Le bruit de ses pas sur les pavés de la passerelle et la fraîcheur mordant ses doigts étaient les seules preuves que Noelani avait pour se convaincre qu'elle n'était pas en train de rêver. Elle approchait de la bâtisse qui se dressait devant la foule de ses faux jumeaux ; ces jeunes femmes et hommes qui, comme elle, étaient nés la même année en plein milieu de l'automne. Ils étaient une centaine à Saulimar, et tous, peu importe d'où ils venaient dans le pays, avaient dû se rendre à Luxeth, la capitale, le matin du jour de l'an – le 1er novembre – pour le Cérémonial.
Le château dominait une haute colline dont les fougères brunies par la saison s'effaçaient dans la brume qui auréolait le lieu. On pouvait cependant distinguer les longues branches des arbres décharnés entre les afflux de brouillard qui en transperçaient l'opacité par leur teinte noire comme la suie. Derrière le bastion, le même spectacle : la forêt s'évaporait peu à peu dans la blancheur du frimas. Le ciel de l'aube, d'un bleu pâle fondu dans du rose pastel annonçant le lever du soleil prochain, donnait au tableau un climat plus onirique que réaliste. Et enfin, il y avait Wanwerra, la citadelle en elle-même. Noelani frissonna, mais pas à cause du froid.
Wanwerra était une école nichée dans les collines bordant la vallée de Lochsy, construite sur un promontoire rocheux surplombant la rivière Tistalis, dans le massif de Cristal. L'Ecole des Arcanes était son nom traduit de la langue ancienne, et elle accueillait tous les adolescents à partir de leur seizième anniversaire pour les former pendant quatre ans et en faire des citoyens qualifiés. C'était un lieu ancestral, plus ancien que le monde lui-même, murmuraient parfois les mères dans les berceuses qu'elles chantaient à leurs bébés le soir. Tout le monde connaissait la chanson des Wanwerri, les Arcanes, et bien que Noelani essayait de se la remémorer pour se rassurer, il lui était impossible de détendre les muscles qui crispaient ses doigts et creusaient les rides soucieux de son front.
Impressionnée par l'atmosphère qui régnait autour de la forteresse, elle était incapable de ne pas s'angoisser en ce jour qui déterminerait le restant de sa vie. Inspirant un grand coup, elle jeta un coup d'œil à ses faux jumeaux à travers ses longs cheveux roux, mais la lourde capuche de sa mante noire qui coulait sur son crâne – comme elle le faisait pour chacun des futurs étudiants – limitait sa vision périphérique, et elle était trop rigide pour faire un véritable mouvement de la tête sur le côté.
Arrivés au bout du chemin pavé, les capuchons sombres s'arrêtèrent devant l'entrée du château, petit bâtiment de pierre orné d'une large porte ovale en acajou. Les rares murmures qui bruissaient jusqu'alors parmi eux s'amenuisèrent, le bruit de leurs pas se tut, et Noelani regarda avec crainte les vieilles roches claires assombries par l'humidité ambiante. Puis le portail s'ouvrit en grinçant.
Un tout petit homme bouffi au crâne dégarni et à la barbe couleur acier tombant jusqu'à ses pieds, tenant une échelle à bout de bras, s'extirpa de l'ouverture avec beaucoup de déférence, parfaitement conscient de son rôle de premier plan dans l'accueil des nouveaux élèves. Sans un mot, il fit un léger geste de sa main boudinée indiquant aux adolescents qui étaient à l'avant de la procession de se reculer puis, avec lenteur et application, il positionna l'échelle et grimpa à son sommet pour atteindre la clé de voûte de l'arc surplombant la porte par laquelle il était apparu. Il dessina quelque chose à la craie, se précipita en bas de son promontoire, plia ce dernier et courut rejoindre les premières capuches noires, à trois ou quatre mètres de là.
L'endroit sur la pierre où l'homme avait tracé un dessin s'illumina d'une lueur érubescente qui fit bientôt émerger de la roche une chose difforme qui ne mit qu'une fraction de secondes avant de s'afficher clairement devant eux : un dragon bipède hideux à tête de chat déployait ses larges ailes de chauve-souris en hurlant bruyamment, des flammes sortant de sa bouche, et un point tout aussi écarlate que la lumière lui ayant donné vie ornait son front. Il avait une immense queue de serpent. Il scruta les nouveaux venus de ses yeux jaunes et ceux-ci tremblèrent de peur à l'unisson.
Noelani craignit de s'effondrer, mais avant que cela ne puisse se produire, le nain à la barbichette grisonnante lança une pleine poignée de poudre argentée sur l'apparition qui se volatilisa dans la brume comme si elle n'avait été qu'un mirage. A côté d'elle, on poussait des soupirs de soulagement.
— Ce que vous venez de voir est la chimère d'une vouivre, clama l'homme d'une voix aiguë en se plaçant devant eux, là où le dragon se tenait quelques secondes plus tôt. C'est le symbole de cette école. C'est une race de dragon particulièrement sage, sagesse matérialisée par l'escarboucle – le grenat – qu'elle porte sur le front comme un troisième œil.
Une personne encapuchonnée fit un pas hors de la masse et demanda :
— Comment l'avez-vous fait apparaître ?
— J'ai dessiné le symbole du grenat.
— Comment l'avez-vous fait disparaître ? questionna une autre voix dans la horde.
— J'ai répandu de la limaille de fer. Vous apprendrez tout ça en alchimie.
Un silence impressionné planait dans l'air.
— Suivez-moi, finit-il par dire...
J'ai juste trouvé que la fin intervenait un peu abruptement, au moment où on commençait à apprendre un peu des trucs de culture G (si je peux le dire comme ça) sur ce monde, mais pour le reste, c'est vraiment un début très intéressant !
C'est vrai que la fin du prologue est assez abrupte, je suis en train de chercher une manière de la tourner plus naturellement !
Merci pour ton avis très positif, ça fait plaisir !