Si je ne bouge pas et ne fais aucun bruit, maman m'a dit que je pourrais apercevoir les cigales que l'on entend chanter toute la journée. Alors, couché sur mon transat près de la piscine, j'observe - non, je scrute - les pins alignés devant moi. Cependant, j'ai beau regarder les troncs avec attention, tout en prenant garde à ne pas faire de geste brusque, ces mystérieuses bestioles ne semblent pas vouloir se montrer. Mais ce n'est pas grave. Je suis un aventurier, je n'abandonne pas aussi facilement.
« C'est l'heure du goûter ! » lance une voix mélodieuse depuis la véranda. Bon, les cigales peuvent bien attendre. Je tourne doucement la tête et aperçois Maman sortir les cookies du four. Oui, décidément, les cigales attendront. Je quitte mon observatoire pour suivre l'odeur alléchante jusque dans la cuisine. Mamie prépare les assiettes et les serviettes tandis que Papi s'installe tranquillement. Il tire la chaise pour que je m'assois près de lui. Je lave mes mains en vitesse et le rejoins.
J’adore venir passer les vacances chez mes grands-parents. C’est un rituel dans la famille : chaque été, ils rouvrent la maison de Largentière pour nous accueillir deux semaines. J’aime tout particulièrement les journées où Maman part se promener avec Mamie et que Papi m’emmène à l’aventure. Il sait tout plein de choses : comment attraper des libellules, comment reconnaître les traces d’animaux, comment se repérer dans la forêt. Une fois, il m’a même appris à faire un bateau - qui flotte ! - avec quelques coquilles de noix. Mon Papa ne l’aime pas beaucoup Papi, et je crois que c’est réciproque. D’ailleurs, la plupart du temps, il préfère rester à Madrid pour « s’occuper de ses affaires urgentes ». Pourtant cette année, il est venu avec nous. C’était bizarre, il faisait tâche dans la petite cuisine, et même Maman ne savait pas comment se comporter en sa présence, comme s’il nous gênait dans notre routine. Papa l’a sûrement senti car il n’est resté que quelques jours avant de prétexter qu'il rentrait avec ma soeur, qui s'était blessée au début des vacances en grimpant à un arbre, afin qu'elle se rétablisse au calme.
Alors que je déguste tranquillement mes gâteaux, le téléphone sonne. Maman, qui était encore en train de mâcher son dernier morceau, s’essuie rapidement la bouche avant de prendre l’appel. « C’est Papa ? je lui demande. Tu lui diras que j’ai réussi à retenir toutes les capitales d’Europe ! Hein, Maman, tu lui diras hein ? » Mais elle ne me répond pas. Elle s’excuse brièvement avant de filer dans le bureau, au premier étage. J’espère qu’elle m’a entendu, comme ça quand on rentrera, je pourrai accompagner Papa à ses rendez-vous, comme les grands.
La nuit tombe quand Maman nous rejoint dans le salon. Nous mangeons tranquillement tandis que je leur raconte ma chasse aux insectes et explique que je suis rentré bredouille. Papi se penche vers moi et m’ébouriffe gentiment les cheveux.
— Petit, tu as essayé de chanter pour les amadouer ? Demande-t-il d’un air malicieux.
— Chanter ? Pourquoi tu veux que je chante ? C’est n’importe quoi : si je fais du bruit, les cigales partiront, c’est Maman qui l’a dit. Et Chanter, c’est faire du bruit.
Il rit doucement avant de lancer à ma mère : Eh bien ma chérie, tu l’as sacrément bien élevé ton petit, il est vif pour son âge !
Ces moments sont mes préférés pendant les vacances. Je peux dire ce que je veux, aucune grande personne ne me dit de me taire ou de sortir de table pour aller me coucher. J’aimerais tellement rester ici toute l’année. Ici, tout le monde a l’air heureux, serein. Papi dit souvent que l’extérieur n’a pas de prise entre ces murs. Je ne sais pas bien ce que ça veut dire, mais je pense que c’est vrai. J’avais peur de m’ennuyer sans ma sœur, qui est toujours partante pour de nouvelles idées de jeux, même la jambe dans le plâtre. Mais en réalité, j’aime bien avoir ma Maman pour moi tout seul, même si c’est seulement pour quelques jours.
Je suis dans mon lit, en train de lire une histoire à mon doudou Diego, lorsque j’entends du bruit depuis la véranda. Chouette, Mamie doit être réveillée, elle me fera peut-être un chocolat chaud, comme hier ! Je sors de ma chambre et descends prudemment les escaliers avant de m’arrêter au milieu des marches. Ce n’est pas ma grand-mère mais Maman qui est assise dans le fauteuil près de l’entrée. Elle pleure en silence, des photos entre les mains. Je penche sur la barrière pour essayer de voir de quoi il s’agit... GRINCHH. L’escalier grince. Maman lève les yeux vers moi et comprend que je suis en train de l’observer. Elle reprend rapidement contenance, sèche ses larmes et range les documents hors de ma vue, avant de venir s’asseoir près de moi. Elle écarte ses bras pour que je m’y glisse et passe sa main sur mon dos, en dessinant de petits cercles. Après un moment, je commence à somnoler. Maman s’en rend compte, me porte jusque dans mon lit et s’allonge près de moi. Elle fait tout le temps ça, même à la maison : elle attend toujours qu’on soit complètement endormi pour quitter la pièce et éteindre la lumière. Elle m’embrasse le sommet du crâne et me chantonne ma berceuse préférée.
— Tu restes avec moi ? Pour toute la vie hein Maman ?
— Pour toujours, mon amour. me répond-elle en chuchotant, avant de me serrer contre elle.
Alors que je ferme les yeux, je sens une goutte tiède couler le long de mon cou.
J’espère que la suite te plaira tout autant !
Tu poses un cadre de vacances assez idyllique. L'ambiance de famille est très sympathique et sonne vrai.
On sent quand même poindre de petites tensions avec le père. J'imagine que ce n'est pas pour rien que tu met ça dans le premier chapitre donc je m'attend à ce que ça soit important par la suite...
Ce que cache la mère au narrateur me semble également un élément important, il a dû se passer 2,3 trucs qu'il faut mieux pas remuer à la surface^^
Bien à toi !
Déjà merci pour ton commentaire ! Il me fait très plaisir !
Effectivement, tu as vu juste, quelques petits éléments ont déjà été posés en toile de fond afin de servir la suite de l’histoire ahah !
À bientôt :)
Un très bon début ! Je ne suis habituellement pas trop fan des points de vue interne, mais pour le coup, ce chapitre est très bien raconté !
Je trouve que tu as bien utilisé le langage parlé et pensé de l'enfant. C'est très enfantin et léger.
Je file lire le prochain chapitre ! :)
Merci beaucoup, ton commentaire me fait très plaisir ! Je suis ravie que tu aimes le début de cette histoire, j’espère qu’il en sera autant pour la suite !!
À bientôt ! :)
J'aime bien, je trouve le style fluide, les descriptions sont bien menées.
J'aurais juste une remarque sur la cohérence dans ton texte.
Tu écris :
"Papa l’a sûrement senti car il n’est resté que quelques jours, avant de rentrer à la hâte chez nous, pour son travail. "
"elle est restée à la maison cet été, avec Papa, car elle s’est cassée la jambe à l’école et est obligée d’être alitée."
Si j'ai bien compris, la sœur est restée quelques jours seule alors qu'elle est alitée. Comme tu parles d'école, j'imagine qu'elle est encore toute jeune.
Qui s'est oqp d'elle pendant l'absence du père ?
Pour ce qui est de l'incohérence que tu as souligné, eh bien… C'en est bien une, que je n'avais pas remarqué ahah ! Effectivement, il semblerait étrange que personne ne s'occupe de la petite pendant que le reste de la famille est en vacances (oups)
En changeant un peu l'histoire, je pourrais dire que le père est parti à la hâte au bout de quelques jours, en emmenant avec lui la petite sœur qui s'était blessée au début du séjour, prétextant qu'elle devait avait besoin de calme pour se remettre ; qu'en penses-tu ?
En tout cas, merci encore pour ton aide !
J'ai vu que dans le 1er chapitre, ils ont une gouvernante. Tu peux dire qu'elle est restée au départ avec elle, non ? Sauf si elle ne travaille que la journée...