dans la vingtaine. Tous deux avaient les traits éprouvés d’une longue journée de chevauchée. L’aubergiste, n’en revenant pas de ces clients inespérés, s’empressa de les recevoir faisant fi de leur allure cavalière et de leurs armes.
— Bienvenue messieurs, souhaitez-vous manger ou boire quelque chose ? La journée à dû être épuisante, nous avons des chambres libres si vous voulez passer la nuit au chaud.
–—Nous souhaitons tout d’abord de l’eau et de la nourriture pour nos chevaux, dit le garde le plus âgé. Notre compagnon les surveille dehors.
— Bien sûr, aucun problème, j’envoie mon fils les guider vers l’écurie où ils ne manqueront de rien. Will ! Cria l’aubergiste en se retournant.
Un adolescent joufflu, l’air un peu penaud, fit irruption dans la pièce.
— Va chercher les chevaux de ces messieurs et attache-les dans l’écurie, veux-tu ? Vérifie également qu’ils aient de quoi manger et boire pour la nuit.
L’adolescent acquiesça et il repartit aussitôt par la porte où il était arrivé. L’aubergiste s’adressa de nouveau aux visiteurs.
— Désirez-vous autre chose ?
Le second arrivant observait les environs pendant que son collègue bavardait avec l’aubergiste. Son regard croisa celui de l’homme assis près du foyer. Ils se fixèrent pendant plusieurs secondes puis, il fit un geste en direction de son camarade qui le vit à son tour avant de se retourner pour reprendre la conversation.
— Nous vous apportons également des nouvelles, dit-il avec un ton grave dans la voix. La cité de Silos n’existe plus, elle est encore en train de brûler au moment où je vous parle.
A ces mots, une bûche se rompit dans la cheminée venant accentuer le silence dramatique provoqué par ses paroles. L’homme écoutait la conversation sans rien dire depuis sa place au fond de l’auberge, il lui sembla que le feu dans le foyer se fit subitement plus intense.
— Vous plaisantez ! C’est impossible ! S’exclama l’aubergiste incrédule.
Voyant l’air sérieux et résolu des deux hommes, il comprit qu’ils ne plaisantaient pas.
— C’est impossible... Continua-t-il d’un ton abattu. Que va-t-il advenir de ce village ? Le marché de Silos était la seule raison pour laquelle quelques personnes venaient encore faire étape ici. Comment allons-nous nous approvisionner en nourriture à présent ?
L’aubergiste s’appuya contre un tonneau en essayant de reprendre son calme.
— J’ai tout quitté avec ma famille en rachetant cette auberge. Je pensais pouvoir la reconstruire et en faire un établissement renommé, sauf que les choses n’ont fait qu’empirer. À croire que ce village est maudit. Vous connaissez la cause de l’incendie ?
— Pas exactement, mais nous cherchons quelqu'un qui devrait certainement être en mesure de nous l’expliquer, répondit le garde le plus âgé.
Le feu se fit encore plus vigoureux et l’homme assis au fond de l’auberge posa sa cuillère. Il lui sembla distinguer une sorte de visage se formait progressivement dans les flammes. Un visage terriblement familier qui lui lançait un regard moqueur.
— Quelqu’un ? À quoi ressemble-t-il ? Vous avez des informations sur lui ? Vous savez, il ne passe plus grand monde par ici, bientôt plus personne si Silos n’existe plus. S'il est dans le coin, l'on devrait pouvoir le retrouver facilement.
— Il suffit de le regarder dans les yeux, il ne peut jamais dissimuler la lueur de rage qui l'anime, bien longtemps. Mais il se fait tard et de toute évidence, ce n'est pas aujourd'hui que nous mettrons la main sur lui. Il doit être bien loin à l’heure qu’il est.
En même temps qu’il parlait, son collègue s’éloigna discrètement jusqu’à se placer devant la porte d’entrée.
— Je n’en reviens pas, cette ville avait tout pour devenir un centre florissant...
— Il nous faudra partir demain dès l’aube, répondit le garde sans prendre en considération l’abattement de l’aubergiste. Pourriez-vous allez-vous assurer que nos chevaux ne manquent de rien et dire à notre compagnon de nous rejoindre ? Nous vous attendrons ici et nous vous achèterons de quoi manger ainsi qu’une chambre pour la nuit.
— Ne vous inquiétez pas mon fils s’en occupe.
— J’insiste, les routes sont longues et mal entretenues. Il faut que nos montures soient au meilleur de leur forme si l'on espère le rattraper.
Le ton de sa voix et son regard perçant firent comprendre à l’aubergiste que ce n’était pas une proposition.
— Je… hum, très bien. Je vais vérifier que mon idiot de fils s’en sort bien.
L’aubergiste sortit de la pièce non sans jeter un regard inquiet en direction des deux hommes. À peine eut-il disparu que le garde bloqua la porte qu'il avait emprunté avec une chaise en bois. Les deux individus se tournèrent alors vers l’homme toujours assis près du foyer.
— Qui aurait cru que nous le trouverons dans ce trou perdu, dit le jeune garde proche de la porte.
L’homme les regarda tour à tour sans comprendre. Le plus jeune avait du mal à contenir sa colère et semblait prêt à fondre sur lui à tout instant. Le second, plus réservé, n’en affichait pas moins une mine déterminée. Une autre bûche se rompit dans les flammes et il vit cette fois très clairement un visage féminin qui riait d’un rire moqueur et malsain.
— Cela fait trop longtemps que nous te traquons et ça ne peut plus durer. Tu as fait bien assez de dégâts comme ça, enchaîna son compagnon.
— Combien d’innocents ont péri par ta faute ? Continua le plus jeune. Combien d’enfants sont morts à Silos ? Qu’avaient-ils fait pour mériter leur sort !?
Ils dégainèrent leurs glaives et se rapprochèrent de lui avec précaution. L’homme se leva et leur jeta un regard insistant.
— Ce n’est pas ce que vous croyez. Arrêtez-vous là et je peux encore…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que tout se déroula très vite. Le jeune garde se jeta sur lui avec rage, glaive en avant malgré le cri de protestation de son collègue. Le feu dans le foyer doubla soudainement de volume et les flammes qui en surgirent s’enroulèrent sur l’attaquant qui se mit à hurler de douleur.
Le deuxième homme profita de la distraction funeste de son camarade pour lancer un coup d’estoc éraflant sa joue. Un léger filet de sang s’en échappa.
— Je le savais ! Dit-il en tenant son glaive à deux mains tout en reculant. Tu n’es pas un dieu, mais tu n'es plus entièrement humain n’est-ce pas ?
Pour toute réponse l’homme, dont les yeux étaient maintenant rouges comme la braise, forma une sphère avec les flammes restantes et l’envoya dans sa direction. Celui-ci l’esquiva en faisant un saut de côté et tenta de frapper de nouveau. La sphère s’arrêta et repartit en sens inverse le touchant au dos. L'homme contempla durant de longues secondes, d’un air absent les deux individus agoniser et hurler de douleur. Les flammes se répandaient rapidement dans l’auberge. Comme animées par une volonté propre, elles s’en prenaient à tout susceptible de les alimenter, des lattes du plancher au mobilier en bois. Elles serpentaient avidement dans la pièce sous le regard mi satisfait mi horrifié de leur géniteur.
Des coups frénétiques sur la porte qu’avait empruntée l’aubergiste le firent brusquement sortir de sa torpeur. Il se dirigea rapidement vers la sortie alors que des voix paniquées criaient de l’autre côté de la porte. À l’instant où il s’apprêtait à quitter l’auberge, la porte menant à la cuisine vola en éclats et en déboula l’aubergiste avec son fils l’air affolé ainsi qu’un autre garde arborant la même cape que ses confrères. Il était jeune, avait des cheveux blonds et les yeux bleus. Leurs regards se croisèrent un bref instant avant qu’il n’aperçoive les deux corps de ses camarades en proie aux flammes et qu’il ne se précipite vainement pour les sauver. L’homme sortit sans regarder la suite alors que les flammes commençaient à monter vers la charpente du bâtiment.
La nuit était bien avancée et il se retrouvait de nouveau à marcher. Ses yeux étaient redevenus bruns et vides. Il avait conservé sa branche de chêne comme bâton de marche, bien qu’il ne semblait plus en être aussi dépendant. Son visage lisse n'arborait aucune cicatrice de l'affrontement auquel il venait de participer. L'homme s’arrêta quelques instants près d’un ruisseau pour se désaltérer. La lune scintillante éclairait le lac et d’une douce lueur pâle et une légère brise nocturne venait lui rafraîchir le visage. L’endroit était calme et reposant. Seuls les cris ténus de villageois en panique venaient troubler la quiétude de la nuit alors que l’auberge brûlait au loin.
L’aubergiste disparut derrière son comptoir en criant quelques ordres à l’attention des cuisines. Il réalisa alors qu’il était le seul client et prit place sur l’un des tabourets en bois à proximité du foyer. En inspectant la salle du regard, il remarqua que quelque chose n’allait pas. Certaines chaises manquaient, des tables semblaient avoir été enlevées et des caisses remplies de babioles diverses étaient grossièrement stockées dans un coin. Le premier venu aurait tout de suite compris que le village n’en avait plus pour longtemps. L’auberge et sa proximité avec la route semblait être la seule activité économique, et cette dernière était à l’agonie. Au bout de quelques minutes, une serveuse lui apporta une assiette de purée de fèves au lard avec une tranche de pain ainsi qu’un pichet de vin. Alors qu’il dégustait son repas, l’aubergiste se dirigea vers lui d’un air amical.
Ça, c'est un pavé mais après tout, ça dépend du goût de chacun, hein. Donc à toi de voir si tu veux aéré ou garder tel quel. Si tu veux, tu peux lire mon oeuvre et t'inspirer car c'est vraiment aéré...peut-être un peu trop d'ailleurs. Bref, j'espère avoir ton avis, dois-je resserrer mon texte ou pas ?
Scrib.
C'est vrai que les descriptions sont très fournis mais je trouve pas que ça enlève son charme au texte. Ca me fait penser à The witcher.
Franchement j'ai bien aimé ce prologue avec les informations qui faut. De la magie déjà apparente et les questions autour de l'homme qui utilise le feu sont nombreuses.
Je vais lire la suite :)
Tout d’abord, je suis désolé pour toi et ton livre de ne pas avoir pu être publié.
Je le trouve très intéressant ton prologue, bien ficelé. Tu fais monter la tension tout au long de ton chapitre. À chaque nouveau mouvement du feu dans l’âtre, l’étau se resserre. J’utilise un peu le même procédé d’écriture dans mes textes. D’ailleurs, tu pourrais parler du crépitement du feu et de l’odeur de la nourriture, cela pourrait donner un peu de relief à ton texte.
J’ai bien aimé la réaction des 2 gardes, qui tant que y a du monde, ne tentent rien. C’est très malin de leur part.
J’espère que tu trouveras ton public sur ce site. Personnellement, depuis mon arrivée, ici, j’ai bien progressé et les lecteurs donnent de bons conseils. Bonne continuation,
Zao