The fog.
There's nothing better than the fog to begin stories.
For some, it evokes those tales grandmothers once told before bed.
Stories filled with heroes, fairies, and wonders.
But no, this tale is not for the little ones.
It is whispered, softly, around the fire — far from the terror that lurks in the dark.
A tale of blood and bone, cloaked in the quiet mist of night.
A story of tormented souls, of broken lives, and ruin.
The story of a woodman.
M.
La nuit pèse. Une lumière pâle — celle de la lune. Le brouillard s’accroche aux arbres. L'air colle à la peau. Un goût de fer râpe la gorge. Un relent de brûlé flotte encore. Plus loin, un croassement fend le silence. Puis un autre. Sous la brume, les morts s’empilent. Des armures renversées, enfoncées dans la glaise. Des doigts tordus. Des visages sans yeux.
Les corbeaux s'affairent. Ils piétinent, arrachent, tirent sur la viande. Un bec claque. Puis — rien. Tous se figent. Un bruit. Là, tout au bord du bois. Quelque chose approche. Une branche craque. Les réveilleurs noirs s'envolent. Sortant de la pénombre, une silhouette encapuchonnée avance en direction de l’ancien champ de bataille. Une puanteur mêlée — celle des cadavres en putréfaction et du métal rouillé — flotte dans l’air, suffocante, presque nauséeuse.
La silhouette, à la démarche féminine, progresse en silence. Lentement. Les oiseaux noirs, restés en retrait, la toisent de leurs yeux jaunes et perçants.
Un bruit flasque retentit soudain derrière. Elle s’arrête net, tourne lentement la tête, dissimulant toujours son visage. A une douzaine de mètres, une femme est agenouillée. À côté, un chariot attelé à un âne maigre attend, silencieux. La femme, d’âge mûr, porte une robe de paysanne tachée. Son visage est creusé par la fatigue. Des traces de larmes marquent ses joues. Elle est accablée. Devant elle, un cadavre. Celui d'un jeune homme, à peine adulte, le visage lacéré.
Elle a remarqué la vagabonde, mais ne quitte pas le défunt des yeux. Sa voix est lasse, audible malgré la distance :
— Dear, you... have you come for someone too?
La femme encapuchonnée ne réagit pas. Les mots de la villageoise sortent malgré tout, mécaniquement :
— Such a good lad, my big one. Only fifteen winters. They came and took him.
Elle caresse la joue estropiée de son fils.
— Took 'em all — stable boys, farm boys. Even them, hidin’ in the bowers. Filled their heads with glory.
Un rire nerveux lui échappe.
— Those who didn’t fall in line — it was either steel to the throat or irons to the neck. And as if that wasn’t enough... they forced their mothers, their women — even the little girls! All at once! By the forefathers!
La vieille femme se calme.
— But mine... mine son — no, no, no-no-no! He wanted to battle. The fool. The little piglet to the slaughter, steel in the wind. Ending up like this... in the muck. Stripped. Dragged like cattle. And now I'm alone. The only one left. To bring back what's left of him. To drag him like an animal. Mother and now gravedigger. Mercy, I still have the donkey. They didn't take the donkey. Of all things... of all things!
Son expression désabusée se durcit.
— Curse them. My little boy... They take it all. Yes. I curse them all.
Elle radote silencieusement, les yeux dans le vide, les mains crispées sur ses genoux. Puis, dans un souffle rauque :
— I piss in their gullets, those baronnets — those gorged swines. May they bleed... may they burn to death!
Elle se reprend. Un frisson lui parcourt l’échine. Elle baisse alors les yeux vers la boue.
— By the First... no need to wake the dead.
La jeune femme encapuchonnée reste figée. Silencieuse. Son visage reste caché. La villageoise se racle la gorge, reprend contenance :
— But where was I? You should make quick, dear lady. No one knows what sorcery might come in this sorry place by this hour. They say unspeakable things happen when the fog arrives.
Puis, la personne encapuchonnée répond :
— That sort of thing doesn't scare me.
Sa voix est jeune, posée. Un timbre calme, mais sans chaleur. La paysanne acquiesce machinalement, le regard au loin. Elle se relève lentement, sort de son habit un drap qu’elle étale au sol avec soin. Puis, sans un mot, elle pousse le corps inerte — celui de son fils — jusqu’au centre du tissu et l’enveloppe entièrement. Elle sort ensuite plusieurs cordes de sa poche. Attache l’une au timon de la charrette, noue les autres solidement autour des pieds et du ventre du jeune homme. Elle agit avec une lenteur rituelle, sans une larme, comme si l’épuisement avait tari toute émotion. Ses mains tremblent. Elle se hisse sur la planche, son genou craque. Elle lâche un soupir, plus long que prévu. Un moment, elle reste là. Le bâton posé entre les jambes. Le regard planté dans le vide. Elle revient à elle, s’adresse une dernière fois à la jeune femme :
— May The First guideth thy path.
La silhouette ne tourne même pas la tête. Elle incline légèrement le menton, en guise de réponse. Un geste presque imperceptible. Alors, la vieille paysanne saisit sa canne et tape doucement l’arrière-train du baudet. L’âne, docile, avance. La charrette se met en mouvement, traînant derrière elle le sac mortuaire qui racle la terre humide.
Puis, rien ne bouge.
Le brouillard s’efface peu à peu autour de la silhouette, dévoilant un visage jeune, aux traits lisses — presque irréels. Sa peau, d’un blanc spectral, laisse courir sur ses courbes de subtiles lueurs violacées. Les yeux baissés, les longs cheveux ivoire tassés sous la capuche.
Elle est seule, désormais. Avec les morts. La jeune femme s'anime de nouveau. De la vase sous les pieds. Elle s'arrache sans forcer.
Le bourdonnement des insectes et l’odeur pestilentielle auraient dissuadé quiconque de s’aventurer plus loin. Partout autour d’elle, des cadavres d’hommes et de chevaux, des tas de chairs et de métaux entremêlés, certains calcinés, d’autres encore suintants.
Elle s’arrête. Son regard ausculte les cadavres. Une odeur âcre. Sous sa cape, un frémissement. Sa main s’en extirpe, fine, pâle. Dans sa paume : une plante semblable à un physalis — sauf que le calice, translucide et flétri, renferme un bulbe noir, visqueux, luisant comme du goudron frais. Elle détache lentement les feuilles mortes, ne gardant que le fruit, et s’agenouille dans la boue souillée. Cela ne la rebute pas. Au contraire, elle s'y enfonce, prend ses aises, de manière presque sensuelle.
Puis, elle cherche. Sa cape s'agite. Un tintement métallique. Elle sort une dague fine, rituelle. Son regard caresse la lame. Sans ciller, elle s’ouvre le poignet — le sang s’écoule, noirâtre, épais, et se mêle au fruit qui réagit aussitôt. Il gonfle, dégorge d’un fluide sombre, glacé. Des chuchotements lointains s’élèvent tout autour d’elle, inquiétants, sinueux. Elle n’y prête aucune attention. D’une voix haletante, presque soufflée, elle récite une incantation dans une langue inconnue, saccadée, déformée.
Puis, dans un murmure glacial :
— Vak’laari.
Elle écrase alors le fruit dans la boue. Il éclate dans un bruit sourd, se met à fondre, à se dissoudre rapidement. Les voix se font plus fortes, plus oppressantes. Le sol tremble. Un liquide noir remonte lentement, comme une nappe putride, et commence à se répandre. Il engloutit son genou, glisse vers les amoncellements de cadavres, se mêle à eux. Les murmures deviennent des râles. Des soupirs déchirants. Des cris étranglés.
Puis, soudain... le silence. Elle se relève, les genoux maculés. Seules les feuilles frémissent dans le vent.
Un tintement résonne. Le cliquetis de l’acier contre l’acier. Le froissement de tissus. Le crissement d’un cuir séché. Quelque chose bouge. Les corps remuent, s'agitent. Les monceaux de chair frémissent, se soulèvent. Certains bougent à peine, d’autres se redressent avec des gestes secs, saccadés. Les os craquent, les armures grincent. Des corbeaux s’envolent, affolés, dans un fracas d’ailes noires.
Des assemblages de membres humains, de sabots, de visages mutilés. Des êtres impossibles, tordus, recousus. Celui-là a un corps à quatre pattes, ravagé de flèches. Un autre a le tronc fusionné à une tête de cheval. Sa bouche s'ouvre. Trop. Ses mandibules s'arrachent, la chair se décolle. Des rangées de dents aiguisées. Partout, des râles gutturaux, des hennissements d’outre-tombe.
D’un pas lent, l'incantatrice tourne les talons. Vers la lisière, là où le brouillard est plus dense. Elle manque de glisser, mais ne tressaille pas. Derrière, les choses la suivent. Une masse s’effondre, dans un bruit de chair. Une autre trébuche, traînée par des membres mal cousus. Un râle. L’un se redresse. Puis un autre. Toujours plus lents. Ils se relèvent toujours. Mécaniquement. Des monstres de boue qui se tassent. Puis, le cortège s'amincit.
Alors que les derniers morts-vivants s’enfoncent dans les bois, leur maîtresse s’arrête. Elle clôt la marche. Sa tête pivote lentement. Son visage se dévoile. Amusé. Plus étincelants encore que ceux des veilleurs noirs suspendus aux branches, ses yeux jaunes flamboyants transpercent l’obscurité. Une dernière volute de brouillard envahit la plaine. Frissonnante. La femme repense à la mise en garde de la villageoise. Elle ne peut s'empêcher de ricaner.
"That sort of thing doesn't scare me."
Elle s'esclaffe. Un rire étranglé. Puis plus rien. La silhouette disparaît dans la nuit.
Pas loin, derrière un tronc creux, une silhouette observe. La vieille paysanne. Figée. Blême. La bouche entrouverte. Elle n’ose plus bouger. Lentement, elle recule d’un pas. Puis un autre. Ses yeux restent braqués sur la lisière où les créatures ont disparu. Ses mains cherchent à tâtons la charrette. Un bruit. Pas un craquement. Un froissement. Tout proche. Juste derrière elle. Elle se fige. Non. Ses mains tremblent encore. Sous son pied, un tissu. Le drap. Elle se retourne. Lentement. Des yeux. Vitreux. Ceux de son fils. Un sifflement glacé fend l'air. Un silence court.
Puis le cri. Etouffé. Avalé par le bruissement des feuilles et les croassements. Le vent soupire.
Merci pour votre commentaire. Cela me rassure car les descriptions sont assez chargées. Si vous êtes intéressé pour continuer, n'hésitez pas à me faire part de vos impressions!
Je suis heureux que cela vous plaise. Je me décide à écrire mon univers. J'espère qu'il vous plaira par la suite.