Prologue – La bague d’orage

Partiellement plongée dans la pénombre, la petite pièce était encombrée d’horloges de toutes sortes. Certaines étaient arrêtées, mais la plupart cliquetaient au rythme de leur balancier. Un hibou mécanique hulula pour sonner onze heures du soir. La danseuse en étain qui s’exerçait à ses côtés ne s’en trouva absolument pas perturbée, et continua de tournoyer. Dans une vitrine bordée de dorures étaient disposés quelques bijoux. Les pierres serties palpitaient insensiblement sous la lumière de la lune.

Un homme était installé tout proche d’une immense fenêtre. Penché au dessus de son bureau, il semblait très concentré. Il était entouré de piles de parchemins, d’instruments de mesure, de lunettes télescopiques et d’outils de joaillier. Il portait un long manteau rouge qu’il ne cessait de rejeter en arrière, visiblement gêné par le poids du tissu.

La fenêtre laissait entrer la lumière de la nuit, et l’homme s’arrêtait parfois pour réfléchir en observant le ciel. En contrebas, quelques maisons brillaient encore, une lanterne accrochée sur le pas de leur porte.

Un grattement timide se fit entendre.

- Entrez, dit l’homme sans même se retourner.

La porte s’ouvrit dans un grincement, ce qui projeta une lumière nouvelle dans l’atelier. Les horloges se mirent à briller de reflets dorés, et les bijoux de la vitrine firent chatoyer leurs couleurs. La jeune femme qui venait d’entrer semblait avoir une vingtaine d’années. Ses cheveux roux étaient ramenés en un chignon distingué et elle portait la broche astrale, propre aux professeurs de l’Académie.

Elle semblait sûre d’elle, mais n’osa pas commencer à parler.

- Parle, Mona. Tu ne me déranges pas.

- Je m’excuse de vous interrompre dans votre travail, commença Mona. Je voulais simplement vous avertir que les chiens d’azur sont très agités ce soir.

L’homme sembla perturbé. Il posa ses outils dans un cliquetis et se retourna vers elle. Il était d’un âge avancé, mais son œil vif le faisait paraître plus jeune. Ses cheveux à peine blanchis étaient en bataille, et il plissait une partie du visage afin de garder son monocle en place. Ses traits étaient durs, son regard attentif. Il tenait entre ses mains une bague au chaton encore vide.

- C’est étrange, dit-il d’un air songeur. Nérée ne devrait pas s’aligner avec Stérope avant au moins deux mois.

Mona hocha la tête.

- C’est pour cela que j’ai jugé bon de vous prévenir, dit-elle. Les chiens d’azur ont rarement tort.

- Alors c’est que quelque chose se prépare…

Il resta pensif pendant quelques secondes, puis se concentra de nouveau sur sa joaillerie. La jeune professeure s’inclina.

- Monsieur le Directeur, murmura-t-elle respectueusement.

Elle quitta la pièce, en évitant soigneusement de faire claquer la porte. Elle descendit ensuite les nombreux escaliers qui serpentaient dans la tour.

Dans l’atelier, l’homme repensait à ses calculs. Il ne s’était pas trompé : c’était impossible que Nérée et Stérope aient quelque chose à voir avec l’agitation des chiens d’azur. Les molosses étaient très sensibles aux planètes des marées et de l’orage, grâce au lien qu’ils partageaient avec les tempêtes. Cependant, elles étaient actuellement beaucoup trop éloignées l’une de l’autre pour avoir une quelconque influence sur le territoire de l’Académie.

Que pouvaient-ils bien sentir qui les affolait ainsi ? Les chiens d’azur étaient habitués à la présence de pierres des marées dans l’Académie, et les seules pierres d’orage que l’homme possédait étaient inertes depuis des années. Personne dans les environs n’avait le potentiel pour les utiliser, alors elles s’étaient simplement éteintes.

Une lueur inhabituelle le sortit de ses pensées. Dans l’obscurité de l’atelier, une lumière d’un blanc intense commençait à se répandre. Elle était presque imperceptible, au début, mais elle éclairait maintenant suffisamment pour être remarquée.

L’homme se tourna vers la vitrine, ébahi. Au milieu des autres bijoux, une pierre d’orage était sertie sur une bague en argent. Quelques secondes plus tard, elle brillait déjà comme une étoile, et ne semblait pas prête de s’arrêter.

Une fois passé le moment de stupéfaction, l’homme sourit. Il se murmura à lui-même : « La rentrée promet d’être intéressante, cette année. ».